• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. Mise en contexte 6

1.1. Histoire du système de santé québécois et de sa gestion 7

1.1.4 Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix 20

Jusqu’au début des années quatre-vingt, les interventions de l’État québécois consisteront principalement à consolider la réforme mise en œuvre par Claude Castonguay (Bergeron, 1990). En dépit des écarts entre les propositions de la CESBES et les mesures réellement appliquées, ces dernières portent fruit. En effet, au début des années quatre-vingt, le système de santé québécois est considéré comme un des meilleurs au monde et ce, autant par la population québécoise que par les experts étrangers (Gaumer et Desrosiers, 2004).

Malgré ce bilan positif, le ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, Guy Chevrette, s’inquiète d’éventuelles difficultés financières (Gaumer, 2008). Les ressources humaines, médecins et employés, exercent une pression importante sur les budgets. De plus, depuis 1972, le gouvernement a dû, à quelques reprises, absorber les déficits des hôpitaux. Un comité interministériel créé pour s’attaquer à cette question en vient à identifier le cadre légal encadrant le fonctionnement des hôpitaux comme une des causes à l’origine de ces déficits

7 Comeau et Girard (2000) précisent que l’équipe d’encadrement d’un CLSC est habituellement très simple. Ils écrivent : « Au plan de la coordination, on retrouve un directeur général de qui relèvent, selon les centres, un

directeur ou chef de services administratifs et un directeur ou chef de services professionnels » (Comeau et

(Bélanger, 1992). À cela s’ajoute la crise économique du début des années quatre-vingt ainsi que le retrait progressif du gouvernement fédéral du financement de la santé (Renaud, 1989).

Les problèmes financiers auxquels est confronté le secteur permettront surtout de lever le voile sur la dynamique interne du système mettant à l’avant-scène la question de sa régulation. À ce sujet, Renaud écrit :

« Cette crise économique a mis à jour l’incapacité de ce secteur d’effectuer des

choix, autre que le statu quo, et rendit extrêmement visible les positions de force respectives des différents acteurs. La crise entraîna donc un questionnement du modèle de régulation de l’allocation des ressources dans le domaine de la santé. La gestion bureaucratique du système apparut soudain comme économiquement inefficace et inappropriée du point de vue des problèmes à résoudre » (Renaud, 1989, p.16).

Dans le même ordre d’idée, Demers et coll., (1999) décrivent la situation qui prévaut au milieu des années quatre-vingt dans ces termes :

« Malgré les contraintes budgétaires, malgré la rhétorique du réseau et les appels à la complémentarité, les directions d’établissements maintiennent leur individualisme, légitimés de le faire par la poursuite de leur mission. Chaque établissement se place dès lors en concurrence avec les autres pour l’obtention de budgets et de mandats additionnels. Le cloisonnement des services qui en résulte engendre duplications et discontinuités » (Demers et coll., 1999,

p.212.)

C’est dans ce contexte que le ministre Chevrette décide de mettre en place une commission d’enquête. Le 18 juin 1985, le gouvernement donne le mandat à une commission, composée de douze membres, avec à sa tête Jean Rochon, « d’évaluer le fonctionnement et le

financement du système de santé et des services sociaux connexes […] d’étudier les diverses solutions possibles aux différents problèmes que connaît le système et de faire au gouvernement les recommandations qui lui semblent les plus appropriées » (Québec, 1988,

p.706-707). Le mandat de la Commission sera élargi en janvier 1986, à la suite de l’élection du Parti Libéral du Québec, sa composition réduite de douze à six membres et la durée de son mandat réduite, la date d’échéance étant fixée au 30 septembre 1987.

Le rapport Rochon

Les suggestions contenues dans le rapport de la Commission Rochon sont en cohérence et en continuité avec les mesures proposées par la CESBES près de vingt ans plus tôt (Bergeron, 1990). Pour les commissaires, les problèmes du système ne découlent pas de la pertinence des mesures proposées par la CESBES mais plutôt de l’écart entre les propositions et ce qui a été réellement mis en œuvre. Ce ne sont donc pas les fondements du système de santé et de services sociaux qui posent problème mais plutôt son fonctionnement et sa gestion. En ce sens, Bourque et Leruste (2010) affirment que le rapport Rochon représente une étape charnière dans l’évolution du système de santé et de services sociaux québécois car s’il ne remet pas en question l’importance du système public, il propose tout de même une réorganisation s’appuyant sur des principes managériaux inspirés du nouveau management public (Bourque et Leruste, 2010, p.115).

Dans son rapport, la Commission trace le portrait d’un système de santé et de services sociaux sclérosé, aux prises avec d’innombrables conflits entre professionnels et entre établissements. Ces conflits étant à l’origine du caractère « discontinu, incomplet et impersonnel des services

dispensés » (Québec, 1988, p.409). À ce sujet, les commissaires écrivent :

« Tout se passe comme si le système était devenu prisonnier des innombrables

groupes d’intérêts qui le traversent : groupes de producteurs, groupes d’établissements, groupes de pressions issus de la communauté, syndicats, etc. ; que seule la loi du plus fort opérait et que les mécanismes démocratiques d’arbitrage ne suffisaient plus; que la personne à aider, la population à desservir, les besoins à combler, les problèmes à résoudre, bref le bien commun, avaient été oubliés au profit des intérêts propres à ces divers groupes » (Idem, p.407).

En ce qui a trait à l’administration des établissements du réseau, les commissaires constatent que ceux-ci semblent se livrer une compétition les uns à l’égard des autres. Les commissaires y voient la volonté des directions d’établissements de consolider et d’accroître leur « empire

À cela la Commission ajoute avoir constaté un manque de collaboration entre les gestionnaires des différents niveaux hiérarchiques d’un même établissement. L’information étant souvent retenue par les échelons supérieurs et ne se rendant que rarement aux cadres intermédiaires et aux employés. Ces derniers n’étant ni informés, ni consultés lors de la prises de décisions ayant des impacts sur l’organisation de leur travail ou encore sur les priorités et les orientations de leur établissement (Idem, p.417).

Ainsi, la Commission trace un portrait plutôt sombre de la gestion des établissements de santé et de services sociaux. Elle dénonce la présence d’un type de gestion traditionnel, appuyé sur l’autorité et le droit de la direction, dans lequel l’organisation du travail découle de principes tayloristes, réduisant les employés à des exécutants (Idem, p.417-418).

À propos des gestionnaires, la commission dénonce la faible mobilité des directeurs généraux et des cadres supérieurs, les promotions se faisant à l’intérieur du réseau. Quant aux cadres intermédiaires, les commissaires constatent que l’accès à ces postes suit la filière interne, ce qui entraîne que « la pratique de la gestion et, en particulier, de la GRH y est souvent

improvisée » (Idem, p.532).

En fait, les commissaires ne dénoncent pas tant les gestionnaires eux-mêmes ou leurs compétences mais plutôt le « système de gestion » (Idem, p.413). Pour les commissaires, le problème est que les gestionnaires doivent se plier à un ensemble de règle et de normes qui ont pour conséquence de réduire leur marge de manœuvre organisationnelle et financière. Ils écrivent :

« Submergés par les directives sans cesse plus nombreuses du Ministère,

impuissants à contrôler leurs finances, incapables de composer avec des conventions collectives négociées centralement, et obligés, dans le cas des hôpitaux, de gérer des médecins qui pour la plupart sont des entrepreneurs privés, les gestionnaires sont confrontés à un défi à peu près impossible à relever : administrer malgré les contraintes qui réduisent à presque rien leur marge de manœuvre financière et organisationnelle. Les administrateurs sont ainsi devenus au fil des ans, des gérants de conventions collectives et de directives plutôt que des gestionnaires de ressources humaines » (Idem, p.413).

Suite à ce diagnostic, la Commission propose l’introduction d’une nouvelle dynamique décisionnelle découlant d’un nouveau partage des pouvoirs au sein du réseau. Ce nouveau partage passe par le recentrage de la mission du ministère, l’augmentation du pouvoir du palier régional et la décentralisation de certains pouvoirs au niveau local.

Ainsi, les commissaires suggèrent de resituer le ministère de la Santé « autour des fonctions

que lui seul peut assumer » (Idem, p.508), c'est-à-dire la planification et l’évaluation de

l’ensemble du système, la coordination interrégionale, la coordination des programmes de santé et de services sociaux de portée provinciale et la protection de la santé publique.

Quant au palier régional, la Commission propose d’augmenter son pouvoir et de transformer les CRSSS en régies régionales.

Au niveau de la gestion des établissements, la Commission propose une mise à jour des méthodes de gestion et favorise la gestion participative. Elle propose aussi une décentralisation au niveau local de la négociation des conventions collectives ainsi qu’une plus grande implication des cadres intermédiaires dans les questions touchant aux relations du travail.

De la commission Rochon à la réforme Côté

Le dépôt du rapport de la commission Rochon ne provoquera pas les réactions positives qu’espéraient les commissaires. La plupart des groupes organisés, à l’exception des centrales syndicales, s’y opposent, n’appréciant guère être pointés du doigt comme étant des preneurs d’otage du système (Desrosiers et Gaumer, 2004; Renaud, 1989).

Du côté politique aussi l’accueil du rapport est plutôt mitigé. Le gouvernement libéral n’y trouve pas, entre autres, l’appui à la privatisation qu’il espérait (Desrosiers et Gaumer, 2004). À la suite du dépôt du rapport, la ministre de la Santé de l’époque, Thérèse Lavoie-Roux, annonce qu’elle réalisera une nouvelle tournée de consultation au printemps 1988. Lors de cette tournée, la ministre rencontre essentiellement les mêmes personnes et les mêmes groupes

ayant été consultés par la Commission Rochon, si bien que la position du gouvernement, présentée en avril 1989, sera, et ce malgré la réaction initiale du gouvernement, étonnamment

« proche de l’esprit, voire de la lettre, des recommandations de la Commission » (Renaud,

1989, p.33)

En 1990, le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, Marc-Yvan côté, présente un projet de réforme intitulé « Une réforme axée sur le citoyen » (Québec, 1990). Dans ce projet, le ministre se réapproprie en grande partie les critiques formulées par la Commission Rochon à propos du système de santé et de services sociaux (Gaumer, 2008).

Le changement le plus important de cette réforme touche à la régionalisation du système. Avec la création des régies régionales de la santé et des services sociaux, le palier régional voit son autonomie augmentée par rapport au ministère et son pouvoir sur les établissements renforcé (Gaumer, 2008; Demers et Turgeon, 2008). Il semble cependant que cette décentralisation régionale n’ait pas modifié le contexte dans lequel œuvrent les établissements locaux. En effet, selon Demers et coll., (1999) les régies régionales ont « perpétué la logique

de surveillance des dépenses des établissements en maintenant en vigueur les règles bureaucratiques dont elles héritaient du MSSS » (Demers et coll., 1999, p.217). L’impact le

plus important pour les chefs d’établissements étant que le réseau de contact que ceux-ci avaient développé depuis des années au ministère devenait caduc (Idem, p. 217).

Le virage ambulatoire

En 1994, le gouvernement du Parti Québécois est de retour au pouvoir. Le premier ministre Jacques Parizeau nomme Jean Rochon au poste de ministre de la Santé. Celui-ci entreprend une réorganisation dont les grandes lignes proviennent du rapport qu’il a lui-même signé en 1988 (Côté, 1999). Cette situation n’est pas sans rappeler la nomination au poste de ministre ainsi que le mandat de réformer le système donné à Claude Castonguay au début des années soixante-dix. Cependant la comparaison entre les deux s’arrête là. En effet, le contexte dans lequel se trouve Jean Rochon est loin de lui être favorable. À partir de 1996, la priorité du gouvernement, et de son nouveau premier ministre Lucien Bouchard, est d’assainir les

finances publiques et d’atteindre le déficit zéro pour l’exercice 1999-2000, ce qui viendra bousculer la mise en œuvre de sa réforme (Boivin, 2003; Demer et coll., 1999).

Ainsi, les montants alloués à la santé diminueront à partir de l’exercice financier 1995-1996 et ce durant trois années financières consécutives. Ces diminutions amèneront le MSSS à mettre ses efforts sur le virage ambulatoire ainsi que sur la reconfiguration du réseau8. À propos du virage ambulatoire, Bourque et Leruste (2010) écrivent qu’il « constituera la première

transformation significative du financement et de l’organisation du système de santé » depuis

la réforme mise en œuvre par Castonguay (Bourque et Leruste, 2010, p.106).

Sur le terrain, cette reconfiguration aura des effets importants sur les établissements. Certains sont fermés alors que d’autres doivent changer de mission ou fusionner (Demers et Turgeon, 2008). Qui plus est, le gouvernement mettra en place un important programme de départ à la retraite volontaire. L’objectif, dans le secteur de la santé, est de réduire l’effectif total de l’équivalent de 7 325 postes à temps complet. Cependant, le caractère volontaire du programme rendra la planification du nombre de départs très complexe en plus d’enlever tout contrôle aux gestionnaires locaux sur les employés qui peuvent quitter. Au total, ce sera l’équivalent de 16 564 postes à temps complet qui disparaîtront (Boivin, 2003).

Selon Demers et coll., (1999), la pression politique et financière qui est imposée aux établissements à cette époque va contribuer à modifier le rôle joué par les gestionnaires d’établissement. Si ceux-ci étaient cantonnés depuis quelques années dans une position de gérants9, les nombreux changements qui leurs sont imposés ouvrent un espace de liberté qui amènera certains à endosser des rôles de rénovateurs10 ou de transformateurs11.

8 Le virage ambulatoire « vise à réduire la part des services donnés en milieu institutionnel » alors que la reconfiguration du réseau « vise à en accroître l’efficience administrative » (Demers et al, 1999, p.216).

9 Selon Demers et coll., (1999), le gérant « se consacre à appliquer les règles émanant des autorités du système de santé et à perpétuer les pratiques au sein de l’organisation. Dans les organisations menées par un gérant, on assiste fréquemment à une centralisation des pouvoirs entre les mains d’un groupe restreint de dirigeants […], la gestion budgétaire relève exclusivement de la haute direction, le rôle des cadres intermédiaires se limitant à mettre en application leur budget et à en faire le suivi […] la gestion des ressources humaines se limite à appliquer les conventions collectives en vigueur » (p.202-203)

10 « À la différence du gérant, le rénovateur cherche à moderniser son établissement […] ces progrès consistent depuis plusieurs années à rendre la production des services plus efficace et plus efficiente » (Idem, p.203)

Il ne faut cependant pas croire que les gestionnaires des établissements de santé sont épargnés par les changements imposés par le gouvernement. En effet, les fusions d’établissements vont entraîner des coupures importantes dans les postes de gestionnaires, ceux-ci passeront de 10 969 en 1995-96 à 8 558 en 1999-2000 (Québec, 2009)12.