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Chapitre 1. Mise en contexte 6

1.1. Histoire du système de santé québécois et de sa gestion 7

1.1.5 Les années deux mille 27

Le virage ambulatoire et la reconfiguration du réseau sont des mesures extrêmement impopulaires qui font pratiquement perdre le pouvoir au Parti Québécois lors des élections de 1998. La nouvelle ministre de la santé et des services sociaux, Pauline Marois, hérite donc, en 1998, du défi de remettre le système sur ses rails. Contrairement à son prédécesseur la ministre bénéficiera d’un contexte budgétaire plus favorable. Ainsi, pour faire face aux problèmes du réseau, elle réinjectera de l’argent et décidera de nommer, en juin 2000, une nouvelle commission sur l’avenir du système de santé.

La Commission, présidée par Michel Clair, se verra confier le mandat de « tenir un débat

public sur les enjeux auxquels fait face le système de santé et de services sociaux et proposer des avenues de solution pour l’avenir » (Québec, 2003, p.i). La commission remettra, six mois

plus tard, un rapport comportant trente-six recommandations et cinquante-neuf propositions portant sur la finalité du système, son organisation, ses ressources humaines, son financement ainsi que sa gouverne.

La mission de la commission Clair se distingue de celles des autres commissions ayant façonné le système de santé québécois. Alors que la CESBES favorisait la « démocratisation

de l’accès aux soins santé » (Noreau, 2008, p.217) et la Commission Rochon, « le maintien des acquis dans le domaine » (Idem, p.217), la commission Clair se penche plutôt sur « la

11 Le transformateur « contribue à la fois à moderniser son organisation et à tirer parti de la conjoncture externe » (Idem, p.204)

fonctionnalité du système, son ajustement aux ressources disponibles et son adaptation aux réalités concrètes des praticiens et des établissements » (Idem, p.217).

Dans ce contexte, la commission Clair adopte un discours très pragmatique. Elle ne propose pas une modification radicale du système mais plutôt « un renouveau des objets et des

méthodes de gouvernement à l’intérieur même du système » (Denis, 2008, p.61). Selon

Villeneuve (2001) la réflexion de la commission Clair s’appuie sur une vision du réseau de la santé et des services sociaux perçu « comme une vaste entreprise qu’il convient de gérer

comme telle » (Villeneuve, 2001, p.116).

En ce sens, Denis (2008) affirme que la commission Clair accorde une importance première à « l’idéologie managériale ». Selon Denis (2008), les principes organisateurs de cette « idéologie » s’articulent autour du « développement d’une instrumentation de gestion, la

formation des gestionnaires et l’utilisation des données probantes au service d’une plus grande efficience et d’une plus grande efficacité dans l’utilisation des ressources » (Denis,

2008, p.61). Ainsi, dès l’introduction du rapport, les commissaires écrivent :

« Nous croyons que la gestion est une fonction essentielle qui a été trop

longtemps dévalorisée dans le fonctionnement des services sociaux et de santé. Il faut réinjecter de fortes doses de management dans le système. Aucune organisation ne peut survivre et se développer sans chefs compétents, motivés par l’atteinte de résultats et disposant de marges de manœuvre suffisantes »

(Québec, 2003, p.vii)

Cela ne veut pas dire que la commission met de côté la question des valeurs sur lesquelles doit s’appuyer le système de santé, cependant elle semble mettre l’accent sur la recherche des moyens concrets qui permettront à ces valeurs de se concrétiser. À ce sujet, Noreau (2008) écrit :

12 En proportion, la réduction du nombre de gestionnaires sera plus importante que celle du nombre d’employés syndiqués (Québec, 2009).

« Les valeurs qui ont servi de référents lors de la mise en place du réseau sont

évidemment rappelées, mais elles sont réinterprétées en fonction des finalités concrètes du système » (Noreau, 2008, p.218).

La réflexion de la commission s’appuie sur le constat de la rareté des ressources et ce qui en découle : « l’obligation indéniable et indissociable [de] faire des choix et de performer » (Québec, 2003, p.v). C’est donc pour faire face à ces « obligations », que les commissaires proposent « des modèles concrets de réorganisation des services » (Idem, p.vi). Ces propositions sont présentées comme des moyens d’augmenter l’accès des citoyens aux services. On sent que pour les commissaires, l’heure n’est pas à l’affirmation de grands principes mais à la recherche des moyens concrets qui permettront au système d’honorer sa mission.

Constats et propositions

Cette volonté des commissaires de trouver des pistes d’action et des solutions pratiques et applicables qui permettront au système de répondre aux attentes des « clients » se reflète dans la présentation même du rapport. En effet, la préoccupation des commissaires n’est pas la cohérence de ces pistes d’actions mais leur efficacité. À ce sujet, Jacob (2001) écrit :

« Le produit reflète le processus suivi pour développer le rapport : un groupe

de commissaires diversifié, un échéancier très court et, finalement, une démarche délibératoire essentiellement fondée sur des consultations ouvertes. Ceci donne un rapport où les problèmes et les solutions semblent résulter du tri et des arbitrages effectués par les commissaires […] En conséquence, les problèmes font l’objet de constats mais sont rarement documentés et les solutions semblent plus souvent des pistes d’action que des actions bien définies. La Commission a bien développé une vision globale des enjeux confrontant le système de santé, mais elle a eu peu de temps pour l’appliquer systématiquement à l’ensemble et pour articuler en un tout cohérent les propositions qu’elle présente sur les nombreux sujets abordés » (Jacob, 2001,

p.61).

Dès lors, il est difficile de tracer un résumé des recommandations de la Commission Clair. On y retrouve cependant certaines propositions fortes, dont certaines seront, comme nous le verrons dans la prochaine section, au cœur de la réforme Couillard.

D’abord, en ce qui a trait à l’organisation des services, la Commission déplore que celle-ci reflète la réalité des années soixante-dix. Pour les commissaires, la valorisation de la pratique professionnelle individuelle, l’autonomie juridique et budgétaire de chaque établissement et le fonctionnement en silo seraient les causes des problèmes d’accès et de continuité des services qui caractérisent le système de santé québécois. Pour y faire face, la Commission propose que des services intégrés de première ligne deviennent l’assise du système de santé. Le volet médical de ce réseau de première ligne reviendrait à une nouvelle organisation, les groupes de médecine de famille (GMF)13, alors que le volet social reviendrait aux CLSC.

Au niveau des ressources humaines du réseau, la Commission dépeint un portrait très sombre de la situation. Sentiment général d’insatisfaction, d’épuisement et de morosité, importance de l’absentéisme découlant de problèmes de détresse psychologique sont les termes utilisées par les commissaires pour décrire la situation. Selon eux, ces problèmes s’expliquent par le peu de pouvoir dont disposent les dirigeants d’établissements, par la culture d’affrontement qui caractérise les relations patronales-syndicales ainsi que par l’application d’une approche tayloriste du travail. A ce sujet, les commissaires écrivent :

« Pressés par des exigences de toutes sortes, les gestionnaires se retrouvent

sans marge de manœuvre dans un domaine où la plus grande souplesse serait requise alors que les travailleurs, eux-mêmes dépouillés de responsabilité en matière d’organisation locale du travail, en viennent à perdre le sens de leur contribution, le sens de leur travail » (Québec, 2003, p.115).

Les commissaires déplorent que les façons de faire en ce qui a trait aux ressources humaines ne tiennent pas plus compte des grands principes de gestion. Ainsi, afin de remédier aux problèmes qu’ils constatent, ils proposent, entre autres, « que chaque organisation se donne un

projet d’organisation de type projet d’entreprise » (Idem, p.119), de renforcer « la marge de

13 Au sein des GMF, « des médecins de famille se regrouperaient, par équipe de 6 à 10, soit en cabinets, soit en CLSC. Ces médecins travailleraient en étroite collaboration avec 2 à 3 infirmières participant à la prise en charge et à la coordination des services. Ce GMF serait responsable d’une population définie et lui offrirait une gamme de services définis. Chaque citoyen choisirait son médecin de famille à l’intérieur d’un GMF sur la base de son lieu de domicile, de son lieu de travail ou de tout autre critère » (Québec, 2003, p.52).

manœuvre et l’imputabilité des directeurs généraux » (Idem, p.120) et qu’une partie de leur

rémunération soit liée aux résultats de leur organisation. Ils proposent aussi que les processus de dotation tiennent compte du critère de compétence et finalement, que les questions relatives aux horaires de travail, au remplacement, à la gestion des postes et à la mobilité soient négociées localement.

Finalement, au niveau de la gouverne, les commissaires relèvent un malaise évident, découlant du fait que les équipes de gestion ainsi que les équipes cliniques sont tenues à l’écart des décisions qui les concernent. De plus, la Commission constate que les structures actuelles du réseau de la santé soutiennent le fonctionnement en « silo » des différents établissements. Pour faire face à cela, la Commission souhaite l’adhésion de l’ensemble des établissements à un ensemble de principes directeurs que sont : la responsabilité populationnelle14, l’imputabilité et la primauté aux résultats15, la subsidiarité16, l’importance de la gestion17 et la participation des citoyens18. Concrètement, la Commission propose que l’ensemble des établissements de première ligne d’un même territoire soient regroupés sous une gouverne unique.

Le rapport de la Commission Clair sera bien accueilli par le gouvernement de l’époque. Celui- ci applique rapidement certaines des solutions proposées par les commissaires (Gaumer, 2008). Il s’engage d’abord à donner suite aux recommandations concernant la réorganisation de la première ligne autour de la création de GMF (Rioux, 2008). De plus, dès 2001, le gouvernement modifie la Loi sur la santé et les services sociaux avec l’objectif d’augmenter

14 Selon la commission, la responsabilité populationnelle signifie que « le Ministère, les régies régionales, les établissements et les cabinets de médecins sont conjointement responsables de l’amélioration de la santé de la population et de l’organisation des services […] sur un territoire donné » (Québec, 2003, p.202).

15 « Le principe d’imputabilité correspond à l’obligation de rendre compte de ses interventions, du résultat de ses actions […] Gérer par résultats, c’est accepter de mesurer à partir d’indicateurs de performance modernes » (Idem, p.202).

16 « Selon le principe de subsidiarité, les décisions doivent être prises au palier le plus bas possible au sein d’une hiérarchie ou d’une organisation » (Idem, p.203).

17 Selon la commission, « la gestion n’est pas une activité accessoire mais essentielle. Elle sert à organiser les ressources en vue de passer à l’action » (Idem, p.203)

18 La participation des citoyens se « concrétise par le rôle des conseils d’administration, auxquels participent les citoyens [ainsi que] dans des comités consultatifs où la population est conviée à exprimer ses besoins, ses attentes et sa satisfaction à l’égard des services » (Idem, p.203)

l’importance de la reddition de compte et de la gestion par résultats. Dès lors, le ministre de la Santé et des Services sociaux a la responsabilité d’identifier les objectifs que doivent atteindre les régies régionales, dans le cadre d’ententes de gestion et d’imputabilité, les régies faisant de même avec les établissements de leur territoire (Demers et Turgeon, 2008).

C’est cependant l’arrivée du Parti Libéral du Québec dirigé par Jean Charest qui provoquera les changements les plus importants dans le réseau comme nous le verrons dans la section suivante.