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Eagleson (1972) a été le premier à proposer de combiner un modèle stochastique de pluie et un modèle pluie-débit pour générer des séries aléatoires de débits de longues durées afin d’étudier les déterminants des formes des distributions statistiques de débits de pointes de crues : the dynamics of flood frequency. Ce premier essai a été suivi de nombreux autres travaux du même type. Une grande variété de modèles stochastiques de pluie et de modèles pluie-débit plus ou moins simplifiés ont été testés. Dans la plupart des cas, il s’agissait de travaux essentiellement empiriques, les résultats dérivant de simulations de type Monte Carlo (Lamb & Kay, 2004; Blaskova & Beven, 2004; Loukas, 2002; Arnaud & Lavabre, 1999; Hashemi et al., 2000; Cameron et al., 2000b; Iacobellis & Fiorentino, 2000; Gupta et al., 1996; Raines & Valdes, 1993; Smith, 1992; Sivapalan et al., 1990). Avec un choix ad hoc de modèles de pluie et pluie-débit, il a parfois été possible de proposer des expressions numériques approchées des distributions de débits (Diaz-Granados et al., 1984; Eagleson, 1972) voire des expressions analytiques (DeMichele & Salvadori, 2002; Goel et al., 2000). Les résultats de ces différents travaux sont, dans tous les cas, dépendants des modèles re-tenus et aucune conclusion générale ne peut être tirée sur les formes des distributions sta-tistiques des débits de pointes de crues. Cependant, il est malgré tout possible, moyennant quelques hypothèses généralement admises sur la transformation pluie-débit, de définir les relations qui existent entre les distributions asymptotiques des débits et celles de certains paramètres des pluies à l’origne des crues. La mise en évidence de ces relations fait l’objet des sections qui suivent. La connaissance des propriétés asymptotiques des distributions statistiques des débits de crues ne permet certes pas de préciser la forme de ces distributions dans les gammes de probabilité de dépassement qui intéressent les hydrologues -typiquement 10% à 0.01%. Elle permet en revanche de délimiter le ”domaine du possible”, fort large, et de porter par là un regard critique sur les procédures usuelles d’estimation

7.2 Réflexions théoriques 127 de quantiles de débits de crues.

7.2.1 Une idée clé : la simplification du processus pluie-débit

Nous allons, dans ce qui suit, établir les liens entre la distribution asymptotique de certains paramètres des événements pluvieux générateurs des crues et les distributions des débits de pointes des crues de bassins versants. Débutons avec une représentation très simplifiée des épisodes pluvieux dans un modèle stochastique de pluie : une période de pluie de durée D et d’intensité X considérée dans un premier temps comme constante sur cette durée. C’est, par simplicité, la représentation retenue dans la grande majorité des travaux cités précédemment, y compris ceux d’Eagleson (1972).

Dans ce cas très simple, quel que soit le modèle pluie-débit retenu, le débit de pointes généré Y sera une certaine proportion C de l’intensité X :

Y = CX (7.2)

Si l’on néglige le débit de base, ce qui est justifié pour les crues les plus importantes, cette proportion C, sorte de coefficient d’écoulement, est comprise dans l’intervalle [0, 1]. Sa valeur dépend de la dynamique du processus pluie-débit, de la durée D de l’événement pluvieux, et de l’état initial du bassin versant. Notons p(x) la densité de probabilité de la variable aléatoire X. Alors la fonction de répartition de Y a pour expression :

P (Y ≥ y) = F (y) = Z 1 0 Z y/c p(c|x)p(x)dxdc (7.3)

où p(c|x) est la densité de probabilité conditionnelle de C sachant X. La fonction de répartition de Y dépend bien entendu de la forme de la fonction p(c|x). Mais la forme de son asymptote lorsque y tend vers l’infini n’est contrôlée que par la forme de la densité de X comme nous allons le montrer.

7.2.2 La solution asymptotique lorsque C est indépendant de X

Lorsque C est indépendant de X, il est évident que les distributions asymptotiques variables aléatoires X et Y sont du même type (Gumbel ou Fréchet) et ont le même paramètre de forme. En effet, si C n’est pas égal à zéro et si la distribution de X n’a pas de borne supérieure, alors la distribution de Y n’a pas non plus de borne supérieure. Elle appartient donc soit au domaine d’attraction de la loi de Gumbel, soit à celui de la loi de Fréchet. Par ailleurs, les moments du produit de deux variables aléatoires indépendantes ( C et X dans notre cas) sont égaux aux produits des moments de ces variables. Si donc X a une

distribution asymptotique de type I (Gumbel), tous ses moments sont finis. Il en sera de même pour Y d’après l’équation 7.2, puisque C étant borné, tous ses moments sont finis. La distribution asymptotique de Y est donc dans ce cas aussi de type I. Inversement, si la distribution asymptotique de X est de type II (Fréchet), les moments d’ordre supérieur à α (paramètre de forme de la distribution asymptotique de X) sont infinis. Les moments d’ordre supérieur à α de Y sont aussi infinis. La distribution asymptotique de Y est donc aussi de type II et de paramètre de forme α. Il est de plus possible de montrer que les distributions asymptotiques de X et Y ont le même paramètre d’échelle lorsqu’elles sont de type I. Lorsque la densité de probabilité p(c|x) de C est non nulle quel que soit x pour la valeur c = 1, les deux fonctions de répartition apparaissent parallèles sur un graphique en échelle semi-logarithmique (Gaume, 2006a).

7.2.3 Généralisation au cas où C dépend de X

L’indépendance statistique entre C et X, c’est-à-dire l’indépendance entre l’intensité moyenne de l’événement pluvieux et le ”coefficient d’écoulement” est une hypothèse peu réaliste. En effet, si le processus dominant de genèse des crues est de type ”hortonien”, C dépend de X. Si les crues sont générées par saturation progressive, extension des surfaces saturées contri-butives, C est relié au cumul de pluie de chaque événement pluvieux. Or il semble d’après l’analyse de diverses séries pluviométriques que l’espérance du cumul pluviométrique d’un événement a tendance à augmenter avec l’intensité moyenne de pluie (DeMichele & Salva-dori, 2002). On peut donc conclure que pour des combinaisons de modèles stochastiques de pluie et pluie-débit réalistes, l’espérance du ”coefficient d’écoulement” C augmentera avec l’intensité X des événements pluvieux.

La fonction de densité p(c|x) peut alors avoir deux types de comportements lorsque x tend vers l’infini. Elle peut converger vers une densité limite p(c) prenant des valeurs non nulles sur l’intervalle [c1, c2]. On retrouve donc le résultat précédent. Elle peut aussi se concentrer autour d’une valeur c2. Dans ce dernier cas, Y est asymptotiquement égal à c2X : la distribution asymptotique des débits de pointe de crues (exprimés en mm/h) est la distribution des intensités moyennes des événements pluvieux multipliées par c2. Notons que si c=1 appartient au domaine du possible, ce qui est le cas pour la plupart des modèles pluie-débit si l’hétérogénéité spatiale des pluies n’est pas prise en compte, alors c2=1. En d’autres termes, la distribution asymptotique des débits de pointes de crues obtenue par combinaison d’un modèle stochastique de pluie et d’un modèle pluie-débit, (i) soit aura le même paramètre de forme, ou d’échelle dans le cas d’une loi des valeurs extrêmes de type I, que la distribution des intensités moyennes des événements pluvieux,

7.2 Réflexions théoriques 129

Fig. 7.2 – Exemple de distributions synthétiques de débits spécifiques de crues obtenues dans deux études (trait gras), comparaison avec les distributions des intensités des événe-ments pluvieux (trait fin).

(ii) soit sera la distribution des intensités de pluie.

Ce résultat confirme et généralise les conclusions tirées d’études précédentes fondées sur des modèles stochastiques de pluie et pluie-débit particuliers : dans le cas où les événe-ments pluvieux sont représentés par des impulsions rectangulaires, asymptotiquement ”le paramètre de forme de la distribution des crues est le même que celui de la distribution des intensités de pluie” (DeMichele & Salvadori, 2002). La figure 7.2 illustre ce résultat dans le cas de deux études précédentes.

7.2.4 Généralisation à toute forme de pluie

Dans le cas le plus général, où la variation de l’intensité de la pluie au sein d’un événement pluvieux est prise en compte, le débit spécifique de pointes de crue (exprimé en mm/h) peut être supérieur à l’intensité moyenne de l’événement pluvieux qui l’a généré. Le valeur du coefficient C dans l’équation 7.2 n’est plus limitée à 1. Une autre formulation synthétique, comparable à l’expression 7.2, peut cependant être proposée :

Y = CYm (7.4)

où Ym est le débit de pointes de crue maximal possible que l’on obtiendrait avec une valeur de coefficient d’écoulement égale à 1. De nouveau, la valeur du coefficient C de l’équation 7.4 est comprise dans l’intervalle [0, 1] si l’on néglige le débit de base. La relation entre la distribution asymptotique des débits de pointe de crues et les caractéristiques statistiques des pluies dépend de la relation entre ces dernières et la variable Ym. Cette relation dépend des propriétés de la fonction de transfert des débits sur le bassin versant, mais certains

Fig. 7.3 – Distributions de débits spécifiques de pointe de crues simulés (mm/h) d’un bassin versant théorique imperméable (traits gras) comparés aux distributions des inten-sités maximales des événements pluvieux sur diverses durées (traits fins) : (a) fonction de transfert linéaire et (b) onde cinématique.

résultats sont connus.

Si la fonction de transfert est linéaire, le débit maximum Ym est fortement corrélé à l’in-tensité maximale de l’événement pluvieux sur une durée légèrement inférieure au temps de concentration du bassin versant (cf figure. 7.3 pour une illustration sur un bassin versant ayant un temps de concentration d’une heure). La distribution de la variable Ym est dans ce cas quasiment identique à la distribution des intensités maximales des événements plu-vieux sur cette durée (cf. figure 7.3). Rappelons que le constat de la forte corrélation entre débit de pointes de crue et l’intensité maximale des événements pluvieux sur une durée proche du temps de concentration du bassin versant, lorsque le coefficient d’écoulement est supposé constant, est à la base de la bien connue ”méthode rationnelle” (Chocat, 1997). Si la fonction de transfert est non linéaire, le lien entre la distribution de Ym et les courbes intensité-durée-fréquence est moins direct (Fig. 7.3.b). Dans un versant théorique où la propagation des écoulements suit le modèle d’onde cinématique, le temps de concentration du bassin a tendance à diminuer lorsque le débit augmente, sauf s’il existe des zones d’ex-pansion de la crue. Dans le cas présenté dans la figure Fig. 7.3.b, le temps de concentration du bassin versant est de l’ordre d’une heure pour un débit égal à 20 mm/h et de 30 minutes pour un débit de 120 mm/h 5. On constate sur la Fig. 7.3.b que le quantile de débit de pointe est très proche du quantile de l’intensité maximale moyenne de l’événement plu-vieux sur le temps de concentration du bassin versant pour une période de retour donnée. Dans ce cas cependant, le temps de concentration dépend du débit, contrairement au cas linéaire.

7.3 Quelques résultats de simulations 131