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Chronologie des écoulements : recueil de témoignages

10.3 Les informations complémentaires exploitables

10.3.3 Chronologie des écoulements : recueil de témoignages

Les informations sur le déroulement chronologique des crues sont essentielles pour analyser les processus intervenant dans la relation pluie-débit. Une décrue immédiate après l’inter-ruption des pluies indique, par exemple, une contribution dominante de sources d’écou-lement à réponse rapide (ruisseld’écou-lement de surface ou écoud’écou-lements subsuperficiels sur de courtes distances). Au contraire, un fort amortissement du hyétogrammme et une réces-sion lente témoigneront de la contribution prépondérante des écoulements souterrains aux débits de crue. De même, la réponse hydrologique d’un bassin versant aux averses intenses donnera des indications sur les capacités moyennes d’infiltration et de stockage de ces sols et peut permettre de faire le départ entre les mécanismes de ruissellement hortoniens, es-sentiellement reliés à l’intensité des pluies, et le ruissellement par saturation dépendant du cumul de pluie. Il est donc intéressant, dans le cas où l’on ne dispose pas d’enregistrements limnimétriques, de pouvoir, au-delà de l’estimation de la valeur du débit maximum produit par un bassin versant, positionner dans le temps ce maximum et de tenter de définir des repères intermédiaires de l’évolution dans le temps des débits de crues : niveaux d’eau observés à différents instants de la crue. La seule source de renseignement sur ce point est à chercher dans les récits des témoins oculaires qui peuvent dans certains cas être confor-tés par des documents (films ou photographies horodaconfor-tés) ou des informations vérifiables (horaire de mise hors service d’un transformateur EDF inondé ...). Les témoignages sont parfois cités, mais font rarement l’objet d’un recueil et d’une analyse systématique. La qualité et même la nature des informations des témoins sont très diverses. Le recueil de ce type de témoignages ne peut donc reposer que sur des questions ouvertes : “ Racontez-moi en détail comment s’est déroulée la crue. A quelle heure avez-vous été inondé ? A quelle vitesse est montée l’eau ? Quand s’est-elle retirée ? Avez-vous pris des photographies ?” Le but est de collecter des récits aussi circonstanciés que possible du déroulement de la crue, en portant une attention particulière aux indices qui permettent de confirmer les repères temporels des témoins. Les témoignages indirects sont à écarter.

La fiabilité et la précision des témoignages sont, bien entendu, très variables. La plupart des témoins, eux-mêmes, sont conscients des limites de leurs informations. La validation croi-sée des témoignages, la comparaison de leur description de la pluviométrie et des mesures pluviographiques et RADAR disponibles, doivent être utilisées pour critiquer les informa-tions collectées. L’expérience montre que de nombreux témoins regardent régulièrement leur montre durant les crues - probablement parce qu’il s’agit de l’unique point de repère durant ces événements lorsqu’ils se produisent de nuit. Ils sont donc en mesure de donner des repères chronologiques assez précis. Dans certains cas les témoins faisaient référence à

témoignage 16 (ga-rage situé à proxi-mité immédiate de la station limnimé-trique de Tautavel en amont du pont)

Vers 23h00, l’eau a commencé à envahir le garage. Le niveau de l’eau est monté de 60 cm en moins de 30 minutes, le temps d’évacuer trois voitures. Il a ensuite continué à monter progressivement : 1 mètre d’eau dans le garage vers 24h00-0h30. La cote maximale atteinte est de 1.8 mètres. A 5 heures du matin, il restait encore 1 mètre d’eau dans le garage. A 6h00, l’eau s’était retirée. Le niveau de l’eau a fluctué pendant la crue. J’ai observé au moins deux fluctuations importantes : deux décrues partielles.

témoignage 18 (Ferme située à 1 km en aval de Tautavel en rive gauche)

Vers 23h00 l’eau commençait à inonder la basse-cour (1,8 mètre en contrebas de la maison). Nous avons alors évacué les volailles. Vers 23h45, nous avions de l’eau aux genoux. L’eau est ensuite montée rapidement : le temps de me changer, la terrasse de la basse-cour était sous 1,80 mètres d’eau. Nous avons été évacués vers 24h30. Des torrents d’eau s’écoulaient le long des falaises derrière la maison.

Tab. 10.7 – Résumé de deux témoignages recueillis à Tautavel (Aude)

Fig. 10.17 – Comparaison entre les relevés limnimétriques de la station de Tautavel et les informations données par les témoins 16 et 18 (cf. tableau 10.7) de l’étude de la crue du Verdouble (Aude) des 12 et 13 novembre 1999.

10.4 Conclusions 177 des événements dont l’horaire pouvait être vérifié par ailleurs : opérations des services de secours reportées sur une main courante, coupure d’électricité, émissions de radio ou de télévision.

Les enquêtes réalisées jusqu’à présent ont révélé que les témoins pouvaient apporter des informations chronologiques précises sur les crues étudiées (cf. tableau 10.7). L’horaire exact de la pointe de crue peut bien souvent être déterminé au quart d’heure près. A titre d’exemple, des témoignages recueillis à la suite de la crue du Verdouble (Aude) à Tautavel en 1999 (cf. tableau 10.7) ont pu être comparés aux enregistrements de la station limnimétrique située dans le village (figure 10.17). Cette comparaison donne une idée du niveau de précision que l’on peut attendre de témoins.

Ceci dit, de nombreux témoignages sont aussi erronés. Le recueil de témoignages nécessite donc un sérieux travail de critique et de recoupement. Il faut, dans la mesure du possible multiplier le nombre de témoins sur un même site et rechercher tous les repères temporels vérifiables. On se rapproche ici des techniques d’enquête policière.

Nous verrons dans les chapitres suivant, comment l’utilisation de modèles pluie-débit per-met d’exploiter les informations très fragmentaires des témoins sur le déroulement des crues : pour chaque bassin versant, il n’est souvent possible de reconstituer des repères temporels qu’en nombre limité.

Notons enfin que les témoins peuvent aussi apporter des informations sur des crues plus anciennes qui peuvent aider à mesurer le caractère plus ou moins exceptionnel de la crue étudiée tant du point de vue des débits et des niveaux d’eau atteints que de son déroule-ment.

10.4 Conclusions

Au-delà des données des réseaux de mesure existants, de nombreuses informations peuvent être collectées après une crue majeure : laisses de crue, indices d’érosion et de transport solide, témoignages, films et photographies. L’exploitation de ces informations permet une reconstitution partielle des hydrogrammes de crues : valeurs de débits estimées et posi-tionnées dans le temps. Cette reconstitution est nécessairement imprécise, rien ne pouvant remplacer des mesures directes. Les sources potentielles d’erreurs sont nombreuses : mau-vaises appréciations des conditions locales d’écoulement lors de l’estimation du débit de crue, témoignages erronés. Il n’existe pas, nous l’avons vu, de méthode clé en main, en particulier pour l’estimation des débits à partir des caractéristiques géométriques d’un

écoulement (section en travers, pente de ligne d’eau). L’application sans discernement de techniques proposées dans la littérature peut conduire à des erreurs grossières. La critique, fondée sur le croisement d’informations, doit donc être un souci permanent, le souci prin-cipal du retour d’expérience. Quel que soit l’effort de validation, les données reconstituées resteront nécessairement imprécises en cas d’absence de mesures directes, cas général pour les crues éclair. Nous allons tenter de montrer dans le chapitre qui suit que ces données, malgré leur niveau élevé d’incertitude, apportent des informations hydrologiques exploi-tables sur les crues éclair et en particulier la dynamique pluie-débit.

Chapitre 11

Faire parler les indices

Résumé

Ce chapitre illustre les principes exposés dans le chapitre précédent. Différents exemples montreront comment les données collectées selon la méthode du retour d’expérience peuvent aider à (1) déterminer la répartition spatiale et temporelle des écoulements et identifier les secteurs ayant majoritairement contribué à la crue éclair, (2) recons-tituer la chronologie de la constitution de la crue et révéler des facteurs aggravants ou atténuateurs, (3) décrire la dynamique de réponse pluie-débit des bassins versants et révéler une diversité de comportements. Ce chapitre se fonde essentiellement sur l’exemple des crues de 2002 dans le Gard. La collecte d’informations consécutive à cette crue avait mobilisé une large communauté scientifique dans le cadre de l’Ob-servatoire Hydro-Météorologique Cévennes-Vivarais (OHM-CV) : 18 chercheurs ou étudiants de 8 organismes différents avaient participé au levé de 93 sections d’écou-lement et à la collecte de 145 témoignages.

11.1 Répartition spatiale et temporelle des écoulements

La cartographie des débits de pointe de crues permet d’évaluer les contributions relatives de différentes parties d’un bassin versant. La figure 11.1 montre un premier exemple de carte des répartitions des débits dans le cas de la crue de 1999 sur le bassin versant du Verdouble en amont de Tautavel (Aude et Pyrénées orientales). Ce bassin versant a reçu en moyenne environ 300 mm de pluie durant cet orage intense. La répartition spatiale

de ce cumul était cependant hétérogène : la partie ouest du bassin située en amont de Padern a en effet reçu entre 150 et 250 mm de pluie avec des intensités de l’ordre de 10 mm/h, alors que le cumul de l’épisode a dépassé 450 mm sur la partie nord-est avec des intensités supérieures à 50 mm/h sur une heure. La répartition des débits estimés est extrêmement hétérogène et suit celle des cumuls de pluie. Le Verdouble en amont de Padern a connu une crue très modeste de débit de pointe compris entre 10 et 20 m3/s pour 73 km2 de bassin versant, soit un débit spécifique de l’ordre de 0.2 m3/s/km2. La majeure partie des débits de crue proviennent du petit Verdouble, deuxième affluent en rive gauche : environ 700 m3/s pour 80 km2 de bassin versant, soit 8.5 à 9 m3/s/ km2. Les contributions les plus importantes correspondent bien aux bassins touchés par les pluies les plus intenses et les cumuls les plus importants, avec des débits spécifiques estimés de 15 à 20 m3/s/km2 pour les bassins versants amont. On peut remarquer le rapport de 1 à 50 entre le débit spécifique des crues du Verdouble amont et du petit Verdouble pour des surfaces de bassins versants équivalentes alors que les deux secteurs ne sont éloignés que d’une dizaine de kilomètres. Le débit de la crue du Verdouble amont apparaît modeste au regard des cumuls et intensités de pluie. C’est à peine le débit de la crue annuelle dans cette région. Le coefficient d’écoulement en pointe de crue sur ce bassin versant a été inférieur à 10% en pointe de crue d’après la formule rationnelle, signe de la capacité importante de rétention d’eau de pluie sur ce bassin. Celle-ci a été confirmée par l’analyse détaillée des réponses hydrologiques de différents bassins versants amont de l’Aude lors de la crue de novembre 1999 (Gaume et al., 2004). 200 à 300 millimètres de pluie n’ont pas été restitués par les bassins versants durant cette crue. Cet exemple souligne le rôle important de la dynamique de réponse des bassins versants aux pluies même lors d’épisodes pluvieux exceptionnels et l’extrême variabilité spatiale des écoulements lors de ces crues.

La cartographie des écoulements lors de la crue de septembre 2002 dans le Gard révèle une structure spatiale bien différente (figure 11.2). Les débits de pointe de crue apparaissent spatialement bien plus homogènes que dans le cas de l’Aude pour des cumuls et des intensi-tés de pluie sensiblement équivalents. A l’exception des parties amont des bassins versants du Gard et du Vidourle situées dans le massif des Cévennes, les débits de pointe de tous leurs affluents ont dépassé 5 m3/s/km2. Cette relative homogénéité des contributions des affluents est à mettre en relation avec la forte réactivité des bassins versants du Gard lors de la crue de 2002 (cf. sections suivantes). Elle explique et confirme les valeurs exception-nelles des débits de pointe estimés pour les crues du Vidourle à Sommières (de l’ordre de 3000 m3/s pour 650 km2) du Gard à Remoulins (environ 6500 m3/s pour 1800 km2). Finalement, l’enquête de terrain permet en général au moins de positionner dans le temps les débits maximums des différents affluents d’un cours d’eau principal à partir des récits