• Aucun résultat trouvé

Dimensionnement de bassins de retenue

5.5 Validation hydrologique de modèles de cascades

5.5.3 Dimensionnement de bassins de retenue

Le second exercice de validation consiste à utiliser les séries pluviométriques au pas de temps de 4 minutes comme données d’entrée d’un modèle simplifié de fonctionnement d’un bassin de retenue des eaux pluviales urbaines en vue de dimensionner cet ouvrage. Cette simulation génèrera une série de volumes d’eau à stocker pour éviter un débordement du réseau, dont on analysera la distribution statistique. La comparaison des distributions statistiques de volumes à stocker obtenues avec les séries simulées et la série observée, permettra de vérifier l’adéquation des deux modèles de cascade de pluie pour le dimen-sionnement de bassins de retenue. Les modèles reproduisent-ils des séries pluviographiques réalistes au regard des propriétés qui conditionnent le dimensionnement des bassins de retenue ?

Le modèle simplifié de bassin de retenue fonctionne de la manière suivante (1) le débit maximum Q (en mm/h) que peut accepter le système d’assainissement aval est fixé, (2) si le réservoir est vide et que l’intensité de pluie dépasse ce débit maximum, un nouvel événe-ment de stockage débute, (3) à chaque pas de temps le nouveau volume stocké est calculé (équation 5.32) et on teste si ce nouveau volume est le volume maximum de l’événement.

Vt+∆t= max(0, Vt/∆t + It− Q) ∗ ∆t (5.32)

avec t indice de temps, ∆t pas de temps de calcul (4 minutes), Vtvolume stocké au temps t, It l’intensité de pluie durant le pas de temps de t à t + ∆t.

La figure 5.11 présente la relation entre les quantiles des volumes à stocker et le débit maximum Q pour deux périodes de retour dans le cas du modèle de cascade log-Poisson. Comme dans le cas de validation précédent, 30 séries pluviométriques ont été simulées pour évaluer les intervalles de confiance à 90% des quantiles et permettre la comparaison avec la série mesurée. Pour les valeurs élevées du débit aval Q, le volume calculé est très fortement corrélé à la valeur maximale de l’intensité. Les résultats sont dans ce cas très proches de ceux obtenus pour les distributions des intensités en 4 minutes (figure 5.10) : quantiles simulés et mesurés proches pour les fortes périodes de retour et légère surestimation pour les périodes de retour plus faibles. Lorsque le débit maximum aval Q est faible, le volume à stocker est fortement corrélé au volume total des événements de stockage. Si Q = 0, il

n’y a qu’un événement de stockage et le volume à stocké est égal au volume de l’ensemble de la série. Le modèle de désagrégation temporelle des pluies a dans ce cas peu d’influence sur les résultats.

Fig. 5.11 – Dimensionnement d’un bassin de retenue, relation entre les valeurs des quantiles de volumes à stocker et le débit maximum Q du système d’assainissement aval : série pluviométrique mesurée (croix) et simulées (traits).

Le modèle de cascade a donc réellement un effet sur les résultats de ce test de validation pour les valeurs intermédiaires de ce débit maximum Q. Or dans le cas de ces valeurs inter-médiaires, on observe une surestimation des quantiles de volumes à stocker lorsqu’ils sont calculés avec les séries pluviométriques simulées (figure 5.11). Ces résultats indiquent que le modèle de cascade multiplicative ne reproduit pas fidèlement la structure temporelle des séries pluviométriques observées et en particulier les formes des événements pluvieux qui conditionnent les valeurs de volumes à stocker. L’analyse détaillée des distributions sta-tistiques d’un certain nombre de paramètres de forme des événements pluvieux confirme cette conclusion (figure 5.12). Quatre paramètres de forme ont été étudiés : (1) nombre de dépassement d’un seuil d’intensité de pluie, (2) durée moyenne de ces périodes de dépas-sement de seuil, (3) intensité moyenne durant ces périodes de dépasdépas-sement, (4) rapport moyen entre l’intensité maximale en 4 minutes et l’intensité moyenne durant ces périodes. Les différences entre séries mesurée et simulées pour les faibles valeurs de seuil d’intensité

5.5 Validation hydrologique de modèles de cascades 97

Fig. 5.12 – Relation entre différentes caractéristiques de forme des événements pluvieux mesurés (croix) et simulés (traits) et le seuil d’intensité considéré.

sont liées au fait que le modèle de cascade retenu ne simule pas de valeurs nulles. Les périodes de dépassement de seuil identifiées sont donc moins nombreuses et plus longues. Mais le modèle génère toujours trop peu de périodes de dépassement pour des seuils plus élevés, alors que l’intensité moyenne de ces périodes et le rapport entre intensité moyenne et intensité maximale apparaissent comparables à ceux de la série mesurée. Les résultats obtenus à l’aide du modèle de cascade uniforme micro-canonique sont similaires. Il n’est pas réellement possible d’analyser en détail l’origine de ces différences. On retiendra simple-ment de cet exemple de validation, que le modèle de cascade ne permet pas de reproduire fidèlement la structure temporelle de la série pluviométrique observée. Ceci n’est pas tel-lement surprenant compte tenu de la simplicité du modèle et tout à fait cohérent avec les conclusions tirées de l’analyse de séries pluviométriques par la méthode de l’intégrale de corrélation (cf. chapitre 6). La structure temporelle des séries pluviométriques est com-plexe. La série des rapports des intensités à différentes échelles de temps, série des poids de désagrégation, n’est en particulier pas une série de variables aléatoires IID, hypothèse sur laquelle repose la plupart des modèles de cascades multiplicatives aléatoires. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point dans le chapitre 6.

5.6 Conclusions

L’aspect attrayant des modèles de cascades multiplicatives est lié à la simplicité de leur mise en oeuvre et au nombre très restreint de paramètres à caler. Ces modèles présentent un intérêt plus particulier en hydrologie urbaine qui nécessite l’utilisation de données plu-viométriques à des pas de temps très fins, de l’ordre de quelques minutes. Le constat répété de l’existence d’une loi d’invariance d’échelle des propriétés statistiques des observations a amené les chercheurs à s’intéresser aux modèles de cascades multiplicatives qui eux-mêmes produisent des séries invariantes d’échelles. Du point de vue théorique, le caractère d’invariance d’échelle de séries générées à l’aide d’un modèle de cascades multiplicatives n’apparaît qu’asymptotiquement - i.e. lorsque le nombre de niveaux de la cascade tend vers l’infini - dans le cas de l’étude des fonctions de répartition. De même, le caractère d’invariance d’échelle n’est observé dans le cas de l’analyse spectrale, que sous certaines conditions sur le moment d’ordre 2 de la distribution de la variable aléatoire du généra-teur. Sur une série pluviographique mesurée, toutes ces méthodes permettent généralement de révéler un comportement invariant sur certaines gammes d’échelles. Mais, les gammes d’échelles ne sont pas toujours les mêmes selon la méthode d’analyse, et les exposants d’échelle calculés par ces différentes méthodes ne sont pas nécessairement cohérents. Ce constat conduit à s’interroger sur la signification réelle des résultats de ces analyses : les

5.6 Conclusions 99 séries pluviographiques sont-elles réellement invariantes d’échelles (i.e. multifractales), ou bien, les modèles invariants d’échelles ne font-ils qu’approcher certaines propriétés statis-tiques des séries pluviographiques sur une gamme limitée d’échelles ? La fonction exposant d’échelle ζ(q) construite à partir des moments d’ordre q d’une série pluviométrique observée s’avère peu discriminante pour le choix d’un modèle de cascades multiplicatives du fait de sa forte sensibilité à la fluctuation d’échantillonnage. Cette fonction exposant d’échelle est fortement conditionnée par les valeurs élevées de la série observée et ne traduit donc pas les propriétés moyennes de cette série. De plus, cette fonction ne rend compte que de certaines propriétés des séries observées. Caler un modèle stochastique de pluie sur ces propriétés ne garantit pas que le modèle reproduira des séries réalistes pour d’autres propriétés comme l’a illustré le deuxième exemple de validation présenté ci-dessus.

Deux grands types d’enseignements peuvent être tirés de cette excursion dans le monde des modèles de cascades multiplicatives et des multifractals.

– D’un point de vue pratique, les méthodes d’analyse associées aux modèles de cas-cades multiplicatives et aux multifractals, et plus particulièrement la fonction exposant d’échelle, se sont révélées assez décevantes car peu discriminantes. C’est beaucoup de sophistication pour la construction d’une fonction très sensible à l’échantillonnage. La méthode de l’intégrale de corrélation, développée dans le cadre de l’analyse des systèmes chaotiques (cf. chapitre 6) n’a pas ce défaut. Les modèles de cascades multiplicatives sont des modèles simples et faciles à mettre en oeuvre qui, de plus, permettent d’ex-ploiter les données disponibles à des pas de temps (données journalières) ou d’espace (prévisions de modèles météorologiques) trop larges pour les applications hydrologiques. On constate que ces modèles ne reproduisent pas fidèlement l’ensemble des propriétés des séries observées. Mais aurait-il pu en être autrement étant donnée leur simplicité ? Les résultats obtenus dans les deux exemples d’application et de validation sont fina-lement assez satisfaisants. Les écarts avec les courbes IDF reconstituées à partir de la série pluviométrique mesurée sont modestes. Ils sont plus importants dans le cas des quantiles de volumes de bassins de retenue, mais restent raisonnables dans la mesure où les ordres de grandeur sont conservés. Les résultats auraient pu être meilleurs si le critère de calage des modèles de cascade avaient été construits directement à partir de la variable que l’on cherche à reproduire pour chacune des applications : volumes à stocker ou intensité moyenne maximale des événements pluvieux. Enfin, il est préférable d’uti-liser des modèles de cascades micro-canoniques pour des applications hydrologiques afin de conserver la maîtrise des distributions statistiques des variables modélisées.

– D’un point de vue théorique, un certain nombre de travaux de recherche récents ont cher-ché à tirer des conclusions sur les propriétés statistiques, et en particulier les propriétés

asymptotiques des séries pluviométriques observées, sur la base du constat de leurs pro-priétés d’invariance d’échelle (Malamud & Turcotte, 2006; Koutsoyiannis, 2006; Hubert et al., 2002). Puisque, tout comme les séries produites par des modèles de cascades mul-tiplicatives, les séries observées semblent avoir des propriétés d’invariance d’échelle, ne peut-on pas conclure que ces séries observées ont les mêmes propriétés statistiques que les séries simulées par les modèles de cascades ? Les processus de cascades infinies ca-noniques conduisant systématiquement à des distributions de valeurs simulées de type asymptotiquement hyper-exponentiel (algébrique cf. chapitre 7), ne doit-on pas s’at-tendre à ce que les séries observées aient aussi des distributions hyper-exponentielles ? Comparaison n’est cependant pas raison. Les modèles de cascades ne reproduisent de manière approchée que certaines propriétés des séries pluviométriques mesurées. La ”réa-lité” n’est pas le modèle et n’hérite donc pas automatiquement de ses propriétés. Par ailleurs les modèles canoniques IID sont des modèles de cascades particuliers, très étu-diés du fait de leur simplicité. Pourquoi focaliser l’attention sur ces modèles et leurs propriétés ? Les modèles micro-canoniques par exemple n’ont pas les mêmes. Ces tra-vaux, sont intéressants dans la mesure où ils apportent un éclairage différent de ceux des études ”fréquentielles” classiques sur les distributions statistiques des variables étudiées en hydrologie, où ils posent des questions. Attention cependant à ne pas en tirer de conclusions trop hâtives et définitives, en oubliant les limites des modèles de cascades multiplicatives et de l’analyse multifractale, que nous venons d’évoquer.

Chapitre 6

Tout n’est-il que chaos ?

Résumé

Est-il possible que des processus déterministes simples se cachent derrière l’apparent désordre des séries de données hydrologiques ? L’identification de leur dynamique permettrait, si ces processus existent, de proposer des modèles mieux adaptés et d’effectuer des prévisions de meilleure qualité. Les méthodes d’identification d’at-tracteurs de trajectoires de processus ont connu un certain engouement en hydrolo-gie à la fin des années 1990. La plupart des résultats présentés dans la littérature scientifique sont encourageants : les trajectoires des processus étudiés (séries tem-porelles de pluies ou débits) semblent se concentrer sur des attracteurs de faible dimension révélant l’existence d’un processus déterministe simple sous-jacent. Ces résultats semblent cependant être un artefact d’analyse lié à l’effectif limité des sé-ries de données observées.

Références

Mémoire de DEA de Michel Kolasinski (Kolasinski, 2001) Article : Gaume et al. (2006b)

6.1 La théorie du chaos et ses implications

La notion de chaos a été largement popularisée à la suite d’une conférence donnée en 1972 par le météorologue Edward Lorenz devant l’American Association for the Advancement of Science et intitulée : ”Un battement d’aile de papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?” (Lurça, 1999). Edward Lorenz y expliquait qu’un système dynamique

déterministe, en l’occurrence un modèle numérique de simulation météorologique, pouvait être sensible aux conditions initiales à tel point que de faibles variations de ces condi-tions, le battement ou non des ailes d’un papillon pour reprendre son image, pourraient changer du tout au tout la marche du phénomène étudié. Deux trajectoires initialement très proches peuvent diverger et conduire ou non au déclenchement d’un événement ma-jeur : une tornade au Texas par exemple. Un système dynamique chaotique est donc ”un système dynamique déterministe, sensible aux conditions initiales, dont on ne peut pas prédire l’évolution sur une longue période” (Guegan, 1992). La sensibilité d’un système dy-namique aux conditions initiales, son instabilité, est généralement caractérisée par l’ordre de grandeur du temps nécessaire pour que la distance entre deux trajectoires soit multipliée par e. Ce paramètre est appelé temps ou exposant de Lyapounov. Comme bien souvent, des idées nouvelles mettent un certain temps à diffuser dans les communautés scientifiques. En fait, le principe du chaos déterministe et ses conséquences sur la prévisibilité avaient été exposés dès 1876 par le physicien James C. Maxwell lors d’une conférence à Cambridge : ”il est manifeste que l’existence de conditions instables rend impossible la prévision des événements futurs, si notre connaissance de l’état présent est seulement approximative et non exacte”. Cette idée avait par la suite été largement développée par le mathématicien français Henri Poincaré (1908) tirant les conclusions d’un travail sur les trajectoires de trois corps célestes en interaction qui sous certaines conditions apparaissaient instables ou en apparence désordonnées : ”Il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux. Un petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les dernières. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit”. ”Une cause très petite qui nous échappe détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir et alors nous disons que cet effet est dû au hasard”.

La prise de conscience du caractère chaotique de certains processus déterministes a certai-nement marqué une étape importante de l’histoire de la physique et des disciplines voisines (Lurça, 1999). D’une part, elle a remis en question la croyance en la prévisibilité totale des systèmes qui obéissent aux lois de Newton. Même dans un contexte totalement détermi-niste, les liens de cause à effet peuvent être difficiles à établir. Les phénomènes aléatoires, fortuits, ne sont plus uniquement ceux dont nous ignorons les lois comme l’exprime si bien Poincaré ci-dessus. D’autre part, cette prise de conscience a du même coup estompé la fron-tière séparant le déterministe de l’aléatoire. Les séries chronologiques issues de processus déterministes chaotiques, trajectoires des processus, peuvent être en apparence désordon-nées, identiques à celles générées par un processus stochastique1. Le déterminisme peut se

1

Les générateurs de nombres pseudo-aléatoires de nombreuses librairies informatiques sont fondés sur des algorithmes au comportement chaotique.

6.2 Identification du déterminisme 103