• Aucun résultat trouvé

Réappropriation et adaptation de cadres normatifs : modalités de fabrication des dispositifs

DISPOSITIFS LOCAUX DE COORDINATION

La présentation s’appuie sur l’observation de l’émergence et de la mise en fonctionnement de dispositifs locaux développés en PACA au milieu des années 2000. Aucun des « modèles-types » desquels ils sont issus ne relève d’une pure innovation institutionnelle. Tous ont trouvé leur inspiration dans des expériences antérieures : les promoteurs – Etat ou Région - ont effectué collectivement un travail d’appropriation et de transformation des règles et des normes développées au sein d’autres dispositifs mis en œuvre en France ou à l’étranger.

Deux modalités distinctes ont été mises en évidence quant aux modes de fabrication des règles constitutives (Vial, op. cit.) : l’une – contraignante en termes de règles – concerne les MDE et les PRIDES et correspond dans les grandes lignes à la mise en place d’un gouvernement à distance avec des acteurs repérés et en capacité de se coordonner (Epstein, 2005) ; l’autre – plus souple – celle des CLEE et des COTEF, vise à mettre en place des forums, initiateurs d’une mise en coordination des acteurs qui reste cependant incertaine.

6 « Un instrument d’action publique constitue un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Lascoumes et Le Galès 2007, p. 104).

7 La notion d’espace fonctionnel « désigne un espace [qui] se distingue d’un secteur par le fait que ses modalités de régulation dépasse les logiques purement sectorielles, en impliquant un important travail de coordination voire de mise en cohérence des différentes politiques publiques. De même, il se démarque d’un territoire institutionnel dans la mesure où le processus de régulation connaît un périmètre de validité qui s’affranchit des frontières physiques d’un territoire institutionnel donné » (Nahrath et Varone 2007, p. 238).

Tableau 1. Les dispositifs locaux de coordination et leurs références.

Maisons de l’emploi (MDE)

Créées en 2004 par le plan de cohésion sociale, héritières des MDE dites de « première génération » développées sur certains territoires en France à partir des années 1970. Elles s’inspirent également des job-centers des pays scandinaves.

Comités locaux école entreprise (CLEE)

Créés à compter de la rentrée scolaire 2004-2005 dans l’académie d’Aix-Marseille, inspirés des clubs de chefs d’entreprise et chefs d’établissement déployés dans d’autres académies au début des années 2000.

Pôles régionaux d’innovation et de développement économique solidaire (PRIDES)

Créés à partir de 2007 par le Conseil régional PACA dans le cadre du schéma régional de développement économique (SRDE), fortement inspirés de la politique européenne des clusters et de la politique nationale des pôles de compétitivité. Ils s’appuient sur la notion de « travail en grappe ».

Comités territoriaux éducation formation (COTEF)

Créés en 2005 par le Conseil régional PACA afin de territorialiser sa politique régionale de formation à l’image de l’ex-dispositif de l’Etat – le crédit individualisé de formation (CFI) – mis en œuvre par les services de l’Etat avant la décentralisation de 1993.

1.1. Repenser des dispositifs existants par ailleurs

Deux dispositifs relèvent de cette catégorie : les MDE et les PRIDES. Les MDE émanent d’initiatives locales d’acteurs du territoire et des services publics de l’emploi (exemple de la MDE de Rueil-Malmaison dans les Hauts-de-Seine) alors que les PRIDES s’inscrivent dans la veine des clusters et des pôles de compétitivité. Dans un cas comme dans l’autre, la reprise de ces expériences a donné lieu à des processus de « conversion institutionnelle » (Thélen, 2003) c'est-à-dire à l’adaptation d’anciennes règles à un nouveau contexte et à de nouveaux objectifs. Se situant dans une logique de distribution de ressources à des acteurs qui les sollicitent, ces dispositifs ont des normes exigeantes, voire contraignantes.

1.1.1. Les maisons de l’emploi : une généralisation d’expériences locales au risque de perdre les dynamiques territoriales.

Les MDE du plan de cohésion sociale (2004) s’inscrivent dans la filiation des MDE dites « de première génération » et présentent des liens de parenté avec les instruments du service public de l’emploi des pays scandinaves. Elles ont pour fonction d’organiser sur un territoire, le plus souvent intercommunal, un réseau d’acteurs investis dans la mise en œuvre territorialisée des politiques de cohésion sociale et, pour partie, d’emploi.

La faisabilité d’une MDE « de première génération », dispositif non institutionnel et qualifié d’expérimental, reposait en grande partie sur la capacité à construire un partenariat local, non pas par décret mais grâce à des liens sociaux, professionnels et interpersonnels préalablement noués et s’inscrivant dans la durée, établis dans une proximité géographique et organisée. Ces liens étaient le plus souvent initiés par un élu, porteur d’un projet pour son territoire politique de référence. De ce fait, le territoire d’action des MDE « de première génération » était variable de l’une à l’autre et tout le territoire national n’était pas couvert.

Le changement d’échelle opéré en passant d’expériences locales à un « modèle » national a quelque peu modifié les objectifs et les contenus des MDE et laissé sur le bord de la route la dimension de

« projet local », pourtant emblématique des premières MDE.

Deux points en particulier vont y contribuer : dans un processus qui se voulait « faire confiance au terrain »8, l’Etat a imposé ses normes en matière de territoire de référence et en termes de gouvernance.

D’une part, au territoire politique de « projet » a été préféré un territoire de type gestionnaire à raison d’une MDE pour trois bassins d’emploi correspondants grosso modo au découpage de gestion réalisé par les directions régionales de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE)9. Certes, cette construction n’exclut pas la mise sur pied d’une MDE selon une acception politique du territoire mais elle n’en fait pas une condition sine qua non, ce qui se pose en rupture vis-à-vis des enseignements des MDE « de première génération ».

D’autre part, le pilotage est confié par la loi à un triumvirat composé du représentant de l’Etat (service déconcentré en charge de l’emploi), du représentant de l’ANPE et du représentant de la collectivité locale associée. Ces dispositions ont gommé pour partie les proximités organisées préexistantes. Les acteurs économiques du territoire, fortement contributeurs dans l’instauration d’une dynamique économique locale sont écartés des instances de décision. La proximité organisée est ainsi placée en retrait, au profit d’une proximité géographique qui ne garantit aucun résultat a priori puisque les acteurs locaux peuvent être rivaux et refuser toute coopération dans les faits (Rallet et Torre, op. cit.).

Tout se passe comme si les institutions créées in fine, pourtant à partir du succès d’expériences prises comme modèles, sont redirigées vers d’autres fins, en l’occurrence une reprise en main par l’Etat de dynamiques portées par des élus locaux. Mais en ramenant les MDE dans le giron de l’Etat, le gouvernement en a éloigné les acteurs économiques, essentiellement les entreprises et les partenaires sociaux. Dans ce contexte, on est encore assez loin d’un espace fonctionnel au sens de Nahrath et Varone : le développement économique reste très éloigné des préoccupations des MDE, rabattues sur les politiques de cohésion sociale.

1.1.2. Les PRIDES : une bonne opportunité de décloisonnement de l’action publique Le PRIDES, initié par le Conseil régional PACA, organise sur le territoire régional un réseau d’acteurs investis dans le développement d’une filière économique. Ces acteurs sont issus du monde économique, de la recherche et de la formation. Cet instrument est, pour partie, une réappropriation territoriale spécifique des lignes de force des pôles de compétitivité conçus au niveau national, eux-mêmes inscrits dans la veine des clusters.

Voyant dans cette dynamique la possibilité de sortir d’un partenariat préétabli et convenu avec les branches professionnelles, le Conseil régional PACA s’est appuyé sur ces expériences pour dégager la marque de fabrique régionale des PRIDES. La difficulté a été d’opérer un changement d’échelle en concevant le même type de règles que les pôles de compétitivité au niveau régional tout en agissant en complémentarité avec eux. Il lui fallait agir sur des leviers distincts de ceux de l’Etat. Dans la ligne du programme politique de la mandature 2004-2010 du Conseil régional PACA, c’est le développement social et solidaire qui a été retenu.

Trois leviers ont été utilisés : des mesures particulières en faveur des ressources humaines (formation des salariés et investissement dans le capital humain, responsabilité sociale des entreprises) ; un périmètre d’action exclusivement régional obligeant les réseaux préexistants (pôles de compétitivité par exemple) à se reconstituer sur ce territoire ; la priorité donnée aux TPE (très petites entreprises) dans les différentes « grappes ». Cette réappropriation par l’échelon régional a donné naissance à un

8 Propos tenus par le Ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, le 27 octobre 2004, lors du débat sur le projet de loi à l’assemblée nationale : « Ce projet de loi a un défaut, un énorme défaut : il fait confiance au terrain ! On peut qualifier ce texte de ‘flou’, car nous n’imposons pas ce que doit être la maison de l’emploi […]. Non, nous disons ‘voilà les moyens, nous vous les donnons ; mettez en place, en fonction des réalités locales, la maison de l’emploi qu’il vous faut […] ».

9 L’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) ont fusionné en 2009 donnant naissance à Pôle emploi.

nouveau corpus de règles constitutives qui sont venues impacter les réseaux préexistants au PRIDES, quitte à en changer la portée et au risque de les déconstruire (Vial, 2009).

Devenus la porte d’accès aux financements de la Région en matière d’innovation et de développement économique, les règles constitutives des PRIDES apparaissent comme très techniques et formalisées.

Les exigences qui en découlent ont modifié les règles de fonctionnement des réseaux préexistants. Le processus s’apparente à celui d’une conversion institutionnelle par ajout de nouvelles règles venant renforcer un projet politique spécifique. Cette pratique a permis de jouer sur la complémentarité puisque tous les pôles de compétitivité de PACA sont également des PRIDES. Ces nouveaux instruments vont a priori dans le sens de la constitution d’un espace fonctionnel formation, emploi et développement économique.

1.2. S’engager dans des expérimentations

Le processus qui conduit à la mise en place des COTEF et des CLEE se situe dans le registre des expérimentations. En effet, aucune mesure n’impose aux conseillers régionaux pour les premiers, aux Rectorats pour les seconds, de territorialiser leur politique.

1.2.1. Les COTEF : tester, par la territorialisation, la faisabilité du décloisonnement de l’action publique

Dans la mesure où aucune obligation n’est faite aux conseils régionaux de territorialiser leur politique régionale de formation, le dispositif des COTEF de PACA relève de l’expérimentation et de l’innovation (la présidence de chaque COTEF est confiée à un conseiller régional). Le processus qui a conduit à la création de ces comités s’apparente à un processus de changement par accumulation progressive d’ajustements dont certains sont insensibles et invisibles.

Les COTEF s’inscrivent dans une double filiation : d’une part, ils prolongent des groupes techniques locaux (GTL) mis en place au début des années 2000 pour gérer et animer le programme régional de formation au niveau de territoires infrarégionaux ; d’autre part, ils s’inspirent des groupes locaux emploi-formation que certains conseils régionaux avaient développé dès 1994 pour gérer le transfert du dispositif du crédit formation individualisé (CFI) depuis l’Etat au profit des Régions.

Cet ancrage technique éloigne la territorialisation des politiques de formation d’un registre politique qui se serait davantage appuyé sur un projet de développement économique local. Les réunions des groupes techniques locaux (GTL) de type forum de communication politique (Jobert, 1994) réunissaient l’ensemble des prestataires de formation du territoire de référence auquel étaient présentées les modalités de la commande publique de formation à venir et les délibérations votées par les élus en la matière. Ces GTL ont outillé le besoin du Conseil régional de développer sa notoriété auprès des organismes de formation et des publics bénéficiaires qui n’avaient plus l’Etat comme interlocuteur principal. Ce besoin a pris progressivement le dessus sur l’ambition politique initiale de prise en compte des spécificités locales.

Quand l’exécutif régional s’est décidé à constituer des instances locales que la Région puisse animer seule, il s’est appuyé sur l’existant, ces GTL, pour proposer des comités territoriaux éducation formation (COTEF). Aucune règle n’a réellement été établie a priori, conduisant de facto le fonctionnement des COTEF dans le sillage des GTL et des anciens groupes locaux pilotés par l’Etat.

Cela a contribué à cantonner les COTEF dans le rôle d’outils de territorialisation de la seule Direction du Conseil régional en charge des programmes de formation et éloignant les services en charge des questions d’emploi et de développement économique.

Procéder par sédimentation a constitué un facteur de brouillage. Le COTEF est resté dans le sillage des GTL malgré un corpus de règles peu contraignantes qui laissait penser qu’était ainsi aménagé un espace où pouvait s’exprimer une capacité locale d’innovation et d’adaptation.

1.2.2. Les CLEE : laisser agir la force des liens sociaux pour rapprocher les institutions a priori éloignées

C’est à la rentrée scolaire 2004-2005 que se sont mis progressivement en place dans l’académie d’Aix-Marseille les comités locaux école entreprise (CLEE), associant des établissements scolaires et des entreprises sur la base du volontariat, à l’instar de ce qui avait été créé dans les académies de Toulouse et de Strasbourg.

Ils s’ajoutent à de nombreuses tentatives plus anciennes pour rapprocher l’école de l’entreprise : le développement de l’apprentissage, l’instauration des baccalauréats professionnels, les accords-cadres de coopération. Le début des années 2000 avaient vu se mettre en place la « semaine école-entreprise », inscrite dans l’accord-cadre entre l’Education nationale et le Mouvement des école-entreprises de France (MEDEF). Toujours d’actualité, elle est consacrée à la tenue des manifestations dans l’ensemble des académies pour « initier, développer et multiplier toutes les passerelles possibles entre l’école et l’entreprise »10.

Les académies ont été invitées par l’administration centrale de l’Education nationale à décliner ce principe de rapprochement entre chefs d’entreprise et chefs d’établissement au niveau de leur territoire. Les CLEE visent ainsi à sceller des alliances entre le patronat local et les établissements scolaires. Les règles sont très souples, ce sont d’ailleurs plutôt les relations interpersonnelles qui font vivre les CLEE.

Les CLEE ont un statut à part : ils intègrent des acteurs très engagés dans les processus de formation, d’une part, dans ceux du développement économique, d’autre part. Pourtant, ils ne portent pas une politique publique en lien avec les deux dimensions. Le registre de l’informel est davantage privilégié ici, appuyé sur un ensemble de règles peu prescriptives.

10 Lettre du Ministre de l’Education nationale aux Rectrices et Recteurs de l’académie ayant pour objet la préparation de l’opération « semaine école-entreprise » 2010.

Tableau 2. Synthèse : modalités de formation des « modèles » des quatre initiatives.