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Les conventions comme canevas du décloisonnement interinstitutionnel

La question de l’insertion des jeunes sur le territoire est à la croisée des acteurs des différentes institutions de l’éducation, de l’accueil, information et orientation et de la mise en place de la carte des formations. La prise en charge de la prévention du décrochage scolaire et le suivi de ces jeunes à risque de rupture sociale élargit la précédente question vers le public scolaire, jusque-là sous la responsabilité des établissements scolaires. De fait, avant le démarrage de l’expérimentation, les services académiques font le constat que : « Chaque année, environ 1000 jeunes en situation de décrochage ou sortis du système scolaire sans qualification et sans solution étaient signalés par les services académiques. De son côté, le réseau des Missions locales recensait chaque année 4400 jeunes sortis du système scolaire depuis plus de 12 mois, dont 1500 sans aucune qualification »

(GIP Auvergne et Rectorat de Clermont-Ferrand, 2012, p. 3). Le choix a été fait de renforcer et de favoriser les coopérations sur le terrain via une convention avec l’association régionale des Missions locales d’Auvergne (AMPA). L’usage d’un outil comme une convention formalise un accord entre plusieurs parties en organisant la contribution de chacune aux objectifs communs, comme le rappelle Jean-Pierre Gaudin : « La contractualisation des politiques publiques s’est développée en France après la première décentralisation comme une manière de « recoudre » les morceaux d’une action publique et d’articuler entre eux des niveaux diversifiés de responsabilité, allant de la commune à l’Etat, sans faire appel aux classiques rapports de tutelle. » (Gaudin, 2014, p. 165). Ces conventions se reconnaissent généralement à trois caractéristiques : « 1) un temps de discussion explicite sur les objectifs recherchés et sur les moyens correspondants ; 2) des engagements réciproques sur un calendrier d’action et de réalisation à moyen terme (couramment de deux à six ans) ; 3) des clés de contribution (financières ou autres) conjointes à la réalisation des objectifs » (Gaudin, 2014, p. 164‑ 165).

2.1. Un appareil conventionnel qui ouvre les institutions

Pour optimiser ce dispositif, le Rectorat et l’association régionale des Missions locales de l’Auvergne ont souhaité engager une réflexion commune et développer un partenariat durable afin de mieux connaître, repérer et accompagner ces jeunes. Ils ont signé, en 2007, une convention régionale de partenariat dont l’objectif général consiste à « favoriser l’insertion professionnelle et sociale des jeunes de 16 à 25 ans sortis du système scolaire »5. L’échelle d’action commune est le bassin de formation. Les contributions de chaque signataire sont précisées.

Le rectorat met en place des cellules de veille éducative (CVE) dans chacun de ces bassins consistant en un « lieu de régulation des demandes de prise en charge des jeunes en difficulté. La cellule centralise, examine, valide la pertinence des demandes et propose des solutions »6. Ces commissions relevaient plutôt de la politique de la ville, selon la circulaire du 11 décembre 2001 soulignant que le Maire était le mieux placé pour en assurer la coordination, dans le cadre des contrats de ville7. Les communes auvergnates n’étant pas toutes dotées d’équipement scolaire, le bassin d’emploi semble plus adapté. La MGI (ex. MLDS), quant à elle, s’occupe d’outiller les acteurs pour repérer les jeunes sans solution depuis moins d’un an. Cela s’est traduit par la mise en place d’un recensement des jeunes sortis sans solution du système scolaire et des décrocheurs à partir d’une plate-forme informatique avec des droits différenciés pour les utilisateurs (directeurs de CIO, conseillers d’orientation psychologues, délégués départementaux et animateurs de la MGI). Ainsi un dispositif académique destiné aux établissements scolaires du secondaire vise à assurer le suivi des élèves décrocheurs à travers trois types d’action : primo, un recensement informatisé des situations (sorties prématurées ou situation à risque de décrochage) ; secundo, une cellule de veille éducative par bassin de formation ; tertio, des plates-formes d’insertion et de découverte professionnelle pilotées par la MGI.

Via la convention de partenariat, les Missions locales peuvent, si elles le souhaitent, participer au suivi et à la recherche de solutions puisqu’elles font partie du quorum des CVE. L’AMPA et les Missions locales s’engagent à avertir la MGI dès qu’un jeune sous responsabilité scolaire les sollicite pour trouver une aide à ses difficultés.

On ne peut que souligner l’effort important des services académiques pour ouvrir le chantier et en prendre la responsabilité tout en permettant que les Missions locales en assurent la liaison. La question des droits d’usage et d’utilisation de la plate-forme informatique de recensement des situations de décrochage ou d’abandon précoce de scolarité s’est posée. En effet, qui peut signaler une situation préoccupante d’un élève ou d’un jeune déscolarisé ? A qui sont destinées les informations issues des entretiens ? Ces interrogations amènent à une question plus large de répartition des rôles et des

5 Extrait de la « Convention régionale entre l’A.M.P.A. et l’Education nationale », Clermont-Ferrand le 18 décembre 2007, p.1.

6 Ibid. p.2.

7 http://www.education.gouv.fr/bo/2002/8/ensel.htm

responsabilités. S’il est acquis qu’on aide mieux les jeunes en travaillant ensemble, comment le faire dans le respect des missions et des responsabilités de chacun ? Le projet d’expérimentation sociale porté par le GIP Auvergne s’inscrit dans cette réflexion.

2.2. Comment faire plus, comment faire mieux ?

Cette expérimentation proposait un parachèvement du partenariat déjà en place avec un processus d’innovation globale visant à standardiser et fluidifier les échanges d’informations entre les différents acteurs locaux en charge des décrocheurs et des jeunes sortis sans diplôme, à systématiser les procédures de prise en charge depuis le repérage jusqu’à la proposition de solutions. Ce parachèvement est à la fois technologique et organisationnel : « L’idée de ce projet est de permettre la consolidation des rapprochements engagés entre la formation initiale (représentée par l’Education Nationale) et l’accompagnement vers l’insertion professionnelle des jeunes en grande difficulté (initié par les Missions locales). Il s’agit de mettre le jeune au cœur d’un dispositif commun afin qu’il puisse bénéficier d’une prise en charge sans délai de manière à favoriser l’insertion professionnelle et réduire les risques de rupture » (GIP Auvergne et Rectorat de Clermont-Ferrand, 2012, p. 2). Le premier objectif est de mutualiser les démarches de repérage des jeunes en situation de décrochage ou sortis du système éducatif sans qualification. Il s’agit d’aboutir à un repérage conjoint renforcé, avec l’application informatique existante, qui permette aux établissements scolaires de signaler les jeunes sortis du système scolaire depuis moins d’un an et les jeunes en situation de décrochage. L’objectif opérationnel du projet vise à ouvrir la possibilité pour les Missions locales de signaler, elles aussi, les situations de décrochage scolaire qu’elles rencontrent. Ce recensement centralisé dresse la liste des jeunes dont les situations seront examinées par les CVE.

Le second objectif est de conforter le partenariat pour améliorer la connaissance, l’accompagnement et le suivi de ces jeunes. Une ouverture des CVE est proposée à de nouveaux partenaires en fonction des configurations locales et des problématiques des jeunes. Ces CVE tendent à se déployer sur les 16 bassins de l’académie, mais elles fonctionnent dans douze d’entre eux. Un objectif du projet a été d’assurer la mise en place de CVE dans les autres bassins, à dominante rurale et de moindre effectif, en tenant compte de ces particularités territoriales. Parallèlement, un renforcement du suivi des jeunes a été envisagé par le biais de la MGI, qui assurait jusque-là le suivi des jeunes bénéficiant d’un dispositif MGI. L’objectif a été d’étendre le suivi à l’ensemble des élèves signalés dans l’application et dont les dossiers étaient étudiés en CVE. Cet élargissement des suivis est une dimension importante de la volonté de décloisonnement : les jeunes suivis « n’appartiennent pas » à l’institution qui signale. En d’autres termes, ce n’est pas nécessairement la Mission locale qui va gérer le dossier des jeunes l’ayant sollicitée. La solution et l’organisme de suivi seront proposés par la CVE selon sa situation. L’échec ou la réussite de l’accompagnement n’incombe pas à l’un ou l’autre des partenaires.

Le troisième objectif est d’agir au sein des établissements scolaires pour favoriser la prévention du décrochage en proposant un soutien aux démarches de prévention du décrochage. Dans le cadre de la prévention du décrochage scolaire, l’implication est réelle en collège mais les contrastes sont relativement marqués en lycée : une attention toute particulière a été donnée aux lycées professionnels, plus spécifiquement sur l’entrée en classe de seconde professionnelle et de première année de CAP. Le calendrier de l’expérimentation s’étendait de septembre 2009 à décembre 2011.

La mise en place d’une convention pluriannuelle, puis d’une expérimentation sociale permettant d’impulser une nouvelle dynamique aux collaborations et aux actions existantes, vont dans le sens d’une lutte contre le décrochage scolaire organisée comme un dispositif. En tant que tel, elle repose sur une coordination des acteurs locaux de l’éducation, de l’orientation, de la formation et de l’insertion ; des outils locaux et nationaux de repérage des situations de décrochage à l’intérieur et hors des établissements scolaires, des modalités d’échanges d’information et des dispositifs d’accompagnement qui suivent deux principes, la proximité et l’individualisation (Vivent, 2013). En ce sens, se met en place un « « travail de régulation » […] à la fois horizontal entre interlocuteurs et vertical avec le HCJ et les tutelles de chacun » comme le souligne Gérard Boudesseul (2014, p. 54).

Néanmoins, il ajoute une troisième dimension à ce travail : « Il est aussi oblique, transversalement aux

institutions, par trois formes de changements dans les conventions entre acteurs : un élargissement des compétences, une formalisation plus grande des attentes et une opérationnalisation plus poussée ».