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Masterisation : une réforme ?

2. Une réalité décevante

Dans un rapport produit en 2011 sur les « enjeux et bilan » de la masterisation (Jolion,

2011)   un   premier   constat   conduit   à   relever   plusieurs   causes   qui   n’ont   pas   permis   que   la  

réforme se déploie à la hauteur des objectifs fixés. Ainsi que le souligne son auteur, cette

réforme, « principalement amorcée pour des raisons budgétaires », souffre   d’un   manque   de  

construction en amont, notamment pour tout ce qui concerne la liaison des acteurs impliqués

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2.1. Un concours omniprésent mais peu adapté

Ainsi,   sur   le   terrain,   c’est   d’abord   un   manque   de   clarté   qui   ressort   dans   l’articulation  

entre le master et le concours (Lapostolle, 2013). La difficulté pour les étudiants à mener de front la formation universitaire et la préparation au concours est accentuée par le

positionnement de ce dernier dans le cursus de formation, soit au   cours   de   l’année   de   master

2. La confusion est double : d’abord   parce   que   les   étudiants,   engagés   dans   la   formation,  

s’attachent   prioritairement à la préparation du concours. Ayant lieu en seconde année de

master, il mobilise leurs efforts pendant toute l’année   de   master   1,   au   détriment   du  

développement de compétences professionnelles « dans une profession incertaine » (Obin,

2012),   dont   l’accès   est   de   toute   façon,   conditionné   par   l’obtention   du   concours.   Ensuite,   parce  

que la formation elle-même, se doit   d’être   construite   pour   permettre   que   les   étudiants  

bénéficient de la préparation qui leur permettra de viser la plus grande réussite possible au concours (Lapostolle, 2013). Par ailleurs, ce dernier, ainsi que le précise Jolion, ne tient

absolument pas compte,   en   termes   de   contenus,   d’une   articulation   avec   le   master,   ainsi   est-il

perçu par les étudiants comme « complètement   déconnecté   de   l’exercice   réel   du   métier  

d’enseignant » (Jolion, 2011, p. 15), la « nature quasi exclusivement académique » (Obin, 2012, p.3) qui en constitue les épreuves, se pose alors véritablement en obstacle à la

réalisation   d’un   objectif   de  professionnalisation.  

2.2. Plan B ?

Sur un autre aspect, cette focalisation sur la préparation du concours remet très fortement en cause la volonté de proposer aux étudiants une formation qui les mène à obtenir un diplôme leur permettant de se professionnaliser dans des voies autres que celles de

l’enseignement.   Dès   le   début   de   l’année   de   master 2, la perspective du concours les oblige à

adopter des « stratégies de choix » (Jolion, 2011, p.17) qui, souvent, les conduisent à

« privilégier le concours au détriment de tout le reste ». Cela ne va pas sans poser de

problème   puisque,   outre   l’admission   au   concours,   il   est   exigé   que   les   candidats   aient validé leur année de Master 2 pour être affectés dans un établissement, en tant que fonctionnaires

stagiaires   (Chatel,   2012).   Pour   d’autres,   ceux   qui   ont   validé   le   Master   mais   qui   ne   sont   pas   admis   au   concours,   c’est   un   problème   d’un   autre   ordre   qui   se   pose.   En   effet,   s’ils   souhaitent  

passer à nouveau le concours, ils ne peuvent pas le faire « dans la formation dont ils sont

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eux. Si ça et là, certaines universités ouvrent des spécialités permettant à ces étudiants de

bénéficier   d’une   forme   d’« accompagnement pédagogique » (Ibid., p.18), cela ne constitue pas une   réponse   satisfaisante,   et,   ainsi   que   le   précise   l’auteur,   renforce   l’idée   que   sur   ce   plan,  

là aussi, la réforme   n’a   pas   suffisamment   anticipé   les   choses   afin   d’apporter   des   réponses  

clairement construites.

2.3. Des stages en quête de sens

Enfin,   s’il   est   un   élément   qui   se   situe   au   cœur   de   la   formation   aux   métiers   de   l’enseignement,   c’est   bien   celui   d’une   approche concrète du terrain professionnel, précisément au travers des stages. Pourtant, il semble que plusieurs raisons, tenant tout autant

à   leur   organisation   et   à   leurs   contenus   qu’à   leur   articulation   à   l’ensemble   du   cursus   de  

formation, contribuent à compromettre largement leur mission de soutien à la

professionnalisation   des   futurs   enseignants.   Ainsi,   l’organisation   des   stages   – qui sont, comme

nous l’avons   abordé   plus   haut, envisagés comme une condition nécessaire à une entrée

progressive dans le métier – est le plus souvent soumise aux « aléas   d’une   étroite  

collaboration avec les rectorats, les écoles et les établissements scolaires » (Obin, 2012, p. 3)

et   donne   ainsi   naissance   à   des   situations   très   variées   d’une   académie   à   l’autre   (Jolion,   2011,   p.  

13), trop souvent guidées par les contraintes budgétaires   ou   les   capacités   d’action des équipes

pédagogiques   locales.   L’hypothèse   – évoquée dans les textes officiels – que certains étudiants non admissibles au concours ne puissent pas bénéficier de stages, tend alors à se vérifier, ce

qui,   selon   Jolion,   n’a   d’ailleurs   aucun   sens,   d’abord   parce   des   candidats   non   admissibles   ont   tout   de   même   la   possibilité   d’être   recrutés   comme   vacataires ; ensuite, parce que si ces

candidats ne sont justement pas admissibles, cela   n’indique   pas   – au vu « des compétences

vérifiées par la première partie du concours » – qu’ils   n’ont   pas   les   capacités,   lors  d’un  stage   en   responsabilité,   de   prendre   une   classe   en   charge.   Plus   encore,   c’est   bien   de   l’articulation   des   stages   avec   l’ensemble   du   cursus   qu’il   est   aussi   question.   Il   importe   que   le   temps   de   stage,   bien   que   conforté   dans   sa   mission   d’approche   du   milieu   professionnel,   soit   également  

« préparé, encadré et évalué au regard des objectifs de la formation » (Ibid.  p.  13).  Il  s’agit

par exemple que, dans le cadre du travail de recherche demandé aux étudiants de Master 2 au

travers   de   la   rédaction   d’un   mémoire,   le   stage   puisse   être   envisagé   comme   un   terrain   concret   d’expérimentation   – « parce   qu’il   serait   articulé   autour   de   la   pratique du métier » (Ibid.,

p.14) – et   serait   alors   l’occasion   d’ajouter,   en   y   donnant   du   sens,   une   vraie   valeur   à   la  

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2.4. La masterisation : un épisode à oublier ?

Difficile de dresser un bilan autre que négatif de cette réforme de la masterisation. Et

si   le   rapport   Jolion   que   nous   avons   beaucoup   cité   au   cours   de   cette   partie,   précise   qu’« au-delà des difficultés inhérentes à toutes réformes et à sa phase de construction, cette réforme porte en elle des écueils qui ne pourront être levés par de simples ajustements »,   d’autres   n’hésitent   pas   à   évoquer   un  « démantèlement de la formation des maîtres » (Auduc, 2011)

occasionné   par   une   réforme   qui   n’avait   pas   pour   objectif  « d’améliorer   le   système   existant ». Il reste que de 2011 à 2013, ce sont plus de 17 000 professeurs des écoles qui ont été recrutés

(MEN,   2014,   2013a,   2013b)   par   voie   de   masterisation,   et   à   qui   l’on   a   confié,   et   ce   dès   la  

rentrée scolaire suivant leur admission au concours, la   responsabilité   d’une   classe.   Et si

depuis la rentrée 2013, une nouvelle réforme de la formation est en marche, eux sont et seront

encore   demain,   et  pour   beaucoup   d’entre   eux   pendant   de  nombreuses   années,   sur   le  terrain.  

2.5. PES : une rude adolescence professionnelle

Concours en poche et Master 2 validé, les lauréats obtiennent le statut de professeur

des   écoles   stagiaire   (PES),   qu’ils   conservent   pendant   une   année   scolaire.   Il   est   alors   prévu   que  

les PES soit, tout au long de cette période, accompagnés à leur entrée dans le métier, afin que

cette année de stage « prolonge et consolide les acquisitions de compétences professionnelles

commencées pendant le master » (Chatel, 2012). Ils sont pour cela, suivis par des « tuteurs »,

dont   le   rôle   se   définit   autour   de   plusieurs   missions   telles   que   le   conseil,   l’aide   à   la   préparation

de   séquence,   mais   également   l’échange,   à   l’occasion,   par   exemple,   des   entretiens   individuels,  

lors des visites effectuées en classe. Parallèlement, ils sont tenus de suivre tout au long de

l’année   de   stage,   des   sessions   de   formations,   dans   le   but affiché   d’améliorer   leurs   pratiques   via   l’analyse   des   situations   qu’ils ont pu vivre sur le terrain ; d’acquérir   de   nouvelles  

connaissances dans divers domaines ;;   d’obtenir   des   réponses   à   des   besoins   particuliers ;

d’inciter   au  travail   collaboratif   par  l’apport des expériences de chacun (Ibid.).

Pourtant, une étude nationale réalisée en 2012 auprès de plus de 700 professeurs des

écoles   stagiaires,   révèle   que   plus   de   70%   d’entre   eux   estiment   que   la   formation   initiale   ne   leur  

a pas fourni les apports suffisants pour effectuer confortablement leur entrée dans la

profession (Snuipp-Fsu, 2012). Deux points sont particulièrement mis en exergue : un manque

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les enseignants,   d’une   part ; une charge de travail trop importante au cours de cette année de

stage,   d’autre   part.   Vient   s’ajouter   un   troisième   point   qu’il   semble   important   de   noter   ici :

toujours selon cette même étude, il règne une certaine confusion entre les temps de formation

et   d’évaluation des professeurs stagiaires, puisque de nombreuses visites de formateurs ont lieu tout au long de cette année, ne réservant pas alors le temps pour le stagiaire de se placer

véritablement   dans   une   posture   d’enseignant   « autonome » ; et si « les   enseignants   n’entrent   pas   directement   dans   leur   vie   d’adulte   professionnel » (Blanchard-Laville, 2003), on peut sans doute considérer que cette année de transition ne contribue pas à les aider. Ce passage

relativement brutal, justement – car finalement réalisé en un temps très court de quelques

mois – du   statut   d'étudiant   en   Master   à   celui   d'enseignant   stagiaire   puis   d’enseignant  

« titulaire », pose également la condition pour l'individu d'opérer un glissement vers la posture

d'enseignant tout en n’étant pas tout à fait indépendant puisque la titularisation officielle n'a

lieu qu'au terme de l'année de stage, ce qui peut sans doute rendre délicate la construction de son identité professionnelle d'enseignant, à qui on ne confie pas encore totalement les rênes de sa classe. Dans des conditions d'exercice très variées : lieux, publics hétérogènes, l'enseignant stagiaire doit seul opérer cette articulation entre continuité et rupture (Gaborieau, 2003)

« continuité, car il s'agit de poursuivre la construction de compétences dont certaines ne peuvent être acquises ou consolider qu'en situation de plein exercice, rupture car il faut limiter les risques de tentations pour le nouvel enseignant de prolonger son statut d'étudiant ou de professeur stagiaire ».   C’est   à   cette   étape   d’insertion   professionnelle   (Ortun   &   Pharand,   2009)   concrétisée   par   l’entrée   effective   dans   le   métier,   que   l’identité   de   l’enseignant   va  

commencer à se construire et à fortement marquer son implication future dans des démarches de formation continue (Gervais & Levesque, 2000).

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Chapitre 3