L’autoformation des professeurs des écoles stagiaires
1. Une place centrale
L’autoformation semble tenir une place essentielle pour les enseignants débutants ;
l’ensemble des réponses sur ce point traduit cette évidence :
«Une grande place, énorme » (E1, 40)
«Elle est centrale, on en a toujours besoin » (E3, 40) «Elle est primordiale » (E14, 40)
Elle se justifie néanmoins au travers de plusieurs axes. On perçoit bien dans le discours de chacun le besoin de combler des manques, notamment ceux laissés par une formation initiale défaillante :
« La formation qu’on a n’est pas terrible (…);; c’est pas avec le peu de formation pédagogique qu’on a qu’on va combler nos lacunes » (E10, 40)
« Je pense pas qu’on puisse se baser que sur la formation institutionnelle » (E12, 40)
Et si ce recours à l’autoformation semble ne pas s’appliquer uniquement aux
enseignants novices « tous les enseignants recourent à l’autoformation par nécessité » (Ortun
& Pharand, 2009), la particularité des enseignants stagiaires tient justement à leur statut de débutant, peu ou pas encore véritablement confrontés au terrain, ce qui pour eux justifie
également la place que se doit de prendre l’autoformation en début de carrière :
« Le meilleur apprentissage c’est d’être devant sa classe et de faire des choses »
(E1, 40)
« J’apprends plus quand je suis dans ma classe, que je dois me débrouiller » (E4, 40)
« En trois mois, depuis que je suis enseignant, j’ai appris quinze fois plus qu’en deux
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« On avait notre classe à l’année, et il fallait se débrouiller, gérer, c’est dur d’avoir
une classe en responsabilité » (E11, 40)
« J’ai appris beaucoup de choses en étant confronté à beaucoup de problèmes depuis septembre » (E13, 40)
On note que pendant cette « épreuve du feu » (Baillauquès & Breuse, 1993) que
constitue l’entrée dans le métier de l’enseignant, le professeur débutant se retrouve seul face
à la réalité de ce qu’est son métier et qu’il doit faire face, s’adapter. Et si « Etre laissé à
soi-même favorise le recours à l’autoformation » (Ortun & Pharand, 2009), au travers
d’expressions telles que « se débrouiller », « gérer », être « confronté à des problèmes », on perçoit bien cette urgence de trouver ses propres solutions là où, en tout état de cause,
personne d’autre ne les apportera, sur le moment en tout cas.
La formule de Perrenoud « Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans
l’incertitude » (Perrenoud, 1996), prend ici tout son sens. Confronté à ses propres difficultés,
l’enseignant débutant, plus que tout autre, réaffirme la position de celui qui apprend sur le terrain, qui fabrique au jour le jour sa propre expérience, celle qu’il tire de la pratique, et qui
lui permet d’acquérir des «savoirs pragmatiques (…) forgés au contact des choses elles
-mêmes, c’est à dire «des situations concrètes du métier d’enseignant » (Altet, Charlier, Paquay & Perrenoud, 1996, p.34). Ainsi, cela est-il formulé clairement dans le discours de certains :
« On se forme sur le tas » (E2, 40)
« On apprend un peu comme ça, sur le tas » (E4, 40)
Parce qu’elle est rattachée à ce que l’enseignant vit au jour le jour dans l’exercice de sa pratique, c’est dans la continuité qu’est d’abord envisagée l’autoformation, même si,
comme nous le verrons plus loin, elle peut aussi prendre la forme de séquences plus définies dans le temps, mais à un degré moindre :
« J’en ai besoin tous les jours, je suis obligée de faire ce travail si je veux
m’améliorer » (E7, 40)
« La formation, c’est l’adaptation, tout le temps » (E12, 40)
Cette autoformation, effectuée sous l’angle d’une « réflexion en action » (Ibid.),
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débutant de relever le défi de trouver seul les stratégies qui lui permettront de mener à bien ses objectifs. Or, si cette « réflexion en action » est selon Altet, ce qui caractérise la pensée
de « l’enseignant-expert », ou encore de l’enseignant réfléchi ou réflexif (Schön, 1983), il en
va tout autrement pour l’enseignant débutant. Aussi, est-il conduit inévitablement à se
confronter dans une plus large mesure à l’idée de se tromper. A la phase de « survie » marquée par « le tâtonnement continuel, la préoccupation de soi, le décalage entre les idéaux
et les réalités quotidiennes de la classe (…)» (Huberman, 1989), vient s’adjoindre l’idée de
« découverte » (Ibid.), caractérisée par l’exploration de situations nouvelles et par
l’expérimentation :
« On essaie des choses, on fait des erreurs, ça apprend beaucoup aussi de faire des erreurs » (E13, 40)
« Expérimenter, se tromper (…) mais c’est surtout faire, voir comment ça fonctionne, (…) pourquoi ça a fonctionné, qu’est-ce qui ne fonctionne pas. » (E12, 41)
Accepter de se tromper pourrait traduire déjà, chez l’enseignant débutant, une idée de
recul par rapport à sa pratique. Néanmoins, plus que d’accepter de se tromper, – attitude qui,
en définitive, peut paraître bien plus explicable pour l’enseignant débutant que pour
l’enseignant expérimenté – ce qui est à souligner ici, c’est que le novice n’a pas vraiment d’autre choix que de passer par cette étape d’acceptation de l’erreur, et qu’elle fera
intrinsèquement partie de son parcours d’autoformation, a fortiori lors de son entrée dans la
profession.
Cette notion d’erreur appelle la remarque suivante: si, tout d’abord, l’enseignant doit être capable de remarquer mais aussi d’accepter qu’il s’est trompé, ce qui n’est pas une
évidence en soi, il est ensuite fondamental qu’il puisse être en capacité d’identifier clairement
ses lacunes :
« On doit prendre en main nous-même ce qui nous manque » (E9, 40)
Il lui revient ensuite de relever les causes de ses échecs et de les analyser pour adapter ses réactions. Certains des professeurs stagiaires interrogés semblent déjà envisager ce processus réflexif :
« On se remet toujours en cause, on apprend à se critiquer, à revenir sur des choses, à les changer » (E9, 40)
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« On a toujours besoin de revenir sur sa pratique, pas attendre que ça vienne (…) de se retrouver en difficulté (…) dès qu’on se pose une question, toujours aller se
renseigner et se former » (E3, 40)
« Je suis obligée de faire ce travail si je veux m’améliorer, si je veux pas m’améliorer, j’en fais pas, j’en fais pas d’autoformation, et puis je continue comme ça et je progresserai pas, mais c’est pas mon objectif » (E7, 40)
Ce que l’on note dans ces extraits, fait bien appel, non pas à une « réflexion en
action » comme noté plus haut mais bien à une « réflexion sur l’action » (Altet, 1996) qui
prend appui sur des « connaissances explicites », tout à fait identifiables par l’enseignant et
mobilisées « avant ou après l’action». Cette forme de réflexion sur l’action, très largement
explorée au travers des travaux de Perrenoud sous le terme de « pratique réflexive »
(Perrenoud, 2001), se traduit dans les propos des enseignants stagiaires, par l’évocation de
termes riches de sens.