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Enjeux  de  l’autoformation  des  enseignants  débutants

3. Autoformation des enseignants : une formation « fantôme »

En   utilisant   la   métaphore   de   l’iceberg pour évoquer les apprentissages informels,

Tough   (2002,   cité   par   Brougère   et   Bézille,   2007)   avance   alors   l’idée   que   la   partie   émergée  

représenterait la formation scolaire ou académique et que le reste, la partie immergée,

symboliserait   tous   les   apprentissages   réalisés   dans   des   contextes   informels.   Selon   l’auteur,  

cette partie informelle – « invisible » – occuperait près de 80% des apprentissages des adultes.

Il est rejoint dans ses conclusions par Carré (2005, cité par Brougère et Bézille, 2007) qui, sur

les   bases   de   données   déclaratives   issues   d’une   étude   réalisée   en   Europe,   constate   que   la  

formation informelle tient une place bien plus conséquente que la formation institutionnelle.

De son côté, un   rapport   de   l’Inspection   Générale   de   l’Education   Nationale   (2013)  

rappelle   que   le   métier   d’enseignant   est   une   profession intellectuelle et que cela semble présupposer que les enseignants assurent en autonomie la majeure partie de leur formation

continue ; et, est-il précisé dans ce rapport « l’autoformation   demeure   mal   connue,   y   compris  

chez les enseignants eux-mêmes » (IGEN,   2013,   p.   28).   Au   terme   d’autoformation   est   d’ailleurs   substituée   l’expression   significative   de  « formation continue inconnue ». Qu’en   est

-il,   alors,   de   la   prise   en   compte   de   l’autoformation   des   enseignants   par   l’institution,   et   quelle  

valeur y accorde-t-elle ?

3.1. Le mot « autoformation » absent des référentiels, mais présent entre les lignes

Le référentiel de compétences des enseignants (MEN, 2010) qui a accompagné la mise

en   œuvre   de   la   masterisation   de   la   formation,   ne   fait   pas   explicitement   apparaître   le   terme  

« autoformation ». Pour autant, la capacité des enseignants à « se former et innover » fait

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figure 2). Elle traduit très   clairement   les   missions   d’autoformation   auxquelles   les   enseignants  

doivent   œuvrer.

Figure 2 : « Se former et innover », Définition des compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation pour l'exercice de leur métier, (MEN, 2010)

10 - Se former et innover

Le professeur met à jour ses connaissances disciplinaires, didactiques et pédagogiques. Il sait faire appel à ceux qui sont susceptibles de lui apporter aide ou conseil dans l'exercice de son métier. Il est capable de faire une analyse critique de son travail et de modifier, le cas échéant, ses pratiques d'enseignement.

Connaissances

Le professeur connaît l'état de la recherche : - dans sa discipline ;

- dans le domaine de la didactique, de la pédagogie et de la transmission de savoirs (processus d'apprentissage, didactique des disciplines, utilisation des technologies de l'information et de la communication, etc.).

Le professeur connaît la politique éducative de la France. Capacités

Le professeur est capable de tirer parti des apports de la recherche et des innovations pédagogiques pour actualiser ses connaissances et les exploiter dans sa pratique quotidienne.

Attitudes

Le professeur fait preuve de curiosité intellectuelle et sait remettre son enseignement et ses méthodes en question.

Il s'inscrit dans une logique de formation professionnelle tout au long de la vie, notamment via les réseaux numériques.

L’intitulé même de ce référentiel pose question. En effet, il définit bien les

compétences à acquérir par les enseignants « pour »   l’exercice   de   leur   métier   et   non   pas  

« dans »   l’exercice   de   leur   métier.   Il   nous   semble   que   cette   subtilité   lexicale   fait   sens   et

signifie bien que ce sont des compétences que   l’enseignant   doit   maîtriser   – ainsi que cela est

d’ailleurs   précisé   dans   l’arrêté   du   12   mai   2010   (MEN,   2010)   – au moment de sa titularisation.

Dans le cas précis des professeurs des écoles stagiaires, cette titularisation – ainsi que nous

l’avons   déjà   noté   plus   haut   – intervient   au   terme   de   l’année   de   stage.   Le   professeur   des   écoles  

stagiaire doit alors, tout au long de cette période probatoire, veiller au développement de ses

compétences à « se former et innover », notamment en mettant « à jour ses connaissances »,

en faisant « une analyse critique de son travail », en modifiant si nécessaire « ses pratiques

d’enseignement »,   le   tout   par   le   biais   d’un   intérêt   pour  « la recherche pédagogique »,   d’une  

« curiosité intellectuelle » le   menant   à   s’inscrire   dans   une   « logique de formation professionnelle tout au long de la vie ».

125 Chacun   de   ces   éléments   laisse   très   clairement   entrevoir   l’omniprésence   d’une   nécessaire   aptitude   à   l’autoformation   chez   les   enseignants,   dès leur entrée en fonction, et ce, tant du point de vue des savoirs que des savoir-faire et savoir-être. Pour les PES, maîtriser les

compétences à « se former et innover » résonne comme une injonction à assurer soi-même les

conditions de sa propre formation,   là   où   l’institution,   par   la   définition   même   des   compétences  

qu’elle   leur   demande   de   maîtriser,   dès   la   fin   de   leur   année   de   stage,   ne   leur   laisse   pas   d’autre   choix,   s’ils   veulent   être  en  mesure   de  satisfaire   aux   exigences   de  leur   titularisation.  

Rappelons-le, dès le début de leur expérience de PES, soit aussitôt après   l’obtention   du  

concours – que   certains   d’ailleurs   auront   passé   en   candidat   libre,   venant   parfois   d’horizons  

éloignés   de   celui   de   l’éducation   et   de   l’enseignement   – les enseignants stagiaires prennent en charge une classe. Elle sera pour beaucoup le premier véritable « terrain » de leur

autoformation,   qui   s’appuiera   alors   essentiellement   sur   l’expérience,   avec   les   limites   que   cela  

réclame de poser, comme nous l’avons   expliqué   dans   l’un   des points précédents (2.3.3.). Cette

confrontation   directe   à   l’ensemble   des   réalités   du   métier   conduit   à   amplifier   la  « dissolution

du   collectif   professionnel   en   misant   sur   l’autoformation   individualiste » (Saint-Luc, 2012),

car   il   revient   en   effet   à   l’enseignant stagiaire de répondre aux exigences propres de sa pratique

quotidienne   de   classe.   Si,   ainsi   que   le   dit   Beillerot   (2002),   s’autoformer   et   apprendre   à   le   faire   sont   des   choses   essentielles   de   nos   jours,   il   n’est   cependant   pas   possible   de   miser   entièrement

sur   le   fait   qu’apprendre   à   apprendre  se  fasse  seul ; « on  se  forme  d’autant  mieux  durant  sa  vie   entière  que  les  apprentissages  initiaux  (…)  auront  été  bien  faits.  Il  y  aurait  une  grave  erreur  à   minimiser   l’importance   des   cursus   de   base   pour   faire   de   l’autoformation la compensation assurée des échecs antérieurs » (Beillerot,   2002,   p.   17).   Or,   il   semble   que   l’institution   mise  

justement sur la mise en place, par les enseignants – et   en   l’occurrence,   y   compris   les   novices  

– d’un  « processus   autonome   d’acquisition de connaissances tout au long de la vie » (CCE,

2007,   p.16),   tandis   que   l’inscription   des   débutants   dans   une   démarche   efficace   et   pertinente   d’autoformation   réclame,   au   contraire   que   leur   formation   initiale   leur   permette   d’acquérir  

« des savoirs et des savoir-faire   professionnels   spécifiques   avant   la   prise   d’une   classe   en  

responsabilité » (Guibert & Troger, 2012, p.127).

Cette frilosité relative à prendre à bras-le-corps   la   problématique   de   l’autoformation  

des enseignants, pourrait trouver une explication dans une difficulté de notre système éducatif à « accepter   que   l’on   puisse   acquérir   des   compétences   et   des   connaissances   en  dehors  d’un   cadre   formel   et   surtout   d’un   cadre   académique » (Devauchelle,   2009).   Elle   semble   d’ailleurs  

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renforcée par le développement   des   pratiques   d’autoformation   via   les   TIC   – nous y

reviendrons dans le chapitre suivant – qui   favorisent   l’émergence   de   « sources nouvelles »,

qui,   toujours   selon   Devauchelle,   ne   peuvent   qu’accentuer   le   « trouble ». Il y aurait là, dans

cette façon   qu’a   l’institution   de   feindre   de   ne   pas   voir   l’ampleur   du   développement   des  

pratiques   autoformatives   des   enseignants,   l’idée,   évoquée   par   l’auteur,   d’une   volonté   de   limiter   les   risques,   liés   justement,   aux   nouveaux   moyens   d’autoformation.   Pourtant,   n’est-ce

pas,   au   contraire,   en   négligeant   cette   partie   essentielle   qu’est   l’autoformation   dans   le   métier   d’enseignant,   que   l’institution   ouvre   la   voie   aux   dérives   contre   lesquelles   elle   semble   vouloir  

lutter ?   Cette   question   est   d’autant   plus   prégnante   dans   le  contexte précis de la masterisation,

qui contraint les PES, envoyés sur le terrain sans formation professionnelle, à recourir

massivement   à   des   pratiques   d’autoformation   pour   faire   face   aux   réalités   quotidiennes   de   leur  

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Chapitre 3

TIC, une « nouvelle »  voie  d’autoformation  pour  les  enseignants ?

Prenant   appui   sur   les   résultats   d’une   étude   ayant   trait   à   la   formation   continue   des   enseignants   français,   un   rapport   de   l’Inspection   Générale   de   l’Education   Nationale   indique   qu’« Aujourd’hui,   une   part   significative   de   l’activité   d’autoformation   passe   par   l’internet  

(IGEN, 2013, p.29). Prise de conscience, certes, mais ce rapport de préciser immédiatement

qu’« À ce jour, bien peu est fait pour aider les professeurs à cet usage » (Ibid., p.29).

Comprenons   ici   que   l’autoformation ne peut – à nouveau – s’entendre   comme   une   activité   totalement   isolée   et   qu’elle   nécessite   justement   la   présence   d’éléments   facilitateurs   permettant  

« d’aider » les enseignants. On pourrait envisager que ce « bien peu » mentionné dans le

rapport,   renvoie   à   l’idée   d’une   formation   déficiente   à   cet   égard,   or,   semble-t-il,   il   n’en   est   rien.   Il   est   ici   question   du   manque   d’équipement   (locaux,   matériels)   à   l’intérieur   même   des  

établissements scolaires, du problème – financier – de   l’accès   des   professeurs   aux   ressources  

en   ligne   et   de   la   part   non   négligeable   de   l’équipement   personnel   des   enseignants   (ordinateurs,   logiciels,   abonnements   en   ligne)   à   des   fins   d’autoformation.   Sur   ces   aspects,   le   rapport   relève   l’importance   d’une réflexion quant à « une prise en compte fiscale spécifique », arguant que

nombre   d’enseignants   du   premier   degré   font   le   choix   de  « se former à leurs frais » (Ibid.,

p.29). Devons-nous   entendre   qu’aider   les   enseignants   à   s’autoformer   via   les   TIC   puisse   se

résumer   à   des   questions   d’ordres   matériel   et   financier?   Que   l’équipement   soit,   à   lui   seul,   inducteur   des  pratiques   d’autoformation ?

Nous   l’avons   vu   dans   le   chapitre   précédent,   l’autoformation   n’est   pas   un   phénomène  

récent, loin de là. Elle est une composante   essentielle   du   métier   d’enseignant   pour   répondre   à  

la   nécessité   d’évolution   et   d’adaptation   au   contexte   complexe   de   l’exercice   de   la   profession.  

De tout temps les enseignants se sont auto-formés et il ne nous semble pas que simplifier la

mise à disposition des moyens de cette autoformation – avec   une   part   croissante   aujourd’hui,  

en effet, des TIC – puisse,   dans   l’absolu,   faire   davantage   que   «faciliter   l’accès » à de

nouvelles   voies   d’autoformation.   S’il   est   probable   – encore que cela soit aussi discutable – qu’équiper   les   établissements   et   les   enseignants   (locaux,   ordinateurs,   tablettes,   Internet),   incite   à   une   utilisation   des   matériels   mis   à   disposition,   cela   n’indique   rien   des   usages   qui   en   découleront.   Et   si,   d’ailleurs,   ainsi   que   nous   l’avons   noté plus haut, le rapport mentionne que

128 moyens   nécessaires   à   leur   autoformation,   c’est   bien   que   cette   question   des  moyens vient après

celles du but et des motifs de leur autoformation.

Venons-en précisément aux PES, pour qui ce but est justement, une fois de plus,

particulier, et aura, nous le supposons, à influer sur la place et le rôle que prendront les TIC

dans   le   processus   d’autoformation.   En   effet,   si   tout   parcours   d’enseignant   entrant   dans   le  

métier comporte son lot de difficultés, de doutes et questionnements, la situation du

professeur   des   écoles   stagiaire   est,   elle,   encore   plus   complexe   et   sa   mission   n’en   est   que   plus   ardue.   Nous   l’avons   vu,   la   masterisation, dans la structure même de son organisation, de sa mise en place et de ses contenus (formation essentiellement disciplinaire, préparation au concours et validation du master en parallèle, prise de fonction immédiate après le concours,

titularisation au terme   de   l’année   de   stage)   augmente   véritablement   le   besoin   d’un   recours   à  

l’autoformation.   Rappelons   que   pour   ces   nouveaux   enseignants,   s’autoformer,   revient   en   premier   lieu   à   combler   les   manques   laissés   par   l’absence   d’une   véritable   formation   initiale,   en  

procédant à un ajustement quotidien de leurs pratiques en vue de les faire évoluer et de les adapter aux divers contextes et situations de classes.

Comment les TIC peuvent-elles   s’inscrire   au   rang   des   moyens d’autoformation   des  

enseignants stagiaires, si ce   n’est   en   apportant   des   éléments   de   réponse   à   la   question   des  

motifs qui   auront   présidé   à   la   mise   en   place   des   pratiques   d’autoformation?   En   d’autres   termes,   si   comme   nous   l’avons   vu,   les   enseignants   stagiaires   s’autoforment   pour   réduire   la  

pression inhérente à leur statut de débutant (motif prescrit) ; développer leurs compétences,

savoirs, savoir-faire, savoir-être (motif opérationnel-professionnel) ; construire leur identité

professionnelle   au   travers   d’une   forme   de   reconnaissance   (motif identitaire), en quoi les TIC peuvent-elles les y aider et quel rôle ont-elles à y jouer.

Nous aborderons ici les moyens d’autoformation   en   les   déclinant   selon   la   présentation  

qui en a été faite dans le chapitre précédent. Nous reprendrons donc, respectivement :

l’activité réflexive (formation par soi), la formation par et avec les autres (hétéro et

co-formation),   la   formation   par   les   choses   et   l’expérience   des   situations   vécues   (éco-formation). Nous tenterons de voir si les TIC peuvent contribuer à « incarner » et développer ces moyens

d’autoformation,   et   si   oui,   en   quoi,   sans   oublier   d’évoquer   les   quelques   limites   qu’elles  

129 Au   préalable,   il   nous   semble   que   la   question   des   TIC   comme   voie   d’autoformation   se   dédouble,   puisqu’elle   pose   à   la   fois   la   question   de   l’autoformation   «aux » TIC et celle de

l’autoformation   « par » les TIC. En effet, de même que conduire une voiture demande la combinaison complexe de quelques opérations techniques basiques mais essentielles (tourner

le volant, passer les vitesses,   gérer   les   pédales,   regarder   ses   rétroviseurs…),   s’autoformer  

« par » les TIC exige, a minima, de maîtriser quelques gestes techniques simples liés à

l’usage   même   de   ces   technologies.   Pour   autant,   tout   comme   il   ne   suffit   pas   de   combiner   des  

techniques pour être un « bon conducteur » – encore faut-il   faire   preuve   d’attention,   de  

réactivité,   d’adaptation,   d’analyse   des   situations   –,   être   capable   d’utiliser   les   fonctions   d’un   ordinateur,   d’une   tablette   ou   de   « naviguer » sur Internet, constitue sans doute un prérequis

technique minimum,   mais   qui   n’indique   rien   – a priori – ni de la qualité des actions menées,

ni   de   leur   valeur   autoformative,   en   particulier   dans   le   contexte   précis   de   l’activité   d’enseignant.

Ainsi,   avant   d’aborder   la   façon   dont   l’autoformation peut se réaliser « par » les TIC,

nous   choisissons   de   faire   un   détour   par   l’autoformation   « aux » TIC, même si les deux ne

s’articulent   pas   uniquement   de   manière   consécutive,   s’autoformer   « par » les TIC pouvant

être  également   l’occasion   de  se  former   – simultanément - « aux » TIC, et inversement.