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Enjeux  de  l’autoformation  des  enseignants  débutants

2. L’autoformation   des  enseignants  débutants : essai de définition en contexte

Plusieurs   travaux   montrent   que   l’autoformation est une composante essentielle dans

nombre   de   métiers   aujourd’hui   et   constitue   un   facteur   fondamental   de   maintien   dans   la  

profession (Ortun, 2012 ; Carré & Charbonnier, 2003 ; Hrimech, 2002). Les enseignants

n’échappent   pas   à   ce   phénomène   et   ont   également à développer leurs capacités à se former eux-mêmes,   que   ce   soit   au   cours   de   la   période   d’insertion   dans   la   profession   ou   dans   le   cadre   de   leur   parcours   de   formation   continue.   Les   travaux   d’Ortun   et   Pharand   (2009),   montrent   très  

clairement un fort recours à   l’autoformation,   vécu   et   exprimé   par   les   enseignants,   non  

seulement comme une nécessité, mais encore comme un facteur de développement professionnel.

S’autoformer,   c’est   prendre   en   main   son   parcours   de   formation   et   du   même   coup  

montrer une confiance en ses capacités à apprendre soi-même, « à se débrouiller » (Ibid.,

p.811).     L’autoformation   ouvre   alors   la   voie   à   l’expression   d’un   sentiment   d’auto-efficacité,

concept défini par Bandura comme « la conviction qu'a un individu d'être capable d'organiser

et de réaliser les actions nécessaires à l'accomplissement d'une tâche » (Bandura, 1997, cité

par Karsenti & Larose, 2001). Ce   sentiment   d’auto-efficacité renforce le sentiment de

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explorer et trouver des réponses à ses besoins de formation, mais aussi à ajuster et perfectionner ses pratiques pédagogiques afin de les rendre plus efficientes (Ortun & Pharand, 2009).

Il   semble   que   la   mise   en   place   d’une   démarche   d’autoformation   soit   d’autant   plus   fondamentale   au   moment   de   l’insertion   dans   la   profession   qu’elle   contribue   largement   à   permettre   à   l’enseignant   débutant   de   « survivre » (Huberman, 1989) à cette délicate période,

chargée   de   stress,   de   pression   intense   (Kardos,   2004).   L’enseignant débutant doit alors

effectuer   le   passage   d’un   monde   à   l’autre,   de   celui   de   l’étudiant   à   celui   de   l’enseignant   (Baillauquès,   1999),   avec   d’un   côté,   le   lot   de   questions,   d’incertitudes   que   suppose   l’entrée  

dans la profession ;;   de   l’autre   la   nécessité de répondre aux exigences et aux attentes de

l’institution,   des   parents,   des   élèves   et   autres   partenaires   de   l’école.   Il   lui   revient   en   effet   de  

faire preuve « des compétences mentionnées dans les textes officiels » (Feyfant, 2010) et de

montrer sa capacité à faire face « aux exigences professionnelles réelles en situation »

(Perez-Roux, 2012).

Il y a là également une question cruciale de reconnaissance professionnelle que

l’enseignant   débutant   cherche   à   acquérir ; Perez-Roux   la   définit   autour   d’un   triptyque

« devenir capable - être reconnu - se re(connaître) » (Ibid., 2012). Cette reconnaissance passe

non   seulement   par   le   regard   que   porte   l’institution   sur   l’enseignant   mais   aussi   par   celui   de   l’environnement professionnel direct – collègues plus expérimentés, tuteurs, conseillers pédagogiques, partenaires. Satisfaire à ce besoin de reconnaissance constitue un levier

essentiel   dans   le   développement   professionnel   de   l’enseignant   débutant   (Jorro,   2009)   et   lui   permet   d’entamer   la   construction   progressive   de son identité professionnelle (Dubar, 2002).

Tout au long de cette période, au cours de laquelle nombre de situations sont inédites,

les   enseignants   novices   n’ont   d’autre   choix,   à   l’épreuve   du   terrain,   que   de   « tâtonner » en

développant diverses stratégies   d’adaptation   (Huberman,   1989),   en   pratiquant   l’«

essai-erreur » (Mukamurera, 1998), pour parvenir à assurer la transition entre leur formation initiale et la réalité des pratiques de classe. Le découpage du développement professionnel des

enseignants proposé   par   Riopel   (2006)   et   s’articulant   selon   quatre   étapes,   respectivement : la

formation antérieure, la formation initiale,   l’insertion professionnelle et la formation continue, nous incite à formuler une double interprétation à propos de la place occupée par

106 D’un   côté,   elle   serait   vue   comme   une   «rupture »,   puisqu’en   effet   cette   phase   d’insertion professionnelle vient   s’intercaler   dans   le   processus   global   de   formation, entre formation initiale et formation continue.   De   l’autre,   elle   établirait   le   lien   essentiel   entre   formation initiale et formation continue,   le   passage   permettant   d’assurer   la   «continuité » du parcours de

formation   de  l’enseignant.

La rupture serait   à   l’image   d’un   « mur »   que   l’enseignant   entrant   dans   le   métier   aurait   à   franchir   et   qui   marquerait,   d’un   côté,   la   fin   d’un   parcours   d’étudiant,   de   l’autre,   le   début   d’un   parcours   de   professionnel.   Le   terme   de   « survie », par exemple, employé par Huberman pour qualifier la première phase du développement professionnel des enseignants renvoie

clairement   selon   nous   à   cette   idée   d’obstacles,   d’épreuves   à   surmonter.   D’autres   auteurs,   tels   que   Gervais   &   Levesque   (2000),   considèrent   également   que   l’entrée   dans  le métier marque

non   seulement   le   début   de   la   construction   professionnelle   de   l’enseignant,   et   par   là   même,   son  

engagement dans la formation continue. La continuité s’apparenterait   davantage   à   un  

« pont », entre le « moment où le candidat diplômé entre en fonction et le moment où il

devient   un   professionnel   compétent   et   parfaitement   à   l’aise   dans   le   rôle   d’enseignant   » (Nault, 1993 cité par Sénéchal, 2010, p. 236)

L’insertion   professionnelle,   ainsi   que   le   précise Gaborieau, constitue le moment où il

est justement   important   et   décisif   pour   l’enseignant   débutant   d’opérer   l’articulation   entre   la  

continuité et la rupture (Gaborieau,   2003),   lui   permettant   alors   de   s’inscrire   dans   une   posture  

de professionnel, en consolidant les compétences acquises pendant les périodes de formation

antérieure   et   initiale   (Dufour   &   Chouinard,   2013).   L’entrée   effective   dans   le   monde   professionnel,   qui   marque   véritablement   la   prise   de   responsabilité   de   l’enseignant   débutant,   impose   qu’il   soit   en   capacité   de   faire   face,   seul,   à   l’ensemble des bouleversements que génère

l’entrée   dans   le   métier.   Il   doit   non   seulement   trouver   sa   place   dans   l’institution   et   plus   particulièrement   au   sein   de   l’équipe   dans   laquelle   il   évolue,   en   adhérant   à   la   dimension   sociale  

et interactive de la profession (Tardif & Lessard, 1999) mais aussi mettre en actes les

compétences   qu’il   aura   préalablement   acquises   pour   s’adapter   aux   situations   concrètes  

auxquelles il est exposé dans sa pratique de classe.

Durant   cette   période,   s’opère   une   forme   de   basculement   d’un monde à monde, de la théorie à la pratique, des concepts et connaissances appris lors de la formation initiale à la

107 doit   l’opérer,   au   quotidien,   à   chaque   instant, avant, pendant et après les temps de classe. Cette

responsabilisation « brutale »   peut   engendrer   l’apparition   du   sentiment   d’être   « d’un  

coup livré à soi-même » (Ortun & Pharand, 2009), ce qui, précisent ces auteurs, semble favoriser le besoin chez ces enseignants débutants, de développer des pratiques

d’autoformation.

Comment, alors, définir cette autoformation des enseignants débutants ?

Il   nous   importe   bien   plus   ici   de   caractériser   et   d’analyser   l’autoformation   des   enseignants   débutants   que   d’en   proposer   une   véritable   définition.   Si   l’objet   de   notre   recherche   ne   vise   pas   à   une   quelconque   forme   de   théorisation   de   l’autoformation   des   enseignants,   nous  

ne pensons cependant pas pouvoir nous dispenser de poser quelques repères permettant de délimiter le champ de notre réflexion.

Ainsi, à partir des éléments théoriques que nous avons retenus dans le chapitre

précédent   pour   tenter   d’affiner   notre   approche   de   l’autoformation,   il   nous   semble   nécessaire  

de proposer, dans un premier temps, une brève synthèse de ce qui pourrait définir de façon

très   générale   l’autoformation,   avant   que   d’en   reprendre   chaque   point   en   le   contextualisant   à   l’objet   de   notre   propos,   à   savoir,   l’autoformation   des   enseignants   débutants,   professeurs   des  

écoles stagiaires (PES).

A   l’appui des quelques travaux cités plus haut, nous choisissons donc de définir

l’autoformation   comme:   un   processus   complexe   et   évolutif   d’apprentissage,   initié,   dirigé   et   contrôlé   par   l’individu   dans   le   but   de   développer   ses   savoirs,   savoir-faire, savoir-être ; trouvant son origine dans des motifs internes (motivations et inclinations personnelles) et/ou

externes (environnement privé ou professionnel) ;;   s’exerçant   par   la   mise   en   place   distincte   ou  

conjointe   d’une   activité   réflexive   (formation par soi),   d’une   formation par et avec les autres (hétéro et co-formation),   d’une   formation   par   les   choses   et   les   expériences   des   situations  

vécues (éco-formation).

Cette  définition   s’articule   autour   de  trois   axes :

le but:   ce   vers   quoi   l’individu   souhaite   ou   doit   tendre   (développer ses savoirs, savoir-faire, savoir-être)

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les motifs:   les   raisons   qui   justifient   l’engagement   de   l’individu   dans   le   processus   d’autoformation   (motifs   internes   et/ou   externes)

les moyens:   ce   que   l’individu   peut   mettre   en   place   pour   atteindre   le  but fixé

(activité réflexive, formation par et avec les autres, formation par les choses et les expériences des situations vécues)

A   l’intérieur   de   ces   trois   axes,   il   nous   faut   maintenant   détailler   ce   que   peuvent   être   les   composantes   de   l’autoformation   des PES, en reprenant chaque point de la définition que nous

venons de proposer, soit, respectivement le but, les motifs et les moyens.

2.1. Combler les manques pour devenir « professionnel »

Le but de   l’autoformation   des   PES,   au   travers   du   développement  des savoirs,

savoir-être et savoir-faire,   soulève   la   question   des   compétences.   S’autoformer   consiste   donc,   pour  

l’enseignant   débutant,   à   enrichir,   contextualiser,   adapter,   faire   évoluer,   mettre   à   jour   ses  

compétences, au service de sa pratique quotidienne d’enseignement.   Nous   choisissons   de  

caractériser   cet   aspect   de   l’autoformation   en   prenant   comme   base,   d’un   côté,   le   référentiel   de   compétences   des   enseignants,   de   l’autre,   ce   que   l’on   connaît   de   l’offre   de   formation   initiale.   L’écart   entre   ces   deux   éléments – entre ce que la formation leur fournit et ce qui est exigé

d’eux   en   tant   que   professionnels,   dès   le   début   de   leur   carrière   d’enseignant   – constitue, nous

semble-t-il, un indicateur pertinent pour qualifier – au moins en partie – leur besoin en

autoformation.   Ce   que   l’institution   ne   leur   aura   pas   apporté,   il   leur   faudra   le   développer   eux

-mêmes.

En premier lieu, abordons ce qui se rapporte aux compétences attendues des enseignants. Mis en place dans la foulée de la réforme de la formation des enseignants par masterisation, le référentiel de compétences de 2010 comporte 10 items :

1 - Agir en fonctionnaire de l'État et de façon éthique et responsable 2 - Maîtriser la langue française pour enseigner et communiquer 3 - Maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale 4 - Concevoir   et  mettre   en   œuvre   son  enseignement

5 - Organiser le travail de la classe

6 - Prendre en compte la diversité des élèves 7 - Évaluer les élèves

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8 - Maîtriser les technologies de l'information et de la communication

9 - Travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l'école 10 - Se former et innover

A chacune de ces compétences très « larges » correspond une déclinaison de

sous-compétences organisées en 3 familles : connaissances, capacités, attitudes. Elles renvoient

respectivement aux savoirs, savoir-faire et savoir-être des enseignants. Il nous semble

important   d’insister   sur   le   fait   que   l’ensemble   de   ces   compétences   correspond   à   ce   qui   est   attendu   de   l’enseignant,   dès   sa   prise   de   fonction.   Ainsi   que   cela   est   précisé   dans   l’arrêté   du   12  

mai 2010 fixant les compétences des enseignants, « La maîtrise de ces compétences est

évaluée au plus tard au moment de la titularisation » (MEN, 2010). Dans le contexte précis

de la masterisation, la titularisation   intervient   au   terme   de   l’année   de   stage   qui   suit   l’obtention  

du concours. Or, les enseignants « stagiaires » ont effectivement en charge une classe dès la rentrée scolaire suivant leur admission au concours, ce qui crée, selon nous, une sorte de

« flou ».   En   effet,   si   d’un   côté,   on   ne   peut   pas   attendre   des   enseignants   stagiaires   la   maîtrise  

de   compétences   qui,   statutairement,   ne   seront   évaluées   qu’au   moment   de   leur   titularisation,   de   l’autre,   le   fait   même   d’être   positionné,   dès   le   début   de   leur   année   de   stage, comme

« responsable »   d’une   classe,   les   engage,   concrètement,   aux   yeux   de   l’institution,   mais  

également et surtout, aux yeux des élèves, des parents et autres partenaires, à répondre aux mêmes exigences que leurs collègues titularisés et, par conséquent, plus expérimentés.

Ce statut ambigu de « professeur des écoles stagiaire », typiquement inscrit entre deux

statuts – celui   d’étudiant   et   celui   d’enseignant   – renforce doublement, à notre sens, le besoin

d’un   recours   à  l’autoformation.  

D’abord,   parce   qu’en   tant   que   « stagiaire »,   l’enseignant,   en   attente   de   sa   titularisation,  

se trouve dans une posture de dépendance vis-à-vis   de   l’institution,   qui   seule   validera   sa  

capacité à devenir « véritablement » enseignant. Aussi, doit-il, à la fois, être à l’écoute   et   tenir  

compte des conseils qui lui sont donnés par les tuteurs et autres personnels encadrants –

puisque ce sont eux-mêmes qui, directement ou indirectement, procèderont à sa titularisation

– faire   preuve   d’initiatives,   accepter   de   se   remettre   en cause, continuer de « se former » et

montrer   qu’il   possède   les   compétences   nécessaires   à   sa   titularisation.   Autant   d’éléments   dont   l’enseignant,   bien   que   théoriquement   « accompagné » durant cette année de stage, doit

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Ensuite, parce que bien que « stagiaire », et donc pas encore tout à fait reconnu comme « professionnel », il doit pourtant instantanément donner la preuve de sa capacité à exercer le

métier   d’enseignant.   Le   professeur   des   écoles   stagiaire   est   le   seul   « maître » face aux

multiples missions qui caractérisent son activité – préparation des cours, gestion du groupe,

évaluation   des   élèves,   relations   avec   les   parents,   les   collègues,   l’institution,   tâches

administratives diverses – et qui engagent, là encore, ses connaissances, capacités et

attitudes.   Confronté   quotidiennement   à   des   situations   nouvelles   et   complexes,   l’enseignant  

stagiaire doit adopter une « véritable stratégie professionnelle » (Hoff, 2007, p.79) qui se

situe   au   cœur   du   développement   de   son   pourvoir   à  « s’auto-informer et à autoconstruire son métier » (Alava, 1995, cité par Hoff, 2007, p.79). Pour les élèves, pour les parents, pour les collègues, il est un « enseignant », avec la totalité de la charge que cela implique.

Comment   l’offre   de   formation   initiale   se   positionne-t-elle   face   à   l’ensemble   de   ces  

exigences ?

Ainsi   que   nous   l’avons   déjà   abordé   dans   le   chapitre   2   de   la   partie   1,   l’ambition   de   la  

réforme de la formation des enseignants par voie de masterisation avait deux objectifs principaux : élever le niveau de recrutement des professeurs en exigeant un diplôme de niveau Master ; assurer un recrutement de professeurs mieux formés pour exercer leurs pratiques

professionnelles.   Les   dysfonctionnements   dans   la   mise   en   œuvre   de   cette   réforme,   pointés   en  

particulier   par   le   rapport   Jolion   (2011)   s’appuient   sur   le   constat   d’une   formation   qui   ne   fournit  

pas les conditions minimales nécessaires pour que les candidats recrutés puissent véritablement être prêts à exercer « convenablement » leur métier, dès leur prise en charge

effective   d’une   classe.   Cette   offre de formation montre à la fois – toujours selon le même

rapport – une inadéquation des contenus aux réalités de la profession et une organisation

temporelle exigeant des candidats de valider le master dans le même   temps   qu’ils   préparent   le  

concours,   sans   qu’il   y   ait   d’ailleurs,   une   réelle   articulation   entre   les   deux,   créant   ainsi   une  

forme de confusion dans les objectifs à poursuivre.

L’écart,   dont   nous   parlions   plus   haut,   entre   la   formation   initiale   et   la   réalité de ce que sont les exigences du terrain, trouve ici sa pleine expression. Comment, pour les enseignants

stagiaires,   réduire   cet   écart   si   ce   n’est justement en ayant recours – entre autres – à des

pratiques   d’autoformation   pour   tenter   de   combler   les   manques de la formation initiale. Dans

111 spécifique   qu’elle   s’inscrit   d’abord   dans   la   nécessité   de   trouver   seuls   des   réponses   là   où   personne   d’autre   ne   leur   aura   fournies (Rieunier, 2005) ou ne leur fournira. Elle est avant tout

une autoformation de « compensation ». Le but étant   alors,   pour   l’enseignant   stagiaire,   de  

montrer   qu’il   est   en   position   d’assumer   les   responsabilités   qui   lui   sont   confiées,   de   s’installer  

dans une posture de professionnel. Au-delà, cette autoformation répond également, dans son

déclenchement   et   sa   mise   en   place,   à   l’existence   de   motifs   internes   et   externes   qu’il   nous   importe   d’aborder  maintenant.

2.2. Devenir professionnel pour être reconnu ; être reconnu pour devenir professionnel.

Les motifs sont   les   raisons   qui   vont   mener   l’enseignant   stagiaire   à   s’engager   dans   des   pratiques   d’autoformation ; ils répondent à la question « pourquoi ? ». Nous nous appuyons à

nouveau ici sur le modèle descriptif   des   motifs   d’autoformation   de   Carré   (2001)   que   nous  

avons détaillé dans le chapitre précédent, pour en extraire les motifs – que   l’auteur   nomme  

intrinsèques (épistémique, socio-affectif, hédonique) et extrinsèques (économique, prescrit, dérivatif, opérationnel-professionnel, opérationnel-personnel, identitaire, vocationnel) là où

nous   les   qualifions   d’internes et   d’externes – qui nous semblent étroitement impliqués dans le

processus   d’autoformation   des   professeurs   de   écoles   stagiaires.   Nous   n’excluons   pas que

l’ensemble   des   motifs   issus   du   modèle   de   Carré   puissent avoir, à des degrés variables, à y jouer un rôle, mais souhaitons ici privilégier ceux qui nous apparaissent comme étant les plus

significatifs. Ainsi, nous retenons les motifs prescrit, opérationnel-professionnel et

identitaire.

Rappelons que le motif prescrit renvoie à une forme de pression – voire   d’injonction   –

exercée   sur   l’individu,   de   façon   directe   ou   indirecte,   par   son   entourage   proche,   dans   le  

contexte de son environnement professionnel, ou, plus largement, en réponse à certaines

normes   sociales.   Ainsi   que   nous   l’avons   noté   plus   haut,   l’exigence   de   compétences   à   laquelle   l’enseignant   stagiaire   doit   répondre,   dès   la   prise   en   charge   de la classe qui lui est confiée – et

qui conditionne sa   titularisation   au   poste     d’enseignant   – trouve son origine, dans la pression

qu’exerce   sur   lui,   non   seulement   l’institution,   en   lui   confiant   une   mission   d’enseignement,   avec   tout   l’engagement   que   cela   suppose,   mais   également   l’ensemble   de   ce   qui   constitue son

environnement   professionnel   (élèves,   parents,   collègues…)   et   même,   plus   indirectement,   la   société,   dans   l’idée   qu’elle   véhicule   de   ce   que   se   doit   d’être   et   de   faire   un   enseignant,   qu’il  

112 stagiaire   est   contraint   d’apporter   des   réponses   lui   permettant   de   faire   face   et   par   là-même de tenter de réduire cette pression. Cela peut le mener, selon nous, à développer de pratiques

d’autoformation.

Le deuxième motif que nous retenons ici est le motif opérationnel-professionnel. Il

répond   à   la   nécessité   pour   l’enseignant   stagiaire   de   développer   les   compétences   – savoirs

(connaissances), savoir-faire (capacités), savoir-être (attitudes) – qu’il   juge   indispensables   à   la  

réalisation   des   objectifs   professionnels   qu’il   se   fixe   lui-même et qui lui sont fixés par

l’institution.   Mais   qu’en   est-il justement de ces compétences, lorsque, comme nous venons de

souligner,   l’écart   se   révèle   être   significatif   entre   les   compétences   développées en formation initiale et celles exigées des enseignants au moment de leur prise de fonction ? Rappelons-le, ainsi que le précise le rapport Jolion (2011), les compétences travaillées et validées au cours

de la formation master sont en décalage avec ce que représente   le   travail   réel   de   l’enseignant,  

en particulier parce que celles-ci   ne   sont   pas   mises   à   l’épreuve   du   terrain;;   ainsi   qu’il   est  

précisé dans ce rapport « ce sentiment de déconnexion entre le concours et le métier est unanimement ressenti et regretté par les étudiants » (Ibid., p.6). Il nous semble que cela ne

dispense   pas   que   l’enseignant,   même   débutant,   ait   une   idée   très   précise   de   la   mission   qu’il   lui   revient   d’assurer   et   des   savoirs,   savoir-faire et savoir-être que cela lui impose de maîtriser pour être professionnellement « opérationnel ». Cette forme de « prise de conscience » du

professeur   des   écoles   stagiaires   peut   sans   doute,   là   aussi,   être   à   l’origine   de   la   mise   en   place   de  pratiques   d’autoformation.  

Le   dernier   motif   retenu   ici   est   d’ordre identitaire.   Ainsi   que   nous   l’expliquions   plus   haut,   la   question   de   l’identité   professionnelle   est   très   étroitement   liée   à   celle   de   la  

reconnaissance professionnelle. Cette dernière est considérée comme essentielle dans le développement professionnel des enseignants (Jorro, 2009 ; Dubar, 2002). Les trois points

d’ancrage  « devenir capable, être reconnu, se (re)connaître » repérés par Perez-Roux (2012)

vont   guider   l’enseignant   stagiaire   dans   la   nécessaire   transformation   de   l’image   de   soi   que  

génère son entrée   dans   le   monde   professionnel.   Nous   appuyons   l’idée   de   l’auteure   selon  

laquelle   c’est   bien   aussi   parce   qu’il   est   reconnu   dans   son   travail   et,   qui   plus   est,   à   cet   égard,  

dans son statut particulier de débutant – par ses collègues, sa hiérarchie, les parents…   – que le

stagiaire peut « devenir capable » et « se reconnaître »   dans   l’image   qu’il   renvoie   de   lui   en  

tant   qu’enseignant.   Or   cette   reconnaissance,   condition   de   la   construction   de   son   identité