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La réalisation d’une éventuelle relation

Niveaux d’intervention de l’incidence dans la phrase

4. La réalisation d’une éventuelle relation

d’incidence prédicative reliant un terme modalisateur à l’ensemble de la prédication : dernière arrivée dans

l’ordre d’apparition, cette étape permet l’insertion de groupes modalisateurs comme sans doute, certainement, probablement, n’est-ce pas, etc. qui, de

portée large, exercent une fonction prédicative par rapport à la prédication tout entière.

Ce raisonnement n’autorise plus la hiérarchisation fonctionnelle des relations déterminatives internes au S et au P, puisque l’association de ces deux pièces maitresses du puzzle ne survient qu’au terme de la formation complète des deux parties. En effet, qui s’accorde avec ce principe ne peut dès lors accepter de regarder les relations d’incidence internes au noyau de phrase comme des subordinations plus intégrées, fonctionnellement, que les relations syntaxiques internes au prédicat. Autrement dit, les déterminants du noyau de phrase ne sauraient plus être sentis comme des compléments plus intégrés que les déterminants du verbe (et vice-versa) étant entendu que ces deux catégories de relations de détermination se réalisent en même temps. Les relations d’incidence au sein du groupe noyau de phrase ne font donc pas l’objet d’un stade d’intégration supplémentaire. En revanche, le groupe verbal est bel et bien relié au groupe sujet par le biais d’une relation prédicative, mais dans un second temps seulement ; et ce n’est qu’à ce titre que le sujet constitue le noyau de la phrase. En conséquence, la comparaison des groupes mis en italique dans les exemples (24) et (25) donne à voir des relations syntaxiques fonctionnellement de même niveau :

(24) (a) La longue promenade de l’étudiant en droit fut solennelle. (H. de Balzac, Le Père Goriot, 1983 [1835], p. 233)

(b) Ma mère, que nous appelions Millie, et qui était la ménagère la plus méthodique que j’aie jamais connue, était entrée aussitôt dans les pièces remplies de paille poussiéreuse, […] (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1971 [1913], p. 14)

GDét sujet GDét prédicat GDét Compl. de phrase GDét sujet GDét prédicat Modalisation de l’énoncé GDét sujet GDét prédicat GDét

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(25) Les avocats, le bâtonnier (M. Babel) à la tête, ont été [chez M. le Premier président qui a dit que les avocats avaient été parfaits en tout et qu’il faudrait être bien difficile pour n’être pas contents d’eux]. (M. Marais, Journal de Paris (1722-1727), vol.2, 2004, p. 307)

Un argument en faveur de cette logique se trouverait du côté des inversions SV en français : pourquoi le sujet occupant la position traditionnellement dévolue au complément du verbe dans les phrases (26) serait-il considéré comme plus intégré que le déterminant verbal dans l’exemple (25) alors que (i) ils occupent formellement la même position et que par ailleurs (ii) les sujets inversés tout comme les déterminants du verbe se trouvent sous la portée de la négation descriptive… ?

(26) (a) Mais triste est celui-là qui écoute sonner la cloche sans qu’elle exige rien de lui. (A. de Saint-Exupéry, Citadelle, LXXXIII)

(b) Le long de cette façade, entre la maison et le jardinet, règne un cailloutis en cuvette, large d’une toise, devant lequel est une allée sablée, bordée de géraniums, de lauriers-roses et de grenadiers plantés dans de grands vases en faïence bleue et blanche. (H. de Balzac, Le Père Goriot, 1983 [1835], p. 7)

3. FAIBLE INTÉRÊT DE DIFFÉRENCIER L’INCIDENCE MÉDIATE ET BIMÉDIATE DANS LE CADRE DES FONCTIONS SYNTAXIQUES

Ci-dessus, nous venons de voir que les trois entrées majeures qui composent le nouveau continuum d’intégration fonctionnelle, à savoir la subordination (i) à l’ensemble d’une prédication, (ii) à un groupe déterminatif ou (iii) à un morphème, sont définies d’après le point d’incidence du groupe subordonné. Elles pourraient aussi résulter, plus sibyllinement, du croisement de deux paramètres distincts : (a) la portée/fonction de l’élément subordonné dans la phrase, et (b) le type d’incidence (effective) de l’élément subordonné. Le premier critère vient d’être discuté (cf. supra) ; c’est lui qui est à l’origine des trois niveaux d’incidence97 rappelés à l’instant. Le deuxième paramètre entend revenir sur le caractère plus ou moins indirect de la relation d’incidence établie. En effet, tout élément d’incidence externe se laisse ranger soit dans la catégorie des incidences « externes du premier degré » (Guillaume), « médiates » (Wilmet) ou « indirectes » (Van Raemdonck) ; soit dans celle des incidences « externes du second

degré » (Guillaume), « bimédiates » (Wilmet) ou « doublement indirectes » (Van

Raemdonck). Si l’on s’en reporte plus particulièrement au système de Van Raemdonck, nous dirons que tout groupe subordonné est soit d’incidence indirecte, soit d’incidence

doublement indirecte. Il y a incidence indirecte lorsque l’élément subordonné est incident

à un autre groupe de la prédication comme le français dans la figure 19. L’incidence est dite doublement indirecte quand le groupe subordonné porte sur une relation ; c’est le cas pour le groupe prépositionnel « à l’école » dans la représentation suivante :

97 Tout groupe syntaxique subordonné est ainsi incident soit à la prédication (première ou seconde) dans son entièreté, soit à un groupe déterminatif constitutif de celle-ci, soit, à un niveau plus morphologique déjà, à un morphème participant à la formation du noyau d’un groupe déterminatif.

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Figure 16 – Représentation arborescente de la phrase « Il apprend le français à l’école » d’après le modèle de Van Raemdonck

En regard de la coexistence de deux types d’incidence externe effective, l’on pourrait donc songer à considérer ce paramètre pour ramifier les entrées du continuum d’intégration fonctionnelle repensé. La combinaison des critères de la portée et du genre d’incidence donne ainsi à voir le tableau suivant, dont une entrée ne saurait être remarquée :

Incidence à un groupe prédicationnel (= à une

prédication, 1re ou 2de)

Incidence à un groupe

déterminatif morphème particulier Incidence à un Incidence médiate de

l’élément subordonné (Impossible) Possible Possible

Incidence bimédiate

de l’élément

subordonné Possible Possible Possible Tableau 5 – Croisement du paramètre du type d’incidence de l’élément subordonné avec le paramètre de sa portée

Pourtant, dans le cadre de l’examen des fonctions phrastiques, il nous semble plus judicieux d’abandonner le paramètre du type d’incidence effective de l’élément subordonné : le principe, selon nous, ne vaut que dans une optique référentielle, à la base de l’établissement des parties du discours. En syntaxe, étant donné qu’il s’agit de fonctionnements prototypiques des parties du discours, ces fonctions ne sont pas toujours vérifiées. Le critère de l’incidence doublement indirecte oblige parfois le linguiste à penser en termes de glissements fonctionnels pour satisfaire aux règles imposées par le paramètre : du fait même de sa nature, le groupe prépositionnel à Paris (dans Pierre va à

Paris) n’accepte que l’incidence doublement indirecte. Pour des raisons sémantiques

cependant, ce groupe, appelé par le verbe aller, glisse en position syntaxique (et fonctionnelle) de déterminant du verbe ainsi que l’explique Van Raemdonck.

Dans Pierre va à Paris, le groupe déterminatif prépositionnel à Paris, à l’origine déterminant de la relation [Dét. – Noyau GDV], apparait comme nécessaire au verbe, dont il est objectivement un complément de sens (aller : verbe de direction ; à Paris : complément de direction) et a donc glissé vers la place non encore occupée du déterminant du verbe. (Van Raemdonck 20111 : 170)

Noyau (GDN) Prédicat (GDV) NV (V) apprend DétV (GDN) le français NPron (Pron) Il DétN ø Phrase Dét.rel (GDPrép) à l’école

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Figure 17 – Glissement du complément « à Paris » en position de déterminant du verbe

En réalité, la volonté de conservation (par transposition) du type d’incidence – qui est un critère référentiel, à l’origine – dans le système des fonctions ouvre la porte à de nombreux problèmes. Outre la galipette syntaxique illustrée à l’instant (fig. 20), la représentation suivante (fig. 21) souffre à l’inverse d’imposer l’incidence du groupe à

Paris (qui n’est autre qu’un adjet, cf. [34]) sur la relation déterminative du fait de la présence, déjà, du complément un appartement en position/fonction de déterminant du verbe – et qui empêche donc le glissement du groupe à Paris.

Figure 18 – Représentation arborescente de la phrase « Pierre habite un appartement à Paris » d’après le modèle de Van Raemdonck

Examinée à la loupe de l’intégration fonctionnelle, la liste des questions soulevées ne s’arrête pas là. Le niveau d’intégration des déterminants direct (COD) et indirect (COI) du verbe peut également faire l’objet d’un autre questionnement. Dans le système de syntaxe génétique de Van Raemdonck, le groupe une pomme sera dit d’incidence indirecte à mange dans la phrase « Pierre donne une pomme à Marc », tandis que à Marc sera dit d’incidence doublement indirecte à ce même noyau verbal.

Prédicat (GDV) NV (V) va DétV (GDPrép) à Paris Noyau (GDN) Prédicat (GDV) NV (V) habite DétV (GDN) un appartement NN (N) Pierre DétN ø Phrase Dét.rel (GDPrép) à Paris

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Figure 19 – Représentation arborescente de la phrase « Pierre donne une pomme à Marc » d’après le modèle de Van Raemdonck

À ce titre, l’on pourrait une nouvelle fois penser à hiérarchiser les déterminants verbaux au motif que l’un se rapporte plus directement au verbe que l’autre. Est-ce suffisant toutefois pour dire que le déterminant verbal direct (COD) est plus intégré que le déterminant verbal indirect (COI) ? Si la présence de la préposition peut semer le doute, il suffit de s’en reporter à une phrase telle que « Je la lui offre » pour disperser l’incertitude qui pouvait subsister puisque, dans cette dernière phrase, rien ne permet de distinguer formellement les déterminants direct et indirect du verbe. Partant, l’on ne peut porter un regard autre que curieux sur la réalisation de l’incidence doublement indirecte du groupe lui dans la phrase « Pierre lui parlera », alors que la position DétV n’est pas saturée. De même, l’on ne peut que froncer les sourcils à la vue de la réalisation de deux incidences prototypiquement doublement indirectes – incidence à la relation [NV – DétV] – dans la phrase « Pierre lui parle du dossier », alors qu’aucun DétV n’y est réalisé.

Ces observations nous conduisent à proposer, plus simplement, de ne considérer que le point d’incidence final du groupe questionné et de faire donc abstraction du caractère médiat ou bimédiat de cette incidence. Cette dernière paire notionnelle n’est autre que le calque, en syntaxe, d’un principe référentiel qui, selon nous, devrait être cantonné à la seule référence. Autrement dit, il ne devrait intervenir ailleurs que dans la définition du type d’extension (Wilmet), indice pour l’organisation des classes grammaticales (en langue).

La suppression du critère du type d’incidence (médiate, bimédiate) permet dès lors de formaliser différemment la phrase « Pierre donne une pomme à Marc » : la figure 23 donne ainsi à voir une équivalence fonctionnelle des deux compléments du verbe. Cette représentation nous semble plus juste dans la mesure où elle fait abstraction du paramètre référentiel à l’origine de problèmes de descriptions syntaxiques.

Noyau (GDN) Prédicat (GDV) NV (V) donne DétV (GDN) une pomme NN (N) Pierre DétN ø Phrase Dét.rel (GDPrép) à Marc

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Figure 20 – Formalisation plus personnelle de la phrase « Pierre donne une pomme à Marc »

En conséquence, l’on ferait donc à nouveau erreur, pensons-nous, en considérant les entrées incidences « bimédiate » et « médiate » à un groupe (ou à un morphème) comme deux stades d’intégration fonctionnelle différents : les indications sur le marquage qui seront données dans la troisième partie de ce mémoire d’habilitation achèveront d’ailleurs de montrer l’utilité d’envisager pareillement les deux cas de figure du point de vue de leur intégration syntaxique.

4. SYNTHÈSE

De l’ensemble des indications données dans les sections précédentes, il convient de retenir l’intérêt de deux paramètres spécifiques pour l’établissement d’un nouveau continuum d’intégration fonctionnelle, plus logique que le précédent (cf. [1]) : la portée du groupe subordonné d’une part, le type de relation fonctionnelle (déterminative, prédicative) établie d’autre part.

Le premier critère fait référence à la portée syntaxique (et sémantique) du groupe subordonné. L’incidence d’un groupe peut être très large et porter sur toute la prédication ; elle peut être plus restreinte et s’appliquer seulement à un groupe déterminatif de la phrase ; elle peut enfin être à l’origine d’un groupe aujourd’hui lexicalisé. Le deuxième principe retenu a trait à la fonction exercée par l’élément subordonné par rapport à l’élément qui supporte cette subordination. Toute subordination se laisse en effet décrire comme une relation de détermination ou de prédication (cf. Wilmet, puis Van Raemdonck) comme nous l’avons vu.

Le croisement de ces deux paramètres permet d’obtenir un nouveau gradient, aux saisies plus fines que celui de la figure 14 supra, et qui ressemble à peu près à ceci :

Noyau (GDN) Prédicat (GDV) NV (V) donne DétV (GDN) une pomme NN (N) Pierre DétN ø Phrase DétV (GDPrép) à Marc

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Figure 21 – Nouveau continuum d’intégration fonctionnelle

Le gradient amendé (fig. 24) s’achève ainsi par l’« incidence prédicative à un groupe

prédicationnel » et commence par l’entrée « incidence à un morphème », ce terminus

permettant d’intégrer les discussions sur les noms composés notamment98, dans lesquels l’élément subordonné participe à la formation même du noyau de groupe (d’un point de vue fonctionnel). Entre ces deux pôles se trouvent trois saisies intermédiaires : l’« incidence déterminative à un groupe déterminatif »99, l’« incidence prédicative à un

groupe déterminatif » et l’« incidence déterminative à un groupe prédicationnel »100. Pour terminer, soulignons que cet axe gradué ne tient jamais compte de la nature de l’élément subordonné. À tous les niveaux de liaison – exception faite peut-être pour le terminus ad quem, plus spécifique –, il est possible de rencontrer un GP1, un GP2 ou un GDét. Ce qu’il convient d’observer en premier lieu, ici, ce n’est donc rien d’autre que le type d’incidence (déterminative, prédicative) du groupe subordonné et sa portée. C’est cette démarche que nous avons tenté d’illustrer ci-dessous en présentant la synthèse de nos quelques études de cas selon que ces dernières exemplifient plus spécifiquement telle ou telle entrée du gradient proposé. À une présentation dépareillée des analyses de structures syntaxiques étudiées (par exemple : 1. « Plus…plus… », 2. « Un N, (et) Préd. », 3. « À peine X, Préd. », etc.), nous avons en effet préféré l’organisation de nos descriptions syntaxiques selon les saisies du gradient qu’elles illustrent, de façon à révéler au mieux l’intérêt du continuum repensé. Nous partirons donc d’exemples d’incidence à un morphème pour illustrer le stade d’intégration fonctionnelle le plus poussé, et terminerons l’inventaire des structures syntaxiques que nous avons étudiées au fil de notre carrière par la présentation d’un cas exemplifiant la saisie « incidence

prédicative à un groupe prédicationnel ».