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Niveaux d’intervention de l’incidence dans la phrase

Saisie 1 Incidence à un morphème

Il arrive que l’on puisse identifier encore une relation d’incidence au sein de certains mots complexes, comme les noms composés formés d’un verbe et d’un déterminant nominal (porte-avion, grille-pain, lave-vaisselle, allume-cigares, etc.) ou d’un adjectif incident à un noyau nominal (sage-femme, gentilhomme, blanc-bec, grand-mère, etc.) (cf. [a]). Dans ces quelques exemples, nous remarquons que l’incidence est toujours médiate. Pour autant, l’incidence bimédiate est loin d’être proscrite étant donné qu’elle est attestée dans de nombreux mots composés tels que chef-d’œuvre, arc-en-ciel, pomme

de terre, pied-de-poule, pot-de-vin, etc. ; soit dans l’ensemble des noms composés de

98 Cf. partie 1, § « Saisie 1 : Incidence à un morphème : 1. Incidence dans les noms composés ».

99 C’est le cas notamment de tous les compléments du verbe : Marie est heureuse ; Marie mange une pomme ; Marie parle à Paul ; Marie parle à qui veut l’entendre ; etc.

100 Qui regroupe donc les GDét, GP2 et GP1 incidents à la relation prédicative première et les groupes incidents à une éventuelle relation prédicative seconde.

+ intégration (fonctionnelle) Incidence déterminative à un groupe déterminatif Incidence prédicative à un groupe prédicationnel - intégration (fonctionnelle) Incidence déterminative à un groupe prédicationnel Incidence prédicative à un groupe déterminatif Incidence à un morphème

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deux noms reliés entre eux par une préposition, procédé qui a pour effet de subordonner (indirectement) le N2 au N1.

L’ensemble de ces noms composés témoigne du figement de certains tours mais aussi parfois de la survivance, dans ceux-ci, d’un éventuel rapport d’incidence qu’on peinerait cependant à analyser véritablement comme tel dans le cadre d’une description syntaxique contemporaine : dans les exemples cités, en effet, la relation d’incidence est trop ancienne pour être encore sentie comme une forme de subordination à proprement parler. Les rapports entre termes subordonnants et subordonnés sont aujourd’hui fortement lexicalisés.

1. INCIDENCE DANS LES NOMS COMPOSÉS

Qui souhaite enquêter sur l’éventuelle survie d’une relation d’incidence interne à un nom composé se heurtera rapidement à quelques murs étant donné que les relations d’incidence sous-jacentes aux noms composés ne sont pas toujours facilement identifiables. C’est le cas en particulier lorsqu’il s’agit d’un nom composé de deux substantifs : timbre-poste, année-lumière, pause-café, etc. qui, d’après Arnaud (2010, 2017) notamment, sont à distinguer des noms composés par coordination comme

auteur-compositeur, boulangerie-pâtisserie ou batterie-fanfare. Formellement pourtant, rien ne

différencie ces trois derniers substantifs des trois noms composés cités l’instant d’avant. Dès lors, comment savoir si une relation d’incidence sous-tend ou non ces groupes aujourd’hui lexicalisés ?

En connaissance du fonctionnement prototypique des parties du discours comme le verbe ou l’adjectif (Wilmet 1997, Van Raemdonck 2011), il est sans doute plus simple d’apporter une réponse dans le cas des noms composés d’un verbe et d’un nom, ou d’un adjectif et d’un nom. De même, la présence d’une préposition dans le substantif composé apporte une réponse claire et favorable à la question de l’identification d’un rapport d’incidence. Lorsque le nom complexe est formé de deux substantifs (voire de deux adjectifs101), en revanche, l’enquête se corse. D’abord, parce qu’aucun des quatre tests mentionnés supra102 n’apporte d’éléments de réponse ni dans un sens ni dans l’autre : ces tests valant presque exclusivement pour les liaisons de prédications, ils ne facilitent pas le repérage de l’exercice d’une relation d’incidence au niveau morphologique. Ensuite, parce que ces groupes lexicaux sont aujourd’hui figés et qu’il s’avère donc compliqué de travailler à partir d’opérations syntaxiques plus classiques telles que la commutation, l’insertion, etc. qui auraient pu, le cas échéant, apporter quelques indices. Le travail d’identification d’une relation d’incidence s’avère donc doublement complexe dans le cas des noms composés exclusivement de deux substantifs (« N1 + N2 ») ou de deux adjectifs (« Adj1 + Adj2 »), en français comme dans d’autres langues (e.g. pour l’anglais, cf. Bloomfield 1933, Bisetto & Scalise 2005, Renner 2006). De ce fait, il n’est pas étonnant que les typologies qui tentent d’organiser les N complexes formés de deux substantifs soient à ce jour si nombreuses : Bisetto & Scalise (2005 : 321-323) listent, sans exhaustivité, les classifications de Bloomfield (1933), de Bally (19654), de Marchand (1969), de Spencer (1991), de Fabb (1998), d’Olsen (2001), de Bauer (2001),

101 Par exemple : sourd-muet, clair-obscur, etc.

102 Pour rappel, il s’agit des tests (1) de la prosodie liante, (2) du clivage, (3) du subjonctif régi et (4) du partage de la force illocutoire.

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de Haspelmath (2002) et de Booij (2005). Parmi les typologies recensées, il n’y en a cependant qu’une seule qui présente des exemples français et qui, en amont, entend répondre à la problématique de l’analyse des N composés en français : c’est celle de Bally (cf. Bisetto & Scalise 2005 : 322). Dans son ouvrage Linguistique générale et

linguistique française, Bally (19654 : 96) suggère de différencier trois types103 de composés en français :

[…] il y a des composés de coordination : nos parents et amis ; hommes, femmes et enfants ; sourd-muet ; rouge-blanc-bleu ; des composés d’accord (chaleur solaire) et de rection (maison de campagne, porte-plume). (Bally 19654 : 96)

Si les cas de rection évoqués par Bally sont facilement repérables grâce au verbe en position 1 ou au connecteur qu’ils font intervenir, les composés d’accord sont tout aussi faciles à identifier en ce qu’ils unissent un adjectif à un nom, lesquels forment ensemble un binôme syntaxiquement rigide :

Dans les composés d’accord, mentionnons le type chaleur solaire. Un groupe formé d’un substantif et d’un adjectif est un composé quand l’adjectif apparaît étroitement lié au substantif par le fait qu’il repousse la syntaxe de l’adjectif ordinaire. Ainsi dans chaleur solaire, solaire ne peut pas se placer devant le substantif (solaire chaleur est impossible) ; il ne peut recevoir les adverbes propres à l’adjectif : on ne peut pas dire chaleur très solaire ; enfin et surtout, il ne peut fonctionner comme prédicat : Cette chaleur est solaire serait inintelligible. (Bally 19654 : 96-97)

Y aurait-il des composés d’accord qui ne soient pas constitués d’un nom et d’un adjectif (relationnel) ? Bally ne répond pas à cette question, de la même manière qu’il donne finalement peu d’informations sur les composés de coordination. Ceux-ci, à en lire le paragraphe 146 du même ouvrage (19654 : 96), semblent pourtant dotés d’une acception large, qui excède les limites de la morphologie pour pénétrer le domaine de la syntaxe :

Les composés par coordination sont appelés, selon leur valeur spéciale, composés copulatifs, collectifs, etc. […]

Dans un premier type, la nature du composé est marquée par le fait que son actualisateur ne figure que devant le premier des substantifs : les lettres et paquets ; mon parent et ami. […]

Un second type de collectif se rapproche de l’énumération […] ; exemple : Hommes, femmes et enfants (furent passés au fil de l’épée). Là, en apparence, point d’article ; mais en fait il est zéro. (Bally 19654 : 96)

Dans cet extrait, les considérations sur la détermination nominale laissent en effet à penser que les composés de coordination ne sont pas tant morphologiques que syntaxiques, ce qui s’expliquerait par le fait que la coordination n’est autre, chez Bally, que l’un des trois procédés – avec la segmentation et l’unification – à l’origine de la complexité phrastique/énonciative (19654 : 53, 71). Au demeurant, force est de constater que la tripartition opérée par Bally ne va pas sans poser quelques problèmes : par exemple, où ranger les N comme timbre-poste qui, sans présenter de forme limpide de rection, se laissent difficilement catégoriser du côté des N de coordination ou d’accord (des timbres-poste) ? Et années-lumière ? Et pauses-café ? L’organisation proposée souffre donc de ne pas pouvoir intégrer tous les items questionnés. Une typologie plus ouverte, accueillant plus d’entrées, parait donc nécessaire.

Dans ses différents travaux, Arnaud (i.a. 2003, 2010, 2017) dissocie également les N composés par subordination des suites NN construites par coordination, avant de ramifier

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ces deux catégories-mères : « je propose (Figure [25]) un classement des unités NN qui repose sur la présence ou non d’une tête unique », écrit l’auteur. Arnaud motive donc le choix de cette distinction liminaire par le nombre de centres identifiables dans les noms composés : les NN subordinatifs sont monocentriques tandis que les noms composés coordinatifs se montrent polycentriques.

Figure 22 – Taxinomie des noms composés des suites « NN » proposée par Arnaud (2010)

Les subdivisions opérées ensuite reposent sur des critères principalement sémantiques : les composés subordinatifs sont ou complétifs (timbre-poste) ou analogiques / équatifs (poisson-perroquet ; barrage-poids) ; les composés coordinatifs sont soit

multifonctionnels (auteur-compositeur), soit hybrides (gomme-résine), soit additifs

(batterie-fanfare) (Arnaud 2010). La branche qui nous intéresse en particulier, ici, est évidemment celle des NN subordinatifs que l’auteur a intentionnellement ramifiée comme suit :

Je maintiens une distinction entre subordinatifs complétifs, et subordinatifs équatifs / analogiques en raison du fait que, onomasiologiquement, les subordinatifs complétifs peuvent être en concurrence avec les séquences prépositionnelles (bière bouteille, bière en bouteille ; stylo bille, stylo à bille) alors que l’analogie / égalité (respectivement crapaud buffle, port base) correspond obligatoirement à la structure NN et que ceci reflète en outre la distinction fondamentale entre métonymie in praesentia et métaphore in praesentia qui sous-tendent respectivement ces deux catégories (Arnaud, [2009]). Un tel classement ne peut cependant être entièrement étanche car il existe des unités non prototypiques et intermédiaires, comme celles entre les subordinatifs équatifs et les coordinatifs multifonctionnels, la décision reposant sur la seule intuition sémantique du linguiste, ce que symbolise la flèche double de la Figure [25]. (Arnaud 2010)

Intéressante, la typologie met donc en valeur les relations sémantiques diverses que peuvent entretenir les unités des noms composés de deux substantifs. Mais bien qu’elle accueille davantage d’entrées que celle de Bally, cette organisation souffre de ne pas pouvoir proposer un classement suffisamment « étanche » pour entraver la porosité des catégories-filles. De même, les paraphrases explicatives requises par/pour chaque entrée lexicale sont une voie facile pour la contestation de certaines indexations. Au critère sémantique ne faudrait-il pas alors préférer des arguments qui soient seulement syntaxiques ?

La typologie de Bisetto & Scalise (2005) bute sur ce même dernier point. Par-delà sa prise en main plus aisée en ce qu’elle compte trois types de N complexes seulement, à savoir les composés subordinatifs, attributifs et coordinatifs,

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Figure 23 – Typologie de Bisetto & Scalise (2005 : 326)

l’organisation qu’établissent Bisetto & Scalise fait également appel à des paraphrases qui visent à reconstruire une hypothétique structure sous-jacente :

We propose a novel classification of compounds which is based on a very simple assumption. What is special about compounds is the fact that the two constituents are linked by a grammatical relation which is not overtly expressed (cf. apron string vs. string of the apron). Therefore, we would like to suggest that the classifi cation of compounds be uniquely and consistently based on this criterion. The possible grammatical relations holding between the two constituents of a compound are basically the relations that hold in syntactic constructions: subordination, coordination and

attribution. (Bisetto & Scalise 2005 : 326)

Les auteurs poursuivent par la présentation de quelques exemples qui viennent étayer les trois entrées. Les « Compounds are classified as subordinate whenever there is a "complement" relation between the two constituents », écrivent-ils (2005 : 326). C’est le cas dans « taxi driver » par exemple, où « taxi is clearly the "complement" of the deverbal head » (ibid.). Les « Attributive compounds » se différencient des composés subordinatifs en ce qu’ils « are formed either by a noun and an adjective, as in blue

cheese […] or by two nouns, where the non-head very often is used somehow metaphorically, expressing an attribute of the head (cf. snail mail, sword fish) » (ibid.). En ce qui concerne les « Coordinate compounds », Bisetto & Scalise reprennent l’idée de l’explicitation possible d’un et qui serait autrement sous-jacent : « Coordinate compounds are those formations whose constituents are tied by the conjunction "and". They are potentially recursive even in Romance languages (cf. It. poeta-pittore-regista "poet-painter-director") where recursion in compounds is not usual » (ibid.). Les composés coordinatifs seraient donc récursifs, à l’inverse des composés attributifs et subordinatifs. Pourtant, il semblerait que, en français à tout le moins, la récursivité ne soit pas systématique pour tous les N composés coordinatifs : le composé « gomme-résine » rencontré chez Arnaud est difficilement augmentable. L’on ne saurait avoir une « gomme-résine-caoutchouc » par exemple. À moins que gomme-résine ne soit pas un composé coordinatif ? L’hypothèse est recevable, a fortiori lorsqu’on considère l’existence en parallèle du composé « gomme de résine »...

Pour notre part, nous ne sommes pas partisane des reconstructions syntaxiques pour motiver les entrées d’une typologie. C’est notamment pourquoi nous ne suivons ni tout à fait Arnaud ni entièrement Bisetto & Scalise sur la question du classement des N composés. Et nous ne suivons pas davantage Bally pour les raisons exposées plus haut. Il est toutefois un dénominateur commun aux trois modèles analysés qui nous intéresse directement, c’est la présence d’une opposition nette (et souvent forte) entre les composés par subordination et les composés par coordination. Cette observation suffit à elle seule, pensons-nous, à motiver l’intérêt d’une entrée « incidence à un morphème » dans le continuum que nous avons proposé ci-dessus (fig. 24). C’est aussi la raison pour laquelle nous suggérons d’en revenir in fine à une typologie beaucoup plus basique, construite autour d’un paramètre unique qu’est l’incidence. Dans cette perspective, il

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n’existerait que deux catégories de substantifs complexes : les composés qui présentent des unités liées par le mécanisme de l’incidence, et ceux dont les unités n’entretiennent aucune relation d’incidence entre elles. Dans le premier cas, il s’agit des composés par subordination/subordinatifs ; dans le second, des N composés par coordination/coordinatifs. Cette proposition – plutôt élémentaire – appelle toutefois de deux commentaires, à commencer par la place de la détermination et de la prédication dans cette organisation à deux pôles.

Nous pourrions en effet envisager de scinder la classe des composés subordinatifs selon que l’incidence soit déterminative ou prédicative. Cette option n’est cependant pas aussi intéressante qu’on pourrait l’imaginer en raison du nombre très limité de noms composés comportant une incidence prédicative. Il s’agirait dans tous les cas de phrases aujourd’hui figées, comme (un) sauve-qui-peut. C’est ce nombre d’occurrences particulièrement restreint qui a dicté notre choix de ne pas proposer deux entrées différentes sur le continuum d’intégration fonctionnelle. Nous avons ainsi préféré faire de l’« incidence à un morphème » un terminus unique, reprenant à la fois les saisies « incidence prédicative à un morphème » et « incidence déterminative à un morphème ». L’autre argument qui a présidé notre choix a trait au figement actuel de ces tours : quelle pertinence aurait la proposition d’une distinction entre deux types d’incidence dans des tours aujourd’hui lexicalement figés ? Probablement peu, dans la mesure où la question de l’incidence déterminative et prédicative intéresse désormais plus la morphologie (historique) que la syntaxe synchronique.

Outre cette justification théorique, il est une question qui n’a pas encore trouvé de réponse : quel(s) observable(s) se montrerai(en)t suffisamment puissant(s) pour distinguer les N composés par subordination des N complexes construits par coordination ? Faut-il s’en remettre au critère morphologique de l’accord ? Une hypothèse serait en effet de différencier les mots composés où les deux termes prennent la marque du pluriel, des mots composés formellement proches mais où un seul item s’accorde lors de la mise au pluriel. Les noms complexes de la première série désigneraient alors les composés par coordination tandis que ceux qui constituent la deuxième catégorie regrouperaient les noms composés par subordination. Pourtant, l’argument est trop peu sûr pour être retenu. Le mot sourd-muet, par exemple, se laisserait spontanément ranger du côté des noms composés par coordination ; en témoigne le partage des marques du pluriel par les deux éléments repris (des

sourds-muets). Et il en irait de même pour les noms clairs-obscurs et derniers-nés (Grevisse

1980 : 308). Mais quel sort réserver au nom nouveau-né, dont l’accord est sibyllin au féminin singulier (une nouveau-née) et très particulier au pluriel (des nouveau-nés) ? Aurait-on affaire, dans le cas présent, à un N composé par subordination ? L’indexation a de quoi laisser pantois si l’on considère en parallèle le cas de nouveau-venu qui, au pluriel, devient des nouveaux-venus (et au féminin, des nouvelles-venues). La classification différente des entrées nouveau-nés et nouvelles-venues interroge inévitablement…

Ce pan de la problématique reste donc en attente de réponse(s), et c’est là une recherche qu’il nous reste à mener. En réalité, l’entrée du continuum que nous examinons dans cette section est probablement celle que nous avons le moins étudiée jusqu’à maintenant. Nous avons néanmoins proposé une ébauche de cette question dans notre dernier ouvrage ([a]) où, à travers le prisme de la juxtaposition – laquelle contraste souvent avec la « composition » dans les travaux de morphologie (historique) –, nous avons pu nous

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familiariser avec la problématique, déjà ancienne, du rapport entre les unités constitutives des noms composés.

2. PROBLÉMATIQUE PEU RÉCENTE

En effet, la question de la formation des noms composés en français n’est pas neuve : elle était déjà sur la table des grammairiens du XIXe siècle qui tentaient de situer la

juxtaposition par rapport à la composition notamment. À ce propos, nous avions

d’ailleurs identifié (dans [a]) pas moins de cinq façons différentes d’articuler les notions (morphologiques) de la composition et de la juxtaposition entre les années 1850 et 1900 : (1) outre une série de grammairiens qui utilisaient la juxtaposition en synonyme des mots

réunion ou association de mots tout en se gardant de situer de façon trop précise le terme

dans le métalangage (e.g. Jullien 1855, Van Drival 1858, Oppert 1859, Harlez 1878), nous avions rencontré (2) plusieurs auteurs qui traitaient la juxtaposition comme un terme (quasi-)technique directement opposé à la composition (Baecker 1860, Loiseau 1873, Egger 1852, 1856-1857, 1865).

La composition se distingue de la juxtaposition, en ce que dans ce dernier procédé les deux mots gardent, en s’unissant, la forme et la valeur qu’ils avaient avant leur union. (Baecker 1860 : 146)104

Nous avions recensé (3) d’autres grammairiens encore qui avaient choisi de faire de la juxtaposition un sous-mécanisme de la composition (Aubertin 1861, Sengler 1883, Humbert 1883), procédé avec lequel la juxtaposition contrastait néanmoins. L’on comptait alors deux formes de composition coexistantes : la composition proprement dite et la composition improprement dite (Sengler 1883 : 221).

Les mots composés improprement dits sont ceux qui sont composés par la simple juxtaposition de leurs éléments, unis seulement par le trait d’union, comme chef d’œuvre, porte-clefs, arc-en-ciel, aigre-doux […].

2° Dans les mots composés proprement dits, les éléments qui se sont fondus ensemble, ont généralement subi quelque changement, comme gendarme, maudire (mal dire). Les mots composés par juxtaposition n’éprouvent pas ces changements : arc-en-ciel. (Sengler 1883 : 221)

(4) Proche de la précédente, la quatrième tendance que nous avions identifiée consistait à regarder plus simplement la juxtaposition comme un sous-procédé de la composition, sans en faire pour autant un procédé distinct de cette dernière (Van Eys 1879, Meyer-Lübke & al. 1895). À cet égard, la quatrième organisation pointée différait fortement de la cinquième et dernière façon d’articuler les juxtaposition et composition que nous avions relevée (5) et qui se caractérisait, elle, par la reconnaissance explicite de deux procédés bien distincts. Mais l’originalité de cette dernière tendance fut surtout d’associer, pour la première fois sans doute dans l’histoire de la grammaire, les notions de juxtaposition à celles de subordination et coordination voire d’apposition, même si la réunion s’est alors effectuée dans une perspective plus morphologique que syntaxique (Darmesteter 1874, Etienne 1895).105

• les « juxtaposés de coordination » (i. e. coffre-fort) (Darmesteter 1874 : 21),

104 Selon cette définition, le mot cerf-volant relèverait de la composition tandis que le nom complexe porte-drapeau illustrerait une juxtaposition.

105 Nous avions noté, pour terminer, que les acceptions (1) et (2) avaient été l’apanage de la période 1850-1875 tandis que les options (3), (4) et (5) avaient largement occupé le devant de la scène entre les années 1875 et 1900.

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• les « juxtaposés de coordination avec synecdoque » (i. e. blanc-bec) (ibid. : 32), • les « juxtaposés de subordination » (i. e. chef-d’œuvre, arc-en-ciel) (ibid. : 43),

• et enfin, les « juxtaposés de subordination avec métaphore » (i. e. pied-d’alouette, cul-de-sac) (ibid. : 54)

C’est donc dans le domaine de la morphologie que la juxtaposition a fait ses premières armes. Elle n’est pourtant plus connue à ce jour qu’au titre de notion de syntaxe ([a], [26]), et rares sont les linguistes qui inscrivent encore aujourd’hui la juxtaposition dans sa discipline originelle. L’on pourrait toutefois citer le nom de Picone (1996), qui