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Réactivation de la plasticité visuelle chez la souris adulte

2. La plasticité neuronale dans le système visuel chez la souris

2.1. Plasticité neuronale dépendante de l’expérience visuelle

2.1.2. Réactivation de la plasticité visuelle chez la souris adulte

2.1.2.1. La plasticité de la dominance oculaire chez l’adulte

Pendant longtemps, la plasticité visuelle a été considérée comme figée à la fin de la période critique. Chez la souris, la plasticité de la dominance oculaire chez l’adulte est un processus plus lent et moins important par rapport à la période critique (Hofer et al., 2006b; Lehmann and Lowel, 2008; Sato and Stryker, 2008). En effet, plusieurs études ont montré que le changement de dominance oculaire peut être induit chez des souris adultes en réalisant une période de privation monoculaire plus longue. Ces résultats suggèrent ainsi que la plasticité n'est pas absente chez l’adulte mais qu’elle nécessite un stimulus plus important ou plus durable pour être induite (Frenkel and Bear, 2004; Prusky et al., 2000; Sato and Stryker, 2008; Sawtell et al., 2003).

Alors que pendant la période critique, chez le juvénile, une privation monoculaire va conduire à une diminution rapide de réponse de l’œil privé suivie d'une augmentation retardée de réponse de l'œil ouvert, chez l’adulte les mécanismes de la plasticité de la dominance oculaire

sont différents (Frenkel and Bear, 2004; Mrsic-Flogel et al., 2007). En effet, chez l'adulte, le changement de dominance oculaire induit par la privation monoculaire va entraîner principalement une augmentation de réponse de l'œil ouvert avec seulement une faible diminution transitoire de réponse de l’œil privé (Hofer et al., 2006b; Sato and Stryker, 2008; Sawtell et al., 2003) (Figure 16).

Figure 16 : Réactivation de la plasticité visuelle chez la souris adulte.

A. Représentation schématique de l’enregistrement de potentiels évoqués visuels dans le

cortex binoculaire. À P30, après privation monoculaire, la réduction de la réponse de l’œil controlatéral est associée à une légère augmentation de la réponse de l’œil ipsilatéral resté ouvert. À P180, une forte augmentation de la réponse de l’œil resté ouvert après privation monoculaire est enregistrée. Aucun changement n’est observé pour l’œil privé.

B. Une augmentation de l’acuité visuelle de l’œil resté ouvert chez le jeune adulte est aussi

observée chez la souris âgée même si celle-ci reste plus faible. (Adapté de (Jenks et al., 2017; Lehmann and Lowel, 2008)).

Il est intéressant de noter qu’une privation monoculaire commencée avant la période critique ou après la période critique entraîne une réduction permanente de l'acuité visuelle et de la vision binoculaire. En revanche, les effets d’une privation monoculaire sur le long terme chez l’adulte sont réversibles (Prusky and Douglas, 2003; Prusky et al., 2000). Ainsi, chez des souris ayant subi une privation monoculaire supérieure à 10 jours pendant la période critique, le changement d'acuité visuelle peut encore être observé 40 jours après la réouverture de l'œil. Au contraire, chez l’adulte, après 18 jours de privation monoculaire, la vision binoculaire se trouve être complètement restaurée 20 jours après la réouverture de l'œil (Prusky and Douglas, 2003). Par ailleurs, alors qu’une privation monoculaire réalisée pendant la période

critique entraîne une réduction de la densité des épines dendritiques apicales au niveau des neurones pyramidaux, ce phénomène n’est pas observé chez les souris adultes (Mataga et al., 2004). Il semble qu’une des clés pour restaurer la plasticité oculaire chez l’adulte soit la réduction de l’inhibition corticale qui, pour rappel, est importante en fin de période critique. Effectivement, en utilisant l'imagerie à deux photons in vivo, une privation monoculaire chez l’adulte réduit la longueur des épines dendritiques au niveau des interneurones (Chen et al., 2011) et diminue les synapses inhibitrices avec des épines stables dans le cortex visuel primaire binoculaire (van Versendaal et al., 2012).

2.1.2.2. Mécanismes impliqués dans la plasticité oculaire chez l’adulte

Comme cela a été mentionné, la fermeture de la période critique est fortement liée à l’augmentation de la transmission gabaergique au niveau cortical. La réduction de l’inhibition gabaergique dans le cortex visuel pourrait modifier au niveau cortical l’équilibre entre les mécanismes d’excitation et d’inhibition (Hubener and Bonhoeffer, 2014). Aussi, un traitement à la fluoxétine, un inhibiteur de recapture de la sérotonine, induit une augmentation de la plasticité de la dominance oculaire chez le rat adulte mais cet effet peut être aboli par infusion corticale de diazépam, un benzodiazépine qui favorise l’ouverture du canal Cl- par le GABA (Greifzu et al., 2014; Maya Vetencourt et al., 2008; Maya Vetencourt et al., 2011; Stodieck et al., 2014). De façon intéressante, une administration chronique de diazépam permet aussi de rétablir une vision binoculaire chez des souris adultes atteintes d’amblyopie (Maya Vetencourt et al., 2008). Ces résultats suggèrent que la réduction de l'inhibition corticale exerce un rôle central dans la restauration de la plasticité visuelle chez l'adulte. Une étude réalisée chez de jeunes souris adultes ayant eu une transplantation des neurones inhibiteurs embryonnaires immatures dans le cortex visuel a démontré qu'une période critique « artificielle » pouvait être réinstaurée même après sa fermeture (Southwell et al., 2010). Plus récemment, des chercheurs ont déterminé qu’une injection d’interneurones embryonnaires dérivés de l'éminence ganglionnaire médiale (spécifique des interneurones parvalbuminergiques) dans le cortex visuel de souris mâles adultes (>110 jours) entraîne une forte amélioration de la plasticité de la dominance oculaire (Isstas et al., 2017). Cette année, une autre équipe a démontré que l'activation des interneurones corticaux somatostatines par

Lypd6, un modulateur endogène des récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine, améliore la plasticité dépendante de l'expérience chez la souris adulte (Sadahiro et al., 2020). Enfin, l'activation spécifique de TrkB (récepteur pour le BDNF), dans les interneurones paravalbuminergiques est capable de faire passer les réseaux corticaux adultes dans un état de plasticité élevée en quelques minutes. L'activation de TrkB réduit les propriétés d’activation des interneurones paravalbuminergiques et entraîne une réduction du réseau périneuronal alentour. Ces résultats montrent ainsi que l'activité TrkB au sein des interneurones paravalbuminergiques est essentielle pour la plasticité corticale visuelle adulte (Winkel et al., 2020).

Arc, dont l’expression dépend de l’activité neuronale, est un acteur essentiel de la plasticité de la dominance oculaire au niveau du cortex binoculaire chez le jeune mais aussi chez l’adulte (Jenks et al., 2017; McCurry et al., 2010). L'induction de l'expression d’Arc diminue après la fin de la période critique. L’augmentation par vecteur viral de l'expression d’Arc dans le cortex visuel adulte permet de restaurer une plasticité de la dominance oculaire chez l’adulte similaire à celle du juvénile (Jenks et al., 2017).

De façon intéressante, la privation sensorielle non visuelle telle que la coupe de vibrisses ou la privation auditive chez des souris adultes peut entraîner des changements neuronaux compensatoires dans le cortex visuel. Ces changements s'accompagnent d'une amélioration de la plasticité visuelle (Teichert et al., 2018; Teichert et al., 2017). Ce type de plasticité est appelée « plasticité intermodale » (Bavelier and Neville, 2002; Lee and Whitt, 2015). Cependant, de manière inattendue, lorsque les chercheurs ont administré du diazépam (augmentation de l’inhibition gabaergique), la plasticité oculaire n'a pas été altérée (Teichert et al., 2018). Également, ils ont démontré que ce changement de plasticité est dépendant de l’activation de récepteurs au NMDA. En effet, l’administration d'un antagoniste des récepteurs NMDA, le CPP, abolit les changements de plasticité oculaire chez les souris adultes. Ces données soulignent ainsi le rôle important des récepteurs NMDA dans la plasticité oculaire chez l’adulte (Teichert et al., 2018).

Autres que des facteurs moléculaires, des facteurs externes peuvent également favoriser la plasticité oculaire chez la souris adulte tel que l’enrichissement de l’environnement.

2.1.2.3. Facteurs favorisant la plasticité oculaire chez l’adulte

Il existe plusieurs facteurs permettant d’influencer la plasticité oculaire dépendante de l’expérience visuelle chez la souris adulte. Le maintien à l’obscurité va restaurer la plasticité de la dominance oculaire chez la souris adulte et la souris âgée. L’exposition à l’obscurité avant une privation monoculaire réduit le nombre d’interneurones parvalbuminergiques et le réseau périneuronal présent dans le cortex visuel adulte et facilite la plasticité oculaire. Cette restauration de la plasticité peut être empêchée si l’inhibition corticale est augmentée (He et al., 2006; Stodieck et al., 2014). Une brève privation monoculaire (3 jours) est insuffisante pour induire un changement de plasticité oculaire chez la souris adulte. En revanche, cela est suffisant pour induire un fort changement de plasticité oculaire chez des animaux qui ont précédemment eu une privation monoculaire (Hofer et al., 2006b). L’environnement social peut influencer les mécanismes de plasticité neuronaux. En effet, des souris adultes hébergées avec des congénères pendant la période de privation monoculaire présentent une plus forte plasticité oculaire par rapport à des souris hébergées individuellement (Balog et al., 2014).

Chez les rongeurs, l'enrichissement de l’environnement modifie l'expression des molécules de signalisation clés impliquées dans la régulation de l'excitabilité neuronale et de la plasticité cérébrale. Un enrichissement de l’environnement est associé à une augmentation des niveaux de BDNF, de sérotonine et à une réduction de l'inhibition GABAergique et du réseau périneuronal (Baroncelli et al., 2010; Cancedda et al., 2004; Greifzu et al., 2014; Sale et al., 2007; Sale et al., 2004). De plus, l'enrichissement prolonge et restaure la plasticité de la dominance oculaire dans le cortex visuel chez l’animal adulte (Baroncelli et al., 2010; Greifzu et al., 2016; Greifzu et al., 2014). De façon intéressante, chez des souris élevées dans des cages standards, après 7 jours de privation monoculaire, la plasticité de la dominance oculaire va être plus prononcée chez les jeunes pendant la période critique (P25 – P35), être réduite chez les jeunes adultes et non détectable chez les animaux âgés (Lehmann and Lowel, 2008). En revanche, des souris âgées élevées dans des cages avec un environnement enrichi ou transférées dans des cages avec un environnement enrichi présentent une plasticité oculaire plus élevée (Greifzu et al., 2016; Greifzu et al., 2014). Enfin, de manière surprenante, des souris adultes élevées dans des cages standards, nées de mères gestantes élevées en cage avec un environnement enrichi puis transférées dans une cage standard pour y mettre bas,

présentent après 7 jours de privation monoculaire une plasticité oculaire plus importante que des souris contrôles, dont les mères ont été maintenues dans des cages standards (Greifzu et al., 2014; Kalogeraki et al., 2019).