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Influence de Tau dans les mécanismes de la plasticité dépendante de l’expérience visuelle.

CHAPITRE 3 : Tau gene deletion does not influence axonal regeneration and retinal neuron

1. Retour sur les résultats et perspectives

1.2. Influence de Tau dans les mécanismes de la plasticité dépendante de l’expérience visuelle.

Le second objectif visait à déterminer l’influence de la protéine Tau dans la plasticité dépendante de l’expérience visuelle en utilisant le modèle de privation monoculaire. Nous avons pu établir que l’expression de Tau était modulée au cours de la maturation du système visuel. Nos résultats corrèlent avec des données obtenues par d’autres à partir de lysats de cerveaux entiers (Bullmann et al., 2009; McMillan et al., 2008; Takuma et al., 2003). De même, nous avons démontré que l’expression de Tau pouvait être modulée par l’expérience visuelle. Ces données suggèrent que l’expression des différentes isoformes de Tau pourrait participer aux mécanismes de plasticité visuelle chez la souris adulte. Nous avons démontré que Tau limitait la plasticité fonctionnelle visuelle étudiée avec l’OKR après privation monoculaire. Enfin, nous avons déterminé que l’influence de Tau dans la plasticité visuelle pourrait impliquer une régulation de l’activation de la kinase Erk1/2 et une régulation de la

dynamique du réseau microtubulaire. Cette étude a permis pour la première fois de caractériser le rôle de Tau comme facteur limitant dans un mécanisme de plasticité visuelle chez l’animal adulte (3-5 mois) et âgé (supérieur à 21 mois).

Encore une fois, l’utilisation de souris déficientes en Tau pourrait être remise en question du fait de l’existence de mécanismes de compensation entre protéines associées aux microtubules (Section 2 de la discussion).

La plasticité fonctionnelle visuelle évaluée avec le réflexe optocinétique dépend du cortex visuel. Cependant, les travaux du laboratoire du Dr Scanziani ont pu établir que les projections corticofuges des neurones de la couche 5 du cortex visuel jusqu’aux noyaux optiques accessoires peuvent être également impliquées dans le réflexe optocinétique (OKR) (Liu et al., 2016). Il serait intéressant de voir, par traçage antérograde de ces neurones de la couche 5, si Tau peut influencer l’intégrité de ces projections terminales sur les noyaux accessoires et expliquer cette augmentation dans la réponse à l’OKR que nous avant mis en

évidence dans ce chapitre. Comme il était mentionné dans la discussion du chapitre 2, nous avons observé une augmentation de l’expression de Tau 3R, isoforme de Tau associée aux mécanismes de croissance neuritique, au niveau de la couche 5 du cortex visuel de l’œil privé. Nous supposons qu’elle pourrait ainsi participer à l’augmentation de la compensation de l’acuité visuelle observée chez les souris WT. L’observation d’une modulation des isoformes de Tau dans le système visuel, notamment Tau 3R chez l’adulte, pourrait être intéressante et être envisagée comme approche expérimentale dans le cas de l’amblyopie sur lequel nous reviendrons ultérieurement.

Pour aller plus loin dans l’étude de l’influence des isoformes de Tau dans les mécanismes de plasticité visuelle, il pourrait être envisagé d’utiliser différents modèles de souris n’exprimant que les isoformes Tau 3R. Par exemple, le modèle T44mTauKO, récemment développé par le laboratoire du Dre Lee pourrait être utilisé pour les mêmes expériences de privation monoculaire (He et al., 2020). Dans ce modèle, les souris déficientes pour la Tau murine vont exprimer les 3 isoformes Tau 3R exclusivement. Un autre modèle de souris permettant d’exprimer seulement les isoformes Tau 3R grâce à l’absence de l’exon 10, les Tau-E10-KO, pourrait aussi être utilisé en comparaison (Gumucio et al., 2013).

Une des perspectives intéressantes de l’étude de Tau dans la plasticité visuelle serait de voir quelle pourrait être son influence dans les mécanismes de plasticité de la dominance oculaire chez l’adulte que nous avons présentés en introduction. Pour cela, en collaboration avec Julius Baya Mdzomba, nous avons réalisé des enregistrements de potentiels évoqués visuels (PEVs) dans le cortex binoculaire de souris adultes WT et Tau KO en condition contrôle (les deux yeux restés ouverts) ou en condition de privation monoculaire, un œil fermé pendant 5 jours). Nos expériences ont révélé que les amplitudes des PEVs après stimulation de l’œil ipsilatéral étaient significativement plus élevées chez les souris Tau KO par rapport aux WT (Figure 55 B, C). Par conséquent, le ratio C / I (influence de la réponse controlatérale sur l’ipsilatérale) et l'indice de dominance oculaire (IDO) chez les souris Tau KO était plus faible, suggérant une dominance oculaire plus faible en l'absence de la protéine Tau (Figure 55 E, F). L'augmentation de la réponse corticale après stimulation ipsilatérale, ainsi que le ratio C / I et les changements d'IDO ressemblent à celles de souris WT ayant eu une privation monoculaire (Figure 55 C, D). Cependant, ces réponses sont nettement distinctes de ce qui

peut être observé après la privation monoculaire chez des souris juvéniles. En effet, chez les souris juvéniles avec privation monoculaire, la plasticité de la dominance oculaire se caractérise par une réponse corticale plus faible de l’œil privé (controlatérale) et par une réponse accrue de l'œil resté ouvert en compensation (Frenkel and Bear, 2004).

Comme évoqué dans l’introduction, bien que limitée après la fin de la période critique, la plasticité de la dominance oculaire peut être restaurée chez l’animal adulte. Grâce aux enregistrements de PEVs, il a notamment été observé que l'influence de l'œil non privé se trouvait renforcée dans la zone binoculaire du cortex après privation monoculaire (Sato and Stryker, 2008; Tagawa et al., 2005).

Dans notre étude, le fait que la dominance oculaire soit comparable chez les souris Tau KO contrôles à celle des souris WT avec privation monoculaire et que les souris Tau KO ne présentent pas de plasticité de la dominance oculaire après induction d’une privation monoculaire suggère deux informations. La première serait que Tau contribuerait à maintenir la dominance oculaire controlatérale / ipsilatérale dans le cortex visuel des animaux adultes normaux. La seconde serait que la plasticité de la dominance oculaire après induction d’une privation monoculaire chez les animaux adultes dépendrait fortement de la modulation de Tau. Il est envisageable que chez les animaux non-privés, une réduction de l'IDO soit due à l'absence d’isoformes Tau 4R. En effet, dans des conditions normales, Tau 4R est la forme prédominante de Tau exprimée dans le cortex adulte chez la souris et il est plus enclin à stabiliser les microtubules et à maintenir le réseau axonal en place que Tau 3R. Par ailleurs, nous avons pu observer un niveau inférieur d’expression de tubuline-α acétylée dans les lysats de cortex des souris Tau KO. L'acétylation de la tubuline-α est importante pour le maintien de la stabilité des structures axonales et synaptiques (Eshun-Wilson et al., 2019). De plus, le manque d'acétylation de la tubuline-α chez la souris améliore le remodelage des microtubules et la ramification axonale (Dan et al., 2018). Sans expression de Tau, l'instabilité des microtubules pourrait ainsi faciliter le réarrangement des terminaisons axonales et conférer une plasticité au niveau du cortex visuel. Pour tester expérimentalement cette possibilité in vivo, des expériences de traçage de projections géniculo-corticales pourraient être réalisées. Cela pourrait permettre de voir si la suppression de Tau augmente le nombre de terminaisons axonales au niveau de la zone binoculaire expliquant ainsi

pourquoi les projections ipsilatérales induisent des réponses de PEVs plus fortes chez les animaux Tau KO par rapport aux WT.

Figure 55. La délétion de Tau empêche les changements d'activité corticale induits par privation monoculaire.

A. Schéma expérimental montrant les enregistrements de potentiels évoqués visuels (PEVs)

dans la couche IV de la zone binoculaire du cortex gauche (adapté de Allen Brain Atlas). Les PEVs ont été obtenus après une stimulation lumineuse des yeux gauche et droit, alternativement. Les enregistrements ont été effectués dans le cerveau de souris âgées de 3

mois sans privation ou après 5 jours de privation monoculaire (PM) (n = 7-9 souris par groupe).

B. Tracés représentatifs de PEVs enregistrés après stimulation de l’œil controlatéral et

ipsilatéral chez des souris WT et Tau KO. Contrairement aux souris WT, l’amplitude des PEVs ipsilatéraux n’est pas augmentée chez les souris Tau KO après PM.

C, D. Mesures des amplitudes de PEVs (Sawtell et al., 2003). En condition de contrôle,

l'amplitude ipsilatérale des PEVs était significativement plus élevée chez les Tau KO par rapport aux WT. Aucune différence n'a été observée dans l'amplitude des PEVS controlatéraux. La PM a entraîné une augmentation significative des amplitudes des PEVs ipsilatéraux chez les souris WT. L'amplitude des des PEVs ipsilatéraux et controlatéraux n’est pas modifiée par la PM chez les souris Tau KO.

E-F. Évaluation de la plasticité de la dominance oculaire dans le cerveau de souris adultes.

Les ratios des PEVs Contra / Ipsi (C / I) et l'indice de dominance oculaire (IDO) ont été calculés pour les souris WT et Tau KO, en conditions contrôle et de PM. Pour le calcul de l'IDO, la formule suivante a été utilisée : IDO = (C-I) / (C+I). Les ratios des PEVs C /I et les valeurs de l’IDO ont révélé une absence de changement de dominance oculaire chez les Tau KO après PM, par rapport aux animaux WT. Les données pour chaque analyse ont été présentées sous forme de moyennes ± S.E.M. Statistiques : ANOVA unidirectionnelle avec post-test PLSD de Fisher. NS : non significatif, *: p <0,05, **: p <0,01, ****: p <0,0001.

Tau est connue pour être partenaire synaptique de Fyn dans la présentation à la membrane et l’activation des récepteurs NMDA (Ittner et al., 2010; Pallas-Bazarra et al., 2019). Chez l’adulte, la plasticité de la dominance oculaire repose principalement sur un mécanisme de potentialisation à long terme des projections ipsilatérales de l’œil resté ouvert au niveau du cortex binoculaire (Hofer et al., 2006a; Sato and Stryker, 2008; Sawtell et al., 2003). Tau est connue pour être impliquée dans les mécanismes de potentialisation à long terme au niveau hippocampique comme la LTD ou la LTP (Ahmed et al., 2014; Biundo et al., 2018; Kimura et al., 2014). Il serait donc intéressant de comprendre, moléculairement et anatomiquement, comment dans le cortex visuel Tau pourrait influencer sur les mécanismes de plasticité de la dominance oculaire aussi bien pendant la période critique que pendant la réinstauration de la plasticité visuelle chez l’adulte.

Dans l’introduction, nous avons évoqué le fait que la plasticité de la dominance oculaire pouvait être restaurée chez la souris adulte en jouant sur la balance corticale excitation/inhibition. En effet, une réduction de l’inhibition GABAergique par traitement à au diazépam permet de restaurer la plasticité de la dominance oculaire chez l’adulte (Maya Vetencourt et al., 2008). De façon différente, l’augmentation d’Arc chez l’adulte permet de restaurer la plasticité visuelle telle qu’observée chez le juvénile (Jenks et al., 2017). Aussi,

en répétant les mêmes schémas expérimentaux chez les souris adultes WT et Tau KO avec ou sans privation monoculaire, il serait intéressant de réaliser des enregistrements électrophysiologiques de coupes de cortex visuel et d’étudier les mécanismes de potentialisation à long terme. Étudier le rôle de Tau dans cette balance excitation/inhibition en bloquant soit la signalisation gabaergique (avec de la picrotoxine, antagoniste des récepteurs GABA), soit la signalisation glutamatergique (avec de l’APV, antagoniste des récepteurs glutamatergiques) participerait à l’élucidation de ces mécanismes.

La plasticité des réponses corticales in vivo implique des changements dépendants de l'activité au niveau des synapses, mais la façon dont différentes formes de plasticité synaptique agissent ensemble pour créer des changements fonctionnels dans les neurones reste inconnue. Il a été préalablement démontré qu’Arc participait de façon directe au réarrangement synaptique lors d’induction de plasticité visuelle (El-Boustani et al., 2018; Jenks et al., 2017; McCurry et al., 2010). C’est pourquoi, en tant qu’acteur de la plasticité visuelle, il serait intéressant de voir de quelle façon Tau participe au réarrangement synaptique au niveau du cortex binoculaire en se concentrant sur l’étude du remodelage des épines dendritiques corticales interagissant avec les autres neurones du cortex visuel notamment les interneurones parvalbuminergiques. Pour cela, le recours à la microscopie bi- photonique structurelle in vivo avec du glutamate « uncagé » pourrait permettre de suivre en direct le remodellage des épines dendritiques au niveau des différentes couches du cortex visuel binoculaire (Naguchi et al., 2019).

Enfin, quand on étudie la plasticité de la dominance oculaire, on s’intéresse souvent aussi à l’amblyopie. L’amblyopie est une pathologie du système visuel altérant la vision binoculaire et touchant 2 à 4% de la population mondiale. La cause de l’amblyopie est une altération développementale dans les projections et ramifications des neurones de la rétine. Comme évoqué en introduction, l’amblyopie est difficilement corrigible chez l’adulte (Sengpiel, 2014). Restaurer la dominance oculaire chez la souris adulte semble être possible en jouant principalement sur deux paramètres : l’enrichissement de l’environnement (Sale et al., 2007) ou en réduisant l’inhibition corticale (Harauzov et al., 2010; Maya Vetencourt et al., 2008). Avec cette étude (chapitre 2), Tau apparaît comme pouvant être un régulateur de la plasticité fonctionnelle visuelle chez l’adulte. Dans le cas de l’amblyopie, il serait intéressant

d’effectuer une privation monoculaire chez la souris pendant la période critique entraînant une altération de la ségrégation visuelle et des troubles amblyopiques. Compte tenu des résultats que nous avons obtenus, il serait intéressant de voir chez des souris WT atteintes d’amblyopie si l’augmentation sélective de l’expression de Tau 3R ou Tau 4R pourrait être associée à un remodelage synaptique et une récupération de la dominance oculaire après induction d’une deuxième privation monoculaire à l’âge adulte. Cette modulation spécifique de l’expression de Tau 3R ou Tau 4R pourrait être faite seulement au niveau de la voie rétino- thalamique, thalamo-corticale avec l’utilisation de virus trans-synaptique injecté dans l’humeur vitrée de souris adulte plusieurs semaines avant la seconde privation monoculaire. Les résultats de cette expérience pourraient mettre alors l’emphase sur la régulation de Tau dans les traitements pour l’amblyopie chez l’adulte.

1.3. Influence de Tau dans la survie neuronale et la régénération axonale après