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2. La plasticité neuronale dans le système visuel chez la souris

2.1. Plasticité neuronale dépendante de l’expérience visuelle

2.1.1. Plasticité visuelle chez le juvénile

La période critique pour la plasticité de la dominance oculaire chez la souris commence vers le jour postnatal 19 (P19), atteint un pic autour de P28 et se termine rapidement après P32 (Gordon and Stryker, 1996). La plasticité de la dominance oculaire pendant la période

critique serait le reflet de 3 mécanismes séquentiels : 1/ après 1 à 3 jours de privation monoculaire, une forte réduction de la réponse de l'œil privé et un décalage de la dominance oculaire sont observés sans changement de la part de l’œil resté ouvert ; 2/ la privation monoculaire entraîne une forte augmentation de la réponse de l'œil ouvert ; 3/ la restauration de la vision binoculaire en ouvrant l'œil privé pendant la période critique induit un retour rapide des réponses des deux yeux à un niveau de base. Différents types cellulaires et facteurs impliqués dans la plasticité oculaire pendant la période critique ont été mis en évidence, cependant nous n’en décrirons que certains pertinents pour la compréhension de cette thèse (Frenkel and Bear, 2004; Kaneko et al., 2008; Mrsic-Flogel et al., 2007; Ranson et al., 2012; Sato and Stryker, 2008; Sur et al., 2013; Tropea et al., 2009).

Figure 15 : Représentation schématique des principaux mécanismes cellulaires et moléculaires qui interviennent dans la plasticité du cortex visuel.

Un neurone pyramidal (jaune) reçoit les influences d'un neurone GABAergique (bleu, à gauche) et d'une terminaison glutamatergique (rose, à droite). La composition et la densité des récepteurs GABA et glutamate modulent la plasticité corticale. Les facteurs de croissance (BDNF et IGF1) et les neuromodulateurs (sérotonine, acétylcholine et noradrénaline)

participent à la plasticité oculaire. Les modifications de l'afflux calcique sont suivies de cascades de signalisation qui incluent plusieurs protéines kinases (Erk, PKA, PI3K, αCamKII (non montrée)) et se terminent par l'activation de facteurs de transcription comme CREB. Les modifications synaptiques fonctionnelles sont couplées à un réarrangement structurel des dendrites et des épines. Au niveau extracellulaire, de nombreuses protéines telles que l’activateur du plasminogène tissulaire régulent la capacité de plasticité structurelle. Certains forment également des réseaux autour des neurones parvalbuminergiques inhibiteurs (réseau péri-neuronaux, PNN), qui semblent restreindre la plasticité. Enfin, les cellules gliales (astrocytes) contribuent à la plasticité corticale en modulant la transmission glutamatergique et en produisant des molécules liées à la plasticité telles que le TNFα. Abréviations : PNN, réseaux péri-neuronaux ; PSA, acide polysialique ; ECM, matrice extracellulaire ; IGFBP, protéines de liaison au facteur de croissance analogue à l'insuline ; CSPG, protéoglycanes chondroïtine-sulfate ; HDAC, histone désacétylase ; IEGs, gènes précoces immédiats ; CREB, protéine de liaison aux éléments sensible à l'AMPc ; tPA, activateur de plasminogène de type tissulaire ; TNFα, facteur de nécrose tumorale α ; PKA, protéine kinase A ; PKC, protéine kinase C ; PI3K, phosphatidylinositol 3-kinase ; Erk, kinase extracellulaire à régulation de signal ; tropC, troponine C ; CamKII, protéine kinase II dépendante du calcium / calmoduline ; BDNF, facteur neurotrophique dérivé du cerveau ; Igf1R, récepteur du facteur de croissance analogue à l'insuline 1 ; TrkB, récepteur tyrosine kinase B. (Adapté de (Tropea et al., 2009)).

La réduction des réponses de l’œil privé puis l’augmentation des réponses de l’œil resté ouvert sont le résultat de plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs, on retrouve les acteurs principaux de la balance excitatrice glutamatergique / inhibitrice gabaergique impliqués dans des mécanismes de plasticité à long terme tels que la potentialisation et la dépression. Au niveau glutamatergique, la composition des récepteurs NMDA va influencer la plasticité oculaire (Figure 15). En effet, des souris déficientes pour la sous-unité NR1 des récepteurs NMDA ne présentent pas de plasticité de la dominance oculaire (Sawtell et al., 2003). Par ailleurs, les sous-unités NR2A et NR2B peuvent influencer la plasticité. Le ratio NR2A / NR2B joue un rôle important dans la plasticité visuelle et celui-ci diminue au cours du vieillissement et est associé à une réduction de la plasticité oculaire (Quinlan et al., 1999). Aussi, des souris maintenues en condition d’obscurité depuis leur naissance présentent un faible ratio NR2A / NR2B et vont présenter une plasticité oculaire à l’âge adulte en sortie d’obscurité (Chen and Bear, 2007; He et al., 2006). Une altération fonctionnelle des récepteurs NMDA (par approche génétique ou en utilisant un antagoniste des récepteurs) empêche le développement de plasticité oculaire dépendante de l’expérience (Rodriguez et al., 2019). Associées aux récepteurs NMDA, la signalisation calcique agit sur différentes voies impliquées dans la plasticité de la dominance oculaire. Parmi les voies de signalisation

importantes qui vont être activées, on retrouve différentes protéines kinases impliquées dans la transmission synaptique, l’excitabilité neuronale, la morphologie neuronale. Parmi elles, deux des plus importantes sont l’αCaMKII et Erk (Figure 15). Des souris mutantes pour l’αCaMKII présentent une altération dans la plasticité de la dominance oculaire (Taha et al., 2002). Par ailleurs, l'administration intracorticale d’inhibiteur de la voie de signalisation Erk à des rats ayant eu une privation monoculaire empêche la plasticité de la dominance oculaire (Di Cristo et al., 2001). Arc, un immediate early gene, est un médiateur potentiel de la plasticité neuronale (Figure 15). La synthèse d’Arc dépend des récepteurs glutamatergiques (Steward and Worley, 2001a, b). Chez des souris déficientes pour Arc, bien qu’une dominance oculaire soit présente, la plasticité oculaire n’a pas lieu (McCurry et al., 2010). Au niveau gabaergique, l’influence des interneurones corticaux, notamment les parvalbuminergiques qui représentent 40% de la population gabaergique, est déterminante pour le déroulement de la plasticité oculaire pendant la période critique (Butt et al., 2005; Rudy et al., 2011). En effet, une déficience en Otx2, protéine requise chez l’embryon pour la formation de la tête, bloque la maturation des neurones parvalbuminergiques et empêche l’initiation de la période critique (Sugiyama et al., 2008). Par ailleurs, après privation monoculaire chez des souris déficientes pour GAD65, une enzyme de synthèse du GABA, la plasticité oculaire est faible (Hensch et al., 1998). Inversement, l'activation de la sous-unité α1 du récepteur GABA peut permettre l’ouverture de la période critique plus précocement (Fagiolini et al., 2004).

De façon intéressante, le TNFα semble jouer un rôle important dans la plasticité oculaire (Stellwagen and Malenka, 2006). Ce facteur est lié à la plasticité homéostatique synaptique, mécanisme permettant aux neurones de maintenir leur activité face à des changements globaux d’activité neuronale (Turrigiano and Nelson, 2004). Chez des souris déficientes en TNFα, seule une diminution de la réponse de l’œil fermé est observée, l’augmentation de réponse de l’œil ouvert est quant à elle absente (Kaneko et al., 2008). De même, le blocage des récepteurs NMDA avec un antagoniste empêche l’augmentation des réponses de l’œil ouvert (Cho et al., 2009).

Enfin, le réseau périneuronal (PNN) participe à la fermeture de la période critique de la plasticité oculaire. Ce sont des structures matricielles extracellulaires composées de

protéoglycanes sulfate de chondroïtine (CSPG) apparaissant vers la fin de la période critique et s’assemblant notamment autour des interneurones parvalbuminergiques. Les PNNs sont impliqués dans la stabilisation des synapses en renforçant l’inhibition gabaergique et en limitant la plasticité oculaire après la période critique. Une dégradation du réseau de PNNs avec une protéase, la chondroitinase ABC, va réduire la transmission gabaergique et permettre de réactiver la plasticité oculaire chez l’adulte après une courte privation monoculaire chez le rat (Pizzorusso et al., 2002). L’augmentation de la transmission gabaergique est un élément clé dans la fermeture de la période critique. Aussi, un blocage de la transmission gabaergique soit par du MPA (un inhibiteur de la synthèse du GABA) ou de la picrotoxine (antagoniste des récepteurs GABA) permet de restaurer la plasticité oculaire après privation monoculaire chez l’adulte. On retrouve également les protéines associées à la myéline telles que Nogo-A et ses récepteurs limitant la plasticité oculaire (McGee et al., 2005). Après une privation monoculaire, des souris déficientes en Nogo-A adulte présentent une plasticité de la dominance oculaire restaurée (Guzik-Kornacka et al., 2016).