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III) Travail, chômage et (ré)insertion

2. Quid du chômage ?

Nous continuons de nous appuyer sur la démonstration de Cordonnier pour présenter également la théorie économiste sur le chômage. En effet, compte tenu de la théorie du travail expliquée ci-dessus, le marché de l’emploi devrait pouvoir se réguler naturellement et assurer le pplleeiinn eemmppllooi. Les i patrons calculent le volume horaire selon le prix des travailleurs sur le marché de l’emploi et continuent à recruter dans la mesure où la marge de profit dépasse le salaire horaire versé aux travailleurs. Ces derniers, quant à eux, calculent le salaire minimum pour lequel ils sacrifient des heures de loisirs mais ils ont tendance à vouloir gagner plus pour réduire les heures de travail et jouir de leur temps libre. Or, il y a beaucoup de travailleurs sur le marché de l’emploi, ce qui crée une concurrence entre ceux-ci. Cette concurrence permet d’établir un équilibre – ou le rétablir en cas de déséquilibre – car grâce à elle s’arrange le salaire idéal faisant en sorte que tout le monde soit gagnant. C’est cet équilibre qu’on appelle le plpleeiinn eemmppllooii ; une conception on ne peut plus libérale, basée sur la concurrence, mais qui occulte les influences et interdépendances du marché du travail avec les marchés des biens et services ainsi que les marchés financiers !

Ainsi, du point de vue libéral en matière d’emploi, le chômage résulte d’une perturbation du marché de l’emploi dont la cause revient souvent (Cordonner utilise le terme « poisse ») à la charge du salarié. L’existence également de systèmes de réglementation de salaires planchers du type SMIC constitue une grande entrave à cet équilibre : les personnes sans qualification, en particulier les jeunes, et les personnes âgées constituent une part de travailleurs à productivité inférieure au SMIC, c’est la raison pour laquelle ils sont dépréciés par les recruteurs…c’est le SMIC qui causerait leur

Chapitre : Travail, chômage et (ré)insertion carence, il faut augmenter le niveau de l’activité économique (la théorie keynésienne du chômage), ce que ne cessent de répéter les opposants à l’austérité pratiquée par la plupart des états européens suite aux dernières crises que nous vivons actuellement.

Notre but n’est pas de faire un chapitre détaillé sur les définitions et les différentes théories du chômage ; ce sujet, pour être mieux abordé, devrait faire à lui seul l’objet d’une recherche. Nous avons par contre présenté une partie des réflexions amenées par Laurent Cordonnier car nous les avons trouvées intéressantes et représentatives des discours qui entourent les questions du chômage dans le monde de la réinsertion professionnelle. En effet, les représentations concernant les chômeurs, véhiculées par la vision libérale, font de ces individus des « poltrons, roublards, paresseux, primesautiers ou méchants » (Cordonnier 2000, p.100). Cette image d’assistés profitant de la générosité de l’état providence est largement diffusée par les acteurs de la réinsertion, d’où les durcissements croissants des conditions liées aux assurances chômage. Comme réponse à ce type d’explications qui ne traitent pas la cause véritable du problème, nous citons un passage éloquent à ce sujet (Cordonnier 200, p.103) :

Car, le chômage – doit-on rire ou pleurer en rappelant cette banalité –, n’a pas toujours existé ! Au fil de l’histoire du capitalisme, les périodes de chômage ont alterné avec des périodes de (quasi) plein-emploi. À moins de considérer que la nature de l’homme ait varié au gré des cycles économiques (que des générations de salariés paresseux ont succédé par grappes entières à des générations de salariés bosseurs, et vice versa) […] »

Ainsi, l’esprit de l’humanité serait-il resté marqué inconsciemment par l’origine du mot chômer qui, étymologiquement, veut dire « dormir au soleil » ? L’exposé que nous avons fait autour de cette question vise à exprimer notre position vis-à-vis de celle-ci. En effet, nous ne partageons pas ni la conception libérale à propos du chômage, ni celle des acteurs de la réinsertion concernant les chômeurs. Notons au passage que ces derniers relayent souvent des positions d’ordre politique, dans une économie mondiale largement libérale. Et pour étayer notre position, qui n’est pas que militante, nous prenons appui sur notre base théorique.

Nous faisons appel ici à l’interaction incessante de l’acteur avec son environnement : nous considérons le chômeur comme un acteur qui a cessé d’être engagé dans une situation professionnelle, pour des raisons qui lui incombent, qui se rapportent à l’entreprise, ou à la société en général. Cette rupture d’engagement le fait basculer dans une nouvelle forme d’interaction écologique ; cette dernière s’effectue avec une situation de non-emploi/chômage. L’acteur/chômeur reste de toute manière engagé, seule la forme que prend l’engagement change et les raisons de changement sont inhérentes aux spécificités de la situation de manière globale et ne résident pas uniquement dans les traits de caractère du demandeur d’emploi. C’est là que nous nous demandons ce que les responsables de réinsertion mettent en place, dans l’environnement de ce dernier, pour que la situation d’absence d’emploi débouche sur un retour sur le marché de l’emploi ?

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Cela nous amène à présenter deux types de chômage distingués par la littérature traitant ce phénomène : il s’agit du chômage conjoncturel et le chômage structurel. En effet, une situation de plein emploi absolu est irréaliste, car il existe toujours une période de battement entre le moment de rupture du contrat de travail et celui de l’entrée dans un nouveau poste ; c’est ce qu’on appelle le c

chhôômmaaggee ffrriiccttiioonnnneell, qui est inévitable et survient même dans les périodes d’excellente conjoncture.

Il s’agit d’une sorte d’effet secondaire du mouvement sur le marché de l’emploi.

Par contre, en situation de crise et donc de mauvaise conjoncture, les taux du chômage explosent : les charges salariales sont souvent les plus importantes dans les dépenses des entreprises et celles-ci ont tendance à réduire leurs dépenses en périodes de crises, particulièrement en ayant recours aux licenciements (les plans sociaux), ceci quand elles ne déposent pas leur bilan. C’est le cas du chchôômmaaggee coconnjjoonnccttuurreell que nous connaissons actuellement suite aux crises mondiales qui se succèdent. Ce type de chômage est le résultat d’un environnement qui ne favorise pas la pérennité des travailleurs dans leur poste d’emploi pour des raisons qui dépassent leur pouvoir d’action. Le chchôômmaaggee ssttrruuccttuurreell, quant à lui, est le résultat d’une inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi, dont une raison principale et qui touche notre sujet est l’augmentation des exigences de qualifications par exemple. Il est intéressant de souligner que les travailleurs faiblement qualifiés, premiers boucs émissaires du chômage conjoncturel, se trouvent par la suite fortement touchés par le chômage structurel et n’arrivent pas, ou très difficilement, à sortir de cette situation. Une situation de non-emploi prolongé débouche sur une inadéquation des caractéristiques de cet acteur avec les exigences des situations nouvelles ou potentielles d’emploi, car il devient moins attractif pour un marché de l’emploi de plus en plus exigeant. Peut-on stipuler alors que les dispositifs de réinsertion constitueraient une situation intermédiaire relançant un mouvement qui débouche sur une embauche ?

3. … et la réinsertion ?

Qui dit réinsertion dit remise au sein d’une entité quelque chose qui en faisait partie et qui est actuellement en marge, non-insérée, à cette entité. En l’occurrence ici, en ce qui concerne notre sujet, il s’agit de réinsérer des chômeurs dans le marché de l’emploi, et par extension dans la société.

Alors s’agit-il de marginaux du marché du travail ? Des gens à l’écart de la société ?

Tout d’abord, pourquoi choisit-on le terme réinsertion ? Pourquoi pas intégration ? Inclusion ? Etc.

Dans un premier temps, il convient d’abord de séparer insérer et ré-insérer, le préfixe re/ré exprimant une répétition ou, comme dans le cas des demandeurs d’emploi, un retour à un état antérieur. En effet, l’insertion concerne les personnes sans expérience professionnelle préalable, arrivant sur le marché de l’emploi après une formation professionnelle initiale par exemple, comme c’est le cas des jeunes qui terminent leur apprentissage ou en tous cas leur parcours scolaire obligatoire. La réinsertion touche les personnes ayant déjà pratiqué une activité professionnelle, ayant perdu ou quitté leur emploi, et qui se trouvent en situation de recherche d’emploi. Le sujet de ce mémoire traite uniquement ce second profil, c’est-à-dire la réinsertion.

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À la suite de Dunand et Du Pasquier (2006, p.20), nous utiliserons le vocable intégration pour désigner les efforts fournis en vue d’aménager des postes adaptés ou de créer des ateliers protégés pour personnes en situation du handicap. Les termes insertion ou réinsertion concerneront les personnes dont les situations de travail ne demandent pas un aménagement particulier et dont la situation de difficulté est considérée comme temporaire, en l’occurrence la situation de chômage.

De plus, ces auteurs introduisent une seconde distinction entre les deux mots, sans pour autant expliquer l’origine de cette différence : insertion ferait plus référence à l’individu alors qu’intégration serait liée à la société. Si nous reprenons, comme nous l’avons annoncé, la distinction lexicale proposée par ces auteurs, conjuguée à la distinction individu/société, c’est que cela fait sens pour nous. En effet, les dispositifs de réinsertion sont souvent centrés sur la personne et ses caractéristiques psychosociales, dans le but de l’adapter au marché du travail. Par contre, quand il s’agit d’intégration, c’est la société qui s’adapte aux caractéristiques de la personne en situation de handicap ; emploi ou poste adapté en est l’illustration.

Insertion Intégration

L’individu doit se formater selon le moule pour trouver sa place

L’autre (la société)fait l’effort d’accueillir l’individu tel qu’il est

Figure 4 - Notre représentation de la différence insertion/intégration

Historiquement, en tous cas en Suisse, les mesure d’intégration ont précédé celles de la réinsertion : les premières entreprises sociales avaient créé des ateliers protégés pour personnes en situation du handicap, subventionnés par l’AI (Assurance Invalidité). C’est le cas de la plupart des ateliers des EPI.

Progressivement, avec l’augmentation constante du taux de chômage après les Trente Glorieuses, un glissement s’est opéré et est née une collaboration entre les offices cantonaux du chômage et les entreprises de réinsertion par l’économique pour encourager les mesures actives préconisées par la Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI).

Dunand et Du Pasquier constatent le risque de marginalisation, accompagné souvent d’un risque sanitaire surtout pour les populations avec un problème de dépendance (alcoolisme, toxicomanie), liés à la situation de chômage. Ces risques s’aggravent avec l’allongement de la durée du chômage – chômeurs de longue durée – créant ainsi un cercle vicieux : plus le chômage se prolonge, plus les risques deviennent réalité, et plus cette réalité s’aggrave plus le retour à l’emploi s’avère difficile…pour aboutir en fin de compte à une exclusion aux niveaux professionnel et social

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conjointement. Ceci explique alors l’enjeu de cohésion sociale qui préoccupe les instances politiques et qui a fait en sorte que les personnes sans emplois soient considérées comme des exclus, des personnes en « déliance » si l’on reprend le terme de Bolle de Bal (2005). Alors faut-il les « soigner » avant de les insérer professionnellement ou l’insertion sociale est-elle primordiale avant de les remettre sur le marché de l’emploi ?

Comme l’explique à juste titre Denis Castra (2003), on confond les causes et les effets. Selon l’auteur, les agents de réinsertion préconisent un travail presque thérapeutique sur la personne du demandeur d’emploi pour régler tous les problèmes qui l’empêchent de retrouver un travail, problèmes qui relèvent de la sphère psychosociale. Ainsi, on lui fait suivre des cours de remise à niveau, de motivation, de techniques de recherches d’emploi, etc. Le travail est capable de les faire renouer avec la société certes, mais ceci est condition de l’ordre des étapes : si on essaie de les faire renouer socialement avant de trouver un travail, c’est une perte de temps, d’énergie qui n’aboutit pas forcément sur un placement, pire, cela accentue encore l’exclusion et « l’inemployabilité » en prolongeant la durée du chômage, alors que l’inverse est tout à fait plausible et possible, car dans notre société actuelle, le travail est le lieu de socialisation par excellence, d’où l’expression si chère à Casta « travailler pour s’insérer ».

Les entreprises de réinsertion par l’économique constituent, à ce titre, une bonne alternative aux pratiques thérapeutiques qui ont marqué le champ de la réinsertion à ses débuts (Castra, 2003). En effet, par leur mode de fonctionnement basé sur la mise en activité des demandeurs d’emploi placés en leur sein par les offices de l’emploi, elles permettent d’un côté une revalorisation de la personne par rapport à son potentiel de production et une réassurance concernant leur « capital humain », leur « force de travail ». D’un autre côté, ces entreprises permettent de renouer des liens sociaux, de construire et développer des réseaux. Travailler leur donne l’occasion de s’insérer, même de manière temporaire (6 mois de stage de réinsertion), de garder le lien avec le monde du travail et la société en général. Sur un plan pratique, ces stages comptent comme une expérience professionnelle et ont été reconnus à Genève par exemple comme tel par l’Office pour la Formation Professionnelle et Continue (OFPC).

Selon le discours des responsables de réinsertion de ces entreprises4, celles-ci prennent généralement ceux dont le marché principal de l’emploi ne veut pas car ils sont considérés comme

« inemployables », les autres, employables, retrouveraient plus facilement et plus rapidement un travail. L’usage du terme « inemployable » est fort parce qu’il responsabilise les demandeurs d’emploi de leur situation : les causes de l’employabilité, ou son absence, seraient inhérentes à la personne et liées à des caractéristiques intrinsèques de celle-ci. Schématiquement, si on soigne les causes de ce dysfonctionnement, on obtiendrait d’autres effets plus favorables au retour à l’emploi.

4 D’après une interview que nous avons réalisée pour un travail de validation en bachelor en janvier 2010, auprès du responsable de réinsertion d’une association genevoise qui anime un programme de réinsertion pour demandeurs d’emploi en fin de droit : « [Ils] ne sont pas les plus faciles à placer, parce que ceux-là ils ont trouvé du boulot pendant les 18 mois où ils étaient au chômage et puis voilà, on accepte de prendre des gens peu qualifiés, des gens qui ne parlent pas forcément bien le français, etc. ».

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C’est ce qui explique une représentation de la formation d’adultes comme solution miracle pour combler les lacunes : on diagnostique les manques et on prescrit le remède-formation nécessaire.

Cependant, quand on est formateur adoptant une approche basée sur l’activité, on ne peut souscrire à cette conception qui, somme toute, ne fait qu’exalter la toute puissance de la formation et ses soldats-formateurs. Rappelons-le : le formateur analyste de l’activité est modeste car il sait que l’acteur est le moteur des couplages avec son environnement, qui le mèneraient ou pas au développement escompté. Il est conscient qu’il ne motive pas les individus, qu’il ne les développe pas, mais qu’il est capable par contre de mettre en place les éléments nécessaires en faisant le pari que motivation et développement se produisent.

Cela au niveau de la formation et du formateur. À un niveau plus politico-économico-sociétal, Dunand et Du Pasquier (2006, P.76) émettent le postulat des enenttrreepprriisseess ssocociiaalleess eett ssoolliiddaaiirreess (ESS), qui commence à se profiler dans l’environnement de l’action sociale en Suisse, un peu en retard en comparaison avec d’autres pays européens. Il s’agit d’entreprises qui adopteraient une visée économique et sociale en même temps, une sorte d’alternative à celles motivées uniquement par le gain pécuniaire et procédant ainsi à une sélection fine des travailleurs les plus rentables, et celles qui seraient versées uniquement dans l’action sociale pure sans enjeu économique qui valorise le travail des individus et qui est porteur de développement. Un autre changement est à prévoir, cette fois-ci au niveau politique : les offices de promotion de l’économie auprès des cantons peuvent jouer un rôle important en agissant sur la nature des postes à pourvoir.

En effet, les emplois les plus promus sont à forte valeur ajoutée, et partant sont exigeants en termes de qualification ; les statistiques montrent un franc recul des postes demandant peu ou pas de qualifications. Il est vrai que le niveau de qualification de la population active est en hausse constante depuis les années 90, mais une fraction de cette population reste peu qualifiée (environ 16%) et il serait politiquement correct de penser à faciliter l’insertion professionnelle de cette dernière. Par conséquent, il serait judicieux, si au niveau politique on tient à éviter l’exclusion, d’encourager une ouverture sur d’autres postes demandant moins de qualification. En d’autres termes, si l’insertion n’arrive pas à insérer tout le monde, l’intégration serait une alternative plus efficace.