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Comment former à ces situations ? Les principes de conception

VII) Le dispositif

3. Former à des situations clés ?

3.2. Comment former à ces situations ? Les principes de conception

Au moment de la conception initiale de la formation (décembre 2010), telle qu’elle est prodiguée actuellement au sein de l’atelier blanchisserie, nous avions déjà eu une bonne introduction à la théorie de l’activité dans le paysage de la formation d’adultes31 et nous ressentions certaines affinités avec ses présupposés. Cependant, il n’a pas été aisé pour nous d’imaginer un dispositif actualisant ces présupposés : un chainon nous manquait entre une nouvelle manière d’envisager la formation à une pratique professionnelle et la réalisation d’une formation concrète en harmonie avec les principes avancés par l’entrée activité. Grâce au présent travail de recherche, nous avons découvert une réponse enactive de conception, présentée par Marc Durand (2009a).

En effet, dans cet article de Durand, ce dernier expose quatre principes de conception de la formation :

[…]

a) prendre une pratique de référence pour cible de la formation b) perturber l’activité des formés pour la transformer

31 Cours de Marc Durand « L'apprentissage en formation des adultes », année académique 2010

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c) proscrire et non prescrire

d) séparer l’activité au sein des dispositifs de formation du travail quotidien […] (pp. 193-194)

Nous allons détailler individuellement ces principes du point de vue de l’enaction, tout en énonçant la manière dont nous envisageons de les opérationnaliser dans le contexte de la formation des nettoyeurs de textiles à la blanchisserie des EPI.

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a)) UUnnee pprraattiiqquuee ddee rrééfféérreennccee cciibbllee

La formation est finalisée par une pratique professionnelle cible au sein de laquelle nous souhaitons contribuer au développement des compétences des stagiaires : l’entretien des textiles ou la blanchisserie. Cependant, pour former à cette activité, il faut la connaitre et pour la connaitre, il est nécessaire de passer par une analyse de cette activité. Mais qu’analyse-t-on de cette activité ? Nous avons vu au chapitre théorique que l’activité représente une totalité dynamique, un flux fluctuant ; cela ne devrait pas en faciliter l’analyse ! C’est à cet endroit de la réflexion que nous réintroduisons le concept du couplage structurel. En effet, en identifiant des couplages typiques, nous pourrions modéliser une pratique afin de concevoir des environnements de formation visant l’acquisition et/ou le développement de stratégies pour rendre l’action plus efficace, plus pertinente. Deux sortes d’analyse de l’activité peuvent concourir à cet effet :

- analyse du travail des experts : identifier les couplages à favoriser dans les situations de formation destinées aux novices par exemple

- analyse de travail des novices : identifier les conduites à corriger ou à développer DaDannss llaa pprraattiiqquuee ::

Dans le contexte de l’atelier blanchisserie des EPI, en observant l’activité des novices (les stagiaires), nous avons remarqué, comme mentionné plus haut, une méconnaissance des fibres textiles et de leurs propriétés qui orientent la manière dont les vêtements vont être traités. Ils ont une légère intuition concernant les articles fins, sinon les autres articles se valent pour eux. Deux solutions se profilent : nous considérons cela comme une ignorance, une lacune à combler par une instruction savante (figure ci-dessous) ou nous cherchons dans l’activité des professionnels expérimentés quelque chose qui fait que ces derniers soient plus performants par rapport à la connaissance des textiles.

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Figure 21 - exemple d'explication théorique d'une fibre textile

En tant que formatrice adoptant l’entrée activité, nous avons choisi la deuxième option : nous avons réalisé une instruction au sosie32 auprès d’une professionnelle chevronnée pour découvrir ses stratégies de performance. En la questionnant sur la reconnaissance des textiles sur le poste de tri, cette dernière a mis l’accent sur une compétence doublement sensorielle la guidant lors du tri : « en touchant, en touchant le linge. En le voyant et en touchant le linge » (Instruction au sosie, ligne 44).

La viscose par exemple va donner au vêtement un aspect chatoyant et une souplesse au toucher qu’on ne retrouve pas dans les textiles à base de coton beaucoup plus résistants. On peut facilement confondre visuellement un pull en laine et un autre en acrylique, mais on peut les distinguer au toucher car la laine est plus flexible et douce que l’acrylique.

Ainsi, les couplages que nous devons favoriser chez les stagiaires lors de la formation à la reconnaissance des textiles sont d’ordre sensoriel. Nous pourrions faire des expériences visant à développer une sensibilité sensorielle chez les formés afin de déboucher sur des modélisations : ces expériences servent à construire un sens pour les apprenants, à dégager une signification, à

« comprendre les informations que véhiculent de telles perceptions » (Fillietaz 2007, p.28).

b)b) PPeerrttuurrbbeerr ppoouurr ttrraannssffoorrmmeerr

Concevoir des formations selon une approche enactive revient à la conception d’Espace d’Actions Encouragées (EAE). Il s’agit de procéder à des déclenchements de l’activité en la perturbant. Cette

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perturbation consiste à modifier l’environnement des formés en y plaçant des artefacts sensés provoquer une situation de gêne dans le but de les extraire du routinier, de leur « faire violence » en quelque sorte afin de les sortir d’une zone de confort, mais de manière contrôlée. Seulement, cela ne garantit pas l’apprentissage-développement escompté : il n’y a formation que quand les formés perçoivent et acceptent cette perturbation ; n’oublions pas que ce sont les acteurs eux-mêmes qui choisissent ou pas de déclencher les couplages.

Nous pouvons relier ce que nous venons d’exposer au principe piagétien du ccoonnfflliitt cocoggnniittiiff comme déclencheur de l’apprentissage. En effet, selon Piaget, quand un individu se trouve dans une

« situation de gêne », c’est-à-dire quand il est face à une situation de nouveauté pour laquelle il ne dispose pas de structure cognitive préalable pour la traiter, cet individu vit alors unun dédéssééqquuiilliibbrree qui remet en question sa structure cognitive. Plusieurs choix s’offrent à lui pour retrouver une situation d

d’’ééqquuiilliibbrree, choix qui sont déterminants pour l’apprentissage : il peut ignorer l’information perturbante, il peut essayer de la changer de manière à ce qu’elle soit compatible avec ses structures initiales ((ll’’aassssiimmiillaattiioonn), ou, et c’est là qu’il y a apprentissage, il décide d’adapter ses structures pour accueillir la source de perturbation (ll’’aaccccoommmmooddaattiioonn).

Enfin, l’aspect dynamique de l’activité fait que cette dernière est en perpétuelle transformation.

Cependant, il convient de distinguer deux types de transformations : il y a celles qui sont plutôt labiles et superficielles qui, en disparaissant, ne laissent pas de traces notables. Le second type de transformations peut être qualifié de « stable » et structural, marquant profondément l’activité ainsi que l’acteur lui-même. C’est ce type de transformations qui doivent être visées par la conception de la formation.

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Daannss llaa pprraattiiqquuee ::

Il s’agit à ce stade d’imaginer les artefacts avec lesquels nous allons garnir l’environnement de formation des stagiaires de manière à perturber leur activité. Dans le dispositif actuel, nous faisons très fréquemment usage de l’explication ainsi que la démonstration comme modalités artefactuelles, mais cela ne s’avère pas percutant en termes d’apprentissage. Les transformations que nous suscitons ne sont pas profondes et stables.

Pour le nouveau dispositif, nous mettrons en place des « laboratoires » expérimentaux où nous ferons manipuler des vêtements-tests ou vêtements-témoins aux formés. Nous pourrions par exemple découper plusieurs parties d’un pull en laine et leur faire subir différentes températures de lavages. Cela nous servira à mettre en place par la suite des séances de débriefing où nous pourrions comparer les résultats et en débattre afin de faire émerger des règles de traitement adéquat.

Nous pourrons également les induire volontairement en erreur, ce qui représente une perturbation de taille. Cette démarche permettra de rendre les stagiaires conscients des erreurs qui peuvent survenir, de leurs causes, de la manière de les éviter. De plus, comme il s’agit d’une perturbation contrôlée dans un environnement de formation où les conséquences des actions

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sont euphémisées, cela pourrait avoir un effet secondaire bénéfique sur leur rapport à l’erreur.

En effet, ce public considère l’erreur comme une défaillance qui leur renvoie une image négative d’eux-mêmes et n’y voient pas une occasion d’apprendre et de se développer.

c)c) PPrroossccrriirree vveerrssuuss pprreessccrriirree

Ce point est issu de la fameuse distinction présentée au chapitre théorique entre travail prescrit et travail réel. Notre lecteur se rappelle sûrement que, grâce à cette différenciation, on ne peut réduire le travail réellement effectué par les opérateurs aux différentes prescriptions qu’elles prennent la forme de cahiers des charges ou de modes d’emploi par exemple.

La formation, dans une perspective enactive, est également attentive à cette distinction. Le formateur doit influencer l’activité des formés certes, mais cela ne passe absolument pas par une prescription car ce dernier sait que seul l’acteur lui-même est capable de définir, dans son environnement, ce qui est significatif pour lui, les prescriptions y comprises. Cela voudrait-il dire que les formés « n’en font qu’à leur tête » ?

En tant qu’Espace d'Actions Encouragées, l’environnement de formation spécifie les actions encouragées, souhaitées, possibles, et celles découragées, indésirables, « impossibles ». De ce fait, l’environnement de formation n’est pas prescriptif mais normatif. L’EAE doit rester assez large pour favoriser l'hétérogénéité des couplages et la créativité des formés tout en continuant d’orienter l’activité de ces derniers.

Ce point implique deux réflexions au sujet du formateur :

1) une nécessité de modestie, non pas au niveau personnel mais en tant que principe et méthode de travail. Ce n’est plus le formateur tout puissant qui détermine l’activité des formés mais bien ces derniers qui décident de qui est significatif/pertinent pour eux.

2) le couplage a lieu également au niveau du formateur avec la situation de formation : il s’agit d’un continuel va-et-vient entre la conception, l’évaluation de l’impact de l’EAE, le retour à la conception, une nouvelle évaluation de la dernière modification de celle-ci, etc.

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Nous pourrons par exemple mettre à disposition des stagiaires plusieurs types de vêtements (un drap, une blouse de cuisinier et un pantalon) et leur interdire d’utiliser le même moyen de repassage pour deux articles, dans le but de leur faire découvrir l’utilité des autres moyens de repassage comme la calandre et le mannequin et apprendre à adapter leur choix au type d’article à mettre en forme.

d)d) LLaa ffoorrmmaattiioonn nn’’eesstt ppaass llee ttrraavvaaiill

Le travail est une activité et toute activité est certes, selon notre assiste théorique, porteuse d’un potentiel d’apprentissage-développement. Néanmoins, cela ne veut pas dire que les situations de

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travail sont des situations de formation même s’il s’y produit du développement. Inversement, les situations de formation ne débouchent pas forcément sur un apprentissage-développement.

En effet, la situation de formation porte l’l’iinntteennttiioonn du formateur de provoquer des transformations stables chez l’apprenant, en perturbant son activité en cours et en mettant en place, dans l’environnement de formation, des artefacts qui font que l’activité ne soit plus la même après l’épisode formatif.

Les EAE marquent une distance par rapport à l’activité cible. Cette distance, si elle est nécessaire pour qu’apprentissage se produise, elle ne doit pas être importante pour permettre la transposition des acquisitions (les couplages typicalisés) dans les situations de travail

Si le travail implique une activité réelle et une activité prescrite, l’activité dans les Espaces d’Activités Encouragées relève d’une autre nature : la fiction. Si la formation a pour objet l’activité professionnelle des formés en vue de développer une performance, la formation n’est pas le travail : le travail est ce qu’il y a de plus réel, tandis que l’apprentissage est une expérience fictionnelle où on fait « comme si » (Durand 2008, citant lui-même Shaeffer 1999).

En effet, l’environnement de formation invite à une « immersion mimétique » de par les degrés d’analogies avec l’environnement de l’activité cible, grâce à la présence de leurres qui peuvent pousser l’amplitude du simulacre à une limite où il s’avère difficile de distinguer le réel du fictif (les programmes de simulation informatiques par exemple). Ainsi, l’expérience d’apprentissage comporte une composante ludique, une feintise ludique qui fait que les formés, au même temps où ils sont en pleine immersion mimétique, ne prennent pas l’environnement de formation pour celui de l’activité cible, parce qu’ils sont conscients qu’ils « jouent » à faire « comme si » (Goudeaux, 2010). Comme pour toute activité ludique, il convient donc de préciser les règles du jeu et d’en définir l’espace-temps.

Enfin, à la lumière de ce que nous venons d’exposer, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur l’aménagement des situations de travail de manière à en faire des situations de formation, comme c’est préconisé par le workplace learning (Billet) par exemple. Les fondements théoriques ne sont pas fondamentalement divergents certes, mais nous soutenons cette séparation entre formation et travail par qu’elle permet d’« euphémiser » les conséquences des actions des formés, donnant lieu ainsi à une plus grande créativité de la part de ces derniers, moins soucieux de faire des erreurs dans un environnement de formation que dans celui du travail.

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Dans notre pratique actuelle, nous procédons déjà à cette séparation entre les deux environnements en annonçant explicitement les séquences de formation. Nous pourrions par exemple imaginer des modalités ludiques comme faire des tests de toucher les yeux bandés, des exercices où il faut trouver l’intrus, les simulations avec les vêtements-témoins susmentionnés, etc.

Un exemple concret est celui de la stagiaire en formation pratique, placée à l’atelier par l’Unité évaluation et préformation des jeunes aux EPI. Après une année de formation à l’atelier blanchisserie

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