• Aucun résultat trouvé

Conclusion de la première partie

Partie 2. De l’eau potable pour Versailles (1854-1894)

2.3. Les conséquences de la pollution de la Seine : entre crises et solutions

2.3.2. Un questionnement sur le meilleur mode de gestion : privée ou publique ?

Les problèmes de quantités et de la qualité de l’eau, des dépenses liées aux installations, à leur fonctionnement et aux travaux sur le réseau conduisent à une enquête de 1896 relative à la cession du service par l’Etat. Trois solutions sont abordées dans le rapport :

1. statu quo,

2. cession à la ville de Versailles ou au département,

3. cession à une société privée, à savoir la Compagnie Générale des Eaux, soutenue par l’Etat (la Société était un régisseur du service des eaux de la capitale et alimentait plusieurs communes de sa banlieue).

La ville de Paris, suite à la réforme territoriale de 1860, a racheté à la Compagnie Générale des Eaux les concessions et les équipements sur les territoires annexés et a fait d’elle son régisseur intéressé. En 1869, la capitale laisse la liberté à la Compagnie dans les communes de banlieue, où celle-ci pouvait non seulement exploiter le service, comme c’était le cas pour Paris, mais aussi équiper les communes (Claude, 2006, pp. 93-94). Ainsi, voit-on que les préférences de la capitale vont pour le contrôle public de son eau. En revanche, les communes de banlieue dont les intérêts et les situations différaient largement, peinent à se regrouper et à peser dans les négociations avec les compagnies privées.

Dans le cas de la ville de Versailles, il est assez fréquent de voir dans les délibérations du conseil municipal des plaintes dénonçant le mauvais service, les quantités d’eau insuffisantes, le prix trop élevé et l’impossibilité de quelconques modifications : « les besoins de la ville, les plus urgents, ne sont pas satisfaits » (Fontaine, 1865). Les conseilleurs municipaux accusent le service relevant directement de l’Etat et possédant « le monopole de l’administration et de la distribution des eaux potables », ce fait conduit à ce que la municipalité se trouve « sans autorité sur le personnel, sans droit pour prendre les mesures », elle est obligée de s’adresser aux fonctionnaires chargés de la direction pour les « prier » d’agir et leur indique les moyens, le plus souvent sans résultats (Délibération du conseil municipal de Versailles, 1875).

Le souhait de cession est souvent évoquée par les acteurs concernés, que ce soient les municipalités ou l’Etat, ne souhaitant pas être une entreprise de fourniture d’eau : des pourparlers de cession sont engagés successivement en 1802, 1854, 1860, 1871, 1879, 1892,

1894, 1896, 1997, 1900 avec des compagnies privées ou des collectivités, mais ils n’ont jamais abouti. Trouver le compromis entre les acteurs concernés est une tâche difficile.

En 1896, la municipalité de Versailles réclame le statu quo ou, au pire, la concession pour elle-même, protestant contre la mainmise par une société quelconque « plus préoccupée des intérêts de ses actionnaires que de donner satisfaction à ses abonnés, même aux dépens de la salubrité publique » (Service des eaux de Versailles, Marly, Meudon et Saint-Cloud, 1892). Mais on voit mal comment une ville avec son propre budget pouvait investir et entretenir un réseau traversant le territoire de multiples communes et ceci sur des distances importantes. La syndicalisation difficile des communes de banlieue parisienne ne pouvait pas servir d’exemple à suivre.

L’enquête de l’inspecteur des Finances sur le fonctionnement du service des eaux de Versailles a servi de base à l’étude des conditions de cession du service par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts106

. Le rapport du 30 novembre 1896 indiquait que l’Etat, en cas de cession, préservait de multiples avantages : l’alimentation assurée des domaines (Versailles, Saint-Cloud et Meudon) et des services ministériels (de la Guerre), la qualité et la gratuité de l’eau pour les domaines et les ministères, les prix fixes pour les services départementaux, communaux et aux particuliers, la conservation du système hydraulique des étangs et des sources pour les domaines nationaux et la cession des eaux de la nappe et de la machine de Marly pour alimenter les communes exclusivement en eau des nappes. Une clause spéciale sur la qualité stipulait : « toutes dispositions devront être conservées ou prises pour que dans aucun cas les eaux élevées par la machine de Marly ne puissent être mises en communication ou contact avec des eaux de toute autre nature. Les eaux de la nappe de la craie devront seules être admises, à l’exclusion de celles des nappes supérieures »107.

Les dépenses d’entretien incomberaient à la société qui devrait rembourser des avances faites par des concessionnaires pour l’établissement de canalisations (selon les évaluations, une somme de 90 000 F pour la seule section de Meudon). La nouvelle société entretiendrait les souches d’incendie sur les canalisations extérieures aux domaines nationaux

106 AD 78 2Q non coté 5, rapport de l’inspecteur principal sur le projet de cession du Domaine des Eaux, le 30

novembre 1896.

pour la protection des dits bâtiments, et payerait à l’Etat une redevance permettant d’ouvrir au budget les crédits d’entretien du système hydraulique intérieur, restant affectés au domaine.

En ce qui concerne les tarifs, en raison de l’abaissement des prix après l’achèvement des travaux sur la machine de Marly et en tenant compte des frais d’amortissement, pour les services municipaux le prix de vente ne pourra excéder 0,15 F/m3, ce prix étant également applicable comme maximum aux services publics départementaux. Pour l’usage privé, le tarif établi en 1886 devra être considéré comme un tarif maximum (80 F/m3 pour les concessions annuelles, soit environ 0,20 F un m3).

Toutes ces conditions étaient difficiles à accepter pour une société privée. De son côté, la ville de Versailles a institué sa propre commission des eaux et a demandé l’avis de Wickersheimer, ingénieur en chef des Mines. Son rapport, rendu en 1898, concluait que le projet de concession pour trente ans serait désavantageux pour Versailles en raison des exigences « trop grandes » de l’Etat :

 Au point de vue du rendement, la cession à bail ne permet pas les améliorations que le service exige, puisqu’il ne donnerait pas à la ville les capitaux nécessaires pour les travaux (la redevance de 130 000 F/an est élevée pour la ville) ;

 L’Etat est intéressé à vendre son service à la ville, parce que l’organisation administrative du ministère de l’Instruction publique se prête mal à sa gestion et parce que l’Etat serait obligé d’emprunter les sommes nécessaires aux travaux de réfection (1 300 000 F), ou, plutôt, il chargerait le budget des Beaux-Arts d’une dépense de 200 000 F pendant six ou sept ans, mesure qui soulèverait des difficultés ;

 Un paiement de 4 580 000 F par la ville de Versailles pour prix d’achat total du service est onéreux, entendu qu’elle consacrera une somme maxima de 1 300 000 F aux travaux de réfection en supposant un revenu net annuel de 300 000 F. Ce revenu ne sera atteint que dans quelques années (Wickersheimer, 1898, pp. 65-66).

Le compromis n’étant pas trouvé, le service reste étatique. Comme on peut le lire dans les rapports des années 1920, la concession du service « ne pourrait avoir lieu qu’au détriment de l’Etat. En effet, dans les recettes il n’est jamais fait état de l’eau fournie gratuitement aux différents services de l’Administration des Beaux-Arts, entre autres aux Palais et Jardins Nationaux de Seine-et-Oise, et qu’il faudrait nécessairement payer à la Compagnie concessionnaire. D’autre part, si la concession avait lieu, il faudrait s’attendre à un relèvement

très élevé des tarifs, ce qui serait onéreux non seulement pour la population desservie, mais grèverait encore le budget de l’Etat, puisque tous les établissements publics qui bénéficient d’un tarif réduit, verraient ce tarif augmenter proportionnellement à celui des particuliers. Ce relèvement serait inévitable, car, si l’Etat peut se contenter de l’équilibre budgétaire, il n’en serait pas de même pour une Compagnie qui voudrait retirer des bénéfices de sa gestion et amortir le capital considérable que représenterait son acquisition. Il faut signaler d’ailleurs qu’aucune Compagnie n’a sollicité la concession ou la gestion de ce Service »108

.

Pendant certaines périodes, notamment en raison de l’installation des nouvelles machines modernisant la machine de Marly, certaines parties du service ont été concédées à des compagnies privées, mais rachetées ensuite par le service des eaux de l’Etat pour garantir l’unité du service. Cela sera le cas des nouvelles pompes construites en 1910 par la Compagnie Hersent et rachetées par l’Etat en 1930.

L’importance de la distribution aux services de l’Etat a fait que la situation reste en statut quo jusqu’au 1er

janvier 1980 : « C’est donc ainsi que le Service des Eaux et Fontaines de Versailles, Marly et Saint-Cloud, desservant par un réseau étendu, les habitants de la ville et de quelques cités voisines, a servi courageusement ses abonnés avec des moyens très précaires, pendant près de deux siècles, jusqu’au 31 décembre 1979109

» (Mangerel, 1983, p. 423).

En résumé, d’un côté, la gestion du service des eaux par l’Etat, à travers le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, est préférable à la gestion par les compagnies privées, ces dernières étant considérées comme poursuivant leurs propres intérêts et contre lesquelles les communes ne faisaient pas poids. De l’autre côté, la gestion municipale des services des eaux était tout autant compromis car les maires étaient souvent considérés peu expérimentés dans les questions d’hygiène.

108 AN F/8/205, Note sur le service des eaux de Versailles, 1920.

109 En 1980, le service historique des eaux et fontaines est scindé en deux entités : le service des fontaines de

Versailles et le service de l’eau. Le Syndicat Mixte pour la Gestion du Service des eaux de Versailles et Saint-Cloud (SMGSEVESC) est le maître d’ouvrage du service de production et de distribution de l’eau potable.