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Conclusion de la première partie

Partie 2. De l’eau potable pour Versailles (1854-1894)

2.1. Versailles, symbolique et particulière

2.1.3. L’Etat en tant qu’entreprise de fourniture de l’eau

Il n’existe pas d’études récentes sur l’histoire du service des eaux de Versailles. Pourtant, ce service constitue l’une des particularités de la ville et même de toute la région. Au XIXe siècle, la gestion de l’approvisionnement en eau incombait directement aux municipalités, compétence renforcée par la loi de 1884 sur l’organisation de la commune. Dans le cas de Versailles et d’un nombre des communes voisines, le service des eaux était géré par l’Etat.

Les contemporains décrivaient le service comme « unique en France, et peut-être en Europe, par son origine et par l’importance des travaux » (Armengaud, 1880), « très spécial, sans autre exemple sur le territoire national […] par tradition historique, un service de l’Etat, relevant directement du ministère de l’Education Nationale et des Beaux-Arts »45

, « le seul service exploité en France en régie directe par l’Etat » (Loriferne, 1963, p. 13). Le service « ne possède pas des installations d’importance comparable à celle de ses grands voisins, ni des réservoirs de 200 000 m3 comme la ville de Paris aux Lilas, ni une station de traitement d’eau de rivière agrandie et modernisée comme la Compagnie Générale des Eaux à Choisy-le-Roi, ni un captage d’envergure comme celui de la Société Lyonnaise des Eaux à Aubergenville. Mais le service des eaux de Versailles possède un caractère particulier qui est d’ailleurs un titre de noblesse, c’est de remonter à Louis XIV » (Loriferne, 1963).

Unique et spécial, ce service vaut quelques commentaires sur son organisation administrative et territoriale, ainsi que son fonctionnement. Le service des eaux de Versailles, Marly, Meudon et Saint-Cloud, telle est sa dénomination officielle, a été créé par le roi pour ses quatre résidences : Versailles, Marly, Meudon, Saint-Cloud et Sèvres, lesquelles n’ont pas de traités avec l’Etat, à la différence des autres communes qui, par la suite, contracteront avec le service de l’Etat pour être accordées à ce réseau.

45 AD 78 7M 88, surveillance des eaux susceptibles d’être consommées par les troupes, Versailles, le 11 avril

Figure 23. Les trente-trois communes approvisionnées par le service des eaux de Versailles, Marly, Meudon et Saint-Cloud (Imbeaux, 1903, p. 856). Vingt-quatre communes recevaient

de l’eau de deux provenances, de la Seine et des étangs ; neuf communes, soulignées en rouge, Chateaufort, Coignières, Clamart, Les Essarts-le-Roi, Guyancourt, Le Mesnil-Saint-Denis, Toussus, Vélizy et Villiers-le-Bacle, n’avaient qu’un droit de puisage dans les étangs.

Déclaré par la loi du 5 mai 1794 partie intégrante « imprescriptible et inaliénable » de l’Etat et inscrit sur la Liste civile46

, le service des eaux, après la Révolution, s’étend à plusieurs communes de Seine-et-Oise. En 1870, le service approvisionnait treize communes ; à la fin du siècle ce nombre passe à trente-trois, et à vingt-sept en 194047 (Figure 23). En

46 AD 78 2Q non coté 10, Commission pour l’étude des questions relatives à l’amélioration du service des eaux

de Versailles, Marly, etc. Pièces annexes, 1892. 47

Les communes de Saint-Cloud, Ville-d’Avray, la Celle-Saint-Cloud, Garches, Marnes et Sèvres ont été canalisées en 1859 et 1860. 32 communes approvisionnées par le service des eaux : Versailles, Marly, Meudon, Saint-Cloud, Le Chesnay, Rocquencourt, Buc, Toussus, Villiers-le-Bâcle, Châteaufort, Guyancourt, Saint-Cyr, Trappes, Le Mesnil-Saint-Denis, Coignières, Les Essarts-le-Roi, Bougival, Port-Marly, Louveciennes, Marly-le-Roi, Bailly, Noisy-le-Marly-le-Roi, La Celle-Saint-Cloud, Rueil, Vaucresson, Garches, Marnes, Ville-d’Avray, Sèvres, Viroflay, Clamart et Vélizy (Imbeaux, 1903, pp. 952-953). 27 communes desservies en 1940 : Versailles, Le Chesnay, Rocquencourt, Saint-Cyr, Trappes, Montigny-le-Bretonneux, Guyancourt, Buc, Les Loges-en-Josas, Velizy, Toussus-le-Noble, Marly-le-Roi, Bailly, Noisy-le-Roi, Louveciennes, La Celle-Saint-Cloud (zone est rattachée à la section de Saint-Cloud), Fourqueux, Mareil-Marly, Sèvres (en partie), Garches, Marnes-la-Coquette, Saint-Cloud, Vaucresson, Ville-d’Avray et Voisins-le-Bretonneux (rattaché à la section de Versailles).

1870, l’étendue de la canalisation est de 182 km, à la fin du siècle elle dépasse 250 km ; le nombre des abonnés est passé de 1 586 à plus de 3 60048.

L’ensemble du service est confié sous le Second Empire (1852-1870) au ministère de la Maison de l’Empereur et des Beaux-Arts (administration générale des domaines et forêts de la couronne) et sous la IIIe République (1870-1940) au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, direction des Bâtiments Civils. C’est donc l’Etat qui investit dans les travaux d’entretien et d’équipement. Le service n’avait pas de budget propre ; les redevances perçues et les recettes issues de la vente des eaux aux différents services municipaux et départementaux, mais aussi aux particuliers, propriétaires d’immeubles et industriels, allaient au ministère des Finances (pour se perdre dans « la masse du Trésor Public », le service était « réduit à la mendicité » (Mangerel, 1983, p. 423).

Deux inspections, divisées en cinq sections, ont été créées, la direction centrale se trouvant à Versailles, 1 bis rue Colbert (Tableau 32).

Tableau 32 : Organisation du service des eaux, 189249.

Service des eaux de Versailles, Marly, Meudon et Saint-Cloud

1re Inspection de Versailles 2e Inspection de Saint-Cloud, Marly et Meudon

Versailles intérieur Versailles extérieur Section de Marly Section de Saint-Cloud Section de Meudon Parcs/fontaines de Versailles-Trianon Sources régionales 3 villes : Versailles, Rocquencourt et Le Chesnay Conduites/réser voirs de distribution Etangs et rigoles au Sud-Ouest de Versailles Machine de Marly et réservoirs Sources régionales 5 villes : Louveciennes, Marly-le-Roi, Bailly, Noisy, partie de La Celle Saint-Cloud et ouvrages de défense de Parcs/fontaines de Saint-Cloud et de Villeneuve l’Etang 7 villes : Saint-Cloud, partie nord de Sèvres, partie de La Celle Saint-Cloud, Vaucresson, Garches, Marnes et Ville d’Avray Etangs de Ville Parcs/fontaines de Meudon Etangs et rigoles de la forêt de Meudon et des plateaux de Vélizy Machine hydraulique de Chalais Observatoire de physique, station de chimie

Ces 27 communes groupent une population de 150 000 habitants (AD 78 7M 88, Surveillance des Eaux susceptibles d’être consommées par les troupes, 1939-1940).

48 AN F/8/205, Alimentation de Versailles en eau, Journal officiel du 23 août 1894.

49 AD 78 2Q non coté 11, Commission pour l’étude des questions relatives à l’amélioration du service des eaux

Noisy-Marly Canalisations et atelier de réparation d’Avray et de la Garches, dérivations de Fausses-Reposes et de Villeneuve Sources régionales végétale et partie de la ville de Meudon Sources de la vallée de Chalais et les réservoirs de Bel Air et de Chalais Les directeurs et les inspecteurs étaient nommés par le ministre de l’Instruction publique. Un inspecteur, proposé par le directeur du service au choix du ministre, était placé à la tête de chaque section et accompagné par des sous-inspecteurs, chefs d’atelier, fontainiers, ouvriers et gardes des eaux.

Les directeurs du service étaient souvent des ingénieurs (Tableau 33). Par le décret du 19 juillet 1909 relatif à l’organisation et au recrutement du personnel du service des eaux, les fonctions de directeur sont confiées à l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département50, qui est aussi ingénieur hydraulique et qui gère en même temps les cours d’eau non domaniaux. On imagine que la charge de travail pour ces ingénieurs était assez importante.

Les ingénieurs ne se sont pas tous révélés efficaces aux commandes du service. Ainsi, Berthet a été nommé fin 1890, en pleine crise d’eau suite à une sècheresse. Il propose alors l’emploi de l’eau de Seine filtrée par le procédé Anderson (dépense de 600 000 F). Mais ses projets sont refusés par la commission ministérielle de 1892, dont le rapport du 3 mars 1893 indiquait qu’« il est acquis qu’aucun procédé d’épuration des eaux en grand n’est vraiment pratique »51. Il part en vacances en Asie fin avril 1894, quand les étangs sont à sec et quand la machine de Marly privée de l’eau de Seine n’élève que 3 000 m3/j d’eau souterraine52

.

Beaucoup de décisions importantes sont alors prises par les inspecteurs principaux du service : Maximilien Gavin, qui a travaillé au sein du service « sans un jour de congé ni de

50

AN F/21/2435, Décret du 19 juillet 1909 relatif à l’organisation générale, au recrutement, à l’avancement et à la discipline du personnel du service des eaux de Versailles et de Marly, p. 2.

51 AN F/21/2877, Service des Eaux de Versailles, Rapport du 14 décembre 1894.

maladie »53, ou Douchain, qui a élaboré le projet de forage des puits permettant de remplacer les eaux polluées de la Seine par celle de l’aquifère Marly-Croissy.

Tableau 33 : Directeurs du service des eaux de Versailles, 1865-1962.

Nom, Prénom, Dates Années à la

direction Observations

Séguy ?-1865

Dufrayer, Xavier

Edouard ( ?- 1879) 1865-1879

de l'Ecole des Arts et Métiers de Châlons (1826-1830) ; à l'atelier de Chaillot, participe à

la construction des machines ; en Angleterre suit le montage des appareils de raffinerie ; dirige l'exécution de la colonne en bronze sur la place de la Bastille ; est attaché à la Compagnie du chemin de fer de Versailles (rive gauche) ;

est chargé en 1838 de la surveillance et de l'entretien de la machine de Marly ; reçoit la

légion d'honneur en 1855 pour la transformation de la machine et devient directeur du service des eaux de Versailles Grille, François Victor

Oscar (1817-1898) 1880-188(6 ?)

Ingénieur des Ponts et Chaussées ; chevalier de la Légion d’honneur ; en retraire chargé de la

direction du service des eaux ; a réalisé les premiers forages dans la nappe de Marly en

1880 Fouraignan, Firmin

Dominique (1835- ?)

1er février 1886 -1890 ( ?)

Chevalier de la Légion d’honneur ; avant d’accéder à la direction, commis au ministère

des Beaux-Arts, chef du bureau. Berthet, Edmond

Honoré (1846-1907)

Décembre 1890

- ? Ingénieur des Ponts et Chaussées. Moron, Camille Napoléon (1846-1905) 1903 (mentionné chez Imbeaux (1903, p. 952))

Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, chevalier de la Légion d’honneur, précédemment directeur de l’office du Travail Pihier, Jules Jean Marie

(1848-1911)

Ingénieur des Ponts et Chaussées, chevalier de la Légion d’honneur

Perdreau

Chef du bureau de la liquidation des dépenses et du contentieux, chargé provisoirement

d'assurer la direction du service Monet, Adolphe

Nicolas (1858-1919)

1906 - 16 avril 1914

1 août 1914 – 15 janvier 1919 : interim des services d’ingénieur en chef du département de

la Seine-et-Oise et de direction du service des eaux de Versailles.

Deroise 1914

Guillet, Camille 1919 – 1921 - ? Ingénieur des Ponts et Chaussées ; chevalier de

53 AN F/8/205, Note biographique et états de services de Monsieur Min Gavin, Inspecteur Principal du service

François (1869-1927) la Légion d’honneur Buffevent Plus de 30 ans,

1920-1950 ? Inspecteur général Loriferne -1962-

Ingénieur en chef des Ponts et Chaussée, directeur du service des eaux et Fontaines de

Versailles

Le service était souvent en manque de budget, lequel était, de plus, en constante diminution : de 449 000 F en 1869, il passé à 300 000 F en 1892. Une augmentation a été obtenue suite au travail d’une commission spéciale de 1892 (Sans auteur, 1897, p. 23).

La distribution des eaux se faisait gratuitement ou moyennant des redevances (Tableau 34), à la jauge, à l’estimation ou au compteur. Les concessions étaient régies par des procès-verbaux de conférences, des traités avec les communes et des abonnements sous forme de « polices », souscrits par les services publics ou par les particuliers, conformément aux dispositions du règlement général sur les concessions d’eau approuvé par les ministres des Travaux publics et des Finances (les 4 et 29 septembre 1886).

Parallèlement à la distribution particulière, il existait aussi dans la ville de Versailles des fontaines publiques distribuant de l’eau potable ; les puits privés étaient très rares. Dans les années 1890, 64,4 % de l’eau était utilisée pour les services publics et 35,6 % pour l’usage privé.

La région de Versailles était la plus consommatrice d’eau et surtout de celle de la Seine (données de la Commission de 1892). Le total de 8 235 m3/j d’eau distribuée par le service en 1891 était réparti entre :

 Sections de Versailles, intérieur et extérieur - 7 259 m3/j soit 88%,

 Section de Saint-Cloud – 659 m3/j, soit 8%,

 Section de Marly – 317 m3/j, 4%.

Tableau 34. La consommation des eaux dans Versailles, gratuites et payantes, 1880 (Gérardin, Gavin et Remilly, 1882, p. 64).

Eau gratuite m3/an

Palais, parcs 420 054

Service militaire 96 680

Ville 379 149

Total 895 883

Eau payante m3/an

Ville à prix réduit de 0,15 F/m3 107 066 Particuliers (à prix réduit) 27 740 Ponts et Chaussées (entretien des routes) 16 000

Total 896 338

Total général 1 792 221