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La question de la décision décentralisée au cœur de l’évaluation économique de la

1. La surveillance de la santé animale

2.3 La question de la décision décentralisée au cœur de l’évaluation économique de la

Quelle que soit la maladie ciblée, le pays ou le type de production, la sous-déclaration des cas de maladie est régulièrement citée comme une limitation majeure des systèmes de surveillance passive

31 - [48-50]. Ce constat met en lumière un apparent paradoxe inhérent à ce type de surveillance: pensée, mise en place, évaluée comme un bien public, elle voit son bon fonctionnement en grande partie subordonné à la décision d’acteurs privés. Qu’ils soient éleveurs ou autres acteurs des productions animales, ces acteurs privés sont, dans la majorité des cas, les premiers observateurs des signes de l’infection. Une évaluation de la surveillance passive ne peut donc mettre de côté la question de la convergence des intérêts privés des acteurs dont la participation aux systèmes de surveillance est souhautée et ceux de la société dans son ensemble : l’acceptabilité conditionne l’ensemble des indicateurs de performance du système. D’où la nécessité d’une évaluation centrée sur la décision individuelle des acteurs [51].

Habituellement, l’économie envisage la décision de transmettre l’information comme la mise en balance des coûts et des avantages que cette décision entrainera. Dans le cas de la surveillance la question revient à savoir quelles mesures incitatives l’Etat doit mettre en place pour que la transmission de l’information aux systèmes de surveillance constitue un choix attractif pour l’individu. Il parait donc logique d’aborder l’évaluation économique des systèmes de surveillance en considérant l’information sanitaire elle-même comme un bien, et la surveillance comme la transaction de ce bien entre plusieurs acteurs. Une telle transaction est soumise à l’anticipation de trois conséquences potentielles par ces acteurs : avantages et/ou désavantages de celui qui transmet l’information (qui dépendent de la manière dont l’information transmise sera utilisée), et/ou avantages de celui qui la reçoit. En d’autres termes, l’information peut être divulguée, dissimulée, ou recherchée.

Ce constat pose la question de la pertinence d’une évaluation économique séparée des investissements dans la surveillance, et dans l’intervention contre les maladies (abattages, désinfection, vaccination), étant donné que l’efficacité de l’une et l’autre sont fortement liées. En effet les incitants à la déclaration aux autorités vétérinaires mis en place par les politiques publiques varient selon les Etats mais sont toujours liés à l’intervention, par l’appui technique des autorités vétérinaires à l’éleveur (diagnostic, soins, mesures de gestion), et par l’appui financier qui est en général attribué en compensation de l’abattage des troupeaux d’animaux infectés [52]. En contrepartie, la restriction de l’achat et de la vente d’animaux pendant un temps donné peut constituer un désincitant à la déclaration [28,53].

Il est important de noter que les indemnités financières compensant l’abattage des animaux infectés peuvent produire des effets contraires à ceux attendus par l’Etat. Ce problème est celui du rapport dit de « l’agent et du principal » dans lequel l’éleveur serait agent, l’Etat le principal, et l’indemnisation perçue comme une assurance gratuite [54]. L’information limitée sur les risques encourus par l’éleveur ne permet pas à l’Etat de fixer une rémunération adéquate permettant un

32 - partage optimal des risques encourus entre l’éleveur et l’Etat. Cette asymétrie de l’information conduit au risque d’aléa moral : un niveau trop élevé de compensation financière conduit à un investissement sous-optimal de l’éleveur dans les mesures ex ante de prévention de la maladie, augmentant ainsi le risque de sa propagation. Ce problème est d’autant plus important dans le cas de maladies telles que l’IAHP, dont la capacité de contagion est forte et le risque associé dépend de facteurs endogènes, sous contrôle direct des producteurs de volailles [55]. Le calcul du montant des indemnités doit ainsi permettre d’inciter les éleveurs à notifier les cas suspects le plus rapidement possible tout en maintenant un investissement optimal dans la prévention de la maladie [54,56,57]. Ce problème pousse certains auteurs à proposer d’associer les indemnisations de l’Etat avec des dispositifs d’assurance gérés par le secteur privé, en charge d’apprécier et de répartir les risques encourus par les différentes parties [56]. Ce recours à l’assurance trouve néanmoins ses limites dans le cas des maladies émergentes comme l’IAHP : les conséquences potentielles sur la société sont trop grandes et les risques sont associés à une trop grande incertitude pour être appréciés correctement [26,30] et des mécanismes d’indemnisation provenant de l’Etat doivent intervenir, au moins en tant que réassurance.

Des auteurs ont tenté de modéliser le comportement de l’éleveur en réponse au risque et à l’application de différentes politiques sanitaires [54,57-59], et certaines études sont spécifiquement appliquées à l’IAHP [4,55]. Ces modèles reposent, évidemment, sur des hypothèses fortes. Pour aboutir à des résultats et des interprétations fiables, ils doivent tenir compte de plusieurs facteurs, qui ne peuvent, bien souvent, s’appréhender que par des études empiriques [51]. Par exemple la perception du risque sanitaire par l’éleveur [60,61] et son attitude face au risque (aversion ou préférence pour le risque) jouent un rôle fondamental sur les prises de décisions, en particulier dans le contexte d’incertitudes grandes qui caractérise les maladies émergentes [46].

Des études empiriques ont été menées récemment sur la perception et la gestion des maladies animales par les producteurs ou les agents vétérinaires en lien avec la surveillance. Ces études utilisent principalement des méthodes d’enquête issues de l’anthropologie [62-64], des démarches participatives [65] ou des analyses de filière [66]. Les méthodes sont essentiellement basées sur des entretiens semi-structurés, parfois complétés par des sondages par questionnaires [67-69]. Ces études ont eu l’important mérite de confirmer que l’origine des sous déclarations ne se limite pas à un manque de connaissance par les acteurs privés des maladies ou des systèmes de surveillance. Les acteurs adoptent un comportement cohérent en réponse à un ensemble de contraintes encore mal comprises. L’anticipation des coûts et des avantages associés à la déclaration des cas suspects constitue une contrainte à la remontée des informations. Ce constat explique pourquoi les importantes campagnes d’éducation et de sensibilisation, comme celles menées pour promouvoir la surveillance de l’IAHP, n’ont pas forcément apporté les résultats attendus [65].

33 - Elles ont également révélé l’importance de replacer la déclaration parmi un ensemble d’options de mitigation ex-post des risques sanitaires parmi lesquelles les acteurs privés peuvent choisir : la consommation ou la vente des oiseaux malades constitue une des options qui s’offre aux éleveurs d’Asie du Sud-Est [61,65,66] et d’autres sources d’appui vétérinaires peuvent être à la disposition des éleveurs. La géographie de la santé humaine s’est intéressée à cette question à travers l’étude du recours des populations des pays en voie de développement aux médecines traditionnelles plutôt qu’à la biomédecine [70]. De telles pratiques restent encore peu explorées dans le domaine vétérinaire bien que mentionnées par quelques études anthropologiques [61,65,71]. Par ailleurs, la possibilité de compenser la perte due aux maladies par d’autres sources de revenus aisément accessibles peut détourner les éleveurs du recours aux autorités vétérinaires [51]. Une autre donnée fondamentale est l’importance de la perception des services d’Etat par les acteurs. Dans certaines études empiriques, les participants rapportent une perception négative des autorités vétérinaires, qui prend son origine dans la faiblesse de l’implication de ces agents dans la gestion quotidienne de la santé animale [65] ou dans un manque de confiance plus général dans l’administration [65,68,69]. La question de l’intégration des coûts et avantages perçus par les acteurs privés, particulièrement ceux qui ne sont pas de nature monétaire, fait encore débat en économie. Selon une partie de la communauté scientifique, les résultats des recherches empiriques souffrent d’une trop grande subjectivité [72]. En santé animale, la prise en compte de la perception des acteurs de l’utilité des autorités vétérinaires dans les évaluations économiques reste très limitée. Pour exemple, une étude menée au Kenya a utilisé l’évaluation contingente pour quantifier l’avantage perçu par les éleveurs de l’implantation de services de santé animale dans leur région [73]. L’utilisation des outils basés sur les préférences déclarées, comme l’évaluation contingente ou l’analyse conjointe[74], pourraient apporter une contribution intéressante aux évaluations de la surveillance.

Certaines études soulignent que les coûts privés associés à la transmission d’informations aux systèmes de surveillance sont de nature non monétaire [63,68,69]. Ces coûts peuvent renvoyer aux relations que les acteurs privés entretiennent avec d’autres. Chaque acteur est inclus dans un réseau informel d’individus avec lesquels il entretient des relations, commerciales ou non [75]. Ces réseaux influencent la décision des acteurs qui le composent, chaque individu influençant les anticipations ou les préférences des acteurs avec lesquels il interagît [75]. Ils créent également des rapports de confiance particulièrement importants dans les contextes d’insécurité économique des pays en voie de développement [72]. Ils facilitent également la diffusion d’informations utiles, les acteurs ayant une centralité plus élevée que la moyenne (connexions avec un grand nombre d’individus) étant considérés comme plus aptes à recevoir les informations adéquates et à prendre les décisions optimales [76]. Les liens développés dans les réseaux deviennent alors un enjeu économique et les réseaux sociaux déterminent les relations de pouvoir qui s’instaurent entre acteurs [72,75].

34 - La décision prise par l’individu de transmettre l’information est donc en partie conditionnée par l’anticipation des conséquences de son choix sur le réseau social ou économique dans lequel il s’intègre : la révélation d’un cas de maladie dans un élevage peut avoir, par exemple plusieurs effets sur les interactions de l’éleveur et son réseau de relations, comme la stigmatisation ou le conflit lié au risque de propagation de la maladie dans la zone d’élevage. Pour qualifier cette composante de la prise de décision, pour l’instant purement hypothétique, le terme utilisé sera celui de coût non monétaire, ou lié aux interactions sociales, ou au réseau social.