• Aucun résultat trouvé

Les fondements et les enjeux éthiques de la nutrition clinique

CHAPITRE 2 : Etudes de cas

2.1.2 La question éthique

Les enjeux ne sont pas uniquement cliniques et socioéconomiques, mais ils sont aussi éthiques. Pour aborder ce point, il convient de partir de la relation entre le médecin et le patient. L’engagement moral qu’implique cette relation repose sur la confiance mutuelle. En effet, cette relation entre personnes singulières est unique. Le « noyau éthique » de cette rencontre est, selon Ricœur, un « pacte de soin basé sur la confiance »2 et la confidentialité. Si au départ cette relation semble être dissymétrique – entre celui qui sait et celui qui souffre – les conditions finissent par s’égaliser par des démarches propres au patient et au médecin. D’une part, le patient exprime dans un « acte de langage » sa souffrance décrite dans une plainte liée à tel ou tel symptôme. Cette souffrance retrace son histoire personnelle. Cette plainte devient alors une demande (de guérison, de santé), adressée à un médecin en particulier. La demande s’accompagne d’une promesse, celle d’observer le protocole du traitement proposé. D’autre part, le médecin, dans les phases de l’établissement du pacte de soin, passant par l’admission du patient, la formulation du diagnostic et la prescription, égalise les conditions du départ en associant le malade à la prise de décision. Le médecin s’engage ainsi à suivre le patient. Un engament moral est alors établi entre les deux parties, ce qui les conduit chacune à respecter les termes du pacte pour lutter contre un ennemi commun : la maladie. Autrement dit, cet accord bilatéral qu’impliquent deux promesses - de soigner le malade et pour ce dernier d’observer le traitement - est au fondement de la relation du premier niveau.

La formulation du diagnostic est une étape fondamentale qui permet cet engagement et le traitement qui s’ensuit. A partir du diagnostic, le médecin émet une « indication médicale », qui conduit à entreprendre une activité thérapeutique (prévenir, guérir et

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1

K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, « Pronostic impact of disease-related malnutrition », Clinical Nutrition, op.cit.

! "%#! soigner1) et ainsi à lutter contre la maladie et la souffrance. Comme nous l’avons étudié lors de la première partie de cette étude, la nutrition clinique concerne l’utilisation de la nutrition artificielle (nutrition parentérale, entérale et les compléments oraux) et cela dans le cadre d’une problématique particulière : la malnutrition et les altérations du métabolisme propre aux maladies. Il s’agit donc de réaliser le diagnostic de la dénutrition pour ensuite poser l’indication à une thérapeutique nutritionnelle. Le traitement, que le patient s’engage à observer, est donc sensé répondre à la plainte du patient. Un diagnostic approprié semble nécessaire pour que les conditions du départ de ce pacte de soin soient alors remplies. Or, dans le cadre de notre étude, une difficulté se présente : la dénutrition chez le malade adulte est souvent méconnue et non diagnostiquée. Cela s’explique, d’une part, par le manque de reconnaissance de la nutrition comme une discipline concernant les médecins et de ce fait, elle n’est pas suffisamment enseignée dans les facultés de médecine, d’autre part, cela est dû aux difficultés nosologiques concernant la dénutrition2.

Depuis le XIXème siècle, comme nous l’avons étudié dans la première partie de notre étude, la dénutrition n’est pas une préoccupation propre à la pratique clinique. Malgré les progrès scientifiques considérables concernant sa physiopathologie et les possibilités thérapeutiques, elle est considérée comme une problématique qui n’est pas propre au clinicien. Le clinicien se sent aussi moins concerné parce que mal formé. Plusieurs études ont montré des résultats qui suggèrent que les malades hospitalisés ne bénéficient pas d’un niveau optimal de prise en charge nutritionnelle en raison du manque d’entraînement et d’intérêt des cliniciens. En conséquence, la dénutrition est un problème sous-diagnostiqué car très souvent méconnu dans la pratique de la clinique3.

Compte tenu de ces éléments, il n’y a pas, à ce jour, de définition générale de la dénutrition4. Le tableau 2 montre les résultats de 5 consensus d’experts publiés depuis

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1

A.R. Jonsen, M. Siegler, W.J. Winslade, Clinical Ethics, A practical approach to ethical decision in clinical medecine, 7th Edition, New York, McGraw-Hill, 2010, p. 9.

2 Nous considérons pour la thèse, d’après les définitions de l’OMS, que la malnutrition est un état

englobant diverses états possibles tels que la dénutrition, le surpoids, l’obésité, etc.

3 J. Kondrup, N. Johansen, LM. Plum, et al., «Incidence of nutritional risk and causes of inadequate

nutritional care in hospitals » Clinical Nutrition 2002, vol. 21, p. 461–8. K. Norman, C. Pichard, H lochs, M. Pirlich. «Pronostic impact of disease-related malnutrition», Clinical Nutrition, op.cit.

4

Nous allons utiliser le terme de dénutrition et non celui de malnutrition, parce que nous considérons que la malnutrition est un terme plus vaste qu’implique également l’obésité, les carences et autres syndromes comme la sarcopenie.

! "%$! 2010, concernant la définition et ces critères du diagnostic1. En premier lieu, force est de constater que, malgré les efforts des sociétés savantes Nord-américaines et Européennes, nous n’arrivons pas à un consensus général. Nous observons, en premier lieu, que la malnutrition (malnutrition) est conçue soit comme un synonyme de la dénutrition (undernutrition), soit comme un terme plus général englobant la dénutrition, la surnutrition et d’autres états pathologiques comme la sarcopenie et la cachexie. Lors du récent consensus sur le diagnostic et la classification de la dénutrition d’ESPEN publié en juin 2015, les experts n’ont pas atteint de décision consensuelle à propos de l’utilisation de ces termes. Ils ont utilisé néanmoins, à effet de la publication de l’article, le terme « malnutrition ». Jensen et ses collaborateurs proposent une classification fondée sur l’approche étiologique qui tient compte de l’absence ou de la présence d’inflammation et du type de maladie associée (aiguë ou chronique). Il s’agit de connaître l’origine de la dénutrition. La dénutrition peut ainsi être étudiée comme étant liée à la famine (starvation-related malnutrition), à une maladie chronique (chronique disease-related malnutrition) ou à une maladie aiguë ou à des blessures (acute disease or injury-related malnutrition).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 J.M.M. Meijers, M.A.E. van Bokhorst-de van der Schueren, J.M.G.A. Schols, P. B. Soeters, R.J.G.

Halfens, «Defining malnutrition: Mission or mission impossible », Nutrition, 2010, vol. 26, p. 432–440. GL Jensen, Mirtallo J, Compher C, Dhaliwal R, Forbes A, Grijalba RF, et al. «International consensus guideline committee. Adult starvation and diseaserelated malnutrition: a proposal for etiology-based diagnosis in the clinical practice setting from the International consensus guideline Committee», Clin Nutr, 2010, vol. 29, p.151e3. White JV, Guenter P, Jensen G, Malone A, Schofield M. Academy malnutrition work Group; A.S.P.E.N. Malnutrition task force; A.S.P.E.N. Board of Directors. «Consensus statement: academy of nutrition and dietetics and american society for parenteral and enteral Nutrition: characteristics recommended for the identification and documentation of adult malnutrition (undernutrition) », J Parenter Enter Nutr, 2012, vo.l 36, p.275e83. GL. Jensen, Ch. Compher, DH. Sullivan and GE. Mullin, «Recognizing Malnutrition in Adults: Definitions and Characteristics, Screening, Assessment, and TeamJournal of Parenteral and Enteral Nutrition », J Parenter Enter Nutr, 2013, vol. 37, p.802-807. L. Valentini, Volkert D, Schütz T, Ockenga J, Pirlich M, Druml W, Schindler K, Ballmer PE, Bischoff SC, Weimann A, Lochs H, «Suggestions for terminology in clinical nutrition», e-Espen Journal, 2014, vol. 9, p. 97ee108. T. Cederholm , I Bosaeus, R Barazzoni, Bauer J, Van Gossum A, Klek S, Caritoli M, Nyulasi I, Ockenga J, Schneider SM, de van der Schueren MAE, Singer P, «Diagnostic criteria for malnutrition - An ESPEN Consensus Statement», Clin Nutr, 2015, vol. 34, p.335- 340.

! "%%! Tableau 2. Définitions et critères diagnostiques de dénutrition

Définition de la malnutrition Critères diagnostics

Meijers JM, 2010.

La malnutrition englobe la sous-alimentation et la suralimentation en combinaison avec l'activité inflammatoire.

Les critères qui définissent mieux la dénutrition sont :

1. la déficience énergétique et protéique ; 2. la diminution de la masse maigre ;

3.l’inflammation et l’altération dans la fonction.

1. La perte involontaire de poids. 2. L’IMC.

3. La prise alimentaire.

Toutefois, aucun consensus n'a été atteint sur les valeurs seuils de ces mesures.

Cette étude montre qu'il n'y a pas d'accord entre experts sur les éléments qui définissent et permettent de réaliser le diagnostic de la dénutrition.

Jensen GL, 2010.

La malnutrition liée à la maladie est la malnutrition causée par la maladie ou des symptômes de la maladie.

Elle est subdivisée en trois catégories en fonction de l’étiologie :

1. la malnutrition liée à la famine - ex. Anorexie nerveuse ;

2. la malnutrition liée à la maladie chronique ; - avec inflammation chronique et d'intensité légère à modérée ;

- ex. cancer, obésité sarcopenie,

3. la malnutrition liée à la maladie aiguë ou au trauma ;

- avec inflammation aiguë et de degré sévère ; - ex. patients brulés, ou traumatisme physique.

Le développement de critères biologiques, fonctionnels et cliniques, qui peuvent être utilisés dans la pratique clinique de routine nécessitera de la validation.

Jensen GL 2013.

1. Un apport énergétique insuffisant.

2. Perte de poids non intentionnelle (peut survenir à n'importe quel IMC).

3. L'examen physique : La perte de masse musculaire, perte de graisse sous-cutanée…

4. La fonction physique diminuée : force poignée main, SPPB (Short Physical Performance Battery) chez les personnes âgées.

White JV, 2012.

La malnutrition est synonyme de dénutrition et considérée comme un déséquilibre nutritionnel.

La dénutrition doit se diagnostiquer par la présence de 2, ou plus, des critères suivants :

1. un apport énergétique insuffisant ; 2. une perte de poids ;

! "%&!

L’auteur propose une nomenclature fondée sur l’approche étiologique qui incorpore une compréhension actuelle du rôle de la réponse inflammatoire sur l'incidence, la progression et la résolution de la malnutrition.

3. une perte de la masse musculaire ; 4. perte de graisse sous-cutanée ;

5. l’accumulation de fluide localisée ou généralisée peut parfois masquer la perte de poids ;

6. un état fonctionnel diminué. Valentini L 2014.

La malnutrition liée à la maladie est la malnutrition causée par la maladie

ou par les symptômes de la maladie.

Elle est subdivisée en trois catégories en fonction de l’étiologie :

- La malnutrition liée à la famine (dénutrition). Par exemple, chez les personnes qui reçoivent un traitement médical, elle se caractérise principalement par la réduction de l'apport énergétique et des autres nutriments. Il n’ y a pas d’inflammation. Entrent également dans cette catégorie les patients souffrant de la malabsorption et une mauvaise digestion, alors qu’ils n’ont pas d’inflammation et que leurs apports énergétiques peuvent être normaux.

- La malnutrition liée à la maladie chronique. - La malnutrition liée à la maladie aiguë.

Terminologie :

Conditions nutritionnelles : 1. Malnutrition liée à la maladie.

1.1 Malnutrition liée à la famine ou « Dénutrition ».

• IMC<18.5 kg/m2 (<65 ans) ou • <20.0 kg/m2 (>§5 ans).

Considérée comme « Importante » si présente 7 critères supplémentaires. (voir dans le texte) 1.2 Malnutrition chronique liée à la maladie Présence de 7 critères ou

• Réduction de la masse musculaire : < 10 percentile de la masse musculaire du bras ou • <80% de l’index créatinine/taille, ou

• signes d'activité inflammatoire (scores des maladies spécifiques ou concentrations sériques de CRP élevée)

1.3 Malnutrition liée à la maladie aiguë

• Réponse inflammatoire aigue pendant la maladie grave ou le trauma

2. La cachexie.

• Non réversible par le support nutritionnel 3. La sarcopenie.

• Diminution de la force et de la masse musculaire (il y a ou moins 6 autres consensus proposant des critères)

4. Carences en nutriments spécifiques. 5. Syndrome de dénutrition.

Cederholm T 2015.

La malnutrition est un état résultant du manque d'absorption ou de l'apport de la nutrition conduisant à la modification de la composition corporelle (diminution de la masse maigre) et de la masse cellulaire. Cela entraîne une diminution des fonctions physiques et mentales. Cela a pour conséquence l’altération des résultats cliniques. (D’après Sobotka 2012)

Les possibles causes de malnutrition sont : 1. la famine

2. la maladie 3. le vieillissement

Deux façons de diagnostiquer la malnutrition. Alternative 1:

• IMC <18,5 kg / m2 Alternative 2:

• La perte de poids (involontaire)> 10 % de temps indéfini, ou 5 % au cours des 3 derniers mois combinés avec soit

• IMC <20 kg / m2 si <70 ans ou <22 kg / m2 si> 70 ans ou

• Index de Mass Maigre (IMM) <15 et 17 kg / m2 chez les femmes et les hommes, respectivement. Le « risque » nutritionnel doit être évalué chez tous les malades.

Le consensus le plus récent (de Cederholm et de ses collaborateurs de l’ESPEN) associe une définition de la dénutrition (malnutrition) dans une autre approche à celle de

! "%'! la thérapeutique. Il ne s’agit pas de connaître l’origine de la dénutrition, mais de savoir « à quel point la dénutrition interfère avec les fonctions physiques et mentales de la personne et à quel point le support nutritionnel fait la différence »1. Le but est de donner une classification de la dénutrition qui soit valable pour tous les individus, peu importe la cause de l’état de dénutrition, (i.e. la famine ou le jeûne, la maladie aiguë ou chronique, le vieillissement). Ils prétendent ainsi donner une définition semblable aux « diagnostics généraux » comme « l’anémie » afin d’intégrer la classification internationale d’ICD 10. Comme tous les diagnostics généraux, ceux-ci ont besoin d’être élaborés ou organisés en sous-diagnostics pour « indiquer leurs étiologies afin de faciliter le meilleur traitement »2. Ainsi, ce consensus fournit un arbre conceptuel où la sous-pondération liée à la famine, la malnutrition liée à la maladie (cachexie) et la sarcopenie sont comprises dans la « malnutrition ». La malnutrition est, comme l’obésité et les carences en micronutriments, partie intégrante des « Troubles nutritionnels » (Nutritional Disorders) (Figure 4).

Figure 4. L’arbre conceptuel de la malnutrition3.

De ce point de vue, la sous-pondération liée à la famine, résulte d’un déséquilibre entre apports et besoins protéino-énergétiques, ce qui entraîne des pertes tissulaires et comporte des conséquences fonctionnelles délétères. La cachexie et la sarcopenie, liées !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 L. Sobotka, Basics in clinical nutrition, Prague, Galén, 2012.

2 T. Cederlholm, I. Bosaeus, R. Barazzoni, et al., «Diagnostic criteria for malnutrition - An ESPEN

Consensus Statement», Clin Nutr, 2015, op.cit. , p.339.

! "%(! à la réponse métabolique face à l’agression ou au stress, résultent à la fois d’une réponse endocrine et d’une réponse immuno-inflammatoire. Elles vont induire une augmentation des besoins qui peut être interprétée comme une adaptation ou une défense de l’organisme. Ainsi, par exemple, l’organisme puisera dans son capital protéique pour produire le glucose nécessaire, par exemple, pour les cellules immunitaires. La réponse métabolique est différente (faible anabolisme versus augmentation du catabolisme), ce qui conduit à adopter des stratégies thérapeutiques différentes, en favorisant par exemple l’anabolisme ou en luttant contre la résistance à l’anabolisme et l’hypercatabolisme1.

En deuxième lieu, il n’y a pas de consensus sur les seuils susceptibles de définir des critères pour diagnostiquer la dénutrition. Dans un premier temps, Meijers et Jensen proposent, certes, trois critères mais sans donner de « valeurs seuils ». Par la suite, en 2013, ils établissent quatre grands critères qui incluent, en plus de ces 3 critères, la diminution de la fonction physique. En 2014, Valentini et ses collaborateurs élargissent à sept les critères nécessaires pour considérer que la dénutrition liée à la famine est potentiellement dangereuse. Ces critères sont :

1. l'apport énergétique réduit de <75 % des besoins énergétiques calculés pendant 1 mois ;

2. l'indice de masse corporelle, <18 kg/m2 si <65 ans ou <20 kg/m2 si >65 ans ; 3. la perte de poids involontaire, >10 % le 3 à 6 mois précédents si <65 ans ou >5

% si > 65 ans ;

4. IMC <20 kg/m2 et perte de poids involontaire, >5 % le 3 à 6 mois (<65 ans) ; 5. l’indication de Nil per os médicale (NPO) ;

6. l’épaisseur du pli tricipital et la perte de poids involontaire, <10 percentile ; 7. le marqueur biologique : l’albumine sérique <30g/dl pour les malades de

chirurgie.

En 2015, Cederholhm et ses collaborateurs présentent, de manière plus simple, deux options, la première considérant uniquement l’IMC, la seconde mettant au jour trois !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1

JP. De Bandt, « Understanding the pathophysiology of malnutrition for better treatment», Annales Pharmaceutiques Françaises, 2015, vol. 15, p. 27-9.

! "%)! critères qui incluent un indicateur de composition corporelle et un indice de masse maigre (IMM). Tout compte fait, force est de reconnaître qu’il n’y a pas d’homogénéité entre les « valeurs diagnostics », ce qui conduit à une certaine confusion pour les cliniciens qui se perdent dans cet amas de critères. A l’absence de définition consensuelle, de terminologie homogène et de critères robustes, il faut ajouter le fait qu’aucun de ces consensus ne définit rigoureusement la dénutrition. Elle est considérée comme un « état » qui augmente la probabilité statistique de développer une pathologie ou de souffrir d’un traumatisme, ce qui la réduit à un facteur de risque. La question est de savoir si, au-delà de cette approche, la dénutrition doit être considérée comme une maladie. Autrement-dit, faut-il conférer le statut de « maladie » à la dénutrition comme cela a été le cas pour l’obésité1 ? Quels arguments scientifiques justifient le fait de classer la dénutrition parmi les maladies ? Ce questionnement, nous pouvons l’inscrire dans le débat actuel sur la définition de maladie pour montrer la complexité du débat. En effet, définir une entité comme étant une maladie, a des implications, non seulement sur la pratique de la clinique, mais également sur les décisions éthiques, politiques et sociales.

Le cas de notre étude illustre bien ce problème. Face à la situation de M Dn, deux situations sont possibles. En suivant la pratique courante prédominante, on considèrera la pneumopathie comme le diagnostic principal de M. Dn en ignorant son état de dénutrition. Ou bien, on considérera que le patient, atteint de pneumopathie, souffre également de dénutrition2. L’évolution du patient n’est pas envisagée de la même manière selon ces deux options. Du coup, quelles conséquences éthiques entraîne l’absence de ce diagnostic ? Nous considérons que l’enjeu éthique de la reconnaissance d’un tel statut est considérable dans la mesure où le diagnostic approprié de la dénutrition serait la condition qui permettrait l’engagement du médecin et du patient dans le pacte de soins et par suite, le soin nutritionnel. De notre point de vue, définir et diagnostiquer la dénutrition comme maladie pourrait avoir des conséquences sur les trois niveaux du jugement médical, sur la relation patient-médecin, sur le plan déontologique et relativement sur le coût de la santé.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 L’obésité a été reconnue comme maladie chronique par l’OMS depuis 1997 et en 2013 par l'American

Medical Association (AMA), la plus grande association de médecins des Etats Unis.

2

Dans le spectre de la dénutrition, la notion de « risque de dénutrition » est essentielle. Cederholm et ses collaborateurs proposent que ce diagnostic puisse rentrer dans la classification des maladies, ICD 10.

! "%*! Si la dénutrition est considérée comme une « maladie », le patient se verra comme souffrant de dénutrition, et le médecin sera dans l’obligation de mettre tout en œuvre pour le guérir de cette maladie. Cependant, la plupart des malades qui souffrent de dénutrition reconnaissent la situation mais ne l’identifient pas comme une maladie. Le Pr E. Fontaine, président de la Société Française de Nutrition Entérale et Parentérale (SFNEP) décrit cela dans un éditorial récent :

« Les patients et leurs familles se sentent, au contraire, (face à l’indifférence générale de nos confrères non nutritionnistes, de nos administrations et de nos tutelles) très concernés (par la dénutrition). Parfois, tellement inquiets de cette “chute libre” dont ils perçoivent bien la fin, certains malades redoutent de se peser1 . »

En conséquence, les malades ne demandent pas aux médecins de soigner leur dénutrition. Ils ne vont pas demander d’être placés en nutrition artificielle, car ni eux ni leurs familles, ne connaissent l’existence ou l’efficacité de ce traitement. L’absence de nutrition chez les malades à l’hôpital est alors perçue presque comme normale. Or, la dénutrition n’est pas une fatalité, elle peut être prévenue et guérie dans la majorité des cas. La reconnaissance par le patient et le médecin de cet état comme étant une maladie, et la nécessité d’établir un diagnostic et un traitement s’avèrent essentielles dans la relation médecin-patient. Ils pourront s’engager l’un et l’autre à lutter contre cette maladie. Cependant, comme le souligne E. Fontaine dans l’éditorial :

« Combien d’entre eux (les malades), durant leurs parcours de soins, auront la chance de rencontrer un nutritionniste avant qu’il ne soit trop tard?2. »

Certains principes éthiques sont en jeu ici. Le principe de bienfaisance3, entendu comme l’obligation morale d’agir pour le bien d’autrui, n’est pas respecté. Pourrait-il