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La prévalence et l’impact de la dénutrition

Les fondements et les enjeux éthiques de la nutrition clinique

CHAPITRE 2 : Etudes de cas

2.1.1 La prévalence et l’impact de la dénutrition

La dénutrition est la comorbidité la plus fréquente à l’hôpital2. Bien que les estimations de sa prévalence varient selon les lieux (type d’hôpital, maison de séjour, consultation), le type de patient (sujet âgé, malade cancéreux, en réanimation, etc.), la méthode d'évaluation (biologique, anthropométrique, etc.) et la définition de la dénutrition, sa prévalence reste particulièrement surprenante. Aujourd'hui, on estime

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Cas disponible sur LLL thème n° 3 « Topic 3: Nutritional Assessment and Techniques» 2

KA. Tappenden, B. Quatrara, ML. Parkurst, et al., «Critical role of Nutrition in Improuving Quality of Care: An interdisciplinary call to action to adress adult hospital malnutrition», op.cit., p.1-16.

! "$&! qu'au moins un tiers des patients adultes arrivent à l'hôpital souffrant de dénutrition1 et, si elle n’est pas traitée, la plupart de ces patients vont continuer à se dénutrir, ce qui peut influer défavorablement sur leur récupération et augmenter le risque de complications entraînant une réadmission à l’hôpital. Dans une revue de la littérature de 2008 par K. Norman, la prévalence de dénutrition chez l’adulte2 varie entre 7 et 50% dans divers pays, selon le type de patient. La moyenne pondérée pour les études européennes et américaines montre qu’environ 31% de tous les patients de l'hôpital sont considérés en état de dénutrition ou à risque nutritionnel (voir tableau 1). La vaste ampleur des valeurs constatée dans les résultats de diverses études n’est probablement pas due aux seuls paramètres médicaux ou géographiques, mais est aussi liée à la population de patients différents et à la diversité des critères utilisés pour diagnostiquer la dénutrition.

Tableau 1. Prévalence de la dénutrition (Adapté de K.Norman et al., Clinical Nutrition, 2008.)

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1 K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, « Pronostic impact of disease-related malnutrition »,

op.cit., p.5-15.

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D’après l’étude EPINUT, de Lucas et collaborateurs, réalisée dans 144 hôpitaux dans 7 pays, 11% des enfants hospitalisés sont dénutris à l’hôpital.

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Malheureusement, malgré la disponibilité des outils de dépistage rapide1, la dénutrition est méconnue dans de nombreux hôpitaux. Les patients hospitalisés, indépendamment de leur IMC, souffrent généralement de dénutrition en raison de leur propension à manger peu du fait du manque d'appétit. Celui- ci est induit par la maladie, les symptômes gastro-intestinaux, l’incapacité à mâcher ou à avaler, par les interdictions médicales à l’alimentation per os (voie buccale) pour des procédures diagnostiques et thérapeutiques. En outre, les patients peuvent avoir des besoins augmentés en énergie, en protéines et en micronutriments à cause de l'inflammation, d’une infection ou d’autres conditions cataboliques. La figure 1 montre la relation entre le développement et la progression de la dénutrition et de la maladie.

Figure 1. Relation entre dénutrition et maladie2.

La relation est bidirectionnelle et peut se perpétuer sur le mode d’un cercle vicieux. La plupart des maladies chroniques ou aiguës graves provoquent l'anorexie et conduisent à la dénutrition. L’absence d’une alimentation adéquate et le catabolisme (qui modifie le besoin de nutriments) lié au stress causé par l'inflammation, augmentent

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Ces outils de dépistage permettent d’identifier des malades à risque d’être dénutri.

2 K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, « Pronostic impact of disease-related malnutrition »,

Clinical Nutrition, op.cit., p.5-15.

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! "$(! le risque d'infections, de dysfonctionnement des organes et d’une mauvaise cicatrisation. Ainsi, toutes les maladies aiguës peuvent être un élément déclencheur d’une réponse inflammatoire et entraîner consécutivement une anorexie et un hypercatabolisme qui aggravent la malnutrition. Les mécanismes biochimiques, métaboliques et moléculaires impliqués sont aujourd’hui étudiés1.

Outre les causes pathologiques de la dénutrition, des facteurs socio-économiques comme le faible revenu et l'isolement peuvent également favoriser le développement de la dénutrition. Cette dernière est fréquente chez les personnes âgées, les patients atteints du cancer, de maladies chroniques du foie, de maladies cardiaques chroniques ou d'insuffisance rénale, le VIH / SIDA, la BPCO, de maladies inflammatoires de l'intestin et de fibrose kystique ou même de maladies neurodégénératives. Point important, la situation peut être aggravée à l'hôpital en raison de routines hospitalières défavorables aux apports suffisants en éléments nutritifs. Par exemple, la préparation aux interventions ou examens diagnostics nécessitent l’interruption de l’alimentation orale ou artificielle, créant ainsi des périodes souvent très longues où les apports nutritionnels ne sont pas couverts.

De ce fait, il est important d'identifier les patients en état de dénutrition et à risque comme on le voit en étudiant les données qui montrent que la dénutrition est associée à de nombreux effets indésirables, y compris au risque accru d’ulcères de pression et de mauvaise cicatrisation, d’immunosuppression, d'infections, d’atrophie musculaire et d’une perte fonctionnelle aggravant le risque de chutes. Cela augmente la durée du séjour à l'hôpital, les taux de réadmission, les coûts de traitement et la mortalité.

A titre d’exemple, des études internationales révèlent que la dénutrition liée à la maladie augmente les coûts hospitaliers du 30 à 70 %. Une étude au Royaume-Uni montre que la dénutrition augmente la fréquence des réadmissions et la durée du séjour dans les hôpitaux, ainsi que la fréquence des visites chez un médecin généraliste, les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 MJ. Tisdale, «Molecular pathways leading to cancer cachexia», Physiology, 2005, vol. 20, p. 340–8.

DA. Deans, Wigmore SJ, Gilmour H, Tisdale MJ, Fearon KC, Ross JA. «Expression of the proteolysis- inducing factor core peptide mRNA is upregulated in both tumour and adjacent normal tissue in gastro- oesophageal malignancy », Br J Cancer, 2006, vol. 94, p.731–6. Bing C, Bao Y, Jenkins J, Sanders P, Manieri M, Cinti S, et al. «Zinc-alpha2-glycoprotein, a lipid mobilizing factor, is expressed in adipocytes and is up-regulated in mice with cancer cachexia», Proc Natl Acad Sci USA, 2004, vol. 101, p. 2500–5. Islam-Ali B, Khan S, Price SA, Tisdale MJ. «Modulation of adipocyte G-protein expression in cancer cachexia by a lipidmobilizing factor (LMF) », Br J Cancer, 2001, vol.85, p.758–63.

! "$)! visites ambulatoires des hôpitaux et le temps de résidence dans les maisons de soins. Après l'attribution des coûts représentatifs au niveau national de l'utilisation de ces services, les dépenses publiques causées par la dénutrition liée à la maladie s’élèvent au Royaume-Uni à plus de 7,3 milliards de livres sterling en 2003 1. L’implémentation d’un système de soins nutritionnels en 2012, bien qu’il ait exigé un investissement supplémentaire, a produit des économies, avec un impact budgétaire. Les coûts provenant de l'intervention nutritionnelle (dépistage, diagnostic thérapie, etc.) peuvent conduire à des économies substantielles de coût absolu2 (Figure 2). Ainsi d’un point de vue économique, il est donc important de concevoir pour chaque malade le diagnostic de son état nutritionnel.

Figure 2. Impact économique de la dénutrition3.

Par conséquent, la dénutrition fait peser un lourd fardeau sur le patient, le clinicien et le système de soins4. Cette prévalence de la dénutrition n'a pas changé au cours des

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1 M. Elia, «The economics of malnutrition», Nestle Nutr Workshop Ser Clin Perform Programme, 2009,

vol. 12, p.29-40.

2 M. de van der Schueren, M. Elia, L. Gramlich, et al., «Clinical and economic outcomes of nutrition

interventions across the continuum of care», Annals of the New York academy of Sciences, 2014, vol. 1321, p. 20-40.

3 Ibid., p. 20. 4

LA. Barker, BS Gout, TC Crowe, « Hospital malnutrition: prevalence, identification and impact on patients and the healthcare system», Int J Environ Res Public Health, 2011, vol. 8, p.514-527.

! "$*! vingt dernières années, bien que le traitement de certaines maladies ait sensiblement été amélioré et qu’on dispose de traitements nutritionnels plus adaptés. Or, l'âge moyen, de plus en plus élevé des patients hospitalisés, pourrait ainsi être considéré comme un obstacle au progrès médical et donc expliquer, au moins en partie, les difficultés à diminuer le nombre de personnes dénutries. Cependant, nous considérons que l’absence d’évolution dans la diminution de la prévalence de la dénutrition s’explique principalement pour trois raisons : le fait que la dénutrition n’est pas considérée comme une « maladie » susceptible d’être guérie, l’absence de formation des médecins et le constat que la nutrition clinique n’est pas reconnue comme une discipline médicale.

Dans notre cas d’étude, M. Dn est âgé de plus de 70 ans. La prévalence de la dénutrition augmente avec l’âge. Elle est de 4 à 10 % chez les personnes âgées vivant à domicile, de 15 à 38 % chez celles vivant en institution et de 30 à 70 % chez les malades âgés hospitalisés1. Des carences protéiques isolées peuvent s’observer même chez des personnes âgées apparemment en bonne santé. Certaines situations peuvent favoriser la dénutrition ou y être associées. Elles peuvent être classées selon les catégories suivantes : psycho-socio-environnementales, troubles bucco-dentaires, troubles de la déglutition, troubles psychiatriques, syndromes démentiels, autres troubles neurologiques, traitements médicamenteux au long cours, toute affection aiguë ou décompensation d’une pathologie chronique, dépendance pour les actes de la vie quotidienne et régimes restrictifs. Ces diverses situations doivent alerter le professionnel de santé, l’entourage et conduire à un diagnostic de dénutrition. Ces données doivent se traduire dans notre cas d’étude, par le fait que les médecins devraient systématiquement chercher à dépister un état de dénutrition quand le sujet malade est âgé de 70 ans. Or, la principale difficulté est qu’il n’y a pas de définition universellement acceptée de la dénutrition.

En effet, la dénutrition, dans sa dimension physiologique, désigne, d’après le dictionnaire de Littré, une «désassimilation», autrement dit, un phénomène par lequel les constituants de la matière vivante se séparent de l’organisme pour devenir des résidus. Au plan clinique, les conséquences de cette absence de diagnostic sont importantes, car si l’on n’identifie pas la dénutrition, il n’y aura pas d’indication pour !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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HAS, Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée, 2007. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/denutrition_personne_agee_2007_- _recommandations.pdf. (consulté le 01 mars 2015).

! "%+! débuter les soins nutritionnels. Dans le cas présent, l’absence du diagnostic de dénutrition pour M. Dn risque d’aggraver son état nutritionnel et par conséquent, d’augmenter sa morbi-mortalité. Il risque ainsi de voir sa pathologie de base (la pneumopathie) s’aggraver, sa convalescence se prolonger et sa qualité de vie affectée. Les dépenses économiques du système de santé seront également augmentées. Les implications cliniques de la dénutrition sont bien connues (Figure 3).

Figure 3. Impact de la dénutrition1.

Quant à la morbidité, celle-ci augmente en raison d’une altération de la fonction immune, la diminution de la cicatrisation et la diminution dans la fonctionnalité de l’individu. Les études ont montré une corrélation entre le degré de dénutrition et le risque de complications infectieuses et non infectieuses chez le malade opéré. La dénutrition a été identifiée comme un facteur favorisant l’apparition d’ulcères de pression et associée à un mauvais pronostic chez les patients atteints de maladies chroniques telles que l’insuffisance cardiaque et la broncho pneumopathie chronique obstructive (BPCO). Une conséquence bien connue de la dénutrition est l’altération de la fonction musculaire avec, par la suite, l’altération de la fonctionnalité. L’augmentation de la morbidité entraîne une augmentation du séjour à l’hôpital. Concernant la mortalité, la dénutrition a été associée à un taux majeur de mortalité dans les maladies chroniques (VIH/SIDA, maladies hépatiques, insuffisance rénale, cancer, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 K. Norman, C. Pichard, H. lochs, M. Pirlich, « Pronostic impact of disease-related malnutrition »,

! "%"! BPCO) et aiguës (AVC, fracture de la hanche, chirurgies cardiaques et thoraciques). Les malades en réanimation atteints de dénutrition sont ceux dont le pronostic est le plus mal défini et dont le taux de survie est le plus faible (un plus mauvais pronostic et un moindre taux de survie1)