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La dénutrition : maladie ou facteur de risque ?

Les fondements et les enjeux éthiques de la nutrition clinique

CHAPITRE 2 : Etudes de cas

2.1.4 La dénutrition : maladie ou facteur de risque ?

D’un point de vue terminologique, la dénutrition est régulièrement citée dans les publications scientifiques comme un facteur de risque. Est-il possible, d’un point de vue conceptuel, de la considérer comme une maladie ? Dans la pratique clinique, la dénutrition est rarement identifiée comme une maladie. Preuve de cela, la faible codification de la dénutrition, dans le système de tarification à l’activité (T2A)1.

Un facteur de risque est d’après l’OMS :

« Tout attribut, caractéristique ou exposition d’un sujet qui augmente la probabilité de développer une maladie ou de souffrir d’un traumatisme2. »

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1

P. Crenn, « Le droit à la nutrition : un droit de l’homme à promouvoir et à défendre », Nutrition Clinique et Métabolique, 2009, vol. 23, p.172-181.

! "&%! Parmi les facteurs de risque les plus importants, cités par cette organisation, il y a le « déficit pondéral » au même titre que les rapports sexuels non protégés, l’hypertension artérielle, la consommation de tabac ou d’alcool, l’eau non potable, l’insuffisance de l’hygiène ou de l’assainissement des équipements. L’analyse de ces situations en termes de « facteurs de risque » implique la détermination de seuils quantitatifs, fixés de manière plus ou moins arbitraire et qui relèvent d’une décision de santé publique. Les personnes exposées à ces facteurs de risque ne se sentent pas malades, mais elles sont l’objet d’un risque statistique objectif plus important pour tomber malades. L’outil statistique, comme l’affirme Fargot-Largeault, « teste la réalité d’une influence sans rien dire de sa nature »1. Or, la modification « arbitraire » de ces seuils de normalité, comme cela a été reconnu, a des conséquences sur la survie des individus.

La « norme pondérale » a été établie depuis le XIXème siècle par l’indice de masse corporel (IMC). L’IMC (IMC= poids/taille2) décrit la distribution « normale » de la corpulence et ses extrêmes « anormaux ». Au XXème siècle, une dimension médico- économique est conférée à ces valeurs. En se fondant sur ces références statistiques populationnelles, les compagnies d’assurance vont définir des valeurs pour les facteurs de risque afin de déterminer les niveaux de primes. Ainsi, les statisticiens de la Metropolitan Life Insurance Company établissent un lien entre la longévité et le poids. Dans ce cadre, l’obésité sera définie comme un excès de poids de 20 % par rapport au poids souhaitable, niveau exposant à des dépenses de santé accrues, et justifiant une prime d’assurance plus élevée. Sont ainsi identifiées les valeurs fixant le « poids idéal » ainsi que les autres facteurs tels que le tabagisme, l’hypercholestérolémie et l’hypertension artérielle. Par exemple, l’OMS, en 1997, établit les valeurs normales entre 18 kg/m2 et 25 kg/m2 et définit l’obésité par un IMC > ou = 30 kg/m2, l’obésité sévère par un IMC > 40 kg/m2. En ce qui concerne la dénutrition, le seuil est établi pour des valeurs inferieures à 18 kg/m2.

Aujourd’hui, cet indice a une place prépondérante dans la pratique clinique, comme nous l’avons montré antérieurement. Il est présent comme critère principal dans les cinq consensus (Tableau 1). Voici ce qu’affirment R. J. Stratton et ses collaborateurs en 2003 concernant son importance :

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A. Fagot-Largeault, « Quelques implications de la recherche étiologique », Sciences Sociales et Santé, 1992, vol. 3, p. 33-45.

! "&&!

« Les valeurs seuils (de l’IMC) ont une importance fondamentale pour la science de la nutrition parce qu’elles déterminent l’incidence et la justification du traitement de la malnutrition1. »

Il convient de noter la persistance de l’IMC malgré les critiques à son encontre lorsqu’il est utilisé au niveau individuel. Cela exprime la nécessité de disposer d’un paramètre quantitatif, facile à mesurer. En effet, l’utilité de l’IMC est considérée aujourd’hui comme indiscutable pour les études populationnelles (mesure simple et peu coûteuse et valide que pour les « caucasiens ») mais cet outil rencontre des limites dans son application au niveau individuel2 et cela pour plusieurs raisons. Son utilisation est fondée sur le mythe de l’homme moyen que nous avons déjà étudié dans la première partie de la thèse. Premièrement, l’IMC ne tient pas compte de la composition corporelle ni de la fonctionnalité de l’organisme, bien que ces critères soient fondamentaux dans la description de l’état nutritionnel. En effet, la valeur prédictive pour caractériser quantitativement la masse grasse ou la masse maigre au niveau individuel est faible. Pour un même IMC, la composition corporelle est variable. Par exemple, la sensibilité de l’IMC pour évaluer la masse grasse n’est que de 50 %, selon différents travaux3. Les sportifs de haut niveau peuvent avoir un IMC supérieur au seuil définissant l’obésité en raison non d’une augmentation de la masse grasse mais de la masse musculaire. Des variations de composition corporelle pour un même IMC peuvent se produire aussi bien à l’intérieure d’une population générale qu’entre différentes populations. Les populations asiatiques ont plus de masse grasse que les populations caucasiennes pour un même IMC. Dans la dénutrition, l’important est donc de déterminer la quantité de masse maigre et cela n’est pas possible avec l’IMC. Il a été démontré que des patients avec un IMC normal et un taux important de masse grasse (mesuré par Bioelectrical impédance, BIA) mais avec une perte de masse maigre, avaient un séjour hospitalier plus prolongé, ce qui suggère que l’IMC, pris tout seul,

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1 RJ. Stratton, CJ. Green, M Elia, «Disease-related Malnutrition: An Evidence-based Approach to

Treatment», op.cit., p. 2.

2

A. Basdevant, K. Clément, J.M. Oppert, « Vers de nouveaux phénotypes et de nouvelles nosographies : de l’obésité aux maladies du tissu adipeux », Obésité, 2013, vol. 8, p.234-243.

3 TV. Barreira, DM. Harrington, AE. Staiano, et al «Body adiposity index, body mass index, and body fat

in white and black adults», JAMA 2011, vol. 306, p. 828–30. NR. Shah, ER. Braverman, «Measuring Adiposity in Patients: The Utility of Body Mass Index (BMI), Percent Body Fat, and Leptin», PLoS One, 2013, vol. 7, p.4; MJ. Müller, M. Lagerpusch, J. Enderle, et al «Beyond the body mass index: tracking body composition in the pathogenesis of obesity and the metabolic syndrome» Obes Rev, 2012, vol. 13 p.6–13; J. Gómez-Ambrosi, C. Silva, V. Catalàn, et al «Clinical usefulness of a new equation for estimating body fat», Diabetes Care, 2012, vol. 35, p. 383–8.

! "&'! n’est pas un bon outil pour détecter la dénutrition1. En outre, des études épidémiologiques récentes2 montrent qu’un bon état de santé, entendu comme une morbi-mortalité basse, est compatible avec une plus large gamme des valeurs d’IMC. Ainsi, selon des études de métanalyse, les personnes avec un IMC entre 30 et 35 kg/m2 ont un taux de mortalité inferieur en comparaison avec les personnes normales. Il semblerait également que l’obésité est certainement un facteur impliqué dans les maladies cardiométaboliques et le cancer, mais la présence de l'obésité peut aussi protéger contre la mortalité une fois que ces maladies surviennent. Tel est le « paradoxe de l’obésité ».3 Force est donc d’admettre qu’il ne faut pas considérer tous les patients ayant un IMC supérieur à 30 kg/m2 comme des malades et que tous les patients ayant un IMC inférieur à 18 kg/m2 ne risquent pas de mourir de dénutrition.

Dans notre cas d’étude, M. Dn. est un sujet âgé, avec un IMC de 24,6 kg/m2 au seuil de normalité et même proche du celui du surpoids. Ce patient peut être dénutri ou présente un risque de le devenir, même si l'IMC se situe dans la fourchette normale. Selon les recommandations de la prise en charge nutritionnelle des personnes âgées de la Haute Autorité Sanitaire en France,4 pour un sujet âgé, l’IMC < 21 kg/m2 indique un état de dénutrition. En effet, M. Dn a perdu 10,2% de son poids corporel en trois mois. Selon l’outil de dépistage du risque de dénutrition recommandé par ESPEN, le NRS 2002, il est classé comme étant à « haut risque nutritionnel » en raison de la perte de poids qu’il a subie, de son apport alimentaire réduit et de sa maladie (pneumonie). D’après les critères de Cederholh (Tableau 1), le patient n’est pas répertorié comme dénutri : il présente, certes, le premier critère de l’alternative 2, mais il n’existe pas d’information à propos de sa composition corporelle (masse maigre).

En l’absence d’informations concernant la composition corporelle, il n’est guère possible non plus de savoir si le patient est atteint de sarcopenie (diminution dans la fonctionnalité, de la force et de la masse musculaire), un syndrome fréquent chez les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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UG. Kyle, M. Pirlich, H. Lochs et al. «Increased length of hospital stay in underweight and overweight patients at hospital admission: a controlled population study», Clin Nutr 2005, vol. 24, p. 32-42.

2 K.M. Flegal, « Association of All-Cause Mortality With Overweight and Obesity Using Standard Body

Mass Index Categories », JAMA, 2013, vol. 309, p. 7.

3 Il existe à ce jour de nombreuses controverses sur le « paradoxe de l’obésité ». D. Haslam, « Obesity in

primary care: prevention, management and the paradox», BMC Med, 2014, vol. 12, p. 149.

4 HAS, Recommandations de la prise en charge nutritionnelle des personnes âgées de la Haute Autorité

Sanitaire en France.

http://www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/denutrition_personne_agee_2007__recomman dations.pdf, (Consulté le 6 mars 2014).

! "&(! patients âgés. En conséquence, en se fondant uniquement sur l’IMC pour établir un diagnostic de dénutrition, le risque qui se présente est celui d’une mauvaise classification des individus. Dans notre cas d’étude, M. Dn, selon cette analyse, n’est pas considéré comme dénutri ou « à risque » et, dans ce cas, selon toute vraisemblance, aucune intervention nutritionnelle ne lui sera proposée.

Au-delà du fait qu’elle peut augmenter un risque statistique pour d’autres maladies, la dénutrition est un état pathologique caractérisé par l’altération, d’une part, des paramètres anthropométriques comme la masse maigre (mais aussi la masse grasse) et, d’autre part, par des altérations des fonctions telles que la fonction immunitaire, endocrine et métabolique. L’origine de cet état pathologique n’est pas seulement due à l’absence d’une alimentation adéquate, mais elle est également liée à de mécanismes biologiques (moléculaires, physiologiques, biochimiques). L’absence de dénutrition, ou la présence d’un bon état nutritionnel, est souvent associée à l’état de santé et de bien- être. Pour ces raisons, la question de savoir si la dénutrition doit être considérée comme une maladie, mérité d’être posée. Pour cela, il est nécessaire de reprendre la définition actuelle de la maladie. Nous avons constaté qu’à ce jour, il n’existe pas une définition générale de la maladie et l’ambition elle-même d’en élaborer une, fait l’objet d’un questionnement par la philosophe E. Giroux1. En effet, il est possible de trouver diverses notions ambiguës et complexes de la maladie et de la santé. C’est le cas de la définition de l’OMS qui constitue la santé comme une valeur positive :

« Un état de complet bien-être physique, mental et social et pas seulement l’absence de maladie et d’infirmité2. »

Cette définition est ambiguë : en élargissant le domaine de la médecine au « bien- être », les limites entre la santé et le bonheur deviennent floues. Dans le débat philosophique contemporain, le terme maladie peut avoir trois significations différentes qui sont le reflet des termes anglais « illness, disease, sickness ». Même si « illness » et « disease » peuvent être traduits par « maladie », E. Giroux propose de traduire « disease » par pathologie, avec un sens médical et objectif, afin d’inscrire l’analyse !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 E. Giroux, Après Canguilhem définir la santé et la maladie, Paris, PUF, 2010.

2 Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence

internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. La définition n'a pas été modifiée depuis 1946. http://www.who.int/about/definition/fr/print.html. Consulté le 1 décembre 2015.

! "&)! dans l’optique de Canguilhem qui opère une claire distinction entre « le pathologique » et « la maladie ». « Illness » aurait un sens subjectif (côté narratif de la maladie), existentiel et clinique et désignerait le fait d’« être malade ». En ce qui concerne « sickness » le terme est socialement considéré comme se référant au fait d’« être un malade ». Il s’agit de la représentation socialement déterminée de la maladie.

Ces trois sens donnés au terme maladie nous permettent de reconnaître les dimensions sociales, politiques et culturelles des phénomènes relatifs à la santé et à la maladie. Cependant, il est important de noter que la médecine reconnaît aujourd’hui comme pathologiques certains états comme le cancer, le diabète, l’hypertension artérielle, etc. et qu’il existe dans ces états des critères objectifs et biologiques robustes et bien établis. Par exemple, un taux de glycémie supérieur à 1.26g/dl est le critère diagnostic pour le diabète. Les médecins ont besoin d’appuyer leurs décisions et leurs jugements sur des notions objectives et non sur critères arbitraires. Or, il n’existe pas une définition générale universellement acceptée de la dénutrition, ce qui favorise l’incertitude, l’ambiguïté et l’arbitraire dans l’établissement de critères1. C’est ce que nous avons examiné plus haut en mettant en évidence les limites de l’IMC pour diagnostiquer la dénutrition chez un individu.

La difficulté dans la pratique clinique est de faire la différence entre un état nutritionnel « normal » et un état nutritionnel « pathologique ». D’une manière générale, cette différence permettrait de définir la santé et la maladie2. Il existe deux manières d’aborder le normal et le pathologique. Premièrement, selon une différence quantitative, le normal est une valeur de référence correspondant à une moyenne statistique : ce qui est plus fréquent est considéré comme normal. Ce qui s’écarte de cette valeur de référence est considéré comme « anomal ». Deuxièmement, selon une différence qualitative. D’après l’analyse de Canguilhem : l’anormal serait une autre norme, une manière différente de se comporter, une « autre allure de la vie »3. Cette nouvelle norme ne doit pas être comprise comme une variante quantitative, mais par rapport au passé de l’individu. Il faudrait alors considérer l’organisme comme une unité globalisante et pas seulement comme une somme d’éléments autonomes. L’état pathologique crée ses propres normes et conduirait à une vie « plus limitée, à une autonomie moindre, au !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 J.M.M. Meijers, M.A.E. van Bokhorst-de van der Schueren, J.M.G.A. Schols, P. B. Soeters, R.J.G.

Halfens, « Defining malnutrition : Mission or mission impossible », Nutrition, op.cit., p. 432–440.

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E. Giroux, Après Canguilhem définir la santé et la maladie, op.cit., p. 14.

! "&*! sentiment de souffrance ». Le philosophe reconnaît la valeur axiologique de la maladie qui d’après lui, est une « valeur biologique négative ». Comme nous l’avons mentionné dans la première partie de la thèse, la normativité organique constitue la capacité de changer de normes de vie. En ce sens, le pathologique est la réduction de ce pouvoir normatif.

Dans la continuité des apports de G. Canguilhem au débat moderne, il existe une opposition entre « naturalistes » et « normativistes »1. Les questions qui se posent concernent les diverses positions concernant les dimensions normatives et axiologiques du concept de santé et maladie2. Les naturalistes conçoivent la maladie comme une catégorie objective et naturelle qui s’applique à tous les organismes et à toutes les espèces. Les maladies « interfèrent avec une ou plusieurs fonctions typiquement accomplies par les membres de l’espèce »3. La maladie implique un effet incapacitant qui est indésirable et qui justifie un traitement médical spécifique. Elle se fonde sur des critères scientifiques qui permettent de reconnaître un dysfonctionnement de manière objective. Il y a ici aussi une dimension normative qui est surimposée et relative au contexte technique et juridique de la maladie4.

Christopher Boorse, le principal représentant des « naturalistes », affirme qu’il est possible d’établir une définition de la santé et de la maladie libre de tout jugement de valeur. Selon sa théorie, appelée « biostatistique », une condition pathologique est un état statistiquement subnormal de la capacité fonctionnelle partielle biologique (part- dysfonction) des espèces au regard du sexe et de l'âge. La santé « théorique » correspond à l'absence totale de conditions pathologiques. Il s’agit, pour lui, d’une notion scientifique libre de tout jugement de valeur5. Il distingue un concept théorique et !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 E. Giroux, Après Canguilhem définir la santé et la maladie, op.cit. p.14 2

Pour le « normativiste » comme L. Nordenfeltn, les jugements sur la santé et la maladie sont des jugements de valeur mais aussi descriptifs. La maladie est définie comme : « a est malade (ou sens médical) si est seulement si, A est, dans des circonstances standard, incapable de réaliser ses buts vitaux à cause de la présence d’au moins une pathologie que l’on considère en principe comme curable ». Le pathologique est considéré au sens large comme pathologie, déficience, blessure, malformation. En ce sens, des situations controversées, telles que la vieillesse, doivent être considérées non comme pathologiques car il s’agit d’un processus inévitable et incurable. Il s’agit d’une théorie moniste avec une multiplicité de concepts secondaires. Sa principale critique est le lien qu’il établit entre bonheur et santé et l’amalgame entre bien-être et bonheur. Son concept de santé tel que l’affirme E. Giroux « ne laisse la possibilité qu’une personne soit heureuse, bien qu’elle ait une maladie, que si ses buts vitaux sont réalisés par quelqu’un d’autre ».

3 J. Gayon, « Epistémologie de la médecine », dans Dominique Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensée

médicale, Paris, PUF, 2004, p. 436.

4

Ibid., p. 437.

! "'+! un concept pratique1 : le premier serait indépendant de cette dimension axiologique, le second implique et suppose un jugement de valeur. D’après sa théorie,

« Tout concept pratique de maladie présuppose le concept théorique du pathologique2. »

Le sens de ces notions empêcherait que des états soient considérés comme pathologiques comme la masturbation et l’homosexualité. Il s’ensuit que la définition de pathologique est fondamentale d’un point vue pratique. Par ailleurs, la définition de la maladie dans son sens pratique permettrait de distinguer ce qui est « central et périphérique » à la médecine, ce qui est thérapeutique (traiter les maladies) ou non thérapeutique (contraception, circoncision, chirurgie esthétique, etc.). Il s’agit alors de faire la différence entre ce qui relève d’une médecine visant la guérison, qui implique une maladie à prendre en charge, et une médecine d’amélioration de la santé.

Toutefois, la maladie serait mieux définie selon Boorse par deux critères : d’abord, par un état négatif mais aussi par un état susceptible d’être traité par les médecins. La maladie selon ce philosophe :

« n’est pas une autre chose que le fonctionnement biologique subnormal pour l’espèce ; donc la classification des états humains comme sain ou pathologique est une question objective, que l’on doit résoudre à partir des faits biologiques de la nature sans qu’il soit nécessaire de recourir à des jugements de valeur3. »

En ce qui concerne les « normativistes », la maladie suppose aussi une dimension normative mais plus forte4. Ainsi, toute entité considérée comme une maladie implique toujours un jugement de valeur5. D’après Engelhardt, qui a défendu cette position, il n’y a pas de malades indépendamment de tout contexte, ce qui indique que la normativité de la maladie comporte aussi une dimension sociale. Il souligne ainsi que :

« la maladie est alors toute chose que les médecins traitent dans une société particulière, ce qui rend circulaires les définitions de la maladie et de la médecine6.»

Ainsi, selon ce médecin et philosophe, un état pathologique est :

« tout état qu’une société juge devoir faire l’objet d’une prise en charge clinique1 .»

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1 La théorie qu’il définit comme « TBS »

2 E. Giroux, Après Canguilhem définir la santé et la maladie, op.cit., p. 44. 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid., p. 437. 6 Ibid., p. 435.

! "'"! Il propose de remplacer le terme de maladie par celui de « problème clinique » Cependant, il faut reconnaître que certains états qui ne sont pas encore susceptibles d’être traités sont reconnus comme pathologiques.