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Le nutriment au-delà de la fonction de nutrition : l’immunonutriment

CHAPITRE 3 : Le Nouvel Esprit Scientifique

3.3 De la diététique à la nutrition clinique

3.3.1 Le nutriment au-delà de la fonction de nutrition : l’immunonutriment

Le rôle traditionnel d’un nutriment est d’être assimilé, autrement dit, de se transformer en matière du corps. Cette transformation, qui implique des voies métaboliques biochimiques, permet au nutriment de maintenir l’ « état nutritionnel ». Ce dernier correspond à la relation entre l’apport en nutriments et les dépenses et celle-ci se traduit par une composition corporelle particulière, qui est mesurable par le poids et autres techniques de mesure de la composition corporelle (Impédance, DEXA, etc.). Ainsi, un bon état nutritionnel correspond à l’état d’homéostase ou équilibre et s’associe souvent à l’état de santé1. Autrement dit, un bon état nutritionnel est une condition pour être en bonne santé ou atteindre le « bien-être ». Au contraire, la malnutrition ou altération de l’état nutritionnel, par excès (surpoids ou obésité) ou par défaut (dénutrition), correspond à un état pathologique qui, en même temps, peut prédisposer à d’autres maladies. Par exemple, l’obésité est considérée comme facteur de risque cardiovasculaire, facteur favorisant le développement des cancers et reconnue comme une maladie depuis 1997 par l’OMS. Cette condition de « maladie » et les traitements dont on dispose aujourd’hui ne sont pas sans enjeux pour le malade et la société. En effet, son statut en tant que

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La notion de santé a évolué dans l’histoire de la médecine. Depuis l’antiquité et jusqu’à XVIII siècle elle est considérée soit comme un état physique qui « résulte de l’équilibre et du mélange des qualités constitutives de l’homme » soit comme l’état résultant de la capacité de « faire les fonctions propres à l’homme ». Avec la découverte de la microbiologie, la santé fut définie comme l'absence de maladie. D’après l’OMS depuis 1946, la santé est moins un état, et n’est plus définie comme étant l’absence de maladie ou d'infirmité. Désormais, elle est définie comme un « état de complet bien-être physique, mental et social ». Autrement dit, la santé est d’après l’OMS assimilée au bonheur, ce qui n’est pas sans conséquences épistémologiques. Pour les problèmes épistémologiques de la notion de maladie voir J. Gayon, « Epistémologie de la médecine », dans Dominique Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, PUF, 2004, p. 430-439.

! "+(! « maladie » est toujours objet de controverses pour la communauté scientifique1, et cela sera l’objet d’une étude de cas dans la deuxième partie de ce travail.

La relation entre l’état nutritionnel et l’état de santé a été largement étudiée. En particulier, sa relation avec le système immunitaire a été une préoccupation dès les premiers développements modernes de cette dernière science2. En effet, la nutrition est un facteur modulateur majeur exogène du système immune. De la relation entre système immunitaire et nutrition naît le mot « immunonutriment », qui a été développé dans le cadre du support nutritionnel dans les années 90 à partir de l’étude de l’effet de certains nutriments (la glutamine, l’arginine, les nucléotides, les acides gras omega-3) sur l’intégrité de la muqueuse intestinale, la prévention de la translocation bactérienne et en général leur effet sur le système immunitaire3. Ainsi, un immunonutriment est un nutriment qui est capable d’agir au-delà de la fonction nutritionnelle, sur la fonction immunitaire et inflammatoire4. Son fondement se trouve dans la connaissance de la relation du système immunitaire et de l’état nutritionnel. Cette relation est bidirectionnelle, certains médiateurs immunitaires comme les cytokines, libérés en situation de stress métabolique (sepsis, chirurgie, trauma, maladie chronique, cancer), modifient la régulation du métabolisme des nutriments et favorisent la dénutrition. A l’inverse, l’altération du statut nutritionnel peut altérer les capacités fonctionnelles du système immunitaire : l’immunité diminue en cas de dénutrition, d’autant plus que le degré de dénutrition est important. Ces altérations du système immunitaire ont pour conséquence une augmentation des comorbidités associées à la maladie, en particulier infectieuses ce qui peut entraîner une augmentation de la mortalité.

Parmi les immunonutriments, il convient de mentionner la Glutamine, l’acide aminé libre le plus abondant dans l’organisme, le substrat énergétique privilégié des cellules immunitaires et qui devient essentiel lors de l’agression par la maladie. Exclue des premières solutions des acides aminés pour la nutrition parentérale, car trop instable !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1 D.L. Katz, «Perspective: Obesity is not a disease», Nature, 2014, vol. 508. 2

L’immunologie s’est constituée après 1930 comme une science biologique autonome qui étudie les systèmes de défense des êtres vivants contre les organismes pathogènes, c'est-à-dire susceptibles d’induire des maladies, qu’il s’agisse de micro-organismes (virus, bactéries) ou de macro-organismes (macroparasites, champignons). BS. Worthington, « A survey of nutritional-immunological interactions», Bull World Health Organ, 1972, vol. 46, p.537-46. BS. Worthington, «Effect of nutritional status on immune phenomena», J Am Diet Assoc, 1974, vol. 65, p.123-9. CA Mills, «Bone marrow nutrition in relation to the phagocytic activity of blood granulocytes», Blood, 1949, vol. 4, p. 150-9.

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On connaît aujourd’hui le role de l’intestin dans les défenses immunitaires.

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S.A McClave, C.C. Lowen, H.L. Snider, « Immunonutrition and enteral hyperalimentation of critically ill patients», Dig Dis Sci, 1992, vol. 37, p. 1153-61.

! "+)! chimiquement, elle devient un nutriment incontournable du support nutritionnel. Ses effets étudiés chez l’animal ont montré qu’elle peut agir sur l’immunité, sur différents fronts comme, par exemple, l’immunité innée et la protection de la translocation bactérienne lors de la nutrition parentérale sur la régulation de l’axe glutamine-glutathion (un important antioxydant) et l’expression de protéines de choc thermique. La glutamine a été une des interventions nutritionnelles les plus étudiées ces vingt dernières années et si aujourd’hui il y a un consensus scientifique1 à propos de ses bénéfices cliniques sur une certaine catégorie de malades (comme chez le patient en postopératoire ou en réanimation), cela n’a pas toujours été le cas. En effet, au cours de ces 20 années de recherche, les études ont montré des résultats souvent contradictoires2, entre les connaissances fondamentales et les résultats de son utilisation clinique, situation similaire à celle des immunonutriments comme l’arginine ou les acides gras oméga-trois3.

La raison de ces difficultés réside dans une question méthodologique. Cela nous intéresse pour notre étude, car la médecine suppose une pratique efficace, ayant fait ses preuves et de moindre risque pour le malade. Or, en nutrition clinique, la pratique s’est souvent fondée sur l’opinion des experts et en de nombreuses occasions sans preuves scientifiques susceptibles de fonder ce raisonnement4. En effet, afin de démontrer l’efficacité du support nutritionnel, on a voulu initialement traduire les bénéfices des résultats trouvés in vivo ou in vitro, à la pratique clinique. Du coup, on a réalisé des études cliniques (clinical trials) dès les années 80 afin d’évaluer l’efficacité du support nutritionnel. Ensuite, c’est l’approche de la médecine basée sur le niveau de preuves ou Evidence Base Médicine (EBM) qui s’est appliquée. Considérée aujourd’hui comme le modèle prédominant du raisonnement médical, l’EBM a pour fondement, un paradigme empirique et l’usage rigoureux de statistiques. Cela n’est pas nouveau, déjà Cabanis aux XIXème siècle prétendait que la médecine pouvait avoir le même statut que la physique, c’est-à-dire, celui d’une science exacte. Cela n’est pas sans conséquence du point de vue épistémologique et éthique pour la nutrition. Peut-on appliquer cette méthodologie à la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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D’après des meta-analyses récents, en particuliers après: Qi-Hong Chen, Yi Yang, Hong-Li He, Jian-Feng Xie, Shi-Xia Cai, Ai-Ran Liu, Hua-Ling Wang and Hai-Bo Qi, « The effect of glutamine therapy on outcomes in critically ill patients: a meta-analysis of randomized controlled trials», Critical Care 2014, vol. 18, p. 436.

2 L’étude REDOXS publiée en 2014 du Canadien DK. Heyland est un exemple qui montre que la glutamine

augmenterait la mortalité. Cependant, la méthodologie de cette étude a été largement critiquée.

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P. Singer, « Espen Guidelines on Parenteral Nutrition, Clinical Nutritrion », Clinical Nutrition, 2009, vol. 28, p. 87.

! "+*! nutrition clinique ? Est-ce une preuve que la médecine s’approprie la pratique de la nutrition ? Est-ce là une recherche de légitimité ? Il s’agit aussi de questionner la validité méthodologique de la recherche en nutrition clinique et ses enjeux éthiques. Est-ce que cela ne va pas détourner d’une approche holistique de la maladie ? Car dans une telle approche, on fait l’économie d’une réflexion sur la dimension intime, sociale, psychologique et affective de l’alimentation. Cela comporte-t-il un risque de nuisance pour le patient ? Ces questions feront l’objet d’étude dans la troisième partie de notre réflexion. Cependant, il est important de répondre à une question préalable : est-il possible d’appliquer la EBM à la nutrition? Quelles sont les conséquences épistémologiques et éthiques sur le plan de la prise en charge du patient ?

En prétendant définir une pratique de support nutritionnel fondée sur le niveau des preuves, plusieurs difficultés techniques ont été identifiées lors des études cliniques1. Un premier problème concerne les choix et le nombre des malades inclus. Les études qui ont évalué les effets de la NP, NE ou d’un immunonutriment ont été réalisées chez des patients ayant des situations pathologiques différentes mais aussi différents états nutritionnels (dénutris et non dénutris). Par exemple, on étudie l’effet de la glutamine chez les malades en postopératoire, sans tenir compte du type de postopératoire. Une chirurgie programmée n’a pas le même effet sur le métabolisme qu’une chirurgie non programmée. La réponse métabolique n’est pas la même et du coup l’altération du métabolisme de la glutamine peut varier et, par conséquent, l’effet de l’administration de ce nutriment lors du support nutritionnel. Ainsi, l’absence de sélection et d’homogénéisation des patients à l’intérieur des études amène à des résultats différents et peu fiables. Un second problème est que la plupart des études incluent un nombre insuffisant de malades pour pouvoir vérifier une hypothèse (faible puissance statistique). En plus, à l’intérieur des méta-analyses, les études sont comparées entre elles sans tenir compte du type de patient étudié. Du coup, les conclusions formulées sont souvent erronées ou contradictoires, ce qui perturbe la pratique de la nutrition clinique.

Une autre question méthodologique est le manque de spécificité lors des études des immunonutriments et l’utilisation du placebo. En effet, ils ont souvent été étudiés de manière associée, comme c’est le cas pour des solutions de nutrition entérale qui mélangent, en plus de ces nutriments, les immunonutriments (par exemple arginine, acide !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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CA. Braunschweig, PM. Sheean, SJ. Peterson, « Examining the role of nutrition support and outcomes for hospitalized patients: putting nutrition back in the study design», J Am Diet Assoc, 2010, vol. 110, p.1646- 1649.

! ""+! gras oméga 3). En conséquence, cela rend impossible l’identification du rôle de chacun de ses nutriments et de ses possibles interactions1. Ils sont en plus comparés à des placebos non adaptés d’un point de vue éthique et scientifique. En général, soit il n’y a pas de placebo, ce qui pourrait correspondre à une moindre voire à une absence de nutrition, soit ils sont comparés avec des placebo non adaptés biochimiquement (non iso calorique et non iso azoté).

Ces erreurs méthodologiques dans la recherche ont non seulement posé des enjeux éthiques, mais elles ont également empêché une pratique clinique consensuelle. Nous considérons qu’il est possible d’appliquer l’EBM à la nutrition mais en tentant compte de particularités méthodologies et éthiques propres à la Nutrition. Pour répondre, en partie, à cette difficulté méthodologique, une nouvelle approche scientifique est proposée : la pharmaconutrition.