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Quelques enjeux clés pour l’avenir de la Région

4. Quelques enseignements en termes d’enjeux et d’orientations pour l’action

4.1. Quelques enjeux clés pour l’avenir de la Région

Les éléments d’analyse qui ressortent des travaux produits au cours de l’étude - diagnostic territorial, projections démographiques et estimations de leurs impacts, entretiens et enquêtes, atelier de prospective - permettent de mieux appréhender, dans le cadre d’une vision intégrée du territoire, les enjeux clés auxquels la région est aujourd’hui confrontée. L’ensemble des informations recueillies et des analyses effectuées permet d’esquisser les enjeux pour l’action et quelques orientations stratégiques possibles. Il s’agit de fournir aux acteurs de la Région et à leurs partenaires – y compris au niveau national - quelques éléments d’aide au pilotage de l’évolution du territoire, quelques pistes d’actions possibles que les forces vives de la Région de Ségou pourraient s’approprier et mettre en œuvre.

4.1. Quelques enjeux clés pour l’avenir de la Région

Outre les forces motrices identifiées lors de l’atelier participatif de prospective, mises en perspective avec le diagnostic territorial, trois enjeux et leviers transversaux apparaissent majeurs à l’équipe pour orienter le développement économique et social de la Région de Ségou à l’horizon 2035 : une meilleure maîtrise des évolutions démographiques, la diversification économique et le réinvestissement stratégique dans l’agriculture et l’agro-alimentaire, lieu pour longtemps encore des possibles ajustements.

4.1.1. Les forces identifiées comme motrices sont des enjeux clés pour le devenir du territoire

La sécurité imprègne les comportements actuels et l’ensemble du fonctionnement économique et social de la Région. Cette influence sur la réflexion stratégique se situe tout d’abord à très court terme parce que le territoire est sous la menace des conflits dans la Nord, que l’activité et les mobilités sont de fait ralenties, ralentissement renforcé par la suspension de l’aide au développement et de la plupart des programmes en cours, par les ONG comme par les coopérations étatiques. Mais les acteurs de Ségou anticipent également bien plus loin les conséquences de la situation politique et certains scenarios insistent sur le fait que la façon dont la question sécuritaire sera saisie va influencer fortement les orientations économiques et sociales et la gouvernance. Un accent est mis sur l’influence possible, mais très incertaine, des flux migratoires induits sur la paix sociale, notamment dans la zone très attractive de l’Office du Niger.

Pour l’heure, le sous-sol de Ségou et son potentiel minier ne sont pas exploités, d’autant que sa richesse n’est pas avérée. Pour autant, les suspicions de gisements d’hydrocarbures et de métaux précieux, notamment dans le Nord de la Région, sont susceptibles de changer la donne et toute la réflexion sur la diversification économique – dont l’étude démontre la nécessité. Entre espoirs de richesse et d’emploi d’un côté et craintes sur les impacts environnementaux et sociaux négatifs de l’autre, ces perspectives posent d’importantes questions sur la capacité des institutions publiques à gérer l’éventuelle mise en valeur de toute nouvelle opportunité pour qu’elle crée du développement durable.

Les infrastructures de communication et de télécommunication manquent cruellement. C’est le cas de l’ensemble de l’équipement du territoire, mais dans une économie vouée à la mobilité et dépendante de la qualité de l’information, les réseaux routiers et l’accessibilité du plus grand nombre aux nouvelles technologies constituent des priorités. Dans les états du futur émanant de l’atelier, la construction, la maintenance et la qualité actualisée de ces infrastructures sont apparues comme des

éléments clés, et non encore acquis, de l’amélioration de la situation agricole et de la diversification de l’économie locale. La question rejoint aussi celle de la possibilité de disposer de données fiables sur les dynamiques régionales.

Le dilemme de la « formalisation du secteur informel » traverse la réflexion stratégique sur le développement de Ségou. L’enjeu sous-jacent est bien entendu la capacité de financement, à la fois de la collectivité locale, mais aussi pour un accompagnement par la professionnalisation du secteur de l’artisanat, seconde force vive de la Région après l’agriculture. Mais dans le même temps, si la normalisation est attendue à terme et jugée inévitable pour pérenniser l’emploi et encourager l’investissement, à court terme les difficultés de gestion et de gouvernance des institutions correspondantes freinent leur capacité de contrôle et d’utilisation efficace d’éventuelles retombées fiscales. Par ailleurs, la vulnérabilité est telle que l’instauration d’un système de gestion professionnel et donc « formel », avec son surcroît de charges, apparaît difficile à mettre en place sans progressivité. Quoiqu’il en soit, et même si le débat est récurrent, l’importance actuelle des activités informelles échappe largement aux statistiques ; il importe, pour disposer d’une vision objective et plus réelle de l’économie de la Région, de mieux la capter.

L’accès à l’énergie est une condition de la relance de l’économie et du bien-être des ménages. Des solutions variées existent, mais les innovations pourraient être de plus grande envergure pour valoriser au mieux les ressources locales. L’enjeu semble être aujourd’hui la diversification de l’offre en cherchant à adapter la production aux spécificités de chaque territoire. Mais la privatisation du secteur fait débat. Seule stratégie susceptible de financer actuellement les infrastructures, elle fait aussi courir le risque d’un surcoût rédhibitoire pour les familles et les entreprises et peut être génératrice d’inégalités.

La définition claire des orientations du développement local est un enjeu majeur, que les acteurs présents lors de l’atelier ont particulièrement souligné. Du fait d’un décalage entre les annonces et les réalisations, il existe un sentiment de confusion sur la prise de décision stratégique. Le fonctionnement segmenté de la construction des politiques publiques aboutit à des stratégies sectorielles décidées en dehors de la Région et qui peinent à s’adapter aux besoins locaux, parce qu’elles sont générales et peu précises. Par ailleurs, comme la mise en œuvre est souvent dépendante de l’obtention de financements, eux-mêmes provenant de diverses sources dont la logique d’affectation est plutôt sectorielle et liée à des « projets », les agents économiques de la Région ont l’impression que la gouvernance territoriale manque de constance et de cohérence. Au-delà des orientations stratégiques du développement, les constats de la coopération luxembourgeoise sur la faible capacité des institutions locales à exercer les compétences qui sont les leurs, sont partagés par les acteurs économiques et sociaux. Produire des innovations en matière de gouvernance territoriale est crucial.

Enfin, le bilan du recours au partenariat public-privé est mitigé, et la faiblesse des effets d’entraînement des investissements directs étrangers dans la Région (notamment dans les zones irriguées) est patente. Par suite, l’accroissement du financement public, est apparu comme nécessaire pour mener des politiques coordonnées et à la hauteur des enjeux.

4.1.2. L’urgence démographique : les défis directement liés à la croissance de la population

De nombreuses incertitudes sont associées aux projections nationales, et encore plus aux projections de la région de Ségou qui viennent d’être présentées. Elles tiennent à la qualité des données disponibles, mais surtout à la pertinence des diverses hypothèses qui ont été formulées. Même si on peut penser que les erreurs d’appréciation commises dans l’élaboration des hypothèses se compensent et n’affectent pas trop les résultats.

Ces limites posées, les projections réalisées mettent en évidence la probable poursuite de la croissance la population du Mali et de celle de la région de Ségou, et ce pour au moins trois raisons. La première

tient à l’importance du nombre de jeunes dans la population (plus de deux Maliens sur trois ont moins de 25 ans). La seconde tient aux niveaux actuels toujours élevés de fécondité. La troisième raison tient à la poursuite attendue de la baisse de la mortalité, en particulier chez les enfants. La combinaison de ces facteurs devrait conduire à une augmentation d’au moins 60% de la population de Ségou d’ici 2035 et à plus d’un doublement d’ici 2050.

Certes, le futur n’est pas écrit, car dépendant de la rapidité de la baisse de la fécondité au Mali et dans la région de Ségou, les augmentations annuelles de la population seront plus ou moins rapides et les structures par âge des populations seront sensiblement différentes à l’horizon 2035 et encore plus à l’horizon 2050. Mais la charge qui pèsera sur les actifs restera encore importante d’ici 2035.

L’autre élément important que révèlent ces projections est le quasi doublement d’ici 2035 de la population active potentielle. L’insertion professionnelle de ces actifs de plus en plus nombreux va constituer un enjeu majeur de développement et de stabilité sociale dans les années à venir. Combien d’entre eux seront employés dans l’agriculture, le formel ou l’informel, en plein emploi ou en sous-emploi, ou encore au chômage, voire inactifs et découragés ? Un ralentissement de la progression du nombre d’entrées annuelles sur le marché du travail dans les 20 et 35 ans à venir pourrait aider à soulager quelque peu les déséquilibres actuels entre offres et demandes d’emploi. Mais un tel ralentissement n’est envisageable que dans une vingtaine d’années, et à condition que la fécondité baisse rapidement, alors que cette baisse ne semble pas encore vraiment amorcée au Mali.

Un ajustement par la migration n’est pas constaté dans les dynamiques actuellement observées. Les mobilités sont plutôt locales et saisonnières et concernent finalement peu de départs définitifs vers Bamako et plus encore vers l’étranger. Même si la migration est envisagée par une part importante des jeunes (selon les résultats de notre enquête), le développement industriel et tertiaire de Bamako n’est pas suffisant pour les accueillir tous, tandis que les conditions d’un départ vers l’étranger ne cessent de se durcir, notamment vers les pays industrialisés et certains pays voisins.

4.1.3. Diversifier l’économie pour répondre aux défis

Dans la Région de Ségou, les dernières décennies n’ont pas plus révélé de début de diversification économique que de transition démographique. La question majeure liée à l’emploi est donc celle des secteurs susceptibles d’accueillir les nouveaux entrants sur le marché du travail.

L’agriculture a clairement été le réceptacle de la croissance démographique, mais au prix de la multiplication du nombre d’exploitations agricoles et de l’expansion des surfaces cultivées. Le développement de l’Office du Niger témoigne de réserves de productivité importantes avec l’irrigation, mais il ne pourra pas résoudre tous les problèmes. D’une part, sa poursuite nécessite des moyens que ni la puissance publique ni les forces nationales du privé ne semblent disposées à mobiliser. D’autre part, les choix aujourd’hui opérés favorisent l’agro-business plutôt que les agricultures familiales, celui-ci étant jugé plus à même de garantir une production régulière bon marché pour nourrir une population urbaine croissante. Sans même entrer dans la question de l’efficacité de ces choix en termes de sécurité alimentaire, il est fort probable qu’une telle orientation ne facilitera pas la création d’emploi ou d’auto-emploi dans l’agriculture. Sur les périmètres comme en dehors, toutes filières confondues, le diagnostic effectué ici, qui croise de nombreuses autres analyses antérieures, offre peu de pistes d’un développement agricole inclusif, gérant l’expansion des surfaces et donc le contrôle des ressources en terre et en eau, tout en restant fortement intensif en travail pour affronter la dynamique démographique.

En dehors de l’agriculture, et malgré le développement de nombreux bourgs secondaires dont on pouvait penser qu’ils dynamiseraient les métiers et entreprises du secondaire et surtout du tertiaire, les perspectives sont aujourd’hui incertaines. La Région de Ségou est pénalisée par la centralisation de l’industrie à Bamako. En particulier, le tissu d’entreprises réellement créatrices d’emplois dans

l’agro-alimentaire se serait plutôt déplacé vers la capitale sur la période longue. Les chiffres nous montrent que la diversification ne bénéficie pas au pays en dehors de Bamako. Ce recentrage a sûrement été renforcé par la crise politique et sécuritaire, mais les contraintes économiques en termes d’infrastructures lourdes jouent aussi un rôle important. Le « rattrapage », objectif des politiques d’équipement en offre de santé et d’éducation et d’accès à l’énergie porté par la puissance publique et l’aide au développement, laisse peu de place, à cause de son ampleur, pour d’autres investissements publics directement productifs, et notamment en dehors de Bamako. Dans le même temps, les investissements privés restent timides, du fait d’un climat global peu favorable et incertain.

Il semble donc difficile d’envisager des réponses en termes d’emploi et d’accès aux ressources naturelles avec une économie locale aussi spécialisée, et dans le même temps les blocages à la diversification semblent difficilement surmontables sans libérer la contrainte démographique et sans une action publique d’envergure. La dimension systémique des enjeux de développement de la Région rend ainsi caduque les solutions sectorielles et réhabilite les instruments d’une action locale intégrée, issue d’une vision globale et dynamique du territoire régional.

4.1.4. L’agriculture et l’agro-alimentaire au cœur des enjeux des prochaines décennies

Du fait de la spécialisation actuelle et de son rôle crucial dans l’absorption du croît démographique comme dans les conditions de vie des ménages, l’agriculture est centrale. Ses emplois doivent être défendus et la valeur ajoutée qu’elle génère doit être préservée. Il s’agit là d’une condition nécessaire dans la lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Sans la perspective d’une reproduction des exploitations agricoles par l’extension des surfaces, de nombreuses familles seraient aujourd’hui dans une situation d’extrême vulnérabilité. Plus encore, un affaiblissement de la production serait préjudiciable à l’ensemble du pays. Parce qu’elle alimente le pays en céréales et en produits carnés, la Région contribue à la sécurité alimentaire de l’ensemble des maliens.

Mais l’étude montre aussi qu’il convient de réformer cette agriculture et d’ouvrir ses perspectives. Les limites d’extension des surfaces agricoles ne sont pas loin et l’agriculture pratiquée aujourd’hui, à l’exception notable de certaines exploitations bénéficiant de terres irriguées, tend à maintenir les ménages de Ségou dans une trappe à pauvreté. La compétition sur les marchés internationaux reste inégale et les prix bas dégagent des revenus trop faibles pour que les ménages accumulent, et génèrent des effets d’entraînement de l’économie. Par ailleurs, l’équation démographique et le besoin de générer des emplois en milieu rural invitent à la prudence dans les formes d’agriculture susceptibles d’enclencher un développement durable. L’immense majorité des politiques publiques visent l’obtention de gains de productivité du travail parce que c’est le schéma classique de la transformation rurale dans les pays aujourd’hui industrialisés. A Ségou de tels gains de productivité du travail sont sûrement nécessaires, mais ils se heurtent au manque d’opportunité d’emploi dans les autres secteurs économiques. Il faut donc envisager des formes d’augmentation de la production qui soient plus intensives en travail, tout en s’’accompagnant d’une augmentation significative des revenus. De même, des systèmes de production moins consommateurs d’espaces doivent être envisagés, sans que l’intensification induite soit préjudiciable à l’environnement naturel. Dans ces conditions, l’agriculture pourrait générer davantage d’emploi et de richesse en amont et en aval des principales filières et contribuer à la diversification économique de la Région.

Le chantier est d’envergure et nécessite un réinvestissement des politiques publiques, de façon à imaginer des réponses innovantes. Ces réponses devront être articulées aux autres secteurs, nous l’avons vu, mais aussi tenir compte de l’extrême diversité des agricultures de Ségou et de l’importance de leur complémentarité dans l’aménagement de l’espace territorial.