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3 Discussion

3.6 Quelles sont les représentations liées à l’IEE ?

Les résultats de notre étude permettent de mieux comprendre les points de tensions auxquels les parents et les professionnel·le·s doivent faire face lorsqu’ils/elles souhaitent aller dehors avec les enfants. La problématique des conditions climatiques et de luminosité a été abordée plus haut dans cette discussion et constitue un frein majeur. La qualité, l’accessibilité et la sécurité des espaces extérieurs disponibles, mais aussi des voies de circulation constituent d’autres freins non négligeables, particulièrement dans les milieux socio-économiques défavorisés. Bien que la plupart des parents estiment que les espaces extérieurs sont globalement de bonne qualité, 40% d’entre eux affirment que l’insécurité perçue constitue un frein. Les professionnel·le·s et animateur·rice·s de l’ATL et des CV confirment ce point de vue : l’accessibilité, l’adéquation et la sécurité des EE sont les premiers freins avancés à l’IEE confirmant l’importance majeure de rendre l’environnement extérieur plus accueillant et de porter une réflexion qui tienne compte de l’intérêt et de la place des enfants lors de l’aménagement des espaces publics comme les parcs et plaines de jeux (Barbour, 1999 ; Wardle, 2000 ; Walsh, 2008) mais aussi au niveau des espaces de circulation (Sharmin et Kamruzzaman, 2017). Un élément qui ressort de notre étude et qui pose problème aussi bien au niveau des parents que des professionnel·le·s et animateur·rice·s de l’enfance est la disponibilité de l’adulte . Les parents déclarent que le manque de temps et la fatigue impactent le temps passé avec les enfants dehors. C’est d’autant plus vrai que les enfants, lorsqu’ils sont petits bénéficient d’une autonomie très limitée et les opportunités d’aller dehors dépendent donc aussi de la possibilité des parents de les accompagner, et/ou de trouver des accompagnants disponibles. Le manque de disponibilités parentales est une problématique de notre société occidentale (Hesketh et al., 2017 ; Mikolajczak et al., 2018 ; Wiseman et al., 2019). Selon Wiseman et al. (2019), les parents occupés déclarent que soutenir l’autonomie de leur enfant ainsi que les superviser dans des jeux risqués demandent du temps et de l’énergie qu’ils n’ont pas toujours et préfèrent cadrer les enfants dans des activités moins stimulantes mais sans danger. Ce mécanisme serait également responsable de l’augmentation du temps d’écran, qui est

considéré comme une activité sans risque, mais aussi « canalisante » pour les enfants. Cette étude montre également que plus les parents appliquent des règles restrictives pour les jeux extérieurs, moins les enfants apprécient aller dehors et plus ils passent du temps devant les écrans (Wiseman, 2019). Dans les milieux d’accueil de la petite enfance, la lourdeur organisationnelle apparaît comme le frein le plus important. Aller dehors avec un groupe d’enfants ne s’improvise pas sans un minimum d’organisation et d’équipement. Cette lourdeur organisationnelle  qui est d’autant plus importante que les conditions climatiques sont défavorables, nécessite une réelle motivation de la part des professionnel·le·s (Waite, 2009 ; Hatcher et Squibb, 2011) qui parfois fait défaut. Sans surprise, le manque de moyens humain  est perçu comme un frein important à l’IEE par les professionnel·le·s de la petite enfance (Taylor et Morris, 1996 ; Davies et Hamilton, 2018). Le manque d’équipement  est également avancé par un·e professionnel·le·s sur cinq. Ces problématiques sont également présentes dans l’ATL et les centres de vacances, mais dans une moindre mesure.

Un élément important qui ressort de la recherche est l’existence d’un cadre structurant complexe  qui vient délimiter l’action de l’enfant dans l’espace extérieur. Ce cadre structurant représente les limites physiques et les règles établies par les adultes et qui définissent l’IEE de l’enfant. Il peut différer en fonction du contexte dans lequel l’enfant est encadré (les parents à la maison et les professionnel·le·s et/ou animateur·rice·s dans l’accueil 0-3 ans et ATL). Largement délimité par les adultes dans les premières années de la vie, il évolue avec l’âge et l’autonomie acquise par l’enfant afin de lui permettre progressivement de fixer ses propres limites. Parmi les différents facteurs influençant le cadre structurant fixé par les parents et les professionnel·le·s, les représentations constituent un élément central. Ces représentations  sont construites et influencées par le cadre socio-culturel, le vécu des personnes, leurs connaissances, leurs compétences, leur éducation, et leur sensibilité, leur tempérament (Little et Wyver 2008 ; Guldbergh 2009 ; Bundy et

al., 2009 ; Sandseter, 2012 ; Little, 2015). Elles conduisent à des manières différentes de percevoir

les choses.

Les résultats de la recherche révèlent qu’une grande majorité des adultes (parents comme professionnel·le·s) ont une attitude très positive vis-à-vis de l’extérieur et reconnaissent les bienfaits de l’IEE pour l’enfant. Ils perçoivent tous qu’aller dehors contribue au bien-être de l’enfant, lui permet de se dépenser, de « s’oxygéner », est bon pour sa santé et lui permet de découvrir la nature. Certains bénéfices sont perçus de manière différente selon les répondant·e·s. Ainsi, le développement des sens est un bénéfice perçu principalement dans l’accueil 0-3 ans. La socialisation des enfants grâce à l’IEE est un bénéfice davantage souligné par les parents et dans l’ATL que dans l’accueil 0-3 ans. Et enfin, toute une série de bénéfices liés à l’IEE et avérés comme le développement de l’autonomie (White, et Stoecklin, 1998), la créativité (Waite, 2007), le développement des connaissances (Waite, 2007 et 2010) ; la découverte de ses limites et la gestion des dangers (Sandseter, 2009 ; Aldis, 2013), mais aussi la sensibilisation au développement durable (Wilson, 1996), restent très peu relevés par les répondant·e·s. Cela montre que ces perceptions ne vont pas nécessairement de soi, et/ou constituent des éléments moins importants aux yeux des adultes. Malgré une représentation favorable à l’IEE les enfants passent de moins en

moins de temps dehors (Wyver et al., 2010 ; Witten et al., 2013 ; Bates et Stone, 2014 ; Kytta et

al., 2015). En effet, les adultes interrogés dans l’enquête quantitative (parents et

professionnel·le·s) estiment souvent avoir passé beaucoup plus de temps dehors que leurs propres enfants lorsqu’ils étaient jeunes. Les raisons évoquées par la littérature pour expliquer cette diminution de l’IEE pourraient s’expliquer par une organisation de la société de plus en plus chronophage ; une société de plus en plus sécuritaire, l’augmentation importante du trafic routier dans l’espace public ou encore un sentiment d’insécurité croissant (Kalish 2010 ; Witten et al., 2013 ; Bates et Stone, 2014 ; Kytta et al., 2015).

La dimension sécuritaire joue un rôle très important dans l’évolution de l’IEE. Les résultats de l’enquête quantitative montrent que les principaux dangers perçus peuvent affecter l’IEE, peuvent être répartis en 4 grandes catégories : 1) les dangers qui peuvent porter atteinte à l’intégrité physique ; 2) le risque de maladie, d’infection ou d’intoxication ; 3) les risques de se perdre et 4) le risque d’une mauvaise rencontre. L’acceptation, ou pas, que l’enfant puisse être confronté à un danger et qu’il puisse y avoir parfois de petits accidents constitue un point de tension important dans notre société où, de plus en plus souvent, le risque zéro est souvent recherché. Cette évolution influence les réglementations, les représentations, et finalement le cadre structurant fixé par les adultes avec des conséquences potentiellement délétères pour le développement global de l’enfant. L’impact de l’ancrage social et culturel sur les représentations adultes se manifeste dans les jeux autorisés, dans l’autonomie accordée ou encore dans les mesures d’hygiène. Ainsi notre étude montre que les jeux de grimper, les jeux de force ou encore la manipulation d’outils sont régulièrement perçus comme dangereux ou inappropriés. Dans de nombreuses structures d’accueil ces activités sont interdites pour leur source de danger, alors qu’elles constituent également d’excellentes opportunités de développement (Fjortoft, 2004 ; Scott et Panksepp, 2003 ; Sandseter, 2009 ; Gull et al., 2018).

Il apparaît fondamental de prendre conscience qu’une approche trop restrictive amenuise les opportunités de développement de l’enfant et pourrait, sur le long terme, poser d’autres problèmes comme le manque de compétences motrices, un déficit de condition physique ou encore une faible aptitude à évaluer et à gérer les risques (Stephenson, 2003 ; Little et Wyver, 2008 ; Wyver et al., 2010 ; Sandseter et Kennnair, 2011 ; Brussoni et al., 2012).

Le questionnaire- photos de l’enquête quantitative a permis d’analyser plus en détail l’influence des représentations sur le cadre structurant de l’enfant et sur son vécu. Les résultats montrent clairement que le vécu de l’adulte a un impact très significatif sur les représentations (Ward, 1976 ; McClintic et Petty, 2015), mais aussi influence dans de nombreux cas les règles appliquées (niveau d’autorisation) et le vécu de l’enfant. Le vécu de l’adulte semble influencer tout particulièrement la perception des bénéfices et des compétences. Même si la relation est plus faible, l’absence d’expérience propre de l’adulte peut contribuer à une plus grande perception du danger. Il importe de reconnaître ici le rôle majeur de l’expérience dès le plus jeune âge dans la construction des représentations. Le développement des compétences se fait par l’expérience et permet à chacun de connaître à la fois ses potentialités et ses limites mais aussi de mieux se rendre compte des dangers potentiels et des conséquences. Pour ce faire, il est capital de soutenir

la liberté de mouvement de l’enfant dès le plus jeune âge (Pikler, 1984, Szanto-Feder, 2016) et de lui permettre de vivre des expériences motrices stimulantes et adaptées à son âge, ses intérêts et ses compétences, tout en veillant à sa sécurité. De nombreux travaux montrent qu’une bonne perception des compétences motrices chez l’enfant contribue à son investissement dans l’activité physique (Bois et al., 2005, Stodden et al., 2009 ; Hulteen et al., 2018).

Les résultats du questionnaire-photos montrent à plus d’un titre que différents aspects liés à l’éducation et à la formation des adultes semblent avoir un impact sur leurs représentations mais aussi sur les pratiques de l’IEE par les enfants. Ainsi, le niveau d’éducation des parents influence les différentes représentations (perception des dangers, perception des bénéfices, perception des compétences) mais aussi indirectement le vécu de l’enfant. Par ailleurs, nous relevons que les professionnel·le·s qui déclarent avoir été sensibilisé·e·s à l’IEE ont une meilleure perception des bénéfices et permettent davantage aux enfants de s’épanouir à l’extérieur. Ces résultats confirment que le niveau d’éducation, les formations et les actions ciblées peuvent avoir un impact significatif sur les représentations avec des conséquences positives sur l’IEE. Il est important de faire évoluer les connaissances, les compétences, les savoir-faire et savoir-être, et d’investir dans la formation initiale et continuée des professionnel·le·s de l’enfance. Des données issues de la première enquête confirment l’étude de Dyment (2005) en montrant que confiance et sentiment de compétence dans la gestion des activités à l’extérieur sont très importants, mais pas nécessairement présents chez tout·te·s les accueillant·e·s.

Un résultat majeur est que la perception des bénéfices d’une activité a bien plus d’influence sur chacune des représentations que la perception des dangers qui y est associée. Bien que l’on s’attende à ce que la perception des dangers l’emporte, une étude récente confirme nos résultats en démontrant que dans une activité à risque comme « grimper dans un arbre » les bénéfices perçus par les parents l’emportent sur les risques (Gull et al., 2017). Dans notre étude, c’est particulièrement valable pour le score d’autorisation, aussi bien chez les parents que chez les professionnel·le·s de l’accueil des enfants. Le lien entre le score d’autorisation et le vécu de l’enfant diffère par contre en fonction du contexte d’encadrement. Ainsi, lorsque l’on s’intéresse aux parents, aucune relation significative n’apparaît entre le score d’autorisation et le vécu de l’enfant. Il est probable que les parents n’acceptent pas certains comportements, tout en sachant que dans d’autres contextes d’encadrement ou de jeu libre ils les ont déjà eus. Une autre explication pourrait provenir de l’échelle utilisée pour le score d’autorisation (il s’agit d’une échelle à trois niveaux, avec un niveau intermédiaire majoritairement sélectionné) et qui ne force pas un positionnement net des parents. Le vécu des enfants semble en fait être influencé par trois facteurs qui semblent complémentaires : le vécu du parent, la perception de compétences de l’enfant ainsi que son âge. Au niveau des professionnel·le·s de l’enfance le vécu de l’enfant dans la structure d’accueil dépend du type de structure, mais surtout de deux éléments qui semblent complémentaires : le score d’autorisation et le vécu du professionnel. La perception d’appréciation par contre n’a aucune influence, signifiant que le vécu des enfants dans les structures d’accueil sera fortement influencé par les règles d’autorisation, éventuellement modulées sur base du vécu de l’adulte encadrant, mais ne sera pas influencé par le fait que les

enfants apprécient ou non telle ou telle activité. Une comparaison entre les réponses obtenues de la part des parents et de la part des professionnel·le·s dans certaines situations comparables montre des réactions qui peuvent être très différentes. Par exemple, les parents autorisent davantage leurs enfants à grimper aux arbres que les professionnel·le·s dans la tranche d’âge 7-12 ans. Jouer sous la pluie fait l’objet d’une plus grande restriction de la part des professionnel·le·s de l’accueil 0-3 ans que de la part des parents. C’est le cas pour d’autres situations comme caresser un chien ou encore jouer à l’épée avec un bois. Ces différences peuvent s’expliquer par deux paramètres différents. Tout d’abord, les professionnel·le·s doivent gérer un groupe d’enfants et non un seul enfant à la fois. Il s’agit d’une gestion plus complexe qui peut conduire à une conduite plus prudente afin d’éviter toute situation ingérable. Ensuite, les professionnel·le·s ont sous leur responsabilité des enfants qui ne sont pas les leurs. Cette posture professionnelle et cette responsabilité incitent à appliquer des règles de prudence assez strictes. Le risque de poursuite judiciaire en cas d’accident sous responsabilité du/de la professionnel·le contribue probablement à l’application des règles limitant tout jeu risqué. (Little et Wyver, 2008 ; Little, 2010)

Les résultats de l’enquête-photos montrent que le cadre structurant fixé par les adultes à l’enfant (et donc ce qu’il pourra vivre) dépend en bonne partie de l’équilibre entre la perception des bénéfices et des dangers. Il importe que le cadre structurant et l’accompagnement des adultes soient les plus adaptés à l’enfant afin de l’aider à développer ses aptitudes physiques et motrices, mais aussi à prendre conscience lui-même de ce qu’il est capable de faire, des limites à explorer et à ne pas dépasser mais aussi des dangers. C’est justement ce que permettent de nombreuses activités stimulantes dites « à risque » (risky play dans la littérature anglophone) qui doivent être considérées sous un angle qui reconnaît les dangers liés à une situation et qui considère les bénéfices à court et long termes que cette situation peut apporter à l’enfant (Tremblay et al., 2015 ; Gull et al., 2017 ; Van Rooijen et al., 2019). Au cours de ces dernières années, une littérature abondante démontre tout l’intérêt de ce type de jeu pour le développement de l’enfant et met en garde contre un cadre structurant trop stricte qui limite l’enfant dans son développement (Stephenson, 2003 ; Sanseter, 2009 ; Tremblay et al., 2015). De plus, accompagner l’enfant dans ce type d’activité tout en lui laissant une autonomie de plus en plus grande lui permettrait justement d’apprendre à s’autoréguler et à construire finalement son propre cadre structurant. Offrir une grille de lecture aux adultes accompagnants qui insiste davantage sur les bénéfices liés aux activités extérieures et qui contextualise les dangers potentiels et leur risque de survenue devrait avoir un impact positif sur les représentations et permettre un meilleur accompagnement de l’enfant dans son IEE. L’intérêt d’un accompagnement pédagogique de l’enfant dans sa gestion du risque et des dangers est mise en évidence par la littérature (Sandseter et al., 2011 ; Waite et al., 2014 ; Norodahl et Johannesson, 2016) mais aussi par les réponses des adultes à notre questionnaire-photos qui conditionnent souvent l’autorisation de réaliser une activité à la capacité de l’enfant à la maîtriser et à adopter un comportement adapté. Une campagne de communication sur cette thématique a été lancée en 2017 au Pays-Bas avec comme objectif de modifier les représentations des parents et des professionnels, notamment par l’intermédiaire d’un document intitulé « Nous protégeons les enfants contre les grands risques et nous leur apprenons à gérer les petits risques » (Van Rooijen

et al., 2019). Communiquer et offrir de tels conseils sur les attitudes préventives à adopter pour

limiter les risques d’accident tout en encourageant les jeux stimulants à petits risques apparaît utile aussi bien pour les parents que les professionnel·le·s de l’enfance et pourraient aboutir à une amélioration des pratiques.