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Introduction : propos d'étape

II. Quelle ampleur pour le second dividende ?

La possibilité qu'une fiscalité environnementale puisse, par le recyclage de son produit, conduire à un bénéfice net en termes de bien-être est introduite dès les années 1960 par Tullock—qui en un raccourci évocateur titre Excess benefit—, puis popularisée dans les années 1980 (Terkla 1984; Lee, Misiolek 1986; Baumol, Oates 1988) et au début des années 1990 (Pearce 1991, Poterba 1991) dans le sillage de l'émergence de grands dossiers environnementaux. Sous l'hypothèse du recyclage du produit d'une écotaxe par baisse des cotisations sociales sur le travail, construction la plus étudiée en Europe du fait de la prépondérance des questions de chômage, l'intuition du double dividende est celle d'un cercle vertueux qui par une baisse des coûts salariaux entraîne une hausse de l'emploi, de la consommation des ménages et de l'activité.

Les années 1990 voient la contestation d'une telle intuition dans une série d'articles initiée par Lans Bovenberg, en collaboration avec De Mooij (1994a, 1994b) ou van der Ploeg (1994a, 1994b). Ces articles sont fondés sur le développement de variations analytiques d'un modèle simple caractérisé par un agent unique, dont la dotation en temps est partagée entre loisir, production de bien « sale » (polluant) et production de bien « propre » (non polluant) à taux de transformation constant et normé à 1; le travail (somme des deux productions) ainsi que la consommation de bien sale sont taxés, et les revenus de ces taxations sont reversés à l'agent. Dans un tel cadre, une hausse du prélèvement sur le bien sale compensée par une baisse de celui sur le travail provoque une perte d'utilité37. Goulder (1995) synthétise le mécanisme général

expliquant ce résultat en proposant le raisonnement suivant :

• la taxation du bien sale retombe en dernière analyse sur l'unique facteur de

production, le travail, puisqu'elle constitue une perte de pouvoir d'achat; à pression fiscale constante, la distorsion nouvellement induite sur le marché du travail est au moins équivalente (taxer l'ensemble des biens de consommation le serait strictement) à celle à laquelle elle se substitue;

37 Le recours à une fonction de bien-être social n'est pas anodin : il s'accompagne d'un rejet des qualifications du double dividende en termes d'emploi ou de croissance, telles que pratiquées par les analyses numériques corroborant les intuitions optimistes contestées.

• elle crée en outre—c'est précisément sa justification—une distorsion nouvelle

sur le marché des biens de consommation, puisqu'elle se fait au détriment de la consommation de bien sale et à l'avantage de celle de bien propre, alors que le prélèvement sur le travail initial ne discrimine pas l'un ou l'autre bien;

L'agent subit donc deux distorsions nouvelles, dont une au moins équivalente à la seule qui l'affectait ex ante : le coût de la réforme en bien-être est nécessairement strictement positif. Incidemment, la baisse de l'utilité du revenu marginal modifie l'arbitrage entre travail et loisir en faveur de ce dernier—ce que l'on peut interpréter comme une baisse de l'activité et un coût net en emploi.

Le cadre épuré dans lequel l'analyse est menée prête de toute évidence au questionnement des résultats obtenus. Goulder dès son texte de 1995 propose une série d'intuitions prolongeant les résultats démontrés. Quatre ans plus tard, faisant le point sur l'avancée des débats, Bovenberg (1999) complète et étoffe cet aperçu dans un article qui fait écho à celui de Goulder. Il ressort de ces travaux que la portée de l'analyse initiale est principalement limitée par trois types de facteurs :

l'inefficacité ex ante de la fiscalité en place : la prise en compte d'un facteur de

production supplémentaire, taxé selon une charge marginale excédentaire contrastée, peut renverser le sens de la variation de bien-être. Notamment, si la taxation environnementale, du fait des structures de production, retombe en priorité sur un facteur capital38 relativement peu taxé par rapport au travail, un

gain net est possible;

• la transmission de la charge fiscale : l'argumentation contrant l'intuition d'un

second dividende sous-entend notamment que la substitution entre écotaxes et prélèvements sur le travail ou les profits est neutre, coeteris paribus, pour la formation des coûts de production. Or, dans la mesure où elle touche aussi les ménages, une écotaxe se comporte comme une taxe implicite sur les revenus non salariaux (dont les revenus de transfert), et permet ainsi un allégement net de la charge fiscale pesant sur la production (Koskela, Schöb 1999). Dans le même ordre d'idée, elle peut dans une certaine mesure constituer une taxation implicite des rentes des producteurs d'énergie fossile, au sein d'une économie

38 Hypothèse plausible dans le cas d'une taxe carbone, la production d'énergie étant particu- lièrement plus intensive en capital qu'en travail. C'est un des mécanismes que l'on exploite dans le modèle analytique simple ci-dessous.

(Koskela, Schöb 1999; Renström, Marsiliani 1997) ou au-delà de ses frontières au bénéfice de sa balance commerciale (Yu, 2001).

les imperfections ex-ante du marché du travail : dans l'hypothèse—réaliste pour

beaucoup d'économies—d'une rigidité à la baisse des salaires nominaux, Carraro et Soubeyran (1996) ou Bovenberg et van der Ploeg (1996) montrent que l'effet sur la création d'emplois de la diminution des prélèvements sur le travail est magnifié, et l'impact de la hausse d'emploi sur le revenu disponible brut susceptible de transformer la perte nette de bien-être en un gain.

On peut compléter ce dernier point sur le marché du travail de deux considérations :

• supposer une flexibilité absolue des salaires et faire l'hypothèse que les salariés

arbitrent en faveur du loisir en cas de baisse de leur pouvoir d'achat, c'est ignorer le recours à l'économie domestique ou à l'économie parallèle. Introduire un secteur informel dans l'analyse inverse les résultats surtout si l'on tient compte de la baisse de la propension à la fraude.

• Cremer et Gahvari (1995) démontrent que, lorsque les biens achetés par les

ménages sont hétérogènes quant à leur rigidité, la prise en compte de l'incertitude sur le revenu futur modifie très sensiblement les conclusions d'Atkinson et Stiglitz (1976) sur la taxation optimale. Ce raisonnement peut être transposé au comportement de l'entrepreneur : certes les écotaxes retombent in fine, partiellement du moins, sur les coûts de production; toutefois, emploi et consommation d'énergie sont deux facteurs aux capacités d'ajustement opposées. L'emploi, pour des motifs légaux, sociaux, techniques et organisationnels, est marqué par une forte rigidité, au point que tout prélèvement sur le travail constitue un impôt implicite sur les sureffectifs en cycle baissier. La consommation d'énergie, en revanche, est naturellement corrélée au cycle des affaires. En contexte d'incertitude sur l'évolution de ce dernier, le remplacement du travail par l'énergie comme base fiscale ne peut être neutre par rapport à la propension à embaucher pour une espérance mathématique donnée sur les ventes de la firme (Hélioui 1997).

Bovenberg définit ainsi lui-même une multiplicité de directions dans lesquelles étoffer son cadre d'analyse originel39 afin de favoriser l'obtention d'un second dividende. En

39 Nous n'avons pas mentionné les plus difficilement quantifiables d'entre elles, ni celles franchissant trop évidemment la frontière entre premier et second dividende (ainsi de la substituabilité entre qualité de l'environnement et loisir, de la prise en compte de cette qualité de l'environnement dans la fonction de production, etc.)

parallèle à l'ensemble de ces raffinements, et de manière plus fondamentale, on peut questionner l'absence de représentation d'un système explicite de prix dans le modèle de base : en fonction des intensités en énergie et en travail du bien propre, le sens ultime de la variation de son prix n'est pas donné, or l'hypothèse d'une déflation de ce prix ne serait-elle pas à même de modifier l'effet ultime sur le bien-être et l'activité ? Le reste de ce chapitre est dédié à l'étude de cet effet prix dans un cadre d'analyse simple où la formation des coûts de production est traitée de manière descriptive, sans hypothèse restrictive sur la forme des fonctions de production sous-jacente, pour déboucher sur des conclusions d'ordre général.

III. Structure de production et effet prix :