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V. Modes de développement socio économiques actuels et futurs et

V.2. Enjeux liés à la multiplicité des scénarios de référence

La diversité des facteurs explicatifs des trajectoires de développement précédemment décrite implique d'une part la multiplicité des modèles de développement possibles, et d'autre part la complexité des déterminants des niveaux d'émissions de gaz à effets de serre et des coûts de réduction, au point de mettre en question la capacité des modèles économiques à rendre compte de cette diversité et de ce niveau d'incertitude. Un consensus croissant insiste sur la nécessité de travailler sur des scénarios de référence multiples, lorsque des horizons à long terme sont considérés. Ces scénarios doivent représenter des ensembles cohérents d'hypothèses, concernant les facteurs discutés ci- dessus, plutôt que de simples variantes d'un scénario de référence créées par la modification des paramètres d'entrée d'un modèle donné. Il ne s'agit pas de prévoir ce que seront les résultats à long terme les plus probables, un exercice que bien peu ont réussi (Ascher 1978, 1990), mais d'examiner la faisabilité économique et technique de trajectoires de développement très différentes, et les coûts qui y sont associés. Ceci permettrait, par exemple, de répondre à la demande fréquente d'élaboration et d'analyse de scénarios de « développement durable », qui traduisent des hypothèses sur les trajectoires de développement économique et technologique et les « changements de modes de vie » très différentes de celles incluses dans les analyses traditionnelles. Les limites des méthodologies actuelles mettent en relief la nécessité de clarifier les types de déterminants structurels qui sont implicitement pris en compte dans chaque scénario de référence, et ceux qui sont considérés comme fixes, ce qui exige :

• d'une part, d'approfondir les tests de sensibilité des résultats aux paramètres les

plus incertains,

• d'autre part de procéder à des tests de « viabilité » assurant la cohérence

globale des tendances projetées à long terme au regard des contraintes financières, politiques et institutionnelles.

Au-delà de ces difficultés techniques, l'existence de multiples scénarios de référence pose deux questions majeures :

• l'impossibilité de comparer les estimations des coûts effectuées depuis des

scénarios de référence différents. Par exemple, un scénario de limitation élaboré à partir d'un scénario de référence dont les hypothèses englobent des améliorations substantielles de la qualité de l'air, pour des raisons

indépendantes du changement climatique, donnerait probablement des estimations de coûts plus élevées par unité de réduction, qu'un scénario de limitation élaboré à partir d'un scénario de référence ne prévoyant pas de telles améliorations. De plus, étant donné les difficultés à intégrer les rétroactions entre les modes de développement et les variables économiques, un scénario de référence qui donne lieu à des estimations de coûts plus faibles ne peut pas être interprété comme étant économiquement supérieur aux autres scénarios de référence. Ces différents scénarios de référence représentant différentes trajectoires de développement, chacune étant potentiellement un scénario « efficace », ils ne peuvent être comparés directement, et aucune évaluation globale de coûts relatifs n'est possible. La question des coûts relatifs (par exemple, les coûts de transaction ou les coûts politiques) associés à ces différents scénarios de référence, reste par conséquent sans réponse.

Ce problème est loin d'être purement théorique. Ainsi, si le débat sur le changement climatique était apparu en 1973, juste avant la décision de lancer le programme nucléaire en France, toute estimation des coûts de limitation aurait considéré deux scénarios de référence : le premier aurait exclu le programme nucléaire et aurait, par conséquent, prévu un niveau d'émissions de CO2 plus

élevé, auquel cas le coût du programme nucléaire aurait pu être inclus dans les coûts de limitation; le second aurait inclus le programme nucléaire, et les émissions et les besoins de limitation auraient, par conséquent, été plus faibles. Paradoxalement, cependant, les coûts d'une réduction incrémentielle des émissions, de 20 % par exemple, auraient été bien plus élevés. Et finalement, le choix nucléaire n'aurait pas été fait, dans la pratique, pour des raisons purement liées au climat.

Par conséquent, la meilleure stratégie analytique est de reconnaître que différents scénarios de référence sont possibles, et que toute estimation de coûts de limitation n'est pertinente qu'à la marge de chaque scénario de référence et non en termes absolus.

• la difficulté d'évaluer la signification des scénarios de référence. La fonction

des scénarios de référence dans les études de coûts est de fournir une base de comparaison pour le calcul des coûts de limitation. Il est important de garder à l'esprit que de tels scénarios de référence supposent une distinction quelque peu artificielle entre un « laisser-faire », où aucune politique de limitation des émissions n'est instituée, et la mise en place d'une politique particulière. Bien qu'une telle procédure soit nécessaire pour obtenir une base de comparaison, et

donc une estimation des coûts de l'action, cela n'implique rien en principe sur la probabilité ou l'efficacité énergétique relative du scénario de référence, comparé au cas où une politique est mise en place.

Un problème similaire se pose quant à la distinction classique entre l'adaptation au changement climatique et la limitation de celui-ci. À court terme, le sens de cette distinction est clair : limitation signifie réduction des sources d'émissions et/ou augmentation des puits de GES, tandis qu'adaptation signifie amélioration de notre capacité à résister aux changements du système climatique mondial. À plus long terme, cependant, la distinction entre la limitation et l'adaptation commence à s'estomper : non seulement les mesures adoptées pour atteindre un objectif ont des conséquences significatives pour l'autre objectif (par exemple, des mesures d'amélioration de l'efficacité énergétique adoptées pour réduire les émissions, peuvent rendre les systèmes énergétiques plus résistants face à la variabilité du climat), mais de nombreuses politiques adoptées pour d'autres raisons, auront des effets d'adaptation et de limitation (par exemple, des décisions relatives à la planification urbaine). De ce point de vue, la distinction entre les scénarios de référence et les scénarios d'action devient artificielle, puisque la vraisemblance d'un scénario où même les actions d'adaptation seraient absentes est limitée.

L'importance respective des scénarios de référence et des scénarios d'action repose sur l'étude attentive de ce en quoi ils diffèrent, et non sur une comparaison de leur plausibilité ou de leur vraisemblance prédictive respectives.

Conclusion

La confluence de ces problématiques et de celles soulevées au chapitre II définissent un cahier des charges d’une ampleur considérable pour les chantiers de la modélisation énergétique et économique. Cette constatation plaide en faveur d’outils de modélisation intégrée permettant de dépasser, sur la base des outils de calcul existants, les contraintes de résolution analytique et de faire dialoguer les différents modèles en consolidant conjointement les productions des uns et des autres.

Les deux chapitres qui suivent présentent le modèle d'équilibre général calculable IMACLIM, spécifiquement conçu pour traiter de la manière la plus explicite possible la double controverse décrite ci-dessus en couplage avec un modèle bottom-up. L'objectif premier d'IMACLIM, à contre-courant de la majorité des exercices de

modélisation les plus en vue, n'est pas de réduire les incertitudes caractéristiques des politiques climatiques, en élaborant des scénarios considérés comme les plus probables « en l'état actuel des connaissances », mais plutôt de révéler ces incertitudes, en mettant en lumière et en discutant les énoncés scientifiques, les simples conjectures, voire les projets normatifs sur lesquels repose la multiplicité de scénarios possibles. En dernière analyse IMACLIM couplé à différents modèles bottom-up—ou synthétisant un espace de vraisemblance de leurs résultats, comme au chapitre VI ci-dessous—doit permettre :

• d'effectuer un tri parmi les origines des divergences observées dans les

nombreuses évaluations disponibles, voire de mettre à jour les hypothèses sous- tendant des prises de position sans fondement analytique apparent;

• de cerner les résultats invariants, tendances lourdes, points de passage obligés,

robustes à des variations paramétriques larges.

• de borner le champ des possibles incluant ces invariants, grâce à certains garde-

fous empêchant la multiplication à l'infini des scénarios possibles.

Au premier rang de ces garde-fous, soulignons la mise en cohérence économique et technique des hypothèses sur les tendances et les variables de contrôle représentées dans IMACLIM et le modèle bottom-up couplé : dans la lignée des raisonnements du chapitre III, la modélisation en équilibre général doit se garder de perdre de vue la réalité physique des phénomènes qu'elle représente, au-delà du leurre confortable de la simple division de grandeurs nominales par des prix.

Le quatrième chapitre présente les spécifications d'équilibre général retenues dans IMACLIM, en insistant sur les traits saillants qui lui permettent de répondre aux interrogations soulevées au chapitre II.

Le cinquième chapitre s'étend longuement sur les modalités du couplage entre IMACLIM et un modèle de prospective énergétique bottom-up, qu'il développe dans le cas d'une articulation avec le modèle POLES de l'IEPE47.

L'esprit gouvernant l'articulation IMACLIM-POLES est celui d'une véritable imbrication, avec modification de la nature de chacun des deux modèles. La lettre s'en écarte encore, puisque seule la prise en compte des enseignements de POLES dans IMACLIM est pleinement développée à ce jour, tandis que le bouclage en retour—

validation macro-économique des projections de référence de POLES, mais aussi de la cohérence des réactivités calculées, notamment en termes de rareté du capital productif—n'est encore qu'ébauché. Toutefois, on dépasse d'ores et déjà le stade d'une simple mise en parallèle, où le modèle technique se cantonne à un modèle d'offre énergétique et fait office de module dans le cadre macro-économique48 : toutes les

conclusions de POLES qui peuvent l'être sont traduites dans le langage d'IMACLIM et reproduites le plus fidèlement possible49. Le propos du chapitre est alors de déterminer

dans quelle mesure l'utilisation de spécifications de forme plus courantes modifie les résultats obtenus dans l'évaluation des politiques climatiques.

48 C'est le cas pour les modèles MARKAL-MACRO (Manne et al. 1992), MERGE (Manne et al. 1995) ou GRAPE (Kurosawa et al. 1999), ou encore de travaux plus théoriques (Böhringer 1998), représentatifs de l'état du dialogue bottom-up/top-down.

49 Le chapitre II ne traite en fait qu'une partie de ces spécifications; on pourra se reporter en fin d'annexe générale pour en découvrir l'ensemble—ainsi d'ailleurs qu'une formulation ad hoc différente, préférée à celle utilisée ici car plus contrôlable.

Chapitre IV