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III. Au cœur de la controverse : le changement technique induit

La création du concept de changement technique autonome a constitué une étape théorique importante en matière de modélisation énergétique, en introduisant l'idée que les prix ne sont pas les seuls déterminants des évolutions techniques. L'AEEI constitue un artefact de modélisation intéressant dans la mesure où il permet d'englober les changements structurels de l'économie, les effets liés au progrès des connaissances et ceux de politiques publiques qui ne passent pas par les prix, comme les normes ou les réformes du fonctionnement des marchés. Mais il peut aussi, mal compris, suggérer à l'inverse que les prix ne jouent aucun rôle dans les incitations, voire que le changement technique est une manne céleste qu'aucune politique ne paraît susceptible d'influencer dans le sens d'une accélération de l'orientation vers certaines technologies46.

Or, il est très difficile historiquement de distinguer de façon nette entre signaux-prix et autres déterminants du changement technique. Pour revenir à l'exemple des chocs pétroliers, l'explosion des cours du baril a déclenché quantités de politiques publiques en matière de recherche et développement, de normes, d'information des consommateurs, et il serait contestable d'attribuer le découplage entre énergie et croissance aux seuls signaux prix. Toutefois, ces politiques d'accompagnement n'auraient sans doute pas vu le jour hors le bouleversement des prix relatifs. En fait, l'articulation des signaux prix avec d'autres instruments de politique publique mérite un examen plus approfondi, et ce d'autant plus dès lors que le changement technique est analysé en reprenant les leçons de la théorie de la croissance, soit comme un processus endogène au sein duquel les externalités de réseaux, l'apprentissage par la mise en œuvre (learning by doing), le rendement d'échelle et le rendement d'adoption jouent un rôle majeur.

46 Cette perception extrême est à la source du débat sur le timing des politiques climatiques : des positions de « laisser-faire » préconisent le retardement de toute action, des solutions au problème radicales et à bas coût ne pouvant manquer de survenir (GIEC 1996).

En pratique, le seul changement technique à être réellement autonome est l'émergence périodique non prévisible d'inventions ou d'innovations (comme la pénicilline), qu'elles surgissent de l'activité d'un chercheur isolé ou de grands programmes de recherche et de développement. On peut encore du point de vue strictement analytique représenter ce progrès technique comme endogène si l'on considère le lien entre R&D et innovation : la recherche et développement est financée et trouve sa contrepartie le jour où son produit technologique, enfin prêt, s'approprie l'intégralité du marché concerné sur ses qualités propres, voire sur intervention publique, avec un effet directe de baisse des coûts de production.

La majorité des innovations relève toutefois du changement technique induit et, comme c'est le cas dans le domaine qui nous préoccupe ici, dans la mesure où il porte sur un nombre très important de produits et exige des efforts centralisés, sont expliquées pour une grande partie par la conjonction de la baisse des prix et de l'extension des marchés. De ce point de vue, les prix ont un double rôle :

• un rôle d'allocation à court terme : les agents arbitrent en faveur de la

technologie la moins coûteuse à niveau d'information donné;

• un effet signal de long terme : l'orientation de l'investissement à chaque

renouvellement des équipements ainsi que celle de la recherche et développement sont modifiées. Certains travaux, notamment ceux menés par Gately (1992), montrent que l'on peut mettre en évidence économétriquement l'effet mémoire joué par les signaux, qu'il s'agisse de prix ou de normes. Dès lors on peut démontrer que le profil temporel des signaux et leur stabilité comptent tout autant que leur ampleur. Concrètement, une hausse programmée et anticipée des prix de l'énergie sur 10 ans n'a pas le même effet qu'une série de chocs erratiques à la hausse et à la baisse conduisant au bout du compte au même relèvement.

L'introduction d'un changement technique induit a plusieurs implications sur les résultats des modèles :

• elle modifie le profil temporel de la réduction des coûts, en favorisant la

précocité de l'adoption de techniques nouvelles même si elle ne modifie pas le coût permanent de la réduction dans la mesure où celui-ci ne dépend que des hypothèses sur les coûts de la technologie ultime, dite « backstop »;

• elle réduit l'incertitude, ce qui accélère le progrès technique. La capacité à

supporter le coût d'opportunité du changement technique et les effets d'éviction entre technologies. Cela souligne l'importance des signaux réguliers de longue période sur les prix qui permettent de stabiliser les anticipations des agents.

• elle améliore l'efficacité des programmes de recherche et développement,

puisque celle-ci dépend directement du niveau cumulé de la réduction, c'est-à- dire du taux d'utilisation des technologies nouvelles, lequel détermine le nombre d'essais et d'erreurs qui permettra aux technologies supérieures de s'imposer.

elle met en évidence les risques de processus de verrouillage (lock-in)

technique, soit de blocage des innovations sur certains marchés. Encore faut-il disposer d'une vision claire de ses moteurs et de ses inerties.

IV. Inertie des systèmes techniques et des