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Pour Eco, les aspects « tonémiques » sont actualisés en contenu, par le destinataire, en fonction des circonstances d‟énonciation. D‟autres auteurs ont étudié ces mêmes aspects à partir de différentes productions orales observées en rapport à des déterminants situationnels et contextuels.

2.4.1 Variations stylistiques en rapport avec une situation discursive particulière

Selon Auchlin, Avanzi, Goldman et Simon (2010), les paramètres prosodiques varient en fonction de « styles de paroles ». A partir du constat qu‟un locuteur adapte sa façon de parler à certains paramètres de la situation de communication, l‟étude menée par ces auteurs cherche à découvrir si des paramètres prosodiques comme le débit de parole, les intonations ou l‟accentuation varient systématiquement en fonction de facteurs situationnels.

Ce travail de recherche prend en compte de manière spécifique des dimensions estimées constitutives d‟un « style de parole » à partir d‟une dizaine de critères (Koch et Oestereicher, 2001), qui servent de catégorisation du comportement communicatif des interlocuteurs par rapport aux paramètres situationnels et contextuels. Ces critères portent par exemple sur la

proximité relationnelle entre interlocuteurs, la liberté thématique et expressive, la situation spatio-temporelle, etc. et définissent des « styles de parole » formels et informels de la manière suivante :

Le style informel (« langue de la proximité ») « se caractérise par une relation intime entre interlocuteurs, une grande liberté thématique, de l‟expressivité, une certaine improvisation (qui va de pair avec les hésitations et des formulations décondensés), une coprésence spatio-temporelle (qui autorise l‟ancrage de l‟interprétation sur d‟autres paramètres que le verbal), etc. » (Auchlin et al., pp. 73-74).

Le style formel (« langue de la distance ») « se caractérise par le fait que les interlocuteurs sont inconnus l‟un pour l‟autre, ne sont pas en présence, ne peuvent recourir qu‟à un contenu verbal pour interpréter le discours (ce qui exige un caractère plus explicite) etc. » (ibid., p.

74).

Sur la base de l‟ensemble de ces critères de catégorisation, les auteurs évaluent sept situations communicatives qu‟ils appellent des « genres de productions langagières »7 (ou des « types de productions langagières » ou encore des « styles »). Dans leur étude ces « genres » sont la conférence universitaire, l‟interview radiophonique, une demande d‟itinéraire, le journal parlé radiophonique, la lecture, le récit conversationnel et l‟allocution politique. Les auteurs les classent sur un continuum allant des meilleurs représentants de la langue de la distance à ceux de la langue de la proximité. Mais, ils précisent que ces « styles » sont rarement homogènes eu égard aux paramètres situationnels et contextuels répertoriés par les dix critères de Koch et Oestereicher.

Par exemple, l‟interview et le journal radiophoniques sont deux types de communication médiatique. Le journal parlé est proche de la langue de la distance (non-présence des interlocuteurs, contrainte thématique forte, discours préparé) tandis que l‟interview radiophonique est intermédiaire entre la langue de la distance (absence d‟intimité entre interlocuteurs, détachement actionnel et situationnel, communication relativement préparée) et la langue de la proximité (coprésence, dialogue, présence d‟une certaine émotivité, etc.).

(ibid., p. 74)

Sur la base de ce travail de catégorisation a priori, les chercheurs définissent et constituent un corpus qui comprend les sept « activités de paroles » mentionnées ci-dessus et procèdent à l‟analyse des données. Celle-ci se fait moyennant plusieurs outils informatiques qui permettent de déterminer le nombre de phonèmes, de syllabes, de mots, de syllabes proéminentes, de syllabes d‟hésitation et de types de syllabes caractérisant des interruptions et des chevauchements.

7Les sept situations communicatives décrites par les auteurs de cette étude portent tantôt l‟appellation « styles de parole » tantôt celle de « genre de production langagière ». Selon cette dénomination, le corpus est constitué de sept « genres » de productions langagières auxquels les auteurs se réfèrent en évoquant ces productions textuelles également en termes de discours formel/ informel, ou hésitant, ou encore de discours officiel etc. Cette manière d‟utiliser les termes « genre » et « discours » ne correspond pas à celle que Bronckart (1996) a élaboré dans sa définition de l‟activité langagière. En effet, cet auteur adopte l‟expression de genre de texte, de préférence à celle de genre de discours. Selon sa définition, un genre de texte est composé d‟un certain nombre de segments, identifiables par leurs caractéristiques linguistiques spécifiques. Ces segments « constituent le produit d‟un travail particulier de sémiotisation ou de mise en forme discursive » et entrent « dans la composition d‟un genre ». Ce sont ces segments qui existent « en nombre fini » et qui présentent « de fortes régularités de structuration linguistique » que l‟auteur qualifie de types de discours. Ce sont ces types de discours définis en rapport à l‟acte de production et à un axe temporel qui mettent en forme une production textuelle et constituent ainsi un genre de texte. (pp 78 ; 159) Pour Bronckart, les types de discours qui mettent en texte les genres sont au nombre de quatre : discours interactif, discours théorique, récit interactif et narration.

S‟intéressant aux variations stylistiques en rapport avec une circonstance particulière, les auteurs s‟interrogent sur la façon dont les différents paramètres prosodiques se relient à certains aspects de la situation de communication. Adossant leur étude à quelques travaux de recherches menés par d‟autres chercheurs leurs attentes sont les suivantes :

1. Le débit de parole et le taux d‟articulation (variables temporelles) varient en fonction du type de production orale. Par exemple, le débit de parole serait plus élevé lors d‟une lecture de texte que dans une interview ou dans un récit conversationnel8, et, un taux d‟articulation faible (qui correspond à des silences fréquents) caractériserait un discours officiel9 ou un discours hésitant.

2. La mélodicité (l‟étendue du registre de sons utilisé et l‟agitation mélodique) serait soit un indice d‟implication utilisée pour captiver l‟audience, soit un indice d‟émotion lié à des situations d‟intimité.10

3. Concernant la proportion de syllabes proéminentes par rapport aux syllabes non-proéminentes (la densité accentuelle), les chercheurs estiment qu‟il est difficile de prévoir quels aspects pourraient être déterminants pour la variation de la longueur des groupes accentuels.

4. Les auteurs pensent que le nombre de marques d‟hésitation (allongements vocaliques et pauses remplies) croît avec le caractère improvisé du discours.

L‟analyse des mesures effectuées permet aux chercheurs de faire quelques constats :

1. La variation de débit d‟articulation (nombre de syllabes par seconde en excluant les silences) ne peut pas être rapportée à un paramètre contextuel en particulier.

2. Le taux d‟articulation (temps occupé par de la parole articulée) montre une corrélation significative avec le degré de préparation du discours : moins un discours est préparé, plus il y a de pauses.

3. La mélodicité semble fortement conditionnée par le caractère public ou privé de l‟adressage de la parole.

4. Les unités prosodiques les plus longues (proportion de syllabes proéminentes ; fournit une indication sur les groupes intonatifs) sont observées en situation de lecture et de récit conversationnel et les plus courtes sont produites dans les interviews radiophoniques, les discours politiques et les explications d‟itinéraires.

5. Le nombre de pauses pleines (hésitations) varie sensiblement d‟un style de production langagière à l‟autre.

Quant à l‟interprétation de ces résultats, les chercheurs sont mitigés concernant la confirmation de l‟existence de « phonostyles », au sens de Léon 11 , qui seraient caractéristiques de certaines situations de parole. En effet, au sein des sept situations de production langagière constituant le corpus de cette recherche, certains styles sont très homogènes dans le sens que les différents échantillons d‟un même style présentent le même comportement prosodique (pour le rythme, la mélodicité, les proéminences et les hésitations).

En particulier sont cités le style de parole des journalistes radio et celui des lectures neutres à haute voix. Dans une moindre mesure, les discours politiques présentent également une

8Les auteurs se réfèrent à Hirschberg (2000).

9Les auteurs se réfèrent à Léon (1993).

10Les auteurs se réfèrent aux recherches de Meunier et Peraya (2004) pour l‟indice d‟implication et à Léon (1993) pour l‟indice d‟émotion.

11Selon Léon (1993), cité par Auchlin & al., les phonostyles sont des styles sonores “tels qu‟ils sont perçus en tant que caractéristiques d‟un individu (jeune, vieux, homme, femme), d‟un groupe social, (prolétaire,

bourgeois) ou d‟une circonstance particulière (discours politique, sermon etc.).”

certaine homogénéité. Selon les auteurs, ces trois styles peuvent être considéré comme des

« phonostyles », relativement normés.

Les autres échantillons de styles du corpus se caractérisent par « plus de variations entre les locuteurs dans un même style et des valeurs prosodiques non spécifiques, sans effet distinctif ». (ibid., p. 85)

En outre, à partir de l‟analyse des données, les auteurs constatent que certains paramètres ayant servi de critères de classification des « genres de production langagière » sont interdépendants et peuvent être reclassés en termes de paramètres liés à l‟interaction, au contenu thématique et au caractère préparé ou non-préparé du discours. Certaines variations prosodiques semblent fortement corrélées à l‟une ou l‟autre de ces dimensions ; ainsi, par exemple, l‟étendue du registre intonatif augmente avec le caractère public du discours.

Dès lors, pour Auchlin et al., les situations de production langagière constitutives du corpus de cette étude peuvent être classées selon trois dimensions :

 Le style formel ou informel (langue de proximité ou de distance)

 Le caractère public ou privé du discours

 Le caractère préparé ou non préparé du discours.

A titre de conclusion, les auteurs estiment que les styles observés qui présentent des caractéristiques prosodiques stables et distinctives, « pourraient être considérés comme des

« genres » de discours, professionnels ou non, relativement stabilisés dans les normes et les pratiques (la lecture, les journaux parlés, les discours politiques) » (p.87).