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Du rôle de la prosodie dans la co-construction du sens : analyse de deux extraits de discours à visée formative

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Du rôle de la prosodie dans la co-construction du sens : analyse de deux extraits de discours à visée formative

HUNZIKER FELIX, Crista

Abstract

Ce travail de mémoire vise à saisir de quelle manière certains paramètres prosodiques pourraient contribuer à la construction du sens dans un discours à visée formative. Il propose l'analyse de deux extraits de discours dispensés chacun par un enseignant de l'Université de Genève. Cette dernière porte d'une part sur la manière dont les deux auteurs de discours construisent la cohérence thématique dans le vif immédiat de leur production orale et d'autre part sur la façon dont leurs accentuations, pauses et changements de débit de parole marquent ce développement textuel. L'observation conduite sous ces deux angles met en évidence l'occurrence de marquages prosodiques systématiques de certaines unités linguistiques ou textuelles, systématicité toutefois variable en fonction de l'enseignant. Ce constat permet de poser l'hypothèse selon laquelle la prosodie fabriquerait des réseaux isotopiques susceptibles de contribuer à la construction du sens d'un discours à visée formative.

HUNZIKER FELIX, Crista. Du rôle de la prosodie dans la co-construction du sens : analyse de deux extraits de discours à visée formative. Master : Univ. Genève, 2012

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23107

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Du rôle de la prosodie dans la co-construction du sens. Analyse de deux extraits de discours à visée formative.

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA

MAÎTRISE EN ANALYSE ET INTERVENTION DANS LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS

PAR

Crista Hunziker Félix

DIRECTEUR DU MEMOIRE Jean-Paul Bronckart

JURY

Antoine Auchlin Cristian Bota

GENEVE juin 2012

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION

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RESUME

Ce travail de mémoire vise à saisir de quelle manière certains paramètres prosodiques pourraient contribuer à la construction du sens dans un discours à visée formative. Il propose l'analyse de deux extraits de discours dispensés chacun par un enseignant de l'Université de Genève. Cette dernière porte d'une part sur la manière dont les deux auteurs de discours construisent la cohérence thématique dans le vif immédiat de leur production orale et d'autre part sur la façon dont leurs accentuations, pauses et changements de débit de parole

marquent ce développement textuel. L'observation conduite sous ces deux angles met en évidence l'occurrence de marquages prosodiques systématiques de certaines unités linguistiques ou textuelles, systématicité toutefois variable en fonction de l'enseignant. Ce constat permet de poser l'hypothèse selon laquelle la prosodie fabriquerait des réseaux isotopiques susceptibles de contribuer à la construction du sens d'un discours à visée formative.

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Remerciements

L’élaboration de la question posée dans ce mémoire a été rendue possible grâce à l’accord de deux auteurs de discours à visée formative concernant l’utilisation de l’enregistrement d’une de leurs productions orales. Qu’ils soient vivement remerciés ! Ce n’est qu’au cours de mon travail d’analyse, notamment de la prosodie, que je me suis rendu compte à quel point une production orale à caractère public constitue du matériel hautement sensible. J’ai ainsi pris conscience de l’‘étendue de leur consentement’ et souhaite exprimer ma gratitude à ces deux personnes.

Je suis également heureuse pour la manière dont j’ai été accompagnée dans ma démarche de recherche par Jean-Paul Bronckart. Le questionnement qui traverse ce mémoire a vécu de nombreuses années sous forme de langage intérieur à mille lieux d’une forme d’expression verbale. L’exercice qui consiste à constituer en langue externe mes expériences sensibles avec la langue orale a été vivement encouragé par la manière dont Jean-Paul a su écouter, entendre et reformuler mes propos. Je lui adresse mes chaleureux remerciements !

Et de même, je porte ma profonde reconnaissance à François, compagnon de vie à toute épreuve qui a rendu possible, l’accomplissement de mon parcours de formation dans d’excellentes conditions.

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SOMMAIRE

I. PROLEGOMENES

II. DEMARCHE DE RECHERCHE ET CADRE THEORIQUE

1. Introduction

p. 7

1.1 Expériences sensibles avec le langage p. 7

1.1.1 Lecture collective

1.1.2 Aux alentours des mots de Sapir 1.1.3 Couleurs de voyelles

1.1.4 Langue parentale et sons porteurs d‟idées 1.1.5 Pinocchio à l‟œuvre

1.2 Quelques questions d’ordre théorique p. 10

1.2.1 L‟axe associatif chez Saussure 1.2.2 Le langage intérieur chez Vygotski

2. Développement

2.1 Premier épisode d’une question p. 11

2.2 Second épisode d’une question p. 12

2.2.1 La coopération interprétative

2.2.2 Description de quelques mouvements coopératifs

2.2.2 Le fonctionnement des différents « niveaux de coopération textuelle »

2.3 Troisième épisode d’une question p. 16

2.3.1 Du texte narratif au discours 2.3.2 Du texte écrit au discours oral

2.3.3 L‟actualisation du contenu en expression vocale

2.4 Quatrième épisode d’une question p. 18

2.4.1 Variations stylistiques en rapport avec une situation discursive particulière

2.5 Cinquième épisode d’une question : synthèse p. 21

3. Ancrage théorique de la méthodologie

3.1 Quelques caractéristiques d’un discours à visée formative p. 22

3.2 Analyse de la surface textuelle p. 23

3.2.1 L‟infrastructure générale

3.2.2 Les mécanismes de textualisation

3.2.3 Les mécanismes de prise en charge énonciative

3.3 Analyse de quelques paramètres prosodiques p. 27

4. Questions de recherche

p. 28

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III. METHODOLOGIE

1. Constitution du corpus

p. 29

2. Les extraits de discours

p. 29

3. Outils de description et d’analyse

p. 29

3.1 Paramètres prosodiques p. 29

3.1.1 Procédé de description de la prosodie

3.2 Description des unités linguistiques p. 31

3.3 Procédé d’analyse p. 31

4. Code de transcription

4.1 Code de transcription de la prosodie p. 32

IV. ANALYSE

1. Introduction

p. 33

2. Premier extrait : Moyens d’enseignement

p. 33

2.1 Types de discours et débit de parole p. 33

2.2 Types de discours et foyer énonciatif p. 36

2.3 Cohérence thématique p. 36

2.3.1 Particularités textuelles et vocales de la première partie du discours 2.3.2 Particularités textuelles et vocales de la deuxième partie du discours

3. Deuxième extrait : Effets de classe

p. 41

3.1 Cohésion nominale et connexion p. 41

3.2 Types de discours et prise en charge énonciative p. 45

V. INTERPRETATION

1. Introduction

p. 48

2. Visibilité de la cohérence du discours oral

p. 48

2.1 Extrait 1 p. 48

2.1.1 L‟infrastructure générale 2.1.2 La cohésion nominale 2.1.3 La connexion

2.1.4 La prise en charge énonciative

2.1.5 Synthèse concernant le rapport entre prosodie et feuilleté textuel

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2.2 Extrait 2 p. 51 2.2.1 L‟infrastructure générale

2.2.2 La cohésion nominale 2.2.3 La connexion

2.2.4 La prise en charge énonciative

2.2.5 Synthèse concernant le rapport entre prosodie et feuilleté textuel

3. Quelques contrastes

p. 56

3.1 Les types de discours p. 56

3.2 La cohésion nominale p. 56

3.3 La connexion p. 56

3.4 La gestion du foyer énonciatif p. 57

3.5 La prosodie p. 58

4. Conditions de possibilité de la construction du sens

p. 58

4.1 Rupture de cohérence thématique dans l’extrait 1 p. 59 4.2 Instabilité de la cohérence thématique dans l’extrait 2 p. 61

VI. MISE EN PERSPECTIVE

1. Eléments vocaux et silences marqués prosodiquement p. 63 2. Prosodie, cohérence thématique et cohérence d’un discours oral p. 64 3. Un mot pour ‘terminer’ : Le langage comme « lieu intermédiaire » p. 65

VII. ANNEXES

Annexe 1 : Code de transcription de la prosodie p. 67

Annexe 2 : Premier extrait p. 67

Annexe 3 : Deuxième extrait p. 70

Annexe 4 : Documents d’appui de l’extrait 2 p. 73

Annexe 5 : Quelques réseaux isotopiques p. 75

VIII. BIBLIOGRAPHIE

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I. PROLEGOMENES

Toutes les choses dont nous admettons l’existence reposent sur une substance, matérielle ou immatérielle, mais SIMPLE. Il n’y a que la langue (plus généralement le SIGNE) qui se trouve dans la position singulière de reposer sur une combinaison, à moins que l’on ne renonce à dire qu’il existe1.

Premier mouvement

« Prends ton alphabet contre ton cœur même si dans chaque lettre, il y a des larmes ». Cette phrase entendue lors d‟une pièce de théâtre jouée à La Parfumerie de Genève, il y a une dizaine d‟années, a traversé mon corps, tel un éclair qui frappe l‟être.

La pièce, intitulée La cantate des berceuses chantée et jouée par le Chœur Ouvert du Théâtre Spirale, contait l‟histoire d‟une enfant qui ne pouvait s‟endormir à force de devoir écouter des histoires qui finissent bien. De voix vive, elle réclamait des histoires terribles qui font peur et qui finissent mal. C‟est dans ce contexte qu‟une voix féminine l‟encourage à s‟endormir en prenant son alphabet contre son cœur, « même si dans chaque lettre, il y a des larmes ».

A priori, l‟idée de « larmes dans les lettres », exprimée moyennant cet enchaînement de mots, fabriqués in vivo par une comédienne qui „organise un flux d‟air‟ en une suite de phonèmes par quelques coups de glotte, ne correspondait à aucun sentiment, à aucune image ou représentation dont ma pensée pouvait attester à ce moment. Mon corps connaît-il donc „des choses‟ qui m‟affectent sans que ma pensée soit au courant ? Si ce n‟est pas le sens des mots exprimés qui semble avoir provoqué ce tressaillement ressenti physiquement, par quelle matérialité, le corps a-t-il été frappé ? Et surtout, cette matérialité, se trouve-t-elle à l‟intérieur du corps ou dans le milieu physique ?

Le sens commun dira que c‟est la voix de l‟actrice qui m‟a fait sursauter. Il serait possible de consentir à cet argument si l‟intensité de cette voix avait été forte, ou le timbre inattendu, mais il n‟y avait rien de tout cela. De toute évidence ce n‟était pas une question de décibels. Quelle est donc la „chose matérielle‟ d‟un son émis par une voix qui atteint le corps d‟autrui ? Est-ce de l‟air en déplacement, une fréquence vibratoire, une onde acoustique, une action motrice qui agit sur une substance ?

Second mouvement

Intriguée par cet événement, je me suis prêtée à quelques exercices exploratoires tirés d‟activités créées par F. Lombard2.

Le principe de base de cette activité consiste en la lecture chuchotée en groupe, de textes dont les mots sont choisis en fonction de la fréquence d‟apparition d‟une lettre. Par exemple, les phrases suivantes permettent de produire la proéminence des consonnes percutantes « p » et

1Note non datée de Saussure. In Fehr, J. (2000). Saussure entre linguistique et sémiologie. (p. 105). Paris : PUF.

2En tant que musico-pédagogue, Françoise Lombard a créée des activités qui s‟inscrivent dans ce qu‟elle appelle “La pédagogie de l‟écoute”.

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« t » : « Titillons un instant les dentales…sans babiller ni balbutier. Mettons en appétit nos tympans tout en taquinant nos papilles gustatives. Qu‟entends-tu donc ? »

D‟autres phrases ont été créées pour mettre en évidence les consonnes sifflantes : « Vous souciez-vous des sifflantes ? Sentez-vous ces sons sur vous ? Sont-ils soyeux ou stridents, caressants ou perçants, voire assourdissants ? »

Lors de la lecture chuchotée simultanément par plusieurs personnes, le sens littéral des mots articulés est volontairement „brouillé‟ par le fait que chaque lecteur entre dans la lecture quand il le souhaite en commençant par le début du texte. L‟apparition fréquente des mêmes consonnes fabrique une sorte de murmure qui peut être perçu par le corps. Cet exercice m‟a fait découvrir que tous les sons que j‟entendais ne semblaient pas passer exclusivement et prioritairement par l‟ouïe. Les consonnes explosives arrivaient directement dans la chair qui, assez rapidement se crispait et semblait reconnaître quelque chose de trop percutant. Quant aux consonnes sifflantes, elles heurtaient les os de façon stridente.

Cette activité langagière ne fut donc point confortable, mais elle m‟incita à poser la question suivante : Lorsque nous „parlons des mots‟, est-il possible que, le son créé par l‟activité du corps, contribue à la fabrication de la signification des mots énoncés ?

Troisième mouvement

Au début de mes études, lors d‟une journée de colloque, j‟ai pris connaissance d‟un texte, écrit et présenté par C. Bota, qui relate la manière dont V. Voloshinov, philosophe et linguiste russe, contemporain de Vygotski considérait le langage. Pour Voloshinov, le langage constitue « un “milieu objectif” dans lequel se construisent et se transforment l‟ensemble des significations humaines, au plan collectif comme au plan individuel. » (Bota, 2008, p. 37) Bien que le terme de « milieu objectif » me paraissait plutôt abstrait, cette manière de concevoir le langage me semblait pouvoir inclure des phénomènes langagiers vécus et décrits ci-dessus, à condition de considérer l‟articulation et l‟énonciation d‟un mot comme une activité. Tel semble être le cas pour Voloshinov. En effet, le texte explicite de quelle manière Voloshinov considérait ce « milieu objectif » comme un « lieu intermédiaire » : « la réalité première de ce lieu intermédiaire sont les interactions verbales, toujours articulées aux différentes formes de l‟activité sociale et donc configurées par cette activité […] ». Aussi, dans cette conception, le signe verbal comporte un « potentiel d‟intériorisation » et, « les entités verbales font l‟objet d‟une appropriation à la fois dans leurs propriétés physiques et dans leurs propriétés psychiques ». (pp 37-38)

Ce texte m‟a accompagné au fil de ma démarche de recherche qui consiste essentiellement à essayer de poser une question qui m‟occupe et que j‟avais l‟impression de connaître par l‟expérience des mots qui „traversent le corps en fabriquant du sens qui prend forme en fonction du milieu ambiant‟. A partir de cette première compréhension du concept de Voloshinov, j‟ai commencé à observer, à écouter et à parler en pensant que :

1) La production verbale orale était une activité, à la fois singulière et collective qui configure et qui est configurée par cette même activité.

2) Eu égard aux « propriétés physiques des entités verbales », ce jeu de configuration interactionnelle se passait bien en rapport avec le milieu physique.

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II. DEMARCHE DE RECHERCHE ET CADRE THEORIQUE

1. INTRODUCTION

Au fil de mon parcours en Sciences de l‟éducation, les nombreuses situations de production et de réception de textes et de discours auxquelles nous participons en tant qu‟étudiants ont particulièrement suscité et nourri mes réflexions. En effet, nos rencontres multiples et variées avec des textes ou discours à lire ou à écouter, comprendre, résumer, synthétiser, analyser, interpréter, produire et parfois à parler nous offrent un terrain d‟expériences diversifiées, riches et enrichissantes, parfois périlleuses, particulièrement lorsqu‟il s‟agit de produire un travail collectif !

Certes, nous disposons d‟outils de textualisation, d‟analyse, de synthèse, mais qu‟en est-il de la mise en commun de la compréhension du sens et de la signification des mots déployés dans ces textes produits ou lus ? Est-ce que les termes sens, signification et compréhension peuvent être utilisés au singulier dans un contexte de travail collectif ou d‟écoute de discours à visée formative ?

1.1 Expériences sensibles avec le langage

1.1.1 Lecture collective

Dans le cadre d‟un séminaire, nous devions lire, collectivement et silencieusement un texte d‟une page dont l‟auteur et les informations concernant la parution étaient volontairement dissimulés. Cet extrait textuel débutait de la manière suivante : « La parole est un trait si familier de la vie quotidienne que nous prenons rarement le temps de la définir ». Le but de la lecture consistait à procéder, par la suite, à une analyse conduite oralement de façon collective. De cette activité de première lecture d‟un texte et d‟un auteur inconnu, je garde le souvenir très clair d‟avoir été interceptée par le mot parole qui, dès cet instant a fait l‟objet d‟une mise en discussion entre „lui et moi‟ :

Quel était le sens que je pouvais donner à ce mot dans ce texte „anonyme‟ ? Par exemple, à partir de mes expériences antérieures avec ce mot, la parole entretient dans ma pensée un lien avec les histoires bibliques ou l‟institution religieuse. Dans le cadre de celle-ci, la parole comporte pour moi une signification que je qualifie de paroles malheureuses et malmenées.

En outre, le mot parole suscite pour moi des associations telles que ne pas disposer de mots pour dire quelque chose d’important ou bien dire ou ne pas dire des sentiments, expériences qui rappellent à leur tour d‟autres souvenirs.

En relevant mes yeux, je me rappelle que nous sommes au séminaire rattaché à un cours concernant les sciences du langage : « En fait, Saussure », me dis-je alors, « a-t-il utilisé le mot parole pour parler du langage, et si oui, quelle est la portée théorique de ce mot pour cet auteur » ?

Peu à peu, il devenait clair que, pour moi, les „liens associatifs‟ qui se créent, dès la rencontre de certains mots dans un texte, sont d‟une part dépendants de mes expériences antérieures avec ces mots et d‟autre part, avec ce que je connais par ailleurs du contexte théorique et/ou historique dans lequel s‟inscrit le texte. De ce fait, lors de cette première lecture au séminaire, nous ne pouvions construire qu‟une partie du sens que l‟auteur „anonyme‟ installe en produisant le mot parole dans son texte. En outre, je me suis demandé de quelle manière mes collègues avaient compris le sens de ce mot.

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1.1.2 Aux alentours des mots de Sapir

Plus tard, nous avons appris que l‟auteur de ce texte était Sapir et que la publication datait de 1969.3 Dans le cadre du séminaire, l‟exercice suivant consistait en la rédaction individuelle d‟un résumé en paraphrases de la page lue et analysée collectivement. Cette activité s‟est avérée particulièrement éprouvante pour moi. Voici ce que j‟ai écrit à son propos dans mon journal de bord :

J‟ai écrit ce résumé en paraphrases, il y a quelques heures et en le relisant maintenant, je trouve très clairement qu‟il ne dit pas „la même chose‟ que le texte source. Qu‟est-ce qui s‟est donc perdu ? En quoi est-ce si gênant ?

Au niveau de la thèse, de l‟antithèse, des arguments, des prémisses, tout semble y être…mais, Sapir a disparu !!

« La paraphrase est faite pour rester près de l‟auteur », voilà ce que je retrouve dans mes notes de cours. Sous cet angle, je considère mon résumé en paraphrases comme étant raté, ou alors, que veut dire « rester près de l‟auteur » ?

Relater sa thèse et ses arguments, les analyser dans une perspective explicative ? Ou bien, s‟agit-il de „comprendre‟, c‟est-à-dire rester proche des „couleurs‟ des paradigmes des mots de Sapir ?

Formuler mes questions de la sorte correspond presque à donner les réponses. Il s‟agit certainement de rester près des arguments, de la thèse, des prémisses de l‟auteur et de ne pas déformer son argumentation, son point de vue. Mais, est-ce réellement possible sans utiliser ses mots à lui, tels qu‟ils étaient en usage à l‟époque ?

A posteriori, je peux me poser la question de la raison qui m‟a incitée à lire Sapir comme si c‟était de la poésie alors que je me trouvais dans un contexte de séminaire dans une institution formatrice, de surcroît dans un domaine d‟enseignement portant l‟intitulé de Sciences du langage. Probablement, ma „posture de lectrice‟ était en rapport avec la consigne reçue (Lisez ce texte une première fois) et avec l‟absence d‟information concernant le contexte de l‟extrait textuel. Si ma lecture avait été orientée par des questions qui expriment d‟autres attentes ou quelques informations factuelles fournissant des indices, il y a très probablement d‟autres associations qui se seraient créées avec le mot parole utilisé par Sapir.

Globalement, ces travaux de lecture et d‟écriture pratiqués au sein de ce séminaire, m‟ont informés sur les aspects suivants :

 Réceptionner et fabriquer des „nuages sensibles‟ qui ont l‟air d‟être accrochés ou de s‟accrocher aux mots, ne semble pas, en ce qui me concerne, être réservé à la poésie, au théâtre ou au chant.

 Les mots n‟ont pas seulement un ancrage historique dans l‟histoire qui s‟écrit avec un H majuscule, mais leur histoire semble enchevêtrée avec des expériences individuelles et singulières.

 Ce „nuage sensible‟ autour de certains mots apparaît comme étant influençable par un environnement didactique.

1.1.3 Couleurs de voyelles

D‟après Fehr (2000), Saussure a laissé quelques témoignages de ses propres expériences sensibles avec les voyelles. Dans son ouvrage intitulé Saussure entre linguistique et sémiologie, Fehr cite quelques exemples décrits par cet éminent linguiste :

Nous écrivons en français la même voyelle de quatre manières différentes dans terrain, plein, matin, chien. Or quand cette voyelle est écrite ain, je la vois jaune pâle comme une brique mal

3Sapir, E. (1921). Introduction. Définition du langage. In Le langage (pp. 7-26). Paris : Petite Bibliothèque Payot.

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cuite au four ; quand elle est écrite ein, elle me fait l‟effet d‟un réseau de veines violacées ; quand elle est écrite in, je ne sais plus du tout quelle sensation de couleur elle évoque dans mon esprit, et suis disposé à croire qu‟elle n‟en évoque aucune ; […]. Ce n‟est [..] pas, semble –t-il, la voyelle comme telle, c‟est-à-dire telle qu‟elle existe pour l‟oreille, qui appelle une certaine sensation visuelle correspondante. D‟un autre côté, ce n‟est pas non plus la vue d‟une certaine lettre ou d‟un certain groupe de lettres qui appelle cette sensation. Mais c‟est la voyelle en tant que contenue dans cette expression graphique, […] . (p. 161)

L‟ouvrage dont est extrait la description que Saussure fait de ses perceptions visuelles aux alentours de certaines voyelles a largement contribué à mon travail qui consiste à cerner et à déplier les questions que je souhaite poser dans ce mémoire.

Voici à titre de transition vers une autre expérience sensible avec le langage, un autre passage de Saussure, relaté par Fehr, dans ce même ouvrage :

Les sons que nous émettons ou entendons n‟accèdent […] au statut d‟élément langagier que dans la mesure où ils sont « porteurs d‟une idée », ou, […] dans la mesure, où ils renvoient à quelque chose d‟autre, c‟est-à-dire une représentation. (p.114)

1.1.4 Langue „parentale‟ et sons porteurs d‟idées

Cette notion de « sons porteurs d‟idées » constitue un phénomène qui semble avoir eu un impact particulier dans ma compréhension des unités communicatives dont était pétri le monde dans lequel j‟ai appris à parler. En effet, dans mon cadre familial, deux dialectes suisse allemands différents étaient à l‟œuvre. L‟un des parents parlait le saint- gallois en le pratiquant en doux étirements et rondeurs des voyelles. Les consonnes qu‟il articulait participaient à ce que je percevais comme un bain sonore agréable et confortable. L‟autre parent, en articulant les mêmes mots, parlait le zurichois en le pratiquant avec des consonnes qui percutaient mes oreilles et heurtaient ma chair. A son insu, elle faisait particulièrement ressortir l‟effet structurant des consonnes. En plus, la valeur „explosive‟ qu‟elle inscrivait dans les paroles qu‟elle nous adressait, comportait une sorte d‟expression de ce qui devait être considéré comme „la vérité‟. En tant que réceptrice en herbe, les intonations de leur pratique langagière m‟ont donné les informations suivantes :

 Un même mot pouvait comporter une valeur ronde ou sévère, indépendamment de son sens littéral.

 Les consonnes qui percutent, signifient „ordonner le monde‟ et „exprimer ce qui a une valeur de vérité‟.

Ainsi, la signification de certains mots était porteuse d‟une sorte d‟impact sonore des consonnes, une expérience sensorielle auditive et proprioceptive avec les mots, et par extension avec certains textes : les histoires, légendes et contes lus et racontés, les chants, comptines et berceuses parlés et chantés dans notre monde langagier familial.

1.1.5 Pinocchio à l‟oeuvre

Tout en ayant changé de langue d‟usage et en me trouvant dans des situations de communication plus construites et formelles, comme par exemple celle de réceptrice de discours à visée formative, j‟ai l‟impression qu‟une partie de ce que je crois comprendre en cours ou dans l‟élaboration d‟un travail collectif, repose sur ma perception de „ce que produit le son lorsqu‟il traverse le corps d‟une personne qui articule et scande des phonèmes‟.

Intriguée par ces phénomènes, j‟ai proposé un travail de lecture exploratoire à une dizaine de personnes de mon âge. J‟ai choisi un texte court, tiré d‟un des 36 chapitres de l‟histoire de Pinocchio dans une version datant de 1936. Je pensais que sa lecture produirait

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facilement „des images‟ chez les participants puisque ce conte constitue une référence culturelle du contexte social de „mes sujets‟.

L‟activité consistait en une lecture collective, à haute voix dans le but de faire varier le „bain sonore‟ en prononçant certaines lettres d‟une façon particulière. Après une première lecture silencieuse, nous avons procédé en plusieurs étapes et chacune était suivie d‟un moment d‟écriture, destinée à produire une trace des impressions, images et représentations, que le texte parlé produisait chez chacun. Dans les étapes de lecture collective à haute voix, le procédé était le suivant :

Il y a une personne qui débute la lecture en exagérant par exemple toutes les consonnes explosives ou en rallongeant certaines voyelles ou en chuchotant, selon la consigne donnée à chaque étape. Chacun entre dans le parler du texte quand il veut, en partant du début de celui- ci, le but étant uniquement de laisser un bain sonore particulier se produire sans être attentif au sens des mots.

Les moments d‟écriture étaient guidés par des questions relatives aux couleurs, aux odeurs, aux sentiments, aux souvenirs, au ressenti corporel, susceptibles de survenir dans la pensée des participants au fil des variantes sonores produites délibérément.

L‟observation de cette trace écrite permet de constater deux sortes de phénomènes :

1. Tous les participants font l‟expérience que la façon de „sonoriser‟ des consonnes et voyelles, influence la manière dont certains mots et contenus sont perçus.

2. Les changements perçus en fonction de la qualité du bain sonore sont décrits comme des transformations de représentations relatives au contenu ou à la présence matérielle du texte.

Globalement, les expériences sensibles semblent se produire autant au niveau de perceptions visuelles que auditives et proprioceptives. En outre, suite à l‟exploration, notre discussion informelle a montré que tous les participants entretenaient des liens particuliers avec certains mots. Par exemple pour quelques personnes, il existe des mots dont la seule évocation raconte une longue histoire singulière. Il y avait un participant qui connaît des „mots plumes‟ et des

„mots plomb‟ et une participante pour qui, les mots „rient‟, dès qu‟ils contiennent la syllabe

„ri‟ !

1.2 Quelques questions d’ordre théorique 1.2.1 L‟axe associatif chez Saussure

Le constat de ces phénomènes m‟a incité à questionner quelques éléments de connaissances de la théorie des signes de Saussure acquis au cours de mes études. En effet, que sont les perceptions et les représentations que les personnes ci-dessus décrivent à partir de leurs expériences sensibles avec les mots et les sons „parlés‟ eu égard à « l‟axe associatif » au sein duquel est inscrit le « signifiant » ?

Comment les paradigmes des signes qui, selon cet auteur, contiennent des mots qui ont une parenté de sens et/ou de structure, sont-ils à l‟œuvre lorsque nous fabriquons sens et significations dans nos lectures ou paroles énoncées et adressées ?

Si l‟intonation qu‟un émetteur donne à certaines syllabes participe à la construction du sens du signifié, est-ce qu‟on peut toujours affirmer que la relation entre signifiant et signifié est immotivée et arbitraire ?

Comment se fait-il que Saussure avait conscience d‟associer lui-même différentes couleurs aux voyelles, mais, qu‟il n‟en tient pas compte dans la description de ce qui participe à l‟axe associatif de la langue ?

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On pourrait penser que son œuvre présente deux facettes : l‟une qui décrit la langue et son fonctionnement comme si celle-ci pouvait fonctionner „par elle-même‟ et l‟autre, qui parle de la langue qui vit par la personne qui est en interaction discursive avec des textes.

1.2.2 Le langage intérieur chez Vygotski

En travaillant sur ce que Vygotski (1934/1997) a décrit comme étant « la syntaxe prédicative du langage intérieur »4, je me suis demandé si les images, les impressions et les couleurs changeantes dont mes „lecteurs sujets‟ faisaient l‟expérience dans notre exploration, pouvaient être considérées comme des éléments constitutifs de ce langage. Si tel était le cas, il me semblerait particulièrement intéressant, de prendre en considération que pour Vygotski, l‟aspect sonore du langage a un rôle de transformation dans la dialectique entre « langage intérieur » et « langage extériorisé ». A titre illustratif, je retiens une citation tirée de son chapitre « Pensée et mot » :

Le passage du langage intérieur au langage extériorisé est non pas une traduction directe […]

ni une simple adjonction de sons à un langage silencieux, ni une simple énonciation du langage intérieur, mais une restructuration du langage, une transformation de la syntaxe absolument originale et spécifique, de la structure sémantique et phonétique du langage intérieur en d‟autres formes et structures propres au langage extériorisé. […] C‟est la transformation d‟un langage prédicatif et abondant en idiotismes en un langage articulé syntactiquement et compréhensible pour les autres. (p. 448)

En un certain sens on peut dire que la syntaxe du langage intérieur est l‟opposé exact de celle du langage écrit. Entre ces deux pôles il y a la syntaxe du langage oral. (ibid., p. 441)

Ces aspects d‟ordre théorique, présentés de façon très succincte, m‟ont offert une sorte de base de réflexion sur laquelle j‟ai pris appui pour trouver un développement possible à ma question.

2. DEVELOPPEMENT

2.1 Premier épisode d’une question

Vu la diversité des expériences sensibles qui semblent participer à la construction du sens dans nos pratiques langagières, comment nous est-il possible de nous comprendre ? Comment un locuteur s‟y prend-il pour mettre en texte les représentations que sa pensée fabrique et de quelle manière, le récepteur parvient-il à construire du sens à partir de la mise en texte pratiquée par son interlocuteur ?

Lorsque dans le cadre d‟un séminaire de recherche, j‟ai filmé deux étudiantes engagées dans un travail qui consistait à produire oralement la synthèse d‟un ensemble de concepts, ces questions ont commencé à prendre du relief. Dans ce petit travail de recherche, il s‟agissait de produire une séquence vidéo et d‟en analyser un extrait. J‟ai observé les ressources sémiotiques que les deux étudiantes en interaction mettaient spontanément en œuvre pour s‟expliquer mutuellement les concepts tels qu‟elles les avaient compris. Chacune procédait d‟une façon différente : l‟une faisait abondamment usage de croquis de formes, de

4un langage réduit, abrégé, sténographique, décousu, fragmentaire, qui n‟a pas besoin d‟être mis en forme et que Vygotski considère comme étant du même ordre que le langage égocentrique chez l‟enfant.

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personnages et de mots abrégés, tout en parlant, et l‟autre articulait des gestes d‟une grande diversité en développant son explication.

L‟analyse portait d‟une part sur la retranscription de leur production textuelle orale, d‟autre part sur leurs gestes que nous devions classer à partir d‟une typologie proposée dans ce séminaire.

L‟observation de l‟ensemble des ressources sémiotiques produites par les deux personnes a permis de constater une concordance impressionnante, (une apparition simultanée) dans la mise en œuvre des ressources sollicitées, entre les traces scripturales et les accentuations vocales de syllabes chez l‟une, et, les gestes et le sens de certains mots énoncés en même temps, chez l‟autre.

Afin d‟investiguer cette concordance observée, j‟ai conduit, par la suite, deux entretiens en autoconfrontation simple, c‟est-à-dire en rencontrant chaque étudiante une fois toute seule dans le but de visionner les extraits filmés ayant fait l‟objet de mon analyse préalable. Ainsi, nous avons regardé les séquences respectives à deux et j‟ai demandé à mes interlocutrices de m‟expliquer à quoi, selon elles, servaient leurs gestes, dessins et traces écrites. Si leur première réponse consistait à dire que cela servait à faire comprendre le sens de l‟explication développée à leur interlocuteur respectif, lors d‟un deuxième visionnement, en ouvrant le regard sur l‟ensemble de la situation de communication, et l‟une et l‟autre ont constaté que leur destinataire respectif ne regardait ni dessin, ni gestes.

Elles disaient alors se rendre compte que le dessin et les gestes servaient leur propre développement de significations. Les croquis étaient vus par son auteure, comme moyens pour structurer sa pensée.

L‟analyse de ce travail a ouvert un nouvel angle à partir duquel je pouvais, dès lors, considérer la manière dont des images et des sons semblent participer à la compréhension et au développement de propos adressés à autrui. L‟élément le plus important consiste pour moi en le fait que la main de l‟étudiante qui procédait par croquis semblait attendre que sa voix dise les mots pas ça, vocalement marquée d‟une intonation, pour barrer, au moment même de l‟accentuation syllabique, la trace scripturale du mot environnement ou organisme qu‟elle avait effectuée au préalable.

Ce nouvel éclairage concernant les manières dont deux interlocuteurs peuvent potentiellement fabriquer du sens, de la signification et de la compréhension a transformé ma question de la façon suivante : Existe-t-il un rapport de coopération entre différentes ressources sémiotiques pratiquées par des interlocuteurs ?

2.2 Second épisode d’une question

L‟idée et la forme générales de cette nouvelle question se sont également constituées à partir du concept de « coopération textuelle » qu‟Eco (1979/1985) a développé autour du questionnement qui consiste à savoir « Comment le texte prévoit le lecteur ? » (p. 67) Cette construction théorique porte sur la manière dont un auteur, un lecteur et divers paramètres textuels co-construisent du sens, de la signification et la compréhension d‟un texte. Dès lors, il me semblait intéressant d‟utiliser ce concept pour essayer d‟identifier ce qui pourrait être à l‟œuvre dans un discours à visée formative eu égard à ces divers aspects.

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2.2.1 La coopération interprétative

Dans son ouvrage Lector in fabula, Eco (1979/1985) définit le texte de la manière suivante :

« Un texte, tel qu‟il apparaît dans sa surface (ou manifestation) linguistique, représente une chaîne d‟artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire. […] Ainsi un texte, d‟une façon plus manifeste que tout autre message, requiert des mouvements coopératifs actifs et conscients de la part du lecteur ». (pp 64-65)

D‟après l‟analyse de textes que fait Eco, ces mouvements coopératifs sont prévus et générés par le texte et constituent « une condition évidente d‟existence » de celui-ci. « Un texte veut que quelqu‟un l‟aide à fonctionner ». (p. 67)

L‟auteur pose alors la question qui consiste à savoir quel est le garant de la coopération textuelle face à des possibilités différentes d‟interprétation. Selon lui,

générer un texte signifie mettre en œuvre une stratégie dont font partie les prévisions des mouvements de l‟autre, […]. Pour organiser sa stratégie textuelle, un auteur doit se référer à une série de compétences (terme plus vaste que “connaissance de codes”) qui confèrent un contenu aux expressions qu‟il emploie. Il doit assumer que l‟ensemble des compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel se réfère son lecteur. C‟est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l‟actualisation textuelle de la façon dont lui, l‟auteur, le pensait et capable aussi d‟interagir interprétativement comme lui a agi générativement. (pp 70-71)

Ainsi, le choix d‟une langue, d‟un type d‟encyclopédie, de lexique et de style, ou encore d‟indices de genre etc. sont des moyens dont dispose un auteur pour créer son Lecteur Modèle. Eco donne plusieurs exemples illustrant ce mécanisme de création par le texte : Il y a des auteurs qui choisiront une “cible”, « ils feront en sorte que chaque terme, chaque tournure, chaque référence encyclopédique soient ce que leur lecteur est, selon toute probabilité, capable de comprendre ». D‟autres construisent leur Lecteur Modèle « en choisissant des degrés de difficultés linguistiques, la richesse des références et en insérant dans le texte des clés, des renvois, des possibilités, même variables, de lectures croisées ». A l‟opposé, un horaire par exemple, prévoit un Lecteur Modèle tel un « opérateur cartésien orthogonal doué d‟un sens aigu de l‟irréversibilité des successions temporelles » (pp 73-78).

Concernant l‟activité de coopération entre le texte et le lecteur, Eco précise que l‟auteur présuppose la compétence de son Lecteur Modèle et en même temps il l‟institue. […] Donc, prévoir son Lecteur Modèle ne signifie pas uniquement „espérer‟ qu‟il existe, cela signifie aussi agir sur le texte de façon à le construire. Un texte repose donc sur une compétence mais, de plus, il contribue à la produire. (p.72)

Il importe de souligner que pour Eco, la compétence du Lecteur Modèle n‟est pas nécessairement celle qui est présupposée par l‟auteur qui l‟institue dans son texte. Eu égard à ce propos, Eco rappelle sa critique « définitive »5 du modèle communicatif des premiers théoriciens de l‟information pour qui le message serait généré et interprété à partir d‟un code :

Nous savons désormais que les codes du destinataire peuvent différer, tout ou partie, des codes de l‟émetteur […] [et] que le code linguistique n‟est pas suffisant pour comprendre un message linguistique. […] Pour comprendre un message verbal il faut, outre la compétence linguistique, une compétence diversement circonstancielle, une capacité d‟envisager des présuppositions, de réprimer des idiosyncrasies et ainsi de suite. (p. 68)

Par cette position, Eco fait part que pour lui, la compétence de compréhension de messages verbaux ne peut exister de facto mais qu‟elle se développe : D‟une part, au travers de ce que le texte prévoit par l‟activité discursive d‟un auteur qui met en texte un contenu de son choix

5Eco se réfère à son propre ouvrage Trattato di semiotica generale (1975).

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et d‟autre part, moyennant l‟activité coopérative que produit le destinataire en actualisant le texte qui lui est adressé. Donc un texte est une unité communicative parce qu‟il a non seulement besoin d‟un auteur mais également d‟un lecteur pour fonctionner.

2.2.2 Description de quelques mouvements coopératifs A) L’actualisation de la surface linguistique

Selon Eco, le lecteur actualise « la chaîne d‟artifices expressifs » qui apparaît à la surface linguistique d‟un texte en créant, en référence à un code, un lien de corrélation entre une expression et « son contenu conventionné ». En d‟autres termes, le texte postule son destinataire comme un opérateur qui est « capable d‟ouvrir un dictionnaire » à chaque mot qu‟il rencontre et d‟opérer des choix dans « son encyclopédie personnelle » eu égard aux signifiés possibles et disponibles qui permettent d‟actualiser la signification que l‟auteur a cherché à produire. Pour Eco, en dehors de cette activité coopérative avec les connaissances encyclopédiques qu‟un auteur a mises en texte, une parole ou expression n‟a pas d‟intérêt ou de signification (pp. 64-65).

L‟actualisation de la surface linguistique implique également le recours à un ensemble de règles de syntaxe et de grammaire, ce qui fait dire à l‟auteur que « tout message postule une compétence grammaticale de la part du destinataire » (pp 64-65). C‟est-à-dire, le lecteur coopère avec les mécanismes de textualisation que l‟auteur met en œuvre dans la construction du sens de son texte, en posant des hypothèses et en produisant des inférences à partir de ce que dit le texte dans sa « surface linguistique » mais également à partir de ce qui ne figure pas en tant que signe linguistique.

Afin d‟illustrer l‟ensemble de cette activité de construction de sens qu‟un lecteur produit, Eco emprunte à Ducrot (1972) l‟expression métaphorique « un texte est un tissu de non-dits » :

Un texte se distingue d‟autres types d‟expression par sa plus grande complexité. Et la raison essentielle de cette complexité, c‟est qu‟il est un tissu de non-dit. “Non-dit” signifie non manifesté en surface, au niveau de l‟expression : mais c‟est précisément ce non-dit qui doit être actualisé au niveau de l‟actualisation du contenu. Ainsi un texte, d‟une façon plus manifeste que tout autre message, requiert des mouvements coopératifs actifs et conscients de la part du lecteur. (p.65)

B) L’actualisation des « non-dits »

L‟actualisation des « non-dits » et le remplissage des « interstices » et autres « espaces blancs » d‟un texte impliquent encore d‟autres mouvements de coopération textuelle :

Pour Eco, le lecteur produit des « extensions » ce qui signifie qu‟ « à partir d‟un texte qui lui est administré, […] il doit déterminer une portion de monde » qu‟il doit inférer à partir de son expérience (p.66). Par exemple, lorsque dans un texte, il y a deux personnes qui se parlent, le lecteur doit inférer que ces deux personnes se trouvent dans un espace physique commun. De telles « extensions » constituent des mouvements de coopération avec l‟auteur car les

« portions de monde » que le lecteur complète, relèvent de l‟expérience qu‟il partage avec l‟auteur.

Dans le même ordre d‟idées, le lecteur procède à des « opérations intensionnelles ». Celles-ci relèvent de l‟activité qui consiste à « attribuer des intentions psychologiques » à l‟auteur, à actualiser les « structures actancielles » et les « structures idéologiques » du texte (p.83).

C‟est-à-dire, par exemple, dans le cas d‟un texte narratif, le lecteur découvre et „construit‟

(actualise) les personnages, leurs rôles, leurs relations et actions et il émet des hypothèses concernant les positions idéologiques que le texte donne à voir.

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D‟une manière générale, on peut dire que le lecteur est attendu au sein d‟un texte pour actualiser des mondes et des valeurs prévus par l‟auteur :

La compétence idéologique du Lecteur Modèle intervient pour diriger le choix de la charpente actancielle et des grandes oppositions idéologiques. […] Naturellement, un texte peut prévoir une telle compétence chez son Lecteur Modèle et travailler […] à l‟ébranler, et amener le lecteur à déterminer des structures actancielles et idéologiques plus complexes. […] Et, parfois, elle [la compétence idéologique] amène à trouver dans le texte des choses dont l‟auteur était inconscient mais que le texte véhiculait d‟une certaine manière. (pp.234-235)

2.2.3 Le fonctionnement des différents « niveaux de coopération textuelle »

Selon Eco, le destinataire actualise le texte par un processus coopératif qui n‟est pas linéaire.

Tel qu‟il nous apparaît, sous forme de manifestation linéaire, un texte n‟a pas de niveaux : ce qui existe a déjà été généré. […] Nous avons à faire avec le plan de l‟expression textuelle et il n‟est pas dit que les phases interprétatives que nous effectuons pour actualiser l‟expression en contenu reflètent les phases génératives à travers lesquelles un projet de contenu est devenu expression. (p. 88)

Ainsi, les mouvements coopératifs du lecteur sont décrits en termes de « va et vient », de

« sauts » et de « chemins pas nécessairement obligatoires » (p.89).

En revanche, la manifestation linguistique ou la surface linguistique (surface “lexématique”) est de toute évidence linéaire. En termes de fonctionnement, lors du premier contact avec un texte, « la manifestation linéaire est immédiatement mise en relation avec les circonstances d‟énonciation ». Eco parle d‟un « raccord » caractérisé par l‟« immédiateté » qu‟il compare avec ce qu‟il appelle une « énonciation verbale »6 :

La manifestation linéaire est immédiatement mise en relation avec les circonstances d‟énonciation. […] Dans le cas d‟une énonciation verbale, il est assez évident qu‟on réfère l‟énoncé à celui qui l‟énonce et que, avant même de recourir aux règles linguistiques pour décider de ce que le locuteur est en train de dire, on reçoit de la circonstance d‟énonciation des informations extra-linguistiques sur la nature de l‟acte qu‟il accomplit. (p.95)

A titre illustratif, Eco propose l‟exemple d‟un acte de langage tel que « je t‟ordonne de.. », afin de montrer que, lorsque nous entendons ce type de manifestation linguistique, nous n‟avons pas besoin d‟interpréter linguistiquement cette expression pour comprendre qu‟on est en train de recevoir un ordre : « des éléments tonémiques, la situation sociale, le geste peuvent intervenir en priorité » (p. 96).

Selon Eco, ce « raccord » caractérisé par l‟« immédiateté » a également lieu lors du premier contact avec un texte que l‟on lit, mais la référenciation aux circonstances d‟énonciation fonctionne différemment. D‟une part, celle-ci consiste en la fabrication d‟un horizon d‟idées de ce que le texte instaure en termes de place et d‟expérience du lecteur en rapport avec l‟auteur. D‟autre part, le lecteur actualise au niveau du contenu le projet de l‟auteur et reconstruit le temps et le lieu du texte afin de savoir à quel type d‟encyclopédie il s‟agit de recourir (pp. 95-96).

Selon Eco, le lecteur peut alors aussi faire des hypothèses concernant le genre textuel.

6Dans le contexte, il devient clair que, pour Eco, une “énonciation verbale” constitue un texte ‘mis en voix’, ce que, à mon sens, le terme énoncer ne laisse pas entendre de façon univoque.

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2.3 Troisième épisode d’une question 2.3.1 Du texte narratif au discours

A propos des hypothèses que ferait le lecteur à partir du genre textuel, pour Canvat (1999), les mouvements coopératifs du lecteur d‟un texte écrit sont inscrits dans les mécanismes génératifs de celui-ci. Selon cet auteur, un texte établit un contrat de lecture par le « cadrage générique » qu‟il définit comme étant

l‟activité sémiotique qui consiste à inférer un certain nombre d‟informations à partir d‟indices disposés à la périphérie du texte (dans le paratexte et le métatexte), à sa lisière (dans l‟espace textuel et l‟incipit), mais aussi dans le texte lui-même (les superstructures). (p.115)

Dans son ouvrage Enseigner la littérature par les genres, Canvat développe cette thèse en rapport avec des textes littéraires.

De son côté, Eco (1979/1985) précise qu‟il a choisi de développer son modèle de coopération textuelle, en se référant au texte narratif car il pense, « qu‟un texte narratif présente, outre quelques problèmes spécifiques, tous les problèmes théoriques de tout autre texte ». Il justifie son choix également en disant que dans un texte narratif on trouve « des exemples de chaque spécimen d‟actes linguistiques, conversationnels, descriptifs, argumentatifs, etc » (p.90).

Pour Bronckart (1996), les différentes sortes d‟« actes linguistiques » (selon la terminologie d‟Eco) sont observables dans toutes sortes de textes et le texte narratif n‟a pas de statut particulier. Dans sa théorisation, il décrit ces „spécimens d‟actions discursives‟ en termes de

« segment de discours ».

Pour cet auteur, « dans une acception très générale, la notion de texte peut s‟appliquer à toute production verbale située, qu‟elle soit orale ou écrite » (p.73). En outre, il qualifie « toute unité de production verbale située, finie et auto-suffisante (du point de vue actionnel ou communicationnel) » de texte et « tout texte s‟inscrit nécessairement dans un ensemble ou dans un genre » (p. 78).

En outre, la signification que l‟auteur donne à la notion de texte, place celui-ci d‟emblée sous un angle de fonctionnement, la production textuelle étant une activité qui se joue entre un émetteur et un récepteur dans une situation donnée. C‟est au sein de ce fonctionnement, que le texte produit prend une certaine forme. Celle-ci est fabriquée par « un travail particulier de sémiotisation ou de mise en forme discursive » ce qui signifie qu‟il y a une personne à l‟œuvre qui, en produisant un texte, opère des choix.

La forme que prend un texte par le « travail particulier de sémiotisation » correspond à ce que Bronckart définit comme discours et type de discours :

Alors que, de par leur relation d‟interdépendance avec les activités humaines, les genres sont multiples, voire en nombre infini, les segments qui entrent dans leur composition (segments de récit, d‟argumentation, de dialogue, etc.) sont en nombre fini et ils peuvent, au moins partiellement, être identifiés par leurs caractéristiques linguistiques spécifiques. […] Ces segments différents entrant dans la composition d‟un genre, constituent le produit d‟un travail particulier de sémiotisation ou de mise en forme discursive, et c‟est pour cette raison que nous les qualifierons désormais de discours. Dans la mesure où ils présentent de fortes régularités de structuration linguistique, nous considérerons qu‟ils relèvent de types, et nous utiliserons donc pour les désigner l‟expression de type de discours, […]. (p.78)

Ces définitions me semblent intéressantes pour le développement de ma thématique car elles considèrent la mise en texte orale également comme un texte. Dès lors, il me semble possible d‟envisager un discours à visée formative ayant lieu dans un auditoire comme un ensemble de textes oraux et écrits composés de différents segments de discours qui peuvent prendre des allures d‟explication, d‟exposé, de récit, d‟argumentation etc. par la mise en forme discursive pratiquée par un énonciateur.

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2.3.2 Du texte écrit au discours oral

Ces considérations nécessitent néanmoins quelques précisions concernant l‟angle sous lequel le discours à visée formative est abordé dans ce travail de mémoire.

D‟une façon générale, ma réflexion porte sur la nature des mouvements de coopération textuelle dans une situation de discours, mis en voix par un énonciateur oeuvrant dans un auditoire, face à des destinataires dont la tâche consiste à écouter et à comprendre un certain contenu. Ce contexte implique, la plupart du temps l‟utilisation d‟un ensemble de textes écrits par l‟énonciateur préalablement, à titre de documents d‟appui. Ces textes qui se trouvent sous les yeux de l‟énonciateur en action discursive, revêtent des formes variées telles que textes continues, mots clés, schémas, tableaux, marches à suivre, graphiques, etc. Par l‟utilisation désormais généralisée de documents « power points » projetés pendant le discours oral, le récepteur de celui-ci, est en même temps souvent le lecteur de ces textes. En suivant les thèses d‟Eco et de Canvat, ce lecteur/récepteur est certainement engagé dans divers mécanismes de coopération textuelle même si les textes qu‟il lit en même temps qu‟il écoute ne sont pas des textes littéraires participant à un genre particulier. Contrairement à ce que mon questionnement laisse sous-entendre dans les pages qui précèdent, l‟activité des récepteurs qui se trouvent dans l‟auditoire ne sera pas prise en considération dans mon travail.

En revanche, je retiens de ma lecture de Lector in fabula, le fait, développé par son auteur, que le récepteur d‟un texte écrit est engagé dans un processus d’actualisation de la surface linguistique et des espaces de « non-dits ». En effet, je considère que l‟énonciateur en activité discursive orale dans un auditoire est, en quelque sorte le récepteur/lecteur de son propre texte qui se trouve sous forme de document d‟appui sous ses yeux. Ainsi, il est engagé dans un rapport de coopération interprétative avec sa propre production écrite. Il ré-actualise la surface linguistique et les « non-dits » de son propre texte (documents d‟appui) en produisant, dans une situation de communication immédiate, un nouveau texte, cette fois-ci oral. C‟est ce texte oral, retranscrit qui sera analysé dans une perspective de description de la surface textuelle/linguistique et „vocale‟.

2.3.3 L‟actualisation du contenu en expression vocale

Afin d‟illustrer le fait que d‟une part, la coopération interprétative du lecteur d‟un texte fonctionne par « sauts » et « va et vient » et que d‟autre part, ces mouvements sont générés

« immédiatement » dès le premier contact avec la « surface linguistique » linéaire, Eco (1979/1985) recourt à un exemple d‟« énonciation verbale », donc vocale. Il précise que dans cette situation (acte de langage illocutoire, cf. supra § 2.2.3) nous n‟avons pas besoin d‟interpréter linguistiquement l‟énoncé pour comprendre ce qu‟il signifie car « des éléments tonémiques, la situation sociale, le geste peuvent intervenir en priorité » dans la construction de sens des circonstances d‟énonciation (p.96).

L‟auteur pose que, selon lui, la façon dont le destinataire d‟un texte se réfère à la situation d‟énonciation en actualisant la surface linguistique est différente selon si celui-ci est‘récepteur auditif’ d‟un énoncé illocutoire ou lecteur d‟un texte.

Par contre, quand on lit un texte écrit, la référence aux circonstances d‟énonciation a d‟autres fonctions. Le premier type de référence consiste à actualiser implicitement au niveau du contenu, une métaproposition du type « Ici il y a (il y avait) un individu humain qui a énoncé le texte que je suis en train de lire en ce moment et qui demande (ou ne demande pas) que j‟assume qu‟il est en train de parler de notre expérience commune ». (p. 96)

En juxtaposant ces deux exemples, les activités qui consistent à actualiser un contenu apparaissent comme réparties en deux domaines distincts selon que l‟on soit lecteur ou récepteur auditif d‟un texte : d‟un côté, le récepteur auditif se réfère à « des éléments

(22)

tonémiques, la situation sociale, le geste » et de l‟autre côté le lecteur se réfère à des indices linguistiques et à ses représentations.

Or, dans la situation du discours oral de l‟énonciateur qui, en auditoire met en texte oral ses propres textes écrits, il me semble impossible de considérer comme distincts ces deux domaines d‟activité car la voix participe à la textualisation orale des textes, présents aux alentours de l‟énonciateur. Elle actualise/crée par l’énonciation de la « surface linguistique » et en produisant des « éléments tonémiques » le contenu en expression. De ce fait, l‟énonciateur sollicite et engage les mécanismes coopératifs du destinataire à double titre, d‟une part en actualisant vocalement la « surface linguistique » dont il a été l‟auteur préalable et d‟autre part en „donnant une forme tonémique‟ à celle-ci.

Certes, il est rare d‟entendre dans un auditoire des expressions telles que « je vous ordonne de… » où, selon Eco il n‟y aurait pas besoin d‟actualiser des aspects linguistiques. Par contre, on observe facilement des expressions telles que « nous allons commencer… » ou « la semaine passée, nous avons abordé telle chose.. » ou encore, « votre attention s‟il vous plaît ».

Pour la construction du sens de ces énoncés, le destinataire n‟interprète probablement pas linguistiquement ce qu‟il entend. Les « éléments tonémiques » seuls suffisent pour comprendre qu‟il se trouve dans un auditoire, dans tel cours, avec tel prof et que le cours commence. Mais, lorsque par la suite, l‟énonciateur entre dans le sujet de son cours, en produisant des « segments de sémiotisation » variés ou des « spécimen d‟actes linguistiques » de toutes sortes, le fait qu‟il engage son instrument vocal de textualisation, reste inchangé.

De ce fait, ma question concernant la façon dont la mise en voix du discours à visée formative prévoit son destinataire, se précise de la manière suivante :

De quelle façon, l’instrument vocal de l’énonciateur participe-t-il à l’actualisation du contenu du texte/discours ?

Quels sont les aspects vocaux ou « tonémiques » qui pourraient engager les mouvements coopératifs du destinataire ?

Y a-t-il des types de « segments discursifs » qui sont actualisés moyennant des

‘marques tonémiques’ particulières ?

2.4 Quatrième épisode d’une question

Pour Eco, les aspects « tonémiques » sont actualisés en contenu, par le destinataire, en fonction des circonstances d‟énonciation. D‟autres auteurs ont étudié ces mêmes aspects à partir de différentes productions orales observées en rapport à des déterminants situationnels et contextuels.

2.4.1 Variations stylistiques en rapport avec une situation discursive particulière

Selon Auchlin, Avanzi, Goldman et Simon (2010), les paramètres prosodiques varient en fonction de « styles de paroles ». A partir du constat qu‟un locuteur adapte sa façon de parler à certains paramètres de la situation de communication, l‟étude menée par ces auteurs cherche à découvrir si des paramètres prosodiques comme le débit de parole, les intonations ou l‟accentuation varient systématiquement en fonction de facteurs situationnels.

Ce travail de recherche prend en compte de manière spécifique des dimensions estimées constitutives d‟un « style de parole » à partir d‟une dizaine de critères (Koch et Oestereicher, 2001), qui servent de catégorisation du comportement communicatif des interlocuteurs par rapport aux paramètres situationnels et contextuels. Ces critères portent par exemple sur la

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proximité relationnelle entre interlocuteurs, la liberté thématique et expressive, la situation spatio-temporelle, etc. et définissent des « styles de parole » formels et informels de la manière suivante :

Le style informel (« langue de la proximité ») « se caractérise par une relation intime entre interlocuteurs, une grande liberté thématique, de l‟expressivité, une certaine improvisation (qui va de pair avec les hésitations et des formulations décondensés), une coprésence spatio- temporelle (qui autorise l‟ancrage de l‟interprétation sur d‟autres paramètres que le verbal), etc. » (Auchlin et al., pp. 73-74).

Le style formel (« langue de la distance ») « se caractérise par le fait que les interlocuteurs sont inconnus l‟un pour l‟autre, ne sont pas en présence, ne peuvent recourir qu‟à un contenu verbal pour interpréter le discours (ce qui exige un caractère plus explicite) etc. » (ibid., p.

74).

Sur la base de l‟ensemble de ces critères de catégorisation, les auteurs évaluent sept situations communicatives qu‟ils appellent des « genres de productions langagières »7 (ou des « types de productions langagières » ou encore des « styles »). Dans leur étude ces « genres » sont la conférence universitaire, l‟interview radiophonique, une demande d‟itinéraire, le journal parlé radiophonique, la lecture, le récit conversationnel et l‟allocution politique. Les auteurs les classent sur un continuum allant des meilleurs représentants de la langue de la distance à ceux de la langue de la proximité. Mais, ils précisent que ces « styles » sont rarement homogènes eu égard aux paramètres situationnels et contextuels répertoriés par les dix critères de Koch et Oestereicher.

Par exemple, l‟interview et le journal radiophoniques sont deux types de communication médiatique. Le journal parlé est proche de la langue de la distance (non-présence des interlocuteurs, contrainte thématique forte, discours préparé) tandis que l‟interview radiophonique est intermédiaire entre la langue de la distance (absence d‟intimité entre interlocuteurs, détachement actionnel et situationnel, communication relativement préparée) et la langue de la proximité (coprésence, dialogue, présence d‟une certaine émotivité, etc.).

(ibid., p. 74)

Sur la base de ce travail de catégorisation a priori, les chercheurs définissent et constituent un corpus qui comprend les sept « activités de paroles » mentionnées ci-dessus et procèdent à l‟analyse des données. Celle-ci se fait moyennant plusieurs outils informatiques qui permettent de déterminer le nombre de phonèmes, de syllabes, de mots, de syllabes proéminentes, de syllabes d‟hésitation et de types de syllabes caractérisant des interruptions et des chevauchements.

7Les sept situations communicatives décrites par les auteurs de cette étude portent tantôt l‟appellation « styles de parole » tantôt celle de « genre de production langagière ». Selon cette dénomination, le corpus est constitué de sept « genres » de productions langagières auxquels les auteurs se réfèrent en évoquant ces productions textuelles également en termes de discours formel/ informel, ou hésitant, ou encore de discours officiel etc. Cette manière d‟utiliser les termes « genre » et « discours » ne correspond pas à celle que Bronckart (1996) a élaboré dans sa définition de l‟activité langagière. En effet, cet auteur adopte l‟expression de genre de texte, de préférence à celle de genre de discours. Selon sa définition, un genre de texte est composé d‟un certain nombre de segments, identifiables par leurs caractéristiques linguistiques spécifiques. Ces segments « constituent le produit d‟un travail particulier de sémiotisation ou de mise en forme discursive » et entrent « dans la composition d‟un genre ». Ce sont ces segments qui existent « en nombre fini » et qui présentent « de fortes régularités de structuration linguistique » que l‟auteur qualifie de types de discours. Ce sont ces types de discours définis en rapport à l‟acte de production et à un axe temporel qui mettent en forme une production textuelle et constituent ainsi un genre de texte. (pp 78 ; 159) Pour Bronckart, les types de discours qui mettent en texte les genres sont au nombre de quatre : discours interactif, discours théorique, récit interactif et narration.

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