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B) Les mécanismes de cohésion

4. CONDITIONS DE POSSIBILITE DE LA CONSTRUCTION DU SENS

Les particularités linguistiques, textuelles et prosodiques propres à chacun des extraits de discours semblent produire quelques effets sur les mouvements de « coopération » dans lesquels un récepteur est engagé, au sens d‟Eco (1979/1985).

Selon cet auteur, l‟activité de construction de sens procède par des mouvements de

« coopération textuelle et interprétative » par lesquels le récepteur actualise la surface linguistique et les espaces blancs d‟un texte (cf. supra pp. 13 -15).

1) L‟actualisation de la surface linguistique : Le récepteur fait fonctionner le texte en étant actif comme « un opérateur » qui est « capable d‟ouvrir un dictionnaire » à chaque mot qu‟il rencontre et d‟opérer des choix dans « son encyclopédie personnelle » eu égard aux signifiés possibles qui permettent d‟actualiser la signification que l‟auteur a cherché à produire. Il recourt également à un ensemble de règles de syntaxe et de grammaire en coopérant avec les mécanismes de textualisation que l‟auteur met en œuvre dans la construction de sens de son texte.

2) L‟actualisation des non-dits : Dans le texte qui se présente à lui, le récepteur doit

« déterminer une portion de monde ». Il produit des « extensions » qui constituent des mouvements de coopération avec l‟auteur car les « portions de monde » que le récepteur complète, relèvent de l‟expérience qu‟il partage avec l‟auteur. D‟autre part, le récepteur procède à des « opérations intensionnelles » qui consistent à « attribuer des intentions

psychologiques » à l‟auteur, à « actualiser les structures actancielles » et les « structures idéologiques » du texte.

Un prolongement possible de ces thèses, à une situation de discours oral à visée formative peut être illustré à partir de deux exemples concernant la rupture de la cohérence thématique dans chacun des extraits. Cette illustration repose sur la reconstruction et l‟interprétation de ma propre expérience de réceptrice.

4.1 Rupture de cohérence thématique dans l’extrait 1

Lors de la situation de communication effective, dans cet extrait, le syntagme « plan d‟études » ne faisait pas partie de mon « encyclopédie personnelle ». La construction du sens de cette unité linguistique a été rendue possible au fil du discours par l‟actualisation de la surface textuelle ainsi que par l‟interprétation de quelques aspects prosodiques. La première occurrence du signifiant « plan d‟études » survient dans un segment de discours de type interactif.

21. comme autrefois à un autre cours ... avec euh cette idée que quoiqu‟on 22. pense en lecture on n‟est pas on n‟active pas : cette composante \ 23. donc voyez ... les tables de spécification que je vous ai proposées 24. entrent.tout à fait en conformité avec le plan d’études .

L‟expérience en cours d‟événement nous a montré que, dans ce cours, les éléments théoriques importants sont mis en évidence par une configuration prosodique particulière (rythme lent, mises en évidence vocale des termes clé, marquage de pauses). Dans le passage ci-dessus, le

« plan d’études » est accentué vocalement mais il apparaît dans un segment de discours interactif, énoncé avec un rythme de parole rapide et une baisse de l‟intensité de la voix. Dès lors, la nécessité d‟actualiser le sens de ce syntagme ne semblait pas immédiate, ce qui permet de rester attentif à la suite du développement du contenu.

L‟univers de signification du syntagme « plan d‟études » est élargi dans le segment interactif 4 :

28. revenons en maintenant ... aux documents d‟orientation romands . (…)

34.l‟idée d‟harmoniser pour la Romandie

35. les différents plans d‟études des . différents cantons...

Cet univers est ensuite exemplifié par un segment théorique (5) et la forme nominale « plan d‟études » est reprise par une anaphore pointée dans le segment 6.

44. (…) donc il me semble que là / on est dans le bon plan \

45. en tout cas dans la ligne que prend . ce . plan d‟études romand \

En suivant l‟auteur dans la reprise et la reformulation du signifiant « plan d‟études », le récepteur peut progressivement construire la signification de ce qu‟est un « plan d‟études », en actualisant la surface textuelle de ce qui est dit à propos des « plans d‟études ».

Dans la suite du discours, l‟auteur opère un saut important qui sollicite un nouveau mouvement de « coopération » et d‟« actualisation ». Au terme de son explication des deux schémas issus des plans d‟études, il pose la question suivante :

64. ... est-ce que à ce stade . le cadre .. on va dire légal .. c‟est pas tout 65. à fait le terme exact.. le cadre .. institutionnel .. pour vous . vous 66. paraît clair / (5 sec) alors dans c‟ coup on peut entrer en matière /..

De prime abord, le syntagme « cadre légal (…) institutionnel » apparaît comme „parachuté‟

dans ce contexte. L‟éventuelle construction de sens peut prendre appui sur les éléments suivants :

1. Le rythme lent et le marquage de pauses qui précèdent ou suivent les unités linguistiques accentuées fortement peuvent fournir l‟indice qu‟il s‟agit d‟une question relative à un contenu théorique.

2. Le marqueur temporel (à ce stade) et le déterminant défini (le cadre) indiquent que cette question se réfère à un contenu qui se trouve en amont.

Sur la base de ces éléments, le récepteur peut (ou ne peut pas) actualiser ce qui a été dit auparavant, c‟est-à-dire, quelques deux minutes avant la question posée, dans les lignes 23-25. C‟est dans ce segment qu‟il est question de cadre légal.

23. donc voyez ... les tables de spécification que je vous ai proposées 24. entrent.tout à fait en conformité avec le plan d’études . donc je 25. suis couvert .. juridiquement

Ainsi, l‟actualisation de la surface textuelle de la question posée dans les lignes 64 – 66 sollicite ici un mouvement de « coopération » qui consiste à ré-actualiser un segment en remontant dans le discours qui précède. C‟est ainsi que le récepteur peut construire la signification « un plan d‟études = un cadre institutionnel et légal qui intervient dans l‟enseignement du français ». La pause de cinq secondes qui suit la question adressée aux récepteurs peut faciliter cette construction de sens. Par ailleurs, la forme linguistique et la configuration prosodique de la question posée offrent aux récepteurs, la possibilité de demander des clarifications. Cet aspect est constitutif de la situation de communication.

En resituant cet extrait de discours à visée formative, d‟une durée de cinq minutes dans le vif de cette situation effective, on peut penser que les récepteurs, majoritairement engagés dans une formation d‟enseignant de l‟école publique, disposaient d‟une « encyclopédie personnelle » qui leur permettait d‟actualiser aisément ce que signifie « les plans d‟études en tant que cadre institutionnel et légal ». Dès lors, ces récepteurs correspondraient au

« récepteur modèle » que l‟auteur a probablement prévu.

Commentaires

1) En analysant uniquement la surface textuelle de cet extrait, il semble évident que la cohésion nominale n‟est pas assurée entre les signifiants qui évoquent le « plan d‟études » et le terme « cadre légal, institutionnel » utilisé dans la question.

2) Dans le vif de la situation de communication effective, en tant que réceptrice non-avertie, j‟ai tout de même pu construire la signification « un plan d‟études = un cadre institutionnel et légal qui intervient dans l‟enseignement du français ».

3) Sur la base de ces observations, on peut penser que la construction de la cohérence thématique d‟un discours oral ne procède pas de la même manière que celle qui assure la cohérence thématique d‟un texte écrit. On peut également concevoir qu‟un récepteur n‟actualise pas seulement la surface textuelle d‟un tel discours.

4.2 Instabilité de la cohérence thématique dans l’extrait 2

A l‟écoute de cet extrait de discours en situation de communication effective, la « coopération textuelle » a posé d‟autres types d‟exigences. Concernant la compatibilité entre mon

« encyclopédie personnelle » et la terminologie à laquelle l‟auteur se réfère au sein de la surface textuelle, je n‟ai pas rencontré d‟obstacle majeur. En revanche, l‟omniprésence et la répétition fréquente du signifiant « question » a rendu la construction de sens difficile. En effet, ce pointeur de paradigme sémantique ne peut être actualisé par le recours à une

« encyclopédie personnelle ». Dès lors, le récepteur doit actualiser des « portions de monde » ou des univers de signification dont l‟empan est bien plus important que celui d‟une simple forme nominale. Dans sa totalité, la surface textuelle de l‟extrait analysé compte treize occurrences du pointeur de paradigme « question » :

Des questions de fond, de forme, d‟effets de classe, d‟effets enseignants, de ségrégation, de relations entre ségrégation, d‟inégalités scolaires, de disparité, d‟établissement, d‟effets de contexte, de classe, de contexte de classe, les questions scientifiques et de recherche.

L‟analyse montre que l‟auteur procède par dilatation et rétrécissement de ces paradigmes qui se juxtaposent et se recoupent. Les connexions qu‟il établit entre ceux-ci et les « politiques scolaires » oscillent entre des relations d‟implication, de vagues relations de cause à effet et des relations de contiguïté (cf. supra, pp. 42 - 44). En termes d‟ « actualisation de la surface linguistique », le récepteur se trouve devant une double difficulté : D‟une part il doit actualiser les significations de plusieurs paradigmes au caractère „élastique‟, évoqués en très peu de temps et d‟autre part il doit construire le sens des relations de connexion que la surface textuelle ne stabilise pas. Dès lors, son activité doit être menée sur trois plans au moins :

1) L‟actualisation des univers de signification des paradigmes.

2) L‟actualisation de la connexion qui apparaît à la surface textuelle.

3) L‟évaluation de la fluctuation de la connexion.

A partir de mes souvenirs de cette situation de communication effective, mon expérience de construction de sens de cet extrait dont la cohérence est instable et fluctuante, peut être relatée par des aspects dont on trouve des traces au niveau linguistique, sémantique et prosodique : 1. Tout contenu de ce cours est un questionnement.

L‟occurrence fréquente et l‟accentuation systématique du terme « question » lorsque celui-ci fonctionne comme un pointeur de paradigme pourrait expliquer cette manière de comprendre ce qui est mis en scène au fil des segments 1-10.

2. Les questions que l’on se pose concernent l’idée générale que l’enseignement, les capacités