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5 – Chez soi dans un quartier divers ethniquement et socialement

Le duo Ione (10 ans) et Mme V. (42 ans, mariée) correspond à une situation où la fille comme la mère ont une pratique du quartier intense, tissée d’activités diversifiées et multiples, qui mobilisent de nombreuses ressources de leur quartier proche, à commencer par leur maison et leur grand jardin. La vie de quartier d’Ione se combine fortement à la vie de quartier de sa mère, qui y passe comme elle l’essentiel de son temps et y déploie des activités multiples. Cette vie de quartier intense, d’Ione comme de sa mère, est éclairée par le rôle central que Mme V. accorde au quartier proche et à sa diversité, tant ethnique que sociale.

Ione, bilingue (néerlandais et anglais), est scolarisée à l’école Grazebrook (en Year 5 au moment de son entretien) depuis le début de sa scolarité. Elle vit dans le quartier de Stoke Newington depuis sa naissance. Elle habite avec sa mère, son père (44 ans) et sa sœur (7 ans, également à Grazebrook, en Year 2) une immense maison des années 1830, sur quatre étages, que ses parents ont achetée quatre ans auparavant (avant, ils habitaient à proximité, de l’autre côté de Clissold Park, dans un appartement acheté en 1997). Elle connaît très bien ce quartier, qu’elle apprécie énormément, et le pratique intensément, mobilisant de nombreuses ressources du quartier (courses avec sa mère dans les petits commerces de Church Street, qu’elle identifie très bien, pratique intensive de la bibliothèque (deux fois par semaine)…) et cumulant de multiples activités périscolaires dans son quartier proche (violon, danse, piscine (3 fois par semaine), arts du cirque, cours d’arts plastiques (organisés par sa mère), cours de percussion, jusqu’à trois activités dans une même journée, après l’école ! Si le grand jardin attenant sa maison est son lieu privilégié de jeu, elle fréquente également régulièrement Clissold Park, comme de nombreux enfants de sa classe, pour y faire du vélo, et pour retrouver ses amis et jouer sur les terrains de jeux. Ses déplacements dans le quartier, faits à pied et à vélo, sont souvent accompagnés (surtout par sa mère), mais Ione a de fortes marges de liberté : elle va parfois seule, à pied ou en vélo, chez des amis habitant à proximité, et peut revenir seule de l’école.

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« And he's just in the neighborhood, in Noe Valley, which is nice being here in the middle because Noe Valley, I feel, is a very safe neighborhood whereas the more edgy neighborhood is Mission and I'm not comfortable yet with them walking that way. (...) Fine, this

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– 2012 A Stoke Newington, Ione entretient de nombreuses et intenses relations de sociabilité, ce qu’elle représente sur son dessin où elle figure la maison de ses meilleurs amis. Elle a connu presque tous ses amis à l’école (quelques-uns ont changé d’école suite à un déménagement, mais presque tous sont encore à Grazebrook) : leurs parents, comme les siens, appartiennent aux classes moyennes supérieures ou aux classes moyennes. Ils habitent comme elle des maisons, à proximité de chez elle. Elle invite très souvent ses amis dans sa maison et dans son jardin, et elle est très souvent invitée chez eux, parfois à dormir. Elle peut se rendre seule chez eux. Elle les retrouve également dans le cadre de plusieurs de ses activités périscolaires (avec des déplacements groupés d’enfants sous la supervision d’un seul parent), ainsi qu’à Clissold Park.

Ione se caractérise donc par une vie de quartier très intense, qui mobilise beaucoup de ressources du quartier proche (c’est manifeste dans la description qu’elle fait de son dessin du quartier : elle remarque qu’elle n’a pas pu y faire entrer tous les éléments importants qu’elle voulait y figurer, car trop nombreux). Son réseau relationnel proche révèle des formes d’entre-soi social (associé à une vraie diversité en termes d’origines géographiques). Artiste indépendante, Mme V. travaille beaucoup dans sa maison, où elle dispose d’un studio pour créer : elle passe l’essentiel de son temps dans sa maison et aussi dans son quartier proche, où elle regroupe, consciemment, la plupart de ses activités : courses (dans des petites boutiques sur Church Street en particulier, qu’elle soutient par attachement à son quartier : elle évite les supermarchés), restaurants, en particulier turcs (une fois par semaine, avec enfants ou seulement avec son mari (ils sortent sans les enfants une fois par semaine, le samedi soir (baby-sitteur à la maison)). Elle invite beaucoup dans sa grande maison, surtout le week-end : enfants, voisins, amis, famille… Ses relations de sociabilité sont très centrées sur son quartier (même si elle pratique aussi beaucoup le reste de Londres, pour les sorties, surtout) : presque toutes ses relations régulières habitent le quartier (en dehors de sa famille, qui vit aux Pays-Bas et en Belgique), et elle a connu la plupart par le biais de ses enfants.

« Je dirais que la plupart des gens qu’on voit régulièrement sont dans le quartier. (…) On a beaucoup d’amis par l’école, beaucoup de gens qu’on a rencontrés par l’école.169 »

Elle se sent vraiment chez elle dans cette maison et dans ce quartier.

« Je crois qu’on va rester ici un bout de temps, on est bien, on est vraiment bien ici. En fait, je crois que pour tous les deux, c’est vraiment devenu notre chez- nous. Vous savez, j’ai habité un peu partout. J’ai habité à… J’ai grandi en Hollande, alors je suis née en Belgique, j’ai habité en France pendant un an. Et je crois que ici maintenant je peux vraiment dire… Pas les deux premières années mais au bout d’un moment je me sens vraiment chez moi ici. Vraiment. Je me considère comme londonienne. Je ne me considère pas anglaise parce que je ne le suis pas. Mais je me considère londonienne170 ».

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« I would say that most of the people that we see on a regular basis are from here. (…) We've got a lot of friends actually through the school, a lot of people that we met through the school ».

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« I think we will stay here for quite a while, we like it, we really like it here. In fact, I think that for us both this has really become our home. You know I've lived in a bit all over the place. I've lived in...I grew up in Holland so I was born in Belgium. I've lived in Belgium, I've lived in France for a year. And I think that here now I can really say. Not the first couple of years but after a while I really feel at home here. I really am. I would call myself a Londoner. I wouldn't call myself English because I'm not. But I would call myself a Londoner ».

Ses relations de sociabilité semblent aussi intenses que celle d’Ione : elles se nourrissent les unes aux autres (invitations d’amis d’Ione avec leurs parents, échanges de services (transports des enfants vers les activités périscolaires, garde des enfants…), activités communes avec Ione, dont une dont elle est l’organisatrice (atelier d’arts plastiques). Leurs vies de quartier sont donc fortement imbriquées, et comportent beaucoup d’activités et de temps communs. L’une comme l’autre mobilisent de nombreuses ressources du quartier qu’elles pratiquent intensément. Au-delà, pour Mme V., sa vie à Stoke Newington - à ses yeux quartier ethniquement très divers et qui pourtant a les solidarités d’un village - est fondatrice de son identité de londonienne (et non d’anglaise) lui permettant à elle, étrangère, d’appartenir à un groupe (« community »). Elle apprécie beaucoup son quartier : en tant qu’étrangère, elle s’y trouve chez elle.

« Il y a des choses que j’aime vraiment bien dans ce quartier. Newington est différent, c’est un endroit un peu spécial. Parce qu’il y a un chouette mélange de gens. Je crois que c’est pour ça que, en tant qu’étrangère, je me sens bien chez moi ici. (…) Parce qu’il y a tellement de gens différents, on se sent à l’aise pour être soi-même, vraiment soi-même. Mais il y a quand même, en même temps un vrai esprit de communauté ici. Bien plus que là où on vivait avant, de l’autre côté du parc, aussi curieux que ça paraisse. C’était vraiment un sentiment différent171 ».

« Je veux dire, il y a une chose qui unit les gens. C’est qu’ils se sentent tous liés au quartier172 ».

Elle apprécie beaucoup la diversité du quartier comme de l’école, qui lui permet de se sentir chez elle et qui, selon elle, permet à ses enfants d’apprendre la tolérance envers tout ce qui ne semble pas « normal ».

« Il y a une chose dont je pense que nos enfants profitent. C’est qu’ils sont tolérants envers tout parce qu’il y a tellement de choses différentes dans leur école. Tellement de parents différents, tellement d’enfants différents, avec des besoins et des capacités différents. Qu’ils sont très tolérants envers tout ce qui n’est pas spécialement normal, ou ce qui ne semble pas être normal173 ».

Elle apprécie beaucoup toutes ces formes de diversité pour ses filles et pense que ça leur a été très profitable (ainsi, Ione, qui avait un défaut de prononciation, a pu le surmonter tranquillement, sans apparaître comme bizarre.)

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« There are things I very much like about this neighborhood. Newington is very different, quite a special place. Because it's got a nice mix of people. I think that's why, being a foreigner, I feel quite at home here. (…) Because there are so many different people, you feel you can really be yourself, truly be yourself. But, there's still, at the same time, very much a community spirit here. Much more so than where we lived before, on the other side of the park, funnily enough. That felt very different ».

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« « I mean there's one thing that binds people together. It's that they all feel quite connected to the area ».

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« That's one thing that I think that our children really benefit from. Is that they accept everything because there are so many different things happening at school. So many different parents, so many different children, with different needs and different abilities.

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« [Vous appréciez cette diversité pour vos enfants ?] Ouais (…) absolument. C’est très important. (…) Parce que je leurs parle néerlandais à la maison, en fait, la langue maternelle de Ione c’est le néerlandais. Ensuite on lui a appris l’anglais. Parce que j’étais avec elle à la maison tout le temps. Enfin la plupart du temps. (…) En plus elle est née avec un bec-de-lièvre. Je pense qu’avoir à ce moment un léger défigurement, mais avoir ça dans un environnement où beaucoup d’enfants peuvent avoir… (…) Ne pas être 100 % normaux ou perçus comme normaux, c’est en fait très positif174 ».

Le quartier gentrifié est aux yeux d’Ione un quartier où « tout est bien » (it’s all good) et sa mère partage son appréciation, fondée sur des relations sociales intenses et des activités multiples, occasions de socialisation. Cette bulle de proximité aux aspects de village, parcourue à pied et à vélo, est vécue de manières similaires par la fille et la mère. Cette dernière, en revanche, insiste sur la diversité sociale et ethnique du quartier comme de l’école, alors qu’Ione semble avoir une exposition limitée à la diversité sociale, au moins dans ses relations les plus intenses, ayant plutôt des relations dans des milieux sociaux proches.

Cette configuration de relations intenses et heureuses au quartier est à expliquer par les ressources financières de Mme V. (son mari, spécialisé dans le droit des brevets, a un revenu élevé), et par la disponibilité de Mme V., ainsi que par son milieu artistique et ses origines étrangères, qui l’amènent à trouver sa place en Angleterre dans un lieu marqué fortement par la présence de communautés étrangères. Ce rapport au quartier est aussi à relier aux ancrages spatiaux multiples de Mme V, passée (enfant) de la Belgique aux Pays-Bas et qui a aussi vécu en France, avant de venir à Londres.