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Le couple Olivier (10 ans) et Mme A. (38 ans, divorcée) donne à voir une première configuration dans laquelle l’enfant et la mère ont tous deux une vie de quartier très développée, et dans laquelle la vie de quartier de l’enfant apparaît étroitement liée à l’importance que sa mère accorde conjointement au quartier, comme lieu de socialisation, et au fait de côtoyer des personnes différentes de soi, comme expérience socialisatrice. Olivier est scolarisé à l’école Lemercier. Il habite le quartier des Batignolles depuis sa naissance et vit dans un logement de petite taille, situé à proximité de l’école, avec sa sœur, âgée de 11 ans et demi, sa mère et le nouveau compagnon de sa mère. Dans ce quartier, qu’il connaît très bien et qu’il apprécie beaucoup, Olivier cumule de nombreuses pratiques : le handball, dans le cadre des activités multisports organisées le mercredi, le catéchisme, la fréquentation du marché, et parfois des commerces, ou bien encore, la fréquentation du cinéma de la place Clichy. En revanche, contrairement aux autres garçons de sa classe, il va rarement au parc Cardinet, la semaine, préférant jouer dans son logement, et le week-end, parce qu’il part un week-end sur deux chez son père qui habite en banlieue. Ses déplacements dans le quartier sont souvent encadrés, mais il fait les trajets de son domicile à l’école, toute proche, seul. Dans son quartier, Olivier entretient également de nombreuses sociabilités. Son réseau de relations, composé de copains d’école, est socialement mixte, mais ses meilleurs copains sont des « musulmans », de « milieux défavorisés » (selon les propos de sa mère), qui habitent avenue de Clichy (aux Epinettes). Il invite parfois ces enfants dans son logement, mais il ne se rend pas chez eux et il les côtoie très rarement au parc Cardinet. Olivier se caractérise ainsi par une vie de quartier relativement conséquente et la composition de son réseau relationnel atteste d’une réelle ouverture aux autres enfants différents de lui.

Professeur des écoles-formatrice, travaillant pour une part dans son logement, Mme A. passe également « beaucoup de temps » dans le quartier, et y fait « beaucoup de choses » : les courses (le plus souvent seule), des sorties dans les bars ou les restaurants (avec son compagnon, avec des amies, plus rarement avec ses enfants), des sorties au cinéma de la place de Clichy (avec des amies), des « visites » à la bibliothèque (avec sa fille), des réunions de parents d’élèves, etc. Mais sa vie sociale est loin de se limiter au quartier. « Petitement logée », elle profite (en famille ou avec des amis) « de l’extérieur », « de ce que Paris peut lui proposer » (en termes de sorties, de spectacles, etc.), et elle part souvent aussi en week-end avec son compagnon et pendant les vacances scolaires. Dans le quartier, Mme A. entretient également des relations de sociabilité, avec ses voisins et avec d’autres parents d’élèves (de l’école Lemercier et du collège où est scolarisée sa fille). Mais ses relations apparaissent plus superficielles que celles de ses enfants : « Si on quittait le quartier, explique-t-elle, je pense que je ne reverrais personne »

Ainsi, même si Olivier et sa mère ont des vies de quartier relativement différentes, tous deux habitent fortement les Batignolles. Pour Mme A., avoir une vie de quartier constitue en effet une chose « très importante », pour elle-même, et plus encore pour ses enfants :

« (Pourquoi avez-vous choisi de scolariser vos enfants à l’école Lemercier ?) C’est l’école du quartier et pour moi avoir une vie de quartier, c’est très important. C’est aussi pour ça que Mathilde est à Mallarmé [dans le collège public de secteur, situé aux Epinettes]. Parce que continuer à être dans son quartier ça reste important. (…) Moi, je n’ai pas eu cette chance d’être dans mon école de quartier. Et je trouve que pour tisser des relations c’est, enfin la vie des copines et des copains est aussi importante que ce qu’on fait au collège et à l’école ».

Le quartier des Batignolles satisfait ici cette attente et permet de surcroît (contrairement au quartier voisin de Monceau qui est « vraiment le 17ème bourgeois et traditionnel ») « d’accéder à une mixité ethnique et sociale » que Mme A. apprécie et qu’elle considère également « très importante », en terme d’expériences socialisatrices pour ces enfants :

« Je l’aime bien ce quartier. (…) Je trouve qu’on a, du fait que les Batignolles soient aussi rattachées, pour la scolarisation de mes enfants c’est aussi rattaché à l’avenue de Clichy, et que le collège soit aux Epinettes, ça permet d’accéder à une mixité ethnique et sociale, qui est intéressante. Je trouve ça chouette. J’en tire une richesse. (Et est ce que vous pensez que c’est important pour vos enfants de rencontrer d’autres enfants de milieux sociaux différents ?) Pour moi oui c’est, ça fait partie des choses très importantes de la vie. Oui. (C’est ce que vous appelez « l’école de la vie » ?) Oui. (Et pourquoi c’est important pour vous ?) Parce que je suis absolument, je ne pense pas qu’on puisse s’épanouir et avoir une connaissance de la vie en vivant dans un milieu fermé, avec des gens qui nous ressemblent, qui ont les mêmes activités. Je crois que le monde est fait pour qu’on se connaisse, qu’on se rencontre ».

Ainsi, dans cette configuration, le quartier gentrifié apparaît pour Olivier, et aux yeux de sa mère, « comme une école de la vie ». Cette configuration doit certainement beaucoup au milieu professionnel (le secteur éducatif) dans lequel évolue Mme A. et en particulier à son activité d’enseignante de ZEP et de REP (« enfin de milieux difficiles en banlieue ») qui l’amène à côtoyer de nombreux enfants de milieux populaires, regroupés dans des classes et des établissements très peu diversifiés socialement. Elle est probablement à relier aussi au fait que le père d’Olivier avec lequel Mme A. a vécu de nombreuses années est d’une origine culturelle (asiatique) autre que celle (française) de Mme A. Enfin, cette configuration apparaît également déterminée par la propre enfance de Mme A., qui, visiblement, a rencontré des difficultés à tisser dans son quartier d’enfance des relations amicales, parce que son école se situait ailleurs.

Dossier d'études N

° 153

– 2012