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Neils (11 ans) et sa mère, Mme O. (51 ans), présentent le cas d’un couple mère/enfant dont les pratiques et les sociabilités sont à la fois très centrées sur le quartier, profondément imbriquées, et marquées par l’entre-soi social : la mixité est acceptée dans le cadre de l’école publique Alvarado, mais maintenue à distance par la mère comme par le fils.

Neils habite avec ses parents, sa sœur aînée et son frère jumeau dans une maison située sur la 24ème rue, à trois blocks de son école (Alvarado), c’est-à-dire au cœur de Noe Valley. Ses pratiques du quartier sont intenses et diversifiées (il se rend souvent au petit parc situé sur le même trottoir que sa maison, il fréquente assidûment la bibliothèque et les commerces de sa rue, prend des cours de piano chez un professeur en face de l’école, va chez des amis du quartier), relativement autonomes (il se déplace souvent sans la supervision de ses parents mais en compagnie de son frère), et en même temps concentrées sur un territoire restreint. Ces usages locaux se combinent à de nombreux usages dans le reste de la ville, en semaine avec les entraînements de football (soccer) sur différents terrains de San Francisco, et le week-end avec les matchs de football ou les sorties culturelles et urbaines en famille dans divers lieux de la ville. Dans sa classe (Neils est en Grade 5 à Alvarado), le groupe des garçons est majoritairement composé d’enfants issus des milieux populaires ou des couches moyennes inférieures). Neils, sans être fermé aux autres enfants, n’y a pas d’ami proche. Mais dans le quartier, il a une sociabilité poussée, avec des enfants qui ont changé de classe ou d’école, avec des amis du football, des voisins ou avec les enfants d’amis de sa mère. Au total, il semble en retrait de la mixité dans ses sociabilités à l’école (où il a des amis en dehors de sa classe) et a fortiori dans le quartier.

Ce fort ancrage local fait écho au rapport de sa mère au quartier. Mme O., d’origine suédoise, est pharmacienne à temps partiel (son mari, Canadien, est professeur dans une université de la ville). Le couple a acheté la maison en 1991, parce que « we knew that Noe Valley was a nice neighborhood », et plus précisément pour des motivations relatives au quartier (micro-climat, accessibilité), à l’état du marché immobilier par rapport à leurs moyens de l’époque, et aussi à la localisation au sein du quartier :

« C’est une rue très passante, mais c’est une bonne localisation. Ayant des enfants, on est à cinq maisons du parc, alors ils n’ont pas de rue à traverser pour aller au parc. Il y a un terrain de tennis, un terrain de basket, et puis la petite aire de jeux. Quand ils étaient petits, on y allait très souvent. Maintenant qu’ils sont au collège153, ils peuvent aller sur la rue commerçante, aller à la boulangerie, au

magasin de bagels, acheter un burrito ou n’importe quoi, et prendre le bus. Les transports publics sont aussi très bons. A part le fait que c’est une rue très passante [et donc bruyante], avec le bus qui passe, c’est une localisation parfaite154 ».

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L'entretien avec Mme O. a été réalisé un an après celui avec son fils.

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« It's a busy street, but it's a nice location. Having kids, we're five houses from the park, so they don't have to cross the street in order to go to the park. There's the tennis court, basketball court, and then their little play area. When they were little we always went there. Now when they are in middle school, they can walk down the street to the business area, and go to the bakery, bagel shop, buy a burrito or whatever, and catch buses. The communication transit is very good, too. Apart from the busy street, and the bus going by and all that, it's a perfect location. »

Elle apprécie beaucoup Noe Valley, qu’elle décrit comme de « classes moyennes supérieures », ethniquement peu diversifié, autant de caractéristiques qu’elle relie au renchérissement de l’immobilier, comme l’illustre l’évolution de la valeur de sa propre maison en vingt ans. Pour elle, le quartier est avant tout caractérisé par son atmosphère familiale, même si elle constate le départ des familles pour la banlieue lorsque les enfants arrivent en âge d’aller à l’école :

« Oh, quand les enfants sont petits, on allait au parc et il y avait toutes ces autres mamans. On habite Noe Valley, mais on l’appelle « Vallée des Poussettes » à cause de toutes les mamans, et les parents et les nounous avec leurs poussettes. Malheureusement, ce qui se passe très souvent c’est que les écoles ne correspondent pas à ce que veulent les gens, et lorsque leurs enfants entrent au Kindergarden155. Ils vont à Marin, où les écoles sont un peu mieux156 ».

Au total, elle estime que :

« C’est un quartier fabuleux pour élever des enfants. (…) Nous, notre famille, on adore notre quartier157 »

De fait, elle a fortement investi son quartier (ainsi que son logement). Elle y fait ses courses hebdomadaires ; elle est très impliquée à l’école. Elle évoque la façon dont le trajet à pied à l’école le matin est devenu un moment familial privilégié que son mari et elle ont tenu à conserver jusqu’à la fin de l’école primaire, alors même que leurs fils étaient autorisés, le soir, à rentrer seuls à la maison. Autre tradition familiale, la famille va dîner dans un restaurant local toutes les semaines. Elle-même ne quitte le quartier, seule, que pour travailler, faire certaines courses, ou se rendre aux réunions de l’association de femmes de son pays d’origine. La plupart de ses amis habitent le quartier : elle les a rencontrés autour de ses enfants dans un parc local, par un « groupe de mamans », par le football ou par l’école.

« On dirait que la plupart de nos amis sont liés à l’école aujourd’hui parce qu’on a rencontré plein de gens super à Alvarado, surtout dans la promotion de [ma fille], quand elle a commencé. Je crois que c’est lié au premier enfant, et on est très impliqué et inquiet, un peu, alors on va davantage vers les autres parents avec son premier avant qu’avec le second158 ».

Ainsi, les liens qui l’unissent à ces amis sont d’autant plus forts qu’ils relèvent d’une « sociabilité familiale » fondée sur la proximité spatiale (et sociale) et sur les amitiés croisées entre enfants et entre parents. Elle qualifie deux de ces familles de « familles de secours » (backup families), susceptibles de lui rendre des services d’urgence.

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Rappel : la classe de Kindergarden correspond à la grande section de l’école maternelle en France, mais c’est la première classe de l’école primaire.

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« Oh, when the kids were small, you went to the park and you had all these other moms. We live in Noe Valley, but it is called, "Stroller Valley, " because there are so many moms, and parents, and nannies with strollers. Unfortunately, what happens many times is that the schools might not be what people want them to be, and they move out by the time the kids start kindergarten. They move to Marin where the schools are slightly better. »

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« It’s a fabulous neighbohood to raise children. (...) We as a family love our neighborhood. »

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« It seems like most of our friends are school-related at this point because we got to know a lot of great people at Alvarado, especially in (my daughter)’s grade, when she started. I think it has to do with first child, and you’re very involved and worried, a little

Dossier d'études N

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– 2012 C’est par le biais de l’école primaire que Mme O. et Neils sont confrontés à la mixité socio- ethnique. Pour sa fille aînée, après avoir écarté l’option privée pour des raisons financières et après avoir visité un grand nombre d’écoles publiques (« I toured a million schools »,

c’est-à-dire « j’ai visité des millions d’écoles »), elle a choisi un établissement hors du quartier dont la bonne performance scolaire, la prédominance de familles diplômées et le dynamisme de l’association de parents lui ont plu :

« Alors on s’est senti à notre place159 ».

Mais la loterie a affecté l’enfant à l’école Alvarado, plus proche de leur domicile. Elle apprécie finalement beaucoup cette école, où elle a ensuite scolarisé Neils et son frère160.

Elle la décrit aujourd’hui comme très vivante, mixte, avec de bons enseignants, et, surtout, un fort « sentiment de communauté » lié à l’association de parents :

« C’est [une école] très dynamique, je trouve, à cause de sa filière espagnole, alors ça diffuse beaucoup la culture hispanique, et c’est très multicolore, joyeux et gai. (..) ».

« Ce que j’aime le plus… Le sentiment de communauté est incroyable dans cette école. (…) La participation des parents est super. On s’amuse beaucoup avec ces gens. Aussi le fait que les enfants… Il y a toutes les dimensions de la vie représentées : il y a [une grande diversité] du point de vue ethnique, du point de vue financier, du point de vue scolaire… Il y a de tout, d’un bout du spectre à l’autre, mais c’est quand même une école qui marche très bien, où le niveau scolaire est bon161 ».

Si elle présente d’abord la mixité (qu’elle entend comme ethnique, sociale et de niveaux scolaires) comme une qualité d’Alvarado, elle nuance ensuite cette idée. En effet, la performance scolaire lui semble plus importante (notamment pour le collège). De plus, sa sociabilité avec les parents hispaniques de l’école est limitée aux accompagnements de sorties scolaires, et son fils a peu d’amis dans sa classe :

« A l’école, [Neils] avait beaucoup d’amis. Ce qui comptait, c’était qu’ils soient gentils, OK, et pas trop macho et durs… Parce que lui n’est pas trop macho. Il a longtemps joué à la corde à sauter avec les filles. Alors il n’aime pas trop les jeux brutaux : il n’aime pas quand on parle mal. Ce n’est pas son genre. Il déteste qu’on soit injuste avec lui, et ça le contrarie beaucoup, il se met à pleurer. Alors ça a limité son cercle d’amis ».

« Dans son équipe de foot, il y avait à peu près quatre enfants hispaniques de sa promotion. Mais cette promotion, malheureusement était une promotion très très difficile ».

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« So it was where we felt we belonged. »

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La loterie ne s’applique qu’à l’aîné(e) : le reste de la fratrie est affecté prioritairement dans la même école que l’aîné(e).

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« It is very vibrant, I would say, because it does have the immersion program, so it infuses a lot of Hispanic culture in there, which is very colorful, happy and cheerful. »

« I think that's what I like the most, that the community feeling at that school is so amazing. (...) So the parent participation is great. You have a lot of fun with those people. Also, this fact that the kids are definitely you have every part of life represented. : You have ethnically, you have financially, you have academically all these vary from one end into the other, but it's still a very well functioning school where academics are strong. »

« Ce qui se passe, c’est qu’ils mélangent les classes chaque année, alors il a moins d’amis dans sa classe que dans l’autre classe, la filière générale d’anglais, vous voyez ? Dans ces deux classes, [Neils et son frère] ont peut-être deux ou trois amis parce que les autres enfants sont très difficiles. Ils viennent de familles différentes, qui ne sont pas compatibles avec notre façon d’éduquer nos enfants, leurs apprendre le respect et tout ça, et aussi leurs mettre la pression pour l’école ».

« Il y avait très peu d’enfants avec lesquels ils étaient compatibles. Les filles dans sa promotion, dans la filière d’anglais, elles étaient toutes très compatibles avec notre style de vie. Alors elles avaient un très gros groupe d’amies, avec les parents qui s’entraident et qui s’impliquent dans l’école162 ».

A propos du collège qu’elle et son mari ont choisi (hors du quartier) pour sa fille et où Leif doit entrer, elle revient sur la question de la mixité et s’inquiète de son impact sur la performance scolaire de l’établissement.

Ainsi, on observe un fort recouvrement des pratiques et des sociabilités de Neils et de sa mère. Se caractérisant par une vie de quartier intense, ces pratiques et ces sociabilités sont à mettre en lien avec certains choix de vie de Mme O. : celui du temps partiel pour s’occuper de ses enfants, et celui de Noe Valley comme lui semblant adapté à la vie de famille. De plus, elles attestent d’un repli social relatif (l’enfant est tout de même scolarisé dans le public) et ambigu. En effet, en choisissant l’école, Mme O. a cherché, plus que la mixité, une « communauté» qui offrirait à son fils un cadre de socialisation « compatible » avec ses « valeurs » (celles de la performance scolaire mais aussi celle du respect des autres). Elle l’a trouvée à Alvarado, où la « communauté», cristallisée par la puissante association de parents (PTA), est ouverte aux familles populaires hispaniques… Mais dominée par des familles des classes moyennes supérieures blanche (c’est là tout le paradoxe). Elle envisage donc la mixité de l’école avec d’autant plus de sérénité qu’elle est maîtrisée par la PTA, où elle-même est très présente. Au-delà de l’école, elle a aussi trouvé cette « communauté» à Noe Valley, malgré la faible visibilité des minorités socio-ethniques dans le quartier, de par sa proximité sociale avec la majorité des habitants, diplômés et ouverts à l’idée de mixité.

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« I think that at school, he was friends with a lot of kids. The important thing is that they are nice, OK, and not so macho and rough ... because he is not very macho. He jumped rope with the girls for a long time. So he does not like the rough play; he does not like the rough talk. He's not that kind of guy. He hates to be unfairly treated, then he gets very upset and starts to cry. So I think that really limited his circle of friends.

We had in the soccer team... there were probably four Hispanic kids from his grade. But that grade unfortunately was a very, very rough grade with very problematic kids.

The thing is that they mix up the classes every year, so it's not really friends from their class as much as friends from the grade, the general English program, right? In those two classes, (Leif and his twin brother) probably have had two or three friends because the other kids were very rough. They came from different kinds of families that were not compatible with our style of teaching our kids, and teaching respect and everything, and also putting pressure academically.

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