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Olivia et Mme B. forment un type bien différent. Ici, l’enfant et la mère vivent tous les deux très largement à l’écart du quartier gentrifié, en partie, pour Olivia, parce que Mme B. n’a pas du tout le même rapport à la diversité sociale (du quartier et de façon plus générale), ni les mêmes valeurs éducatives, que la mère d’Olivier.

Scolarisée dans la même classe qu’Olivier, Olivia (10 ans) ne participe pas en effet aux activités multisports organisées le mercredi, ne va pas au parc Cardinet et ne fréquente pas souvent le marché et les commerces du quartier. Sa vie sociale se déroule plus volontiers à l’extérieur des Batignolles : au Parc Monceau, au Parc Floral, à Neuilly ou à la Porte de Champerret pour la piscine, etc. De surcroît, dans le quartier, ses rares pratiques (la fréquentation de la bibliothèque, la fréquentation des commerces) et ses déplacements (notamment pour aller à l’école) sont fortement encadrés par sa mère ou par la jeune fille au pair qui la garde régulièrement. Ses relations avec les autres enfants du quartier sont également peu nombreuses. À l’école, Olivia fréquente quelques filles de milieux populaires et d’origines étrangères. Mais elle ne les côtoie pas dans le quartier, et les invite rarement dans son logement. Hors de l’école, elle fréquente plutôt ses cousins et cousines et des copines rencontrées dans le cadre de ses activités de loisirs ou dans le cadre de colonies de vacances. Olivia se caractérise ainsi par un usage très limité du quartier gentrifié et une faible ouverture à sa diversité sociale apparaissant fortement orchestrés par sa mère.

Âgée de 44 ans, Mme B. est veuve et exerce le métier d’architecte dans une agence située à Paris, en tant que salariée. Elle s’est installée aux Batignolles, avec sa fille et son fils (Bertrand, âgé de 11 ans au moment de l’enquête), en 2003, à la suite du décès de son mari, dans un grand logement de type haussmannien, qu’elle a acheté. De retour en ville, après avoir habité en banlieue parisienne, Mme B. souhaitait se rapprocher de ses parents (localisés dans le IXe arrondissement) et habiter un bon quartier, pour elle et pour sa famille, dans un logement à « proximité de beaucoup de choses » : des écoles, des commerces, du métro. Mais le quartier gentrifié ne correspond pas au quartier « bobo » qu’elle pensait trouver en s’installant. Si elle en apprécie la diversité des commerces, et le mélange « de gens âgés charmants et de jeunes qui ont des enfants », elle le considère trop mixte socialement :

« (Et justement, pour vous, quel type de population habite le quartier ?) Divers ! Divers ! Vraiment, ma fille étant encore à l’école Lemercier là. Très grande mixité sociale. D’ailleurs je pense toujours que si mon mari était là, on n’aurait jamais habité, enfin mes enfants n’auraient jamais été dans cette école là où y’a une grande diversité sociale. La diversité sociale elle est… Elle est bien jusqu’à cette limite que là je suis en train de passer avec l’insécurité. Parce que là c’est quand même pas… Les jeunes là, qu’on voit dans la rue, qui font du tapage nocturne, qui font des problèmes… Qui nous menacent un peu, qui nous font un peu peur, ce ne sont pas des jeunes gens de familles bobos. Ça c’est clair. »

Pour cette raison Mme B., dont la vie de quartier est également très limitée, tient très largement sa fille à distance des Batignolles et de ses habitants. Pour elle, au contraire de la mère d’Olivier, le rapport à la diversité sociale ne doit être pour ses enfants qu’une expérience limitée, dans le temps et dans l’espace :

« (Et est-ce que vous pensez que c’est important que vos enfants rencontrent des gens d’un milieu social différent ?) Jusqu’à un certain point oui mais après, euh… oui, c’est important de le faire. Donc je pense que justement l’école Lemercier était… apportait une ouverture d’esprit tout simplement. Ma fille elle a ses trois meilleures copines : marocaine, chinoise et turque. Voilà. Donc je trouve ça génial. Et je me faisais la réflexion d’ailleurs, l’autre jour, elle n’a pas de copine euh… elle n’a pas choisi des… Enfin bon, c’est comme ça hein. Je trouve ça génial mais à un moment donné je crois qu’on est plus à l’aise dans un endroit… Enfin, en grandissant faut voir hein… Avec des gens qui nous ressemblent on est plus à l’aise. Enfin moi je suis plus à l’aise en tout cas. Parce qu’après les différences elles sont très enrichissantes mais faut savoir les mesurer. Y’a Bertrand, quand il était en CM2 y’avait des gamins qui étaient absolument charmants mais arrivés dans le milieu pro, euh familial, c’était une catastrophe. C’était une catastrophe. Les parents s’en fichaient complètement ».

Aussi, pour apporter « une ouverture d’esprit » à ses enfants, Mme B. a-t-elle scolarisé Olivia (et son frère) à l’école publique du quartier, mais sans encourager en même temps sa fille à avoir en dehors de l’école des pratiques et des relations avec des enfants différents d’elle. Et pour le collège, Olivia (comme son frère) ne sera pas scolarisée dans le collège public de secteur localisé dans le quartier populaire des Epinettes :

« Ça c’est, je ne peux pas. Pour une raison de fréquentation, de diversité sociale… Jusqu’en primaire ça va à peu près mais après des enfants qui ne sont pas encadrés à la maison et qui font que des bêtises… Ça va encore en petite classe mais plus ça va… Je suis très préoccupée des fréquentations de mes enfants, euh, de l’éducation de mes enfants. Je ne suis pas trop disponible et donc j’essaie de les mettre dans un environnement plus encadré. Enfin, ils ne sont pas très encadrés à Pierre de Ronsard mais le niveau général est quand même… Y’a aussi des problèmes évidemment mais je me sens plus rassurée. C’est plus des gens qui me ressemblent ».

Dans cette configuration où le rapport à la diversité sociale des enfants a ses temps et ses espaces, le quartier gentrifié, jugé trop « populaire », ne correspond pas, pour elle-même et pour ses enfants, aux normes et aux valeurs de Mme B., qui se considère « bourgeoise plutôt, (mais) pas bohème » et qui appartient à un milieu professionnel fort différent de celui de Mme A. En même temps, dans cette configuration, où le quartier est peu investi, à la fois par l’enfant et par la mère, le statut de Mme B, de mère élevant seule ses enfants, et son activité professionnelle, qui la tient à l’écart du quartier 10 heures par jour, pèsent aussi, certainement, très fortement.

Dossier d'études N

° 153

– 2012