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Quand les circonstances ébranlent les mères

Dans le document LISTE DES ABRÉVIATIONS (Page 87-90)

CHAPITRE V L’ANALYSE DES RÉCITS

5.2 L’ ÉPISODE SUICIDAIRE : UNE GOUTTE DANS LE SPECTRE DU TSA

5.2.1 Quand les circonstances ébranlent les mères

Les circonstances ayant mené à une détresse chez les enfants autistes dont il est question dans cette étude sont variées. La difficulté de l’enfant à accepter sa différence reliée à son diagnostic de TSA, l’accumulation d’évènements divers, les changements multiples dans la vie de l’enfant (école, classe, enseignant, ville, etc.), les échecs scolaires et socioprofessionnels, le deuil d’un membre de la famille immédiate et les hallucinations auditives (ses voix lui disent de se suicider) en sont des exemples. Cependant, la principale cause des MAAS qui revient dans l’ensemble des récits des

mères est l’intimidation vécue à l’école : « Par expérience, c’est à l’école que les enfants vivent le plus d’intimidation » (Alice, par. 29). Bien que l’intimidation soit davantage vécue à l’école primaire, la transition du primaire au secondaire est une étape charnière pour les enfants présentant un TSA au cours de laquelle l’intimidation est également vécue : « Alors, ce changement a donc été très difficile à gérer pour lui et pour nous parce que les enfants à l’école l’écœuraient beaucoup en raison de sa différence » (Karine, par. 20). Les écoles situées dans de petits villages sont aussi touchées par l’intimidation (Estelle). Dans certains cas, le discours des mères nous indique que la réaction de leur enfant face à l’intimidation fut de se défouler en présentant de l’agressivité soit envers les objets ou les autres élèves de son école (Alice et Estelle).

Bien que dans certains cas, les enfants ont également vécu des situations désagréables avec certains adultes, enseignants (Alice) ou entraineurs (Estelle), en raison de leurs agissements et leurs propos pouvant être considérés comme étant de l’humiliation, dans la majorité des cas, les agresseurs demeurent principalement les autres élèves neurotypiques de l’école. Les situations d’intimidation étaient explicites et tangibles. Il s’agit de violence autant verbale que physique. Le discours des mères en fait ressortir quelques exemples : se faire traiter de noms, se faire pousser contre un mur de ciment, se faire frapper à main nue ou par le biais d’une chaise, se faire menacer de perdre ses amis (es) s’il refuse de lécher les urinoirs ou de baisser ses pantalons devant les autres élèves, se faire rejeter et être la cible de moqueries.

Dans ces situations, les réactions des mères face aux circonstances ayant provoqué un état de détresse chez leur enfant autiste sont variées. La tristesse, la culpabilité, l’inquiétude, l’anxiété, la panique et le fait de se sentir dépassée par les événements sont des émotions nommées par les mères. Toutefois, l’émotion qui était la plus présente en termes de fréquence et d’intensité est l’impuissance. Cette impuissance résulte d’un déchirement d’être à la fois confronté à la souffrance de son enfant et limité dans son pouvoir d’agir en raison de l’incapacité d’agir sur l’intimidateur.

Les propos de Rubis illustrent parfaitement comment ce déchirement est omniprésent : Entre-temps, j’essayais de parler avec Victor car, il ne voulait plus aller à l’école et je le comprenais bien. En tant qu’adulte, on ne peut pas se débarrasser d’un collègue de travail avec qui on vit une situation de conflit. […] L’intimidation continuait et les autres enfants se moquaient toujours de Victor. Ils le bousculaient et le traitaient de toutes sortes de noms. Je ne savais pas quoi faire. Je me demandais s’il fallait que j’appelle la police. J’étais vraiment dans l’émotion (Rubis, par. 51-54).

L’examen du discours de cette mère témoigne à quel point elle se sent démunie face à une situation dans laquelle elle n’a pas de contrôle. Son seul recours est de protéger son fils contre des personnes malveillantes et d’évènements malheureux en l’outillant du mieux qu’elle peut pour l’aider à faire face à de telles situations. Composer avec une situation dans laquelle son enfant vit de l’intimidation est une chose, mais faire face à son agresseur est une situation qui est vécue intensément chez certaines mères. Alice qualifie ce moment de très intense et d’épouvantable. Une variété d’émotions l’envahissait à ce moment. Malgré le fait qu’elle aurait pu porter des accusations contre l’agresseur de son fils, elle s’est abstenue, de peine et de misère, laissant une deuxième chance au jeune en question. Quant à Rubis, elle remue terre et mer pour cesser l’intimidation en finissant par suivre au pas l’intimidateur de son fils à une soirée dansante au risque de devenir surprotectrice.

Selon le discours des mères interrogées, l’intimidation est la principale cause des MAAS de leur enfant. Certes, certains facteurs familiaux, tels les antécédents de dépression chez les parents et les conflits conjugaux sont des facteurs de risque de la dépression chez les enfants présentant un TSA (Goussot et al., 2012; Mazefsky et al., 2008; Raja, et al., 2011). Ces facteurs de risque peuvent avoir joué un rôle dans les situations présentées par certaines mères comme Alice, France et Rubis qui ont, dans le passé, fait une dépression. Il n’en demeure pas moins que pour les mères rencontrées dans cette étude, la désorganisation de leur enfant s’est principalement produite à la suite d’évènements vécus en milieu scolaire. Ce constat rejoint les récentes études sur le sujet dans lesquelles on révèle que les facteurs de risque environnementaux les plus fréquents sont, en autre, les expériences d’abus et d’intimidation (Abadie, 2012; Bardon et al., 2016; Huguet et al., 2015;

Mongeau, 2015;) et le harcèlement scolaire (Abadie, 2012). Dans l’étude de Bardon et ses collègues (2016), on précise qu’une grande majorité de jeunes présentant un TSA associé à des MAAS vivent de l’intimidation à l’école et que « ceux étant conscients de la stigmatisation, qui désirent nouer des relations sociales et être acceptés par leurs pairs seraient particulièrement à risque de vivre une grande souffrance lors de ces expériences d’intimidations » (2016, p. 81). Dans les faits, l’anxiété générée par le rejet, une expérience scolaire difficile et des conflits interpersonnels est un facteur déclencheur des MAAS (Abadie et al., 2013; Balfe et Tantam, 2010;

Bardon et al., 2016; Locret, 2015).

Bref, si l’intimidation était connue pour certaines mères (Estelle, France et Karine,), elle était inconnue pour d’autres (Alice et Rubis). Dans tous les cas, les mères furent surprises d’apprendre que leur enfant avait des idées suicidaires. Autrement dit, elles ne réalisaient pas à quel point la détresse de leur enfant était prononcée. Dans la prochaine section, nous verrons en quoi il était difficile pour ces mères de percevoir cette détresse chez leur enfant.

5.2.2 Déceler la détresse de son enfant autiste : un cheminement parsemé d’embuches

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