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Les multiples facettes du rôle des mères

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CHAPITRE V L’ANALYSE DES RÉCITS

5.2 L’ ÉPISODE SUICIDAIRE : UNE GOUTTE DANS LE SPECTRE DU TSA

5.3.1 Les multiples facettes du rôle des mères

L’accompagnement des mères dans l’épisode des MAAS de leur enfant est illustré par les différents rôles qu’elles assument simultanément en plus de concilier avec tout ce qui relève de leur vie personnelle, conjugale et professionnelle, soit des éléments que nous avons vus précédemment.

L’un des premiers constats est qu’elles assument, de façon naturelle et inconsciente, de multiples rôles.

L’un de ses rôles est évidemment celui de parent. En effet, les mères de notre étude assument différentes fonctions parentales auprès de leur enfant qui présente des MAAS.

Premièrement, les mères répondent aux besoins physiques et affectifs de leur enfant par une écoute active et en lui posant des questions sur ses émotions. Par exemple, Alice dit aborder le sujet de l’épisode des MAAS avec son enfant de façon sporadique : « Au fait, ça ne fait pas si longtemps parce que je lui en parle une fois de temps en temps » (Alice, par. 52). Elle répond aux besoins

affectifs de son enfant en faisant également des retours sur les situations vécues : « En fait, il s’agit plutôt de discuter et de faire des retours avec son enfant aussitôt qu’on voit qu’il ne va pas bien » (Alice, par. 48). Tout comme cette mère, Estelle prend l’initiative de poser des questions à son enfant en lui demandant, par exemple, comment il se sent face à la situation qu’il vit.

L’analyse du discours des répondantes démontre également qu’elles tentent de protéger leur enfant et d’assurer leur sécurité lors de leur épisode des MAAS. À vrai dire, cette fonction parentale s’exerce par la défense des droits de leur enfant autiste qui s’illustre, entre autres, par le fait qu’elles imposent leurs exigences. Par exemple, certaines mères exigent à l’école de prendre des mesures nécessaires pour réintégrer leur enfant de façon sécuritaire. Dans les deux exemples qui suivent, on saisit bien à quel point les mères sont prêtes à tout faire pour assurer la sécurité de leur enfant autiste associé à des MAAS :

L’école ne voulait pas prendre les moyens pour qu’il retourne à l’école. J’étais vraiment mécontente. Alors, j’ai dit à l’école que s’ils ne voulaient pas que je diffuse publiquement ce qui s’est passé, qu’ils devaient résoudre la situation de façon à ce qu’il recommence l’école. (Alice, par. 44).

Une fois arrivée, j’ai appelé l’école et j’ai dit : « Mon gars ne retourne pas à l’école » (rire). Ils m’ont dit : « Ça ne fonctionne pas de cette façon. Il est en secondaire 1 ».

Je leur ai répondu : « Vous appellerez qui vous voudrez, la DPJ, je m’en fous! Tout ce que je vous dis, c’est que mon gars ne retournera pas à l’école ». […] Alors, j’ai dit : « Il n’en est pas question ». Vous voulez m’aider, vous allez me fournir quelqu’un à la maison. […] Vous n’avez pas réduit ses sources de stress à l’école.

Je suis désolée, mais tant et aussi longtemps qu’on ne réduira pas les éléments déclencheurs de son stress à l’école, mon gars ne fréquentera pas le milieu scolaire.

C’est simple, c’est ça! » (Karine, par. 26-30)…

Tel que convenu, j’ai rencontré la direction. Je leur ai dit : « Mon fils est victime d’intimidation et j’ai des faits. Je vous informe puisque je veux que des actions concrètes soient posées ». (Karine, par. 49)

Ce rôle de défense des droits lors de l’épisode des MAAS de leur enfant s’observe également par leurs attentes qu’elles expriment à la direction de l’école. Ceci est le cas pour Alice pour qui le cri d’alarme de son enfant n’est pas un manque d’attention et qu’il ne doit pas être pris à la légère (Alice, par. 39). Le fait que l’épisode des MAAS de son enfant semble être pris à la légère par l’école est également une perception partagée par Rubis (par. 49). (Rubis, par. 49). Ces deux mères ont maintenu leur position en exprimant leurs arguments pour justifier leur point de

vue jusqu’à ce qu’elles obtiennent une réponse favorable. Par ailleurs, le discours des mères démontre que leur rôle de protectrice s’exerce également par les enquêtes qu’elles mènent pour obtenir de l’information sur la situation vécue par leur enfant. Ceci est le cas pour Rubis qui a questionné l’ami de son fils afin de comprendre pour quelles raisons il avait des idéations suicidaires (Rubis, par. 48-51). Elle a également voulu protéger son fils en se mettant à épier l’intimidateur responsable de ses MAAS lors d’une soirée de danse thématique (Rubis, par. 56).

Quant aux autres fonctions parentales, certaines mères tentent également de guider leur enfant en les conseillant. Estelle illustre d’ailleurs qu’elle agit comme un modèle auprès de son enfant de par ses conseils et en établissant ses exigences ainsi que ses attentes en termes d’actions et de comportements :

Marc ne cessait de me dire : « Je suis le plus poche de la classe. Je regarde les autres, c’est moi qui ai le plus de misère ». Je lui ai dit : « Donne-toi une chance. Si tu savais tout, tu ne serais pas là et tu n’aurais pas besoin d’aller à l’école. Il faut que tu apprennes et si tu fais des erreurs, c’est normal ». J’ai ajouté : « Ne te compare pas aux autres. Fais ton affaire et fais de ton mieux ». (Estelle, par. 20)

Alice assume également cette même fonction parentale de guide auprès de son enfant autiste, mais plutôt que de lui donner des conseils, elle l’amène à faire des apprentissages quant au sujet de l’épisode des MAAS :

Il y a eu encore récemment des épisodes à l’école. Lorsqu’il me dit des choses comme: « Je suis tanné de vivre, je suis écœuré », j’essaie de lui faire comprendre qu’il y a une différence entre vouloir mourir et de vouloir arrêter de souffrir. Je lui dis : « Tu ne veux pas mourir, tu veux que la souffrance arrête. Il y a une différence entre les deux ». (Alice, par. 52)

Au-delà de la fonction parentale de guider, il y a également celle qui consiste à contrôler son enfant. Par exemple, Estelle essaie de faire comprendre à son enfant la gravité des conséquences de ses mots :

Je lui ai dit : « Il ne faut pas que tu tiennes de tels propos devant l’enseignante et la directrice. À deux reprises, tu as répété vouloir mourir, mais si cela se reproduit une troisième fois, elles ont l’intention de t’envoyer au centre hospitalier psychiatrique en ambulance. Est-ce que tu comprends que c’est grave ? » J’ai ajouté : « Il ne faut pas que tu dises ça! Si tu ne te sens pas bien, il faut que tu en parles, mais il ne faut

pas que tu te fasses du mal parce que ça ne règlera pas le problème ». (Estelle, par.

34)

En plus de ces fonctions parentales, les mères que nous avons interrogées assument également un rôle qui s’apparente à celui d’un intervenant ou d’un éducateur. Dans les faits, les mères assument simultanément et de manière interdépendante un double rôle parental, soit celui de parent et d’intervenante. Pour plusieurs mères, ce rôle d’intervenante ou d’éducateur s’exerce de façon préventive pour éviter une récidive suicidaire, comme le fait de l’aider à gérer son anxiété, ce que nous pouvons constater dans les commentaires qui suivent :

Les crises sont mieux gérées, mais il faut l’avertir. […] On tente de l’outiller du mieux qu’on le peut, mais on ne peut pas faire à sa place. (Alice, par. 13-47) Elle m’a fait commander des cartes sur lesquelles il y a une image démontrant différentes façons de gérer le stress. Je ne me souviens plus du nom, mais ce sont des cartes bleues sur lesquelles il y a une image sur un côté et une explication sur quoi faire de l’autre côté. […] Nous avons discuté de la situation ensemble et nous avons pris comme décision d’utiliser le renforcement positif avec Marc. (Estelle, par. 48-52)

La conceptualisation ou l’utilisation d’outils visuels sont des exemples de tâches qui s’apparentent à celui d’une intervenante. Il s’agit d’outils aidant à la gestion du stress et des crises qui sont des facteurs de MAAS des enfants autistes de notre étude. Ces tâches requièrent du temps et un soutien intensif de la part des mères. Mis à part les outils d’intervention, elles exercent également un rôle d’éducatrice par le fait d’identifier des stratégies pour savoir comment agir dans une situation d’intimidation ou de gestion de l’anxiété. Les commentaires qui suivent en sont des exemples :

L’intimidateur de mon fils va toujours être là. Il fréquente l’école et mon fils sera toujours confronté à lui. J’essayais de lui donner des outils qui l’aideraient à ignorer, mais il était blessé et il était seul à vivre cette situation d’intimidation. (Rubis, par.

51)

Jusqu’à maintenant, je l’aide dans la gestion de son anxiété. En effet, j’interviens en fonction de comment il réagit et je pose des questions de façon à ce qu’il me réponde. J’ai identifié chez lui des mots clés qui m’indiquent comment agir. Il faut toujours que je fasse attention pour ne pas créer une autre peur ou un autre problème (rire). C’est ce que je fais quand il me parle de suicide. (France, par. 55)

Ce double rôle parental a un impact au niveau de l’implication du parent qui varie en fonction de la durée, de la fréquence et de l’intensité des interventions. Dans le cadre de notre étude, les mères disent appliquer auprès de leur enfant les conseils, les stratégies d’intervention et les recommandations des intervenants du RSSS. Par la suite, il s’agit pour elles de favoriser la généralisation des acquis de leur enfant dans les différentes sphères de la vie quotidienne, dont l’école. Bref, nous pouvons réaffirmer avec ces propos que considérant la période d’attente et l’épisode de services, les parents doivent, dans bien des cas, assumer seuls le rôle d’éducateur à la maison.

Dans certains cas, on constate que le double rôle de parent/éducateur se combine à celui d’enseignante. En effet, certaines mères ont assumé ce rôle auprès de leur enfant pendant l’épisode des MAAS lorsqu’elles ont fait le choix de le retirer temporairement de l’école (Alice, Karine et Rubis). Dans d’autres cas, s’ajoute à ce double rôle parent/éducateur celui d’infirmière dans les situations où les mères doivent composer avec les problématiques concomitantes au spectre de l’autisme et les MAAS. En plus d’appliquer les recommandations des intervenants, elles doivent tenir compte de ceux du médecin. Parfois, elles se retrouvent seules dans des situations où elles doivent juger quelle médication est le plus appropriée en fonction de leur état. Dans l’exemple du récit de France, la médication est ajustée en fonction des symptômes d’anxiété ou d’hallucinations auditives qui peuvent être générateurs des MAAS de son enfant autiste. La citation qui suit résume très bien ce rôle d’infirmière :

Ce n’est pas toujours évident parce que des fois, il me disait : « Ah j’ai une grosse pression dans ma tête, ça va tellement vite dans ma tête ». Je me demandais alors de quoi il s’agissait. Est-ce qu’il s’agit d’un mal de tête? Est-ce qu’il s’agit d’une migraine? Est-ce qu’il s’agit d’un mal de tête reliée à de la tension? Est-ce que c’est parce qu’il entend trop de voix et qu’il n’est plus capable de le supporter? Est-ce qu’il s’agit de l’anxiété? Je me posais ces questions pour savoir quoi lui donner comme médication. Le médecin me disait : « Au besoin, tu peux lui donner de l’Ativan ou de la Quetiapine? » Je ne sais d’ailleurs toujours pas quoi lui donner.

J’arrive à le savoir lorsqu’il me dit : « Ça va trop vite dans ma tête ». À ce moment, je sais que ce sont ses voix. Quand il me dit : « J’ai mal ici. J’ai mal là. J’ai de la misère à respirer. Je me sens comme une boule ». Alors, je sais que c’est son anxiété.

(France, par. 61)

Somme toute, le constat voulant que les parents d’enfants présentant un TSA et des MAAS assument trois fonctions parentales de façon simultanée n’est pas surprenant sachant qu’ils sont les

mêmes pour les parents d’un enfant neurotypique. En effet, Minuchin (1979) décrit trois fonctions exercées par le sous-système parental, dont celles de materner, de guider et de contrôler. Un système familial sain et fonctionnel est celui qui assume la responsabilité de ses tâches (Minuchin, 1979, cité dans St-Arnaud, 1998). Dans le cadre de notre étude, l’analyse du discours des mères démontre qu’elles s’acquittent de leurs fonctions lors de l’épisode des MAAS de leur enfant autiste.

Ceci étant dit, les mères ayant participé à notre étude doivent composer avec la réalité d’un double rôle, soit celui du parent et de l’éducateur qui parfois se combine à d’autres rôles dont celui d’enseignante et d’infirmière. Le rôle d’éducateur se distingue de celui du parent dans le fait que les fonctions parentales sont plus imprécises et illimitées, par opposition à ceux de l’éducateur qui est beaucoup plus défini par les cadres normatifs (Katz, 1983). En d’autres termes, ce qui différencie le parent des intervenants est ce double rôle parental qui est assumé sans relâche ou dans la majorité du temps. La multiplication de leur rôle n’est pas nouvelle si on compare à l’étude ayant été menée par des Rivières-Pigeon et Courcy (2014) au sujet de la réalité des parents d’enfants présentant un TSA. En effet, on évoque dans cette étude le double rôle actif de mère et d’intervenante dans l’acquisition de nouvelles habiletés ainsi que dans la stimulation de leur enfant.

L’exercice de ces différents rôles dépasse ceux des autres parents d’enfants neurotypiques et s’avère, par ce fait même, un facteur de risques d’épuisement pour les mères d’enfants présentant un TSA (Sénéchal et des Rivières-Pigeon, 2009). Nous verrons dans les prochaines lignes comment ces multiples rôles sont exercés par le biais de stratégies qu’elles utilisent pour rebondir face aux MAAS de leur enfant.

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