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La post-crise suicidaire : le balancier entre protection et autonomie

Dans le document LISTE DES ABRÉVIATIONS (Page 119-122)

CHAPITRE V L’ANALYSE DES RÉCITS

5.2 L’ ÉPISODE SUICIDAIRE : UNE GOUTTE DANS LE SPECTRE DU TSA

5.3.4 La post-crise suicidaire : le balancier entre protection et autonomie

L’analyse des récits nous permet d’affirmer que la post-crise suicidaire représente, pour les mères, un tiraillement entre la protection et l’autonomie de leur enfant autiste. En effet, il est difficile pour les mères de laisser leur enfant vivre leurs expériences sans qu’elles ne s’y interfèrent.

En premier lieu, il importe de se rappeler que lors de l’épisode des MAAS de leur enfant, le niveau de surveillance des mères était plus accru en raison de l’arrêt de la fréquentation scolaire de ce dernier. Cette surveillance s’exprime, entre autres, par l’omniprésence d’une mère dans les activités parascolaires ou sociales de son enfant : « Je ne pouvais pas empêcher Victor de participer à des activités, mais je me disais que si je devenais un parent bénévole que je pourrais, en même temps, le surveiller. J’étais donc toujours présente au service de garde et lors des activités de levées de fond et parascolaires (ex. : danses d’Halloween, marches, etc.) de même qu’aux journées pédagogiques » (Rubis, par. 50). Sa présence avait pour but de vérifier l’état de son fils, d’observer comment les choses se déroulaient et pour s’assurer qu’il passe un bon moment avec ses pairs. Le fait d’avoir entendu parler de la mort ou l’exposition de leur enfant à des comportements associés au suicide dans les médias et l’entourage sont aussi des craintes chez les mères d’enfants autistes ayant eu des MAAS (France, par. 63). Cette crainte est associée au fait que leur enfant puisse être exposé aux moyens pouvant être utilisés pour passer à l’acte. Le réflexe des mères est de protéger leur enfant en limitant l’accès à des sites web ou en supervisant leur navigation sur internet. Ce

rôle de protectrice s’observe également chez Alice qui craint de laisser son fils seul à la maison et qu’il rumine des idées suicidaires en solitaire et qui a peur d’un passage à l’acte. Le simple fait de s’absenter quelques heures la hante : « Toutefois, je trouve ça difficile lorsqu’on s’absente. Ce n’est pas parce que je n’ai pas confiance, mais la première chose que je pense lorsqu’on part est qu’il sera seul. Cette situation m’inquiète puisqu’il a déjà eu des idées suicidaires et que j’y pense toujours » (Alice, par. 51).

Cette peur d’une récidive est omniprésente chez certaines mères qui sont aux prises avec des sentiments d’inquiétude, de crainte, d’anxiété et de stress (Alice, France et Rubis). Une mère dit même être paniquée à l’idée du risque de passage à l’acte de son fils : « J’ai commencé à paniquer, car je me demandais ce qui arriverait s’il décidait de faire quelque chose » (Rubis, par.

53). Même si une autre mère favorise l’autonomie et la liberté de son fils en le laissant seul à la maison, elle ne peut s’empêcher d’entrevoir les pires scénarios lorsqu’un évènement inhabituel survient. À titre d’exemple, le niveau de panique est monté en elle lorsque son fils n’a pas répondu à ses nombreux appels, alors qu’elle travaillait à l’école à titre d’enseignante suppléante : « Je me suis dit : « Ça y est, ça ne se peut pas! ». Lorsque je suis arrivée en bas, il était là et il m’a regardé calmement, alors que moi j’étais en larmes. […] J’avais peur dans le sens que je pensais qu’il était passé à l’acte, parce qu’il faisait souvent référence à sa garde-robe » (Alice, par. 50).

Cela dit, dans le discours des mères, la croyance que leur enfant n’a pas les capacités intellectuelles pour agir ou passer à l’acte représente pour elles un facteur de protection. L’extrait qui suit illustre ce propos : « À mon avis, les limites de mon fils font que le risque de passage à l’acte est peut-être moins grand qu’une autre personne qui n’est pas atteinte d’autisme, et cela, en raison de la capacité de réfléchir et de chercher des solutions. Je me demande comment il va y arriver avec toutes ses limites » (France, par. 66). La capacité d’expression de ses besoins est également considérée un facteur de protection pour cette mère : « Jusqu’à maintenant, il verbalise tout. Puis, on peut lui poser des questions et aller vérifier » (France, par. 62). Toujours est-il que les mères sont conscientes des risques de récidive à la suite d’une crise suicidaire vécue chez leur enfant autiste. Cette conscience se manifeste par l’importance qu’elles se donnent de demeurer alerte au risque potentiel d’un passage à l’acte et d’enrayer la fausse croyance que leur enfant est épargné d’un épisode de MAAS (Alice et France).

Les émotions d’inquiétude et de peur vécues par les mères interrogées rejoignent celles observées dans les études auprès des populations neurotypiques suicidaires (Mishara et al., 2013;

St-Arnaud, 1998). On fait également mention dans ces études de la surprotection, qui se manifeste par une surveillance maintenue et accrue, par les proches pour prévenir une récidive suicidaire (Séguin, 2009; St-Arnaud, 1998). Tout comme c’est le cas pour les mères de notre étude, cette surveillance peut aller jusqu’à s’assurer d’une présence constante avec la personne suicidaire et de surveiller ses allées et venues (Séguin, 2009). Dans notre étude, les mères ne font pas seulement que surveiller les allées et venues de leur enfant, elles les accompagnent aux endroits qu’ils fréquentent. Si la surveillance étroite de la personne en détresse est certes importante dans un moment de crise, elle ne l’est pas nécessairement de façon générale : « L’important est de trouver un équilibre entre accueillir, protéger, écouter la personne souffrante et d’un autre côté, établir des limites sur la place et le temps que le proche peut donner » (Séguin, 2009, p. 82).

En résumé, l’accompagnement d’un enfant autiste lors d’un épisode de MAAS engendre son lot de défis. Toutefois, nous avons observé que les mères parviennent à rebondir en adoptant de multiples rôles ainsi qu’en déployant différentes stratégies préventives et des actions concrètes qui sont parfois de nature psychoéducative. L’expérience des mères, sur laquelle elle table, leur a permis d’acquérir une certaine sagesse faisant en sorte qu’elles reconnaissent leurs capacités ainsi que leurs limites pour faire face à cette situation complexe. C’est pourquoi elles n’hésitent pas à recourir à des professionnels. Le besoin d’une mise en commun des savoirs expérientiels et académiques illustre l’importance de la collaboration interprofessionnelle dans des situations complexes dans lesquelles sont réunis le TSA et les MAAS.

Ce qui caractérise l’action des mères lors de cet épisode est leur connaissance du RSSS, en ce sens qu’elles savent à quelle porte cogner pour répondre à leurs besoins. La majorité d’entre elles ont d’ailleurs déjà un pied dans le réseau avant même l’évènement des MAAS. Malgré le fait qu’elles se sentent souvent impuissantes, elles trouvent des moyens pour affronter les MAAS de leur enfant en mettant à profit un ensemble de savoir-faire appris dans des situations antérieures en les jumelant aux recommandations des professionnels. Les connaissances acquises par ces mères dans leur quotidien guident leurs conduites et leur façon de gérer les situations qui s’imposent à elles (Berger et Lcukmann, 2012). Dans les faits, les mères se construisent, au fil de la vie quotidienne, des schèmes interprétatifs à partir desquels se développent leurs connaissances. C’est

sur ce bagage de connaissance qu’elles arrivent à déployer les multiples stratégies pour rebondir aux MAAS de leur enfant. Bref, l’action des mères n’est pas entièrement le produit des déterministes sociaux, mais plutôt celui de leur propre expérience.

Bref, le fait d’avoir accompagné leur enfant dans leur vie quotidienne a permis aux mères d’acquérir un savoir expérientiel qui s’est consolidé au fil de plusieurs situations ponctuelles, dont les MAAS de leur enfant autiste. Il sera question dans la section qui suit des retombées de cette consolidation de leur savoir expérientiel.

5.4 Les retombées de l’expérience des mères confrontées aux MAAS de leur enfant autiste

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