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La qualification juridique par le Tribunal des procès-verbaux de négociations pour la délimitation de la

A. La ligne de délimitation de la mer territoriale

1. La qualification juridique par le Tribunal des procès-verbaux de négociations pour la délimitation de la

Le Bangladesh et le Myanmar ont mené des négociations et pourparlers entre 1974 et 2010 au sujet de la délimitation de leurs espaces maritimes, y compris la mer territoriale352. Dans ce contexte, le Bangladesh a tenté de convaincre le Tribunal que les parties ont déjà délimité la mer territoriale en signant les procès-verbaux de 1974 et de 2008. Il convient de noter que les documents en question ont porté sur une description de la ligne frontière de la mer territoriale et autorise les navires du Myanmar à naviguer librement dans les eaux du Bangladesh dans le voisinage de l’île de Saint Martin353. Le Bangladesh a soutenu que même

si les procès-verbaux étaient dépourvus d’un effet contraignant, il n’en demeure pas moins qu’au fil du temps, ils auraient reflété les bases d’un accord tacite ou de facto entre les deux États, comme un résultat de leurs conduites pendant plus de trois décennies354. De surcroît,

Convention de 1982. Dans le cas contraire, les autorités de l’État côtier pourraient prendre à court-terme des

mesures appropriées pour inciter le sous-marin à quitter.

352Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe

du Bengale (Bangladesh/Myanmar), op.cit., aux paragraphes 36 et 57.

353Ibid. Bangladesh à soutenir que les procès-verbaux reflètent un accord contraignant entre les Parties à l’issue

des pourparlers. Il estime que le procès verbal de 1974 « était censé être et demeure valable, contraignant et effectif » et a établi des droits et des obligations pour les deux États. Pour appuyer son argumentation, le Bangladesh a évoqué la décision de la C.I.J. dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire (affaire de la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 61), en estimant que le procès-verbal de 1974 est très « similaire ou identique au procès-verbal de l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire », car « tous les deux désignent un accord négocié par des représentants ayant le pouvoir de conclure des accords en forme simplifiée conformément à l’article 7 1) b) de la Convention de Vienne [sur le droit des traités] », voir Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le

Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), op.cit., au paragraphe 74.

354Ibid., au paragraphe 103. Le Bangladesh a noté que chacune des deux parties a « exercé une administration

et un contrôle paisibles et incontestés sur sa mer territoriale ainsi délimitée ». Il a ajouté qu’il a autorisé les navires du Myanmar à naviguer librement dans ses eauxdans le voisinage de l’île de Saint Martin, à destination du fleuve Naaf. Il convient de noter que l’accord tacite désigne le « [c]onsentement résultant de l’absence

116 le Bangladesh a constaté que « loin de dénoncer un accord prétendument négocié sans autorisation en 1974, [le Myanmar] a mentionné en l’approuvant le procès-verbal signé à Dakha »355.

En revanche, le Myanmar a, pour sa part, considéré que les procès-verbaux n’ont jamais été conclus sous une forme contraignante, refusant donc d’admettre l’existence d’un accord entre les Parties en vertu de l’article 15 de la Convention de 1982. Contestant ainsi l’autorité des procès verbaux, le Myanmar a affirmé qu’il est ressorti tant « de la forme que du libellé » du procès-verbal de 1974 que « l’accord de 1974’ entre les deux délégations n’était qu’une entente intervenue à une certaine étape de pourparlers à caractère technique dans le cadre des négociations en cours »356.

Le Myanmar a, à cet égard, cité la décision de la C.I.J. dans l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes357. Cette affaire qui a appuyé le raisonnement du Myanmar l’a conduit à noter que

le procès-verbal de 1974 n’est nullement comparable au procès-verbal général de 1949 dont il est question dans l’affaire de la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine) […]358

De l’avis du Myanmar, il existe des différences entre les deux instruments, soulignant que les termes et le contexte du procès-verbal de 1949 se distinguent de ceux du procès-verbal de 1974359.

Dans le fil des argumentations avancées par les parties, le Tribunal a défini la notion d’ « accord », en affirmant qu’à la lumière de l’objet et du but de l’article 15 de la Convention de 1982, « le terme ‘accord’ désigne un instrument juridiquement contraignant »360. Il a

d’objection qu’il aurait été possible de formuler à l’encontre d’une demande, d’une prétention, d’une situation, ce qui produit des effets juridiques équivalents à ceux d’un consentement explicite », voir Jean SALMON,

Dictionnaire de droit international public, op. cit., à la page 18.

355Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe

du Bengale (Bangladesh/Myanmar), op.cit., au paragraphe105.

356Ibid., au paragraphe 65..

357Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.

Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 735, à la page 659.

358Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe

du Bengale (Bangladesh/Myanmar), op.cit., au paragraphe 79.

359Ibid.

117 souligné que « ce qui importe n’est pas la forme ou la dénomination d’un instrument, mais sa nature et son contenu juridiques »361. De ce point de vue, le Tribunal a constaté que le

procès verbal de 1974 ne constituait que le compte-rendu de la réunion et de l’entente conditionnelle des négociateurs et non un accord au sens de l’article 15 de la Convention de 1982362. De surcroît, le Tribunal a noté que les circonstances dans lesquelles le procès-verbal de 1974 a été adopté n’ont pas exprimé « la présence d’engagements juridiques ou l’intention d’en créer »363car, selon lui, le Myanmar a mentionné depuis le début des négociations son

souhait de ne pas conclure d’accord distinct sur la délimitation de la mer territoriale, puisqu’il a aspiré à conclure un « accord global sur la mer territoriale, la zone économique exclusive et le plateau continental »364.

Après avoir conclu à l’inexistence d’un accord tacite ou de facto sur la frontière de la mer territoriale entre les deux Parties, le Tribunal s’est ensuite penché sur l’application de la doctrine de l’estoppel365dans la présente affaire. En guise de défense, le Bangladesh a évoqué

la doctrine de l’estoppel, soutenant que

[p]endant plus de trente ans, le Myanmar a joui des avantages de l’accord de 1974, y compris non seulement l’avantage d’une frontière maritime stable mais encore le droit de libre passage dans les eaux territoriales du Bangladesh366

De son côté, le Myanmar a mentionné que ses actes « sont loin de constituer la conduite claire, uniforme et manifeste qui est requise pour établir l'existence d'un estoppel »367.

Le Tribunal a inscrit son raisonnement dans les contours de la notion de l’estoppel tout en offrant, au demeurant, une définition limpide de cette notion. Rappelant les affaires du

361Ibid.

362Ibid., au paragraphe 92. 363Ibid., au paragraphe 93. 364Ibid.

365En droit international, l’estoppel renvoie à une « [o]bjection péremptoire, souvent analysée comme une

exception procédurale qui s’oppose à ce qu’un État partie à un procès puisse faire valoir une prétention ou soutienne un argument contredisant un comportement antérieur ou une position prise précédemment et dans lequel (ou laquelle) les tiers avaient placé leur confiance légitime », voir Jean SALMON, Dictionnaire de droit

international public, op. cit., à la page 450.

366Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe

du Bengale (Bangladesh/Myanmar), op.cit., au paragraphe 121.

118 Plateau continental de la mer du Nord368 et de la Délimitation de la frontière maritime dans

la région du golfe du Maine369, le Tribunal a constaté qu’

une situation d’estoppel existe lorsqu’un État, par sa conduite, a créé l’apparence d’une situation particulière, et qu’un autre État, se fondant en toute bonne foi sur cette conduite, a agi ou s’est abstenu d’agir à son détriment. La notion d’estoppel a pour effet qu’un État sera empêché, en raison de sa conduite, d’affirmer qu’il n’accepte pas ou ne reconnaît pas une situation donnée370

Dans cette perspective, le Tribunal a affirmé que « [r]ien n’indique que la conduite du Myanmar aurait amené le Bangladesh à modifier sa position à son détriment ou à subir un préjudice quelconque en se fondant sur ce comportement »371. Par conséquent, la thèse du Bangladesh a été rejetée, car, selon le Tribunal, l’une des exigences clés de l’estoppel n’a pas été établie par cet État372. De ce fait, le Tribunal est parvenu à la conclusion que les éléments de preuve évoqués par le Bangladesh n’ont pas prouvé l’existence d’un accord tacite ou de facto sur la frontière de la mer territoriale entre le Bangladesh et le Myanmar373, ce qui peut

expliquer l’intervention de la juridiction pour la délimitation de la mer territoriale entre les deux États.

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