• Aucun résultat trouvé

Les conditions engageant la responsabilité internationale

Section I. La référence au droit international pour compléter les règles de la Convention de 1982

A. Les conditions engageant la responsabilité internationale

L’article premier du projet d’articles de la Commission du droit international pose le principe de base que tout fait internationalement illicite d’un État engage sa responsabilité internationale. L’article 2 précise les conditions requises pour établir l’existence d’un fait internationalement illicite de l’État. Deux éléments peuvent, à cet égard, être dégagés : d’une part, le comportement en question doit être attribuable à l’État en vertu du droit international

515Paul REUTER, « Trois observations sur la codification de la responsabilité internationale des États pour fait

illicite » dans Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement-Mélanges Michel

Virally, Paris, Pedone, 1991, à la page 390.

516À cet égard, l’article 304 de la Convention de 1982 dispose que « [l]es dispositions de la Convention relatives

à la responsabilité encourue en cas de dommages sont sans préjudice de l’application des règles existantes et de l’établissement de nouvelles règles concernant la responsabilité en vertu du droit international ».

155 et, d’autre part, pour qu’une responsabilité naisse du fait de l’État, ce comportement doit constituer une violation d’une obligation juridique qui était alors à la charge de l’État517.

Dans le contexte des activités liées à la mer, le Tribunal s’est penché sur les règles de la Convention de 1982 relatives à la responsabilité internationale et notamment au regard des conditions qui engagent et mettent en œuvre celle-ci. Dans cette perspective, le Tribunal s’est prononcé sur les types de conditions qui engagent de la responsabilité de l’État. Il s’agit d’abord de la situation dans laquelle un acte illicite en vertu du droit international est imputable à un État, sans que celui-ci soit considéré comme responsable vu l’existence de causes exonératoires de la responsabilité. À cet égard, le Professeur James Crawford, Rapporteur spécial de la Commission du droit international sur le sujet de la responsabilité internationale des États a affirmé que « [l]’existence dans un cas déterminé d’une circonstance excluant l’illicéité [...]offre à l’État un bouclier contre une accusation de violation d’une obligation internationale qui serait par ailleurs fondée »518.

En effet un État peut justifier son comportement qui serait illicite, en avançant une situation témoignant de l’état de nécessité, afin de protéger un intérêt crucial menacé par un péril grave et imminent. Dès lors, cet État choisira de ne pas se conformer à ses obligations internationales.

Dans l’affaire du Navire Saiga (2), Fond, le Tribunal a tenté de répondre à la question de savoir si l’application, qui serait illicite, par la Guinée de sa législation douanière dans la zone économique exclusive peut se justifier en vertu du droit international général, en se

517Ces deux éléments ont été abordés, par exemple, par la C.I.J.dansl’affaire du Personnel diplomatique et

consulaire des États-Unis à Téhéran. Cette affaire a porté sur la prise en otage du personnel diplomatique et

consulaire des États-Unis par des ressortissants de la République islamique d’Iran. Les États-Unis ont donc saisi la C.I.J. par une requête introductive d’instance sur la base de l’article 36, paragraphe 1 du Statut de la Cour, voir C.I.J., arrêt du 24 mai 1980, affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à

Téhéran (États-Unis c. Iran), Rec. C.I.J. 1980, p.3. Il convient de noter qu’en vertu de l’article 36, paragraphe

1 du Statut de la C.I.J., « [l]a compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront ainsi qu’à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur ». Par ailleurs, pour se prononcer sur la responsabilité des militants qui ont organisé l’attaque contre les ressortissants américains, la Cour a souligné que, pour que la responsabilité de l’Iran, elle doit « [t]out d’abord [...]déterminer dans quelle mesure les comportements en question peuvent être considérés comme juridiquement imputables à l’État iranien. Ensuite, elle doit rechercher s’ils sont compatibles ou non avec les obligations incombant à l’Iran en vertu des traités en vigueur ou de toute autre règle du droit international éventuellement applicable », voir l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à

Téhéran (États-Unis c. Iran), op.cit., au paragraphe 56.

156 fondant sur l’ « état de nécessité »519. S’appuyant sur la jurisprudence de la C.I.J., le Tribunal

a renforcé l’application des conditions d’application de l’état de nécessité en vertu du droit international général520. Il a ainsi cité l’affaire relative au Projet Gabcikovo- Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) dans laquelle la C.I.J. a souligné que « l’état de nécessité constitue une cause, reconnue par le droit international coutumier, d’exclusion de l’illicéité d’un fait non conforme à une obligation internationale ». La Cour a, par ailleurs, confirmé que « cette cause d’exclusion de l’illicéité ne saurait être admise qu’à titre exceptionnel ». Enfin, se prononçant sur les conditions « qui doivent être cumulativement réunies », la Cour a estimé qu’

un “intérêt essential” de l’État auteur du fait contraire à l’une de ses obligations internationales doit avoir été en cause ; [que] cet intérêt doit avoir été menacé par un « péril grave et imminent » ; [que] le fait incriminé doit avoir été le « seul moyen » de sauvegarder ledit intérêt ; et [que] ce fait ne doit pas avoir « gravement porté atteinte à un intérêt essentiel » de l’État à l’égard duquel l’obligation existait521

La Cour a ajouté que ces conditions « doivent être cumulativement réunies et qu’elles « reflètent le droit coutumier international »522.

S’inscrivant dans le droit fil du raisonnement de la Cour, le Tribunal a consolidé le caractère coutumier du régime de la responsabilité internationale dans le cadre des activités liées à la libre navigation, en rejetant toutefois l’argument avancé par la Guinée au sujet de l’état de nécessité, car « [a]ucun moyen de preuve n’a été produit par la Guinée pour démontrer qu’un de ces intérêts essentiels se trouvaient face à un péril grave et imminent ». Cependant, le Tribunal a vérifié les conditions exigées pour que le défendeur puisse, en l’espèce, exclure l’illicéité des faits qui lui sont reprochés. Le Tribunal a ainsi noté que « quel que soit le caractère essentiel de l’intérêt que peut avoir la Guinée à tirer un maximum de recettes fiscales de la vente de gazole aux navires de pêche, l’on ne saurait penser que le seul moyen de sauvegarder cet intérêt consistait pour elle à étendre sa législation douanière à des parties de la zone économique exclusive »523.

519Voir affaire du Navire Saiga (2), Fond, op.cit., au paragraphe 132. 520Ibid., aux paragraphes 133 et 134.

521Voir C.I.J., arrêt du 25 septembre 1997, affaire relative au Projet Gabcikovo- Nagymaros

(Hongrie/Slovaquie), Rec. C.I.J. 1997, au paragraphe 51.

522Ibid., au paragraphe 52.

157 Par ailleurs, analyser les conditions d’engagement de la responsabilité d’un État Partie conduit également à s’interroger sur la manière dont le Tribunal a interprété cette responsabilité en cas de dommages causés à des personnes physiques ou morales. En toile de fond transparaît la question de la protection juridique accordée au navire et aux membres de son équipage quelle qu’en soit la nationalité. Dans l’affaire du Navire Saiga (2), Fond, Saint- Vincent-et-les Grenadines a soutenu qu’en tant qu’État dont navire Saiga arbore le pavillon, « elle a le droit d’exercer une protection en faveur du navire qui bat son pavillon et de ceux qui servent à son bord, quelle que soit leur nationalité524. S’appuyant sur diverses dispositions de la Convention de 1982, à savoir les articles 94525, 106526, 110, paragraphe 3527, 111, paragraphe 8528 et 217529, le Tribunal a souligné que

la Convention [de 1982] considère le navire comme constituant une unité, en ce qui concerne les obligations qui incombent à l’État du pavillon à l’égard du navire, le droit qu’a un État du pavillon de demander réparation pour toute perte ou tout dommage subis par le navire à la suite d’actes d’autres États et le droit qu’a cet État d’introduire une instance conformément à l’article 292 de la Convention530

Par conséquent, le Tribunal a conclu que « le navire, tout ce qui se trouve sur le navire, et toute personne impliquée dans son activité ou ayant des intérêts liés à cette activité sont considérés comme une entité liée à l’État du pavillon »531. De ce fait, « [l]a nationalité de ces

personnes ne revêt aucune importance »532. Selon le Professeur Francisco Orrego Vicuña,

l’interprétation faite par le Tribunal « s’impose du point de vue du droit international et des tendances récentes en matière de protection diplomatique »533. Dans cette optique, le

Tribunal a expliqué davantage la conclusion à laquelle il a abouti, à l’aune de deux

524Ibid., au paragraphe 104.

525L’article 94 de la Convention de 1982 est relatif aux obligations de l’État du pavillon. 526L’article 106 traite de la responsabilité de l’État en cas de saisine arbitraire.

527Selon l’article 110, paragraphe 3 de la Convention de 1982, « [s]i les soupçons se révèlent dénués de

fondement, le navire arraisonné est indemnisé de toute perte ou de tout dommage éventuel, à condition qu’il n’ait commis aucun acte le rendant suspect ».

528L’article 111 dispose dans son huitième paragraphe qu’ « [u]n navire qui a été stoppé ou arrêté en dehors de

la mer territoriale dans des circonstances ne justifiant pas l’exercice du droit de poursuite est indemnisé de toute perte ou de tout dommages éventuels ».

529L’article 217 de la Convention de 1982 définit les pouvoirs de l’État du pavillon. 530Ibid., au paragraphe 106.

531Ibid. 532Ibid.

533Voir Francisco ORREGO VICUÑA, "L’affaire Saiga et l’interprétation judiciaire des droits et devoirs des

158 caractéristiques relatives au transport maritime534. Il s’agit de « la composition changeante et

multinationale des équipages des navires et [de] la multiplicité des intérêts qui peuvent être liés à la cargaison transportée par un seul navire »535. Cette conception a amené le Tribunal à conclure que « [s]i chacune des personnes ayant subi un préjudice devait se trouver dans l’obligation de rechercher une protection auprès de l’État dont cette personne a la nationalité, il s’ensuivrait une épreuve injustifiée »536.

À la lumière de cette interprétation, le Tribunal a inscrit sa conclusion dans la notion unificatrice du pavillon d’un navire, au sens où l’État du pavillon peut exercer sa protection diplomatique à l’égard du navire. Il n’en demeure pas moins que les membres de l’équipage peuvent toujours demander à l’État de leur nationalité d’assurer leur protection diplomatique, lorsqu’ils estimeront qu’ils ne pourront en bénéficier de la part de l’État du pavillon.

Documents relatifs