• Aucun résultat trouvé

La nécessité d’un lien substantiel entre le navire et l’État du pavillon

Section II. La clarification des activités liées à la navigation

B. La nécessité d’un lien substantiel entre le navire et l’État du pavillon

La Convention de Genève sur la haute mer de 1958 précise dans son article 5, paragraphe 1, la notion de lien substantiel entre le navire et l’État du pavillon, en soulignant que « [c]haque

442Ibid., au paragraphe 73, lettre b) et c). 443Ibid., aux paragraphes 68 et 69.

444Affaire du « Grand Prince » (Belize c. France), op.cit., au paragraphe 76. 445Ibid., au paragraphe 89.

133 État fixe les conditions auxquelles il accorde sa nationalité aux navires […] [L]’État doit notamment exercer effectivement sa juridiction et son contrôle […] sur les navires battant son pavillon ».

La Convention de 1982 est façonnée sur la base de cette disposition de la Convention de 1958. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 91, paragraphe 1 de la Convention de 1982 met en exergue l’importance de l’existence d’un lien substantiel entre l’État et le navire. Mais en raison du silence de la Convention de 1982 quant à la notion de lien substantiel, le Tribunal a souligné dans l’affaire du Navire Saiga (2), Fond, que deux questions doivent être analysées à cet égard. Il s’agit, d’une part, de savoir « si l’absence d’un lien substantiel entre un État du pavillon et un navire donne droit à un autre État de refuser de reconnaître la nationalité dudit navire » et, d’autre part, si dans l’affaire du Navire Saiga (2), Fond, « un lien substantiel existait ou non » entre le Saiga et Saint-Vincent-et-les-Grenadines lors de l’arraisonnement et l’immobilisation du navire par la Guinée446.

S’appuyant sur une interprétation historique et contextuelle de la notion de lien substantiel telle qu’elle a été examinée dans les travaux de la Commission du droit international, le Tribunal a rappelé que le projet d’articles sur le droit de la mer adopté par celle-ci en 1956, « a proposé le concept de “lien substantiel” comme critère, non seulement pour l’attribution de la nationalité à un navire, mais aussi pour la reconnaissance par d’autres États de cette nationalité »447. Le projet d’articles a ajouté qu’ « aux fins de reconnaissance du caractère

national du navire par les autres États, il doit exister un lien réel entre le navire et l’État ». Cependant, le Tribunal a noté que cette idée n’a pas été « incorporée » dans l’article 5, paragraphe 1 de la Convention sur la haute mer de 1958448. Le Tribunal s’est également penché sur l’interprétation de l’article 94 de la Convention de 1982qui met en lumière les obligations de l’État du pavillon. Cet article dispose dans son premier paragraphe, que « [t]out État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon ».

446Affaire du Navire Saiga (2), Fond, op. cit., au paragraphe 79. 447Ibid., au paragraphe 80.

134 Pourtant, le Tribunal a constaté qu’ « [i]l n’y a rien dans l’article 94 qui permette à un État, qui découvre la preuve de l’absence d’une juridiction et d’un contrôle appropriés par l’État du pavillon sur un navire, de refuser de reconnaître le droit qu’a le navire de battre le pavillon de l’État du pavillon »449. Par conséquent, le Tribunal est parvenu à la conclusion que

le but des dispositions de la Convention relatives à l’exigence d’un lien substantiel entre un navire et l’État dont il bat le pavillon est d’assurer un respect plus efficace par les États du pavillon de leurs obligations, et non d’établir des critères susceptibles d’être invoqués par d’autres États pour contester la validité de l’immatriculation de navires dans un État du pavillon450

Dans cette perspective, le Tribunal a appuyé son raisonnement, en se référant à des traités multilatéraux qui ont été adoptés après la conclusion de la Convention de 1982et définissant le lien entre le navire et l’État du pavillon. D’abord, le Tribunal a cité la Convention des Nations Unies sur les conditions d’immatriculation des navires adoptée le 7 février 1986, qui a énoncé l’objectif de consolider « le lien authentique entre un État et les navires battant son pavillon »451.

Il en va de même pour l’Accord visant à favoriser le respect des mesures internationales de conservation et de gestion des stocks de poissons par les navires de pêche en haute mer, adopté en 1993 dans le cadre de la FAO, dont le préambule souligne que les Parties contractantes sont « [c]onscientes que chaque État a le devoir d’exercer efficacement sa juridiction et son contrôle sur les navires battant son pavillon ». Le Tribunal a également cité l’Accord de 1995 sur les stocks de poissons chevauchants.

Ainsi, la juridiction a soutenu que ces deux derniers accords « énoncent, notamment dans le détail les obligations qui incombent aux États du pavillon des navires de pêche, mais ne traitent pas des conditions à satisfaire pour l’immatriculation de ces navires de pêche »452. A

la lumière de ses arguments, le Tribunal a conclu qu’il

n’existe pas de fondement en droit à l’affirmation [de tout État] selon laquelle [cet État] peut refuser de reconnaître le droit [d’un navire] de battre le pavillon

449Ibid., au paragraphe 82. 450Ibid., au paragraphe 83. 451Ibid., au paragraphe 84. 452Ibid., aux paragraphes 84 et 85.

135 [d’un autre État] au motif qu’il n’existe pas de lien substantiel entre le navire et [ce dernier]453

En ce qui concerne la question de savoir s’il existe dans l’affaire du Navire Saiga (2), Fond, un lien substantiel entre Saint-Vincent-et-les-Grenadines et le navire Saiga, le Tribunal a affirmé qu’ « en tout état de cause, les éléments de preuve produits par la Guinée ne suffisent pas pour étayer sa thèse selon laquelle il n’existait pas de lien substantiel entre le navire et Saint-Vincent-et-les-Grenadines à l’époque considérée »454.

Cependant, il convient de noter que diverses critiques ont été faites à l’encontre de cette décision, estimant qu’elle a été « très en retrait au regard de l’évolution du droit international »455. Pourtant, les opinions individuelles des juges, ne se sont pas prononcées sur l’exigence d’un lien substantiel pour l’octroi de la nationalité. À cet égard, le juge Anderson a estimé qu’il « n’interprète pas le paragraphe 83 de l’arrêt comme allant jusqu’à dire que l’exigence d’un “lien substantiel”, qui comporte un élément de bonne foi dans l’adjectif “substantiel”, n’a aucune pertinence pour l’octroi de la nationalité »456.

Par conséquent, le Tribunal a adopté, dans cette affaire, une position permettant que ses décisions sur la question soient accueillies par les États, soulignant l’importance du lien substantiel entre un navire et l’État du pavillon qui devra, somme toute, respecter ses obligations.

§2. L’encadrement conventionnel de l’exercice du droit de poursuite

Le droit de poursuivre un navire étranger et de le saisir en haute mer révèle une limite centrée sur deux principes fondamentaux du droit international. En effet, ce droit constitue une limite à la liberté de navigation ainsi qu’une exception à la compétence exclusive de l’État du pavillon en haute merlans le but de protéger la souveraineté de l’État côtier457.

La communauté internationale reconnaît désormais l’importance de la protection et de la conservation des ressources de l’environnement marin, ainsi que du maintien et du

453Ibid., au paragraphe 86. 454Ibid., au paragraphe 87.

455Voir, par exemple, Maurice KAMTO, op.cit., à la page 353.

456Voir l’opinion individuelle du juge Anderson dans l’Affaire du Navire Saiga (2), Fond, op.cit., à la page 2. 457Voir Randall WALKER, “International Law of the Sea: Applying the Doctrine of Hot Pursuit” (2011) 17

136 renforcement de la sécurité maritime. Par conséquent, l’exercice du droit de poursuite qui doit être interprété à la lumière de ces priorités, a permis au Tribunal de clarifier ce droit reconnu à l’État côtier par la Convention de 1982458.

Le droit de poursuite qui a évolué au fil de l’histoire du droit international, a fait l’objet d’une codification par la Convention de 1982 (A). Ce droit reflète, par ailleurs, un moyen permettant à l’État côtier de faire respecter ses lois et règlements dans les espaces soumis à sa juridiction. Toutefois, l’exercice du droit de poursuite par l’État côtier demeure enserré par des conditions que le Tribunal a été amené à préciser (B).

Documents relatifs