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La compétence du Tribunal pour la protection du milieu marin contre la pollution

Section I. Le contentieux de l’urgence

C. Compétence et recevabilité

3. La compétence du Tribunal pour la protection du milieu marin contre la pollution

La Convention internationale de Nairobi sur l’enlèvement des épaves267 conclue le 16 mai 2007 reconnaît aux États côtiers le droit d’intervenir sur les épaves situées dans leur zone économique exclusive. Elle prévoit, dans son article 15, le recours aux procédures de règlement des différends en vertu de l’article 287, paragraphes 1 de la Convention de 1982. Conformément à l’article 15, paragraphe 3 de la Convention de Nairobi,

[t]oute procédure choisie par un État Partie à la présente Convention et à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 au titre de lʹarticle 287 de celle-ci sʹapplique au règlement des différends en vertu du présent article, à moins que cet État Partie, lorsqu’il a ratifié, accepté ou approuvé la Convention ou y a adhéré, ou à nʹimporte quel moment par la suite, n’ait choisi une autre procédure au titre de lʹarticle 287 pour le règlement des différends résultant de la présente Convention

L’article 15 ajoute, dans son paragraphe 4, qu’

[u]n État Partie à la présente Convention qui n’est pas Partie à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, lorsqu’il ratifie, accepte, ou approuve la présente Convention ou y adhère, ou à n’importe quel moment par la suite, est libre de choisir, par voie de déclaration écrite, un ou plusieurs des moyens énumérés au paragraphe 1 de la Convention [de 1982] aux fins du règlement des différends en vertu du présent article

Au demeurant, en vertu de l’article 290 de la Convention de 1982, trois critères particuliers caractérisent la procédure de prescription des mesures conservatoires. Il s’agit de la vérification de la compétence prima facie du tribunal arbitral saisi du fond de l’affaire (a), de l’urgence de la situation (b) et de la valeur juridique obligatoire des mesures conservatoires (c).

267Convention internationale de Nairobi sur l’enlèvement des épaves du 18 mai 2007, Disponible sur le site

http://www.delegfrance-omi.org/La-Convention-de-Nairobi-sur-l-enlevement-des-epaves (Consulté le 19 novembre 2016).

81 a. Vérification de la compétence prima facie

La procédure de la prescription de mesures conservatoires invite le Tribunal à se prononcer d’abord sur la compétence prima facie du tribunal arbitral qui sera saisi du fond de l’affaire. Le premier arrêt qui a mis en exergue le concept de « prima facie » est celui de la C.I.J. dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co (Mesures conservatoires)268 dans laquelle la Cour a

souligné l’obligation des juges de vérifier d’abord, avant de se prononcer sur l’indication de mesures conservatoires, si la Cour a compétence prima facie269. La Cour a affirmé que son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires est reconnu par l’article 41, paragraphe 6 de son Statut270.

La compétence prima facie recouvre deux types de dispositions qui expliquent la possibilité du Tribunal de prescrire des mesures conservatoires en vertu de l’article 290 de la Convention de 1982. La première disposition est l’article 290, paragraphe 1 qui précise que le Tribunal devra d’abord examiner sa propre compétence prima facie. Dans ce contexte, le Tribunal s’est inspiré du raisonnement de la C.I.J. dans l’arrêt Anglo-Iranian Oil Co., au sens où il doit, comme la Cour, se prononcer sur sa compétence prima facie. Il a ainsi souligné dans l’affaire du Navire Saiga (2), Fond qu’

avant de prescrire des mesures conservatoires, le Tribunal n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’il a compétence au fond de l’affaire, mais qu’il ne peut cependant prescrire ces mesures que si les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle la compétence du Tribunal pourrait être fondée271

La deuxième disposition de la Convention de 1982 qui exprime, du reste, une innovation dans le mécanisme de règlement juridictionnel des différends en droit international, se reflète dans l’article 290, paragraphe 5 qui offre aux États Parties la possibilité de recourir à un tribunal arbitral de l’annexe VII de la Convention de 1982272.

268Voir C.I.J., ordonnance du 5 juillet 1951, affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), Demande

en indication de mesures conservatoires, Rec. C.I.J. 1951.

269Ibid., à la page 93. 270Ibid.

271Voir affaire du Navire Saiga (2), Fond, op.cit., au paragraphe 29.

272En vertu de l’article 290, paragraphe 5, « en attendant la constitution d’un tribunal arbitral saisi d’un différend

en vertu de la [section 2 de la Partie XV], toute cour ou tout tribunal désigné d’un commun accord par les parties ou, à défaut d’accord dans un délai de deux semaines à compter de la date de demande de mesures conservatoires, le Tribunal international du droit de la mer oudans le cas d’activités menées dans la Zone, la

82 Il convient de noter que le Tribunal a jusqu’à présent toujours considéré que le tribunal arbitral aurait compétence prima facie pour se prononcer sur le fond du différend, comme le démontrent, par exemple, les affaires du Thon à nageoire bleue273dans lesquelles le Tribunal a considéré que le tribunal arbitral en voie de constitution, a compétence prima facie. Cependant, ce dernier a rejeté dans sa sentence rendue le 4 août 2000, sa propre compétence et rapporté les mesures conservatoires prescrites par le Tribunal274.Le tribunal arbitral a eu également l’occasion de confirmer les mesures prescrites par ce dernier, comme, par exemple dans l’affaire de l’Usine MOX275.

En somme, la Convention de 1982 établit une procédure novatrice dans le contentieux international, au sens où les États Parties peuvent saisir un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII de cette Convention. Dans cette perspective, l’article 290, paragraphe 5 permet au Tribunal de se prononcer sur la compétence prima facie du tribunal arbitral saisi du fond du différend. Cela dit, la compétence du Tribunal demeure limitée, puisqu’il ne peut décider de la compétence effective du tribunal arbitral qui pourra, de son côté, rejeter la demande ou rapporter les mesures prescrites par le Tribunal276.

b. La notion d’urgence

L’urgence d’une situation est donc l’une des conditions dont le juge tient compte pour justifier la prescription des mesures conservatoires, au sens où leur « institution […] est subordonnée à la constatation, primordiale, d’une situation d’urgence […] »277.L’urgence

Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins, peut prescrire, modifier ou rapporter des mesures conservatoires conformément au présent article s’il considère, prima facie, que le tribunal devant être constitué aurait compétence et s’il estime que l’urgence de la situation l’exige. Une fois constitué, le tribunal saisi du différend, agissant conformément aux paragraphes 1 à 4, peut modifier, rapporter ou confirmer ces mesures conservatoires ».

273Voir TIDM, ordonnance du 27 août 1999, affaires du Thon à nageoire bleue, par. 65.

274Voir TA, sentence du 4 août 2000, affaire du Thon à nageoire bleue (Australie et Nouvelle-Zélande c. Japon),

Compétence et recevabilité, ILM 2000, aux pages 1359 et 1393.

275Voir affaire de l’Usine Mox (Irlande c. Royaume-Uni) dans son ordonnance du 24 juin 2003. Texte dans

ILM 2003, p. 1187.

276Le Tribunal a souligné le caractère provisoire des mesures conservatoires. Voir TIDM, ordonnance du 27

août 1999, affaires duThon à nageoire bleue, op.cit., au paragraphe 65.

83 renvoie donc à « situation qui peut entraîner un préjudice irréparable s’il n’y est porté remède à bref délai et qui permet au juge de prendre certaines mesures par une procédure rapide »278. Le Tribunal dispose d’une liberté certaine dans le cadre de l’analyse de l’existence effective de ces faits urgents279; cette liberté étant encadrée par les conditions précisées dans le texte de la Convention de 1982 qui exige du Tribunal de vérifier les critères justifiant son intervention et canalisant somme toute sa propre compétence.

En tant que juridiction compétente pour prescrire des mesures conservatoires, le Tribunal devra donc constater l’existence ou non d’une situation d’urgence, afin d’en évaluer les contours, à la lumière du contexte de chaque cas et des enjeux impliqués. Ainsi,

[l]’urgence dans le contentieux international est une règle-standard à contenu variable qui laisse une grande liberté au juge pour faire face à des situations qui ne sont pas toujours clairement tranchées ou identifiées, et grâce à laquelle le juge délimite le caractère normal ou non d’un ensemble de fait, puis en induit un certain nombre de conséquences précises280.

Cette idée est d’ailleurs précisée dans le paragraphe 1 de l’article 290 de la Convention de 1982, selon lequel le Tribunal « peut prescrire toutes mesures conservatoires qu’il juge appropriées en la circonstance ». Le paragraphe 5 du même article ajoute que le Tribunal peut prescrire des mesures conservatoires « s’il estime que l’urgence de la situation l’exige ». Il convient de noter que l’institution des mesures conservatoires est basée sur des critères déterminants. De telles mesures sont, en effet, prescrites s’il est établi qu’un dommage irréparable peut être causé aux droits des parties litigieuses avant que le tribunal arbitral ne puisse se prononcer au fond et que le milieu marin peut subir des dommages graves avant la décision définitive. Bien que le mot « urgence » n’apparaisse pas dans la disposition du paragraphe 1 de l’article 290, il transparaît toutefois dans l’expression « en la circonstance ».

278Voir Dictionnaire encyclopédique Larousse, 1987, Tome 5, à la page 3109.

279À cet égard, la C.I.J. a affirmé que les mesures conservatoires ne sont « justifiées que s’il y a urgence, c’est-

à-dire s’il est probable qu’une action préjudiciable aux droits de l’une ou de l’autre Partie sera commise avant qu’un […] arrêt définitif ne soit rendu », voir C.I.J., ordonnance du 29 juillet 1991, affaire du Passage par le

Grand-Belt (Finlande c. Danemark), Demande en indication de mesures conservatoires, Recueil C.I.J. 1991,

au paragraphe 23.

280Voir Emmanuelle JOUANNET, « Quelques observations sur la signification de la notion d’urgence »dans

Hélène RUIZ-FABRI et Jean-Marc SOREL (dir.), Le contentieux de l’urgence et l’urgence dans le contentieux

84 De ce point de vue, le critère de l’urgence coïncide avec la fonction même des mesures conservatoires, à savoir la protection des droits des parties au différend, la prévention de l’aggravation ou l’extension du litige ou la protection de l’environnement marin. De ce fait, le juge doit se prononcer sur l’existence d’une urgence, à l’aune des faits et de leurs conséquences, tels qu’ils sont avancés par la partie qui sollicite les mesures conservatoires.

Par ailleurs, pour évaluer l’urgence d’une situation, le Tribunal doit observer le temps qui sépare sa saisine du moment où le tribunal arbitral chargé d’examiner le fond du différend sera constitué et pourra donc lui-même adopter des mesures conservatoires, modifier celles qui ont été décidées par le Tribunal, les rapporter281 ou encore les confirmer282 à la demande des parties. Dans ce contexte, le Tribunal a déclaré que « […] l’urgence de la situation doit être appréciée compte tenu de la période pendant laquelle le tribunal arbitral prévu à l’annexe VII n’est pas encore à même de « modifier, rapporter ou confirmer ces mesures conservatoires » »283.

D’un point de vue d’ensemble, le Tribunal jouit d’une liberté d’appréciation des contours de la notion d’urgence dont le contenu peut varier en fonction des circonstances de l’espèce. Se profile donc en toile de fond la gravité de la situation et l’importance de la protection des intérêts en jeu284.

c. Une valeur juridique obligatoire

Le Tribunal peut, en vertu de l’article 290 de la Convention de 1982, prescrire des mesures conservatoires dont la valeur juridique est obligatoire. À cet égard, le paragraphe 6 de cet article dispose que « les parties au différend se conforment sans retard à toutes les mesures conservatoires prescrites en vertu du présent article ». Cette obligation de se conformer aux mesures conservatoires est, par ailleurs, réaffirmée dans l’article 95, paragraphe 1 du

281Voir TA, sentence du 4 août 2000, Affaires du Thon à nageoire bleue (Australie et Nouvelle-Zélande c.

Japon), Compétence et recevabilité, ILM 2000.

282Voir affaire de l’Usine Mox (Irlande c. Royaume-Uni) dans son ordonnance du 24 juin 2003. Texte dans ILM

2003, à la page 1187.

283Affaire relative aux Travaux de poldérisation par Singapour à l’intérieur et à proximité du détroit de Johore,

ordonnance du 8 octobre 2003, au paragraphe 68.

284L’interprétation par le Tribunal du cas de l’urgence d’une situation sera plus détaillée dans la Partie II de la

85 Règlement du Tribunal qui impose aux parties d’informer le Tribunal « au plus tôt des dispositions qu’elle a prises pour mettre en œuvre les mesures conservatoires ».

Il est à noter, cependant, que la C.I.J. pourrait constituer une alternative au Tribunal, puisqu’elle est parvenue dans l’affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique)285, à

la conclusion que les mesures conservatoires qu’elle pourra indiquer revêtent un caractère obligatoire. Elle a, à cet égard, noté que

[e]n définitive, aucune des sources d'interprétation mentionnées dans les articles pertinents de la Convention de Vienne sur le droit des traités, y compris les travaux préparatoires, ne contredisent les conclusions tirées des termes de l'article 41 [du Statut] lus dans son contexte à la lumière de l'objet et du but du Statut. Ainsi, la Cour est parvenue à la conclusion que les ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l'article 41 ont un caractère obligatoire286

Pourtant, la pratique a montré que les États préfèrent recourir au Tribunal, lorsqu’ils saisissent la juridiction sur la base de l’article 290, paragraphe 5 de la Convention de 1982, illustrant ainsi une spécialisation importante de cette juridiction.

§2. Les contours particuliers de la procédure de prompte mainlevée de l’immobilisation d’un navire et de libération de son équipage

La Convention de 1982 prévoit également la compétence obligatoire du Tribunal dans le cadre de la procédure de mainlevée de l’immobilisation d’un navire et la libération de son équipage. Elle esquisse, dans son article 292, les contours particuliers de cette procédure dont il convient de retracer d’abord l’historique de ses négociations (A) et d’examiner la nature et l’objectif de la procédure (B). Cela permettra ensuite d’analyser la procédure dans son essence (C), afin de mettre en lumière la compétence du Tribunal et le champ d’application de la disposition prévoyant cette procédure spéciale (D).

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