I. 4. [1992-1998] Une transition verrouillée de l’intérieur et pilotée de l’étranger. Au menu : économie
II.2. Institutionalisation du nouveau référentiel : la patiente élaboration du Quadro de Gestão Delegada
II.2.2. Le Quadro de Gestão Delegada , une architecture institutionnelle originale
Aux principes de péréquation des tarifs et de subventions croisées succèdent donc de
nouveaux critères et indicateurs qui n’épargnent pas non plus les acteurs institutionnels.
Ainsi, la DNA n’échappe-t-elle pas à une relative mise en accusation : « a gestão interna
[é] verticalmente estructurada [...]. Não existem reuniões do pessoal [...]. A
coordenação das tarefas é maioritariamente dada como ordens »
162. Et plus loin : « em
geral, a metodología ainda é "supply driven" e "top down" »
163. Le terme ainda, employé
par des observateurs étrangers illustre bien le regard condescendant jeté à un
fonctionnement considéré comme quasiment archaïque, du point de vue des nouveaux
impératifs de rationalisation gestionnaire.
Afin de préparer la délégation du service public (DSP) de distribution de l’eau à un
opérateur privé, il convient par conséquent de revoir l’ensemble de l’architecture
institutionnelle du secteur. Ce processus de construction du quadro de gestão delegada
164(QGD) est un processus de longue haleine, progressif et patient.
Dans un premier temps, la réforme de décentralisation de 1995 instaure le principe de
transfert de la responsabilité de la distribution de l’eau de l’Etat aux autarquías
165.
Cependant, considérant que ces tout nouveaux échelons de l’activité politique et
administrative ne sont pas prêts à assumer une telle compétence et sans doute aussi en
vue de garder une certaine maîtrise du processus, l’Etat décide d’évincer, dans une
première phase - à durée indéterminée, la municipalité au profit d'institutions étatiques
nouvelles. Ici, comme plus tard, alors que la Lei de Águas prévoyait la participation des
populations aux principales décisions, celles-ci ne sont pas même consultées.
a)Définition plus précise de la politique de l’eau
i] La Política Nacional de Águas (n° 7/95)
Approuvée le 8 août 1995, la Política Nacional de Águas
166(PNA) établit officiellement le
principe de la participation du secteur privé et de la limitation du rôle de l’Etat. Cette
politique s’inscrit bien dans le dogme du développement par la croissance en incitant les
acteurs à allier, dans leurs objectifs, croissance économique et réduction de la pauvreté.
L’eau est reconnue comme un bien à la fois économique et social, de sorte que si le texte
évoque l’augmentation du taux de couverture, en particulier vers les zones rurales et à
bas revenus, il n’en stipule pas moins que le recouvrement total des coûts doit être
atteint dès 2003. Le texte ouvre la porte à la différenciation du service en encourageant
les opérateurs à adapter les services à la capacité économique des usagers.
Dans la foulée, en 1997, est mis en place, avec la Banque Mondiale, le Programa
Nacional de Desenvolvimento de Águas
167(PNDA I), pour préparer la PSP.
ii] La Política Tarifária de Águas (n°60/98)
En 1998, est adoptée la Política Tarifária de Águas
168(PTA), qui constitue la clef de voûte
du Quadro de Gestão Delegada. Si l’autonomie financière et tarifaire des entreprises
publiques était destinée à modifier le fonctionnement de Águas de Maputo, l’enjeu, ici,
est tout autre : il s’agit d’imposer à un futur opérateur privé la mise en acte du dogme de
la "vérité des prix". Les modalités en sont simples : recouvrement des coûts
162 « La gestion interne [est] verticalement structurée (…). Il n’existe pas de réunions du personnel (…). La coordination des tâches est majoritairement effectuée par des ordres » (Bouman et alii., 1997 : 22)
163 « d’une manière générale, la méthodologie est encore guidée par l’offre et descendante » (Bouman et alii., 1997 : 57)
164 Cadre de Gestion Déléguée
165 Municipalités
166 Politique Nationale des Eaux
167 Programme National de Développement des Eaux
d’exploitation et de maintenance à court-terme ; recouvrement des investissements à
moyen-terme. Ce texte entérine donc le principe de l’utilisateur-payeur. Sur la structure
tarifaire proprement dite, il n’avance que deux éléments : un tarif constitué d’une part
fixe et d’une part variable (proportionnelle à la consommation), ainsi qu’un tarif
domestique distinct du tarif industriel ou commercial. En ce sens, il conserve un certain
souci d’équité, notamment en incitant à augmenter la desserte en eau « com particular
prioridade para as zonas peri-urbanas »
169.
La même année, paraît le texte instituant le QGD. Ainsi, débute, en 1999, la participation
du secteur privé, enserrée dans le quadro de gestão delegada, lui-même élaboré dans le
cadre du PNDA II.
Association Internationale de
Développement
BAD Gouvernement
néerlandais
Gestion privée (y compris travaux de réhabilitation) 40 3 43
Investissements en Travaux et Services 30 20 10 5 65
Politique et stratégie d'approvisionnement en eau urbaine 5 2 7
Total 75 20 10 10 115
Composition du financement
du programme PNDA II
(en millions de USD)
Apports extérieurs
Gouvernement du Mozambique
NB: L'AFD a concédé des fonds supplémentaires (3 millions d'euros), pour l'aide d'urgence après les inondations de 2000. in FIPAG (2002): 3
Total
b)Le triangle central du Quadro de Gestão Delegada
i] Le Fundo de Investimento e Património do Abastecimento de áGua (FIPAG)
Le Fundo de Investimento e Património do Abastecimento de áGua
170, ou FIPAG, est créé
le 23 décembre 98 par les décrets n°72/98 et 73/98. Sa mission consiste à « obter,
através de uma gestão efectiva da participação do sector privado, melhorías no
abastecimento de água nas cidades de Maputo, Beira, Quelimane, Nampula e Pemba,
usando eficientemente o património e os investimentos, e promovendo tarifas justas »
171.
Ainsi, le FIPAG a-t-il pour vocation de se substituer, de façon temporaire, au pouvoir
municipal des principales villes du pays, afin de gérer le contrat avec l’opérateur privé. Le
FIPAG constitue une solution pragmatique en vue de préparer le transfert de la
responsabilité des services aux autorités locales. Au-delà, il reflète la réticence profonde
de l’Etat mozambicain – et donc du FRELIMO – à déléguer ses prérogatives à d’autres :
qu’il s’agisse d’échelons inférieurs dans la décentralisation ou bien d’acteurs privés. Il est
possible de voir là la résistance idéologique d’acteurs attachés à l’importance de la
puissance publique ou bien, plus prosaïquement, les effets de la routine organisationnelle
d’un parti unique.
Si, en tant que représentant du peuple, la Municipalité conserve le mandat formel, les
capacités d’action des deux organisations sont sans commune mesure. La révision des
salaires et des conditions de travail, qui figurait parmi les aménagements du nouveau
cadre institutionnel, est visible ne serait-ce qu’au niveau des bâtiments et équipements
dont disposent les uns et les autres : le FIPAG est confortablement installé dans deux
maisons d’un quartier résidentiel central de Maputo, tandis que le département
"Mercados, Desenvolvimento Rural e Agua"
172de la Municipalité de Matola, par exemple,
est installée loin du centre, dans une maison vétuste, où le matériel de travail est
rudimentaire.
169 « avec une priorité particulière pour les zones péri-urbaines » in Política Tarifária de Águas (n°60/98) 4.2.1.
170 Fonds d’Investissement e de Patrimoine d’Approvisionnement en Eau
171 « obtenir, via une gestion effective de la PSP, des améliorations dans l’approvisionnement en eau des villes de Maputo, Beira, Quelimane, Nampula et Pemba, en utilisant efficacement le patrimoine et les
investissements, et en promouvant des tarifs justes » (FIPAG, 2002 : 5).
Le FIPAG, est constitué d’un conseil administratif et d’une direction exécutive, et compte
une vingtaine de personnes au total. Ses trois axes de travail sont les suivants :
# gestion financière et des investissements pour la réhabilitation et l'extension du
patrimoine des systèmes d'approvisionnement en eau ;
# maximisation de l’efficacité et de la rentabilité du patrimoine ;
# suivi et contrôle du contrat de gestion passé avec l'opérateur privé.
Le premier axe est, de loin, le plus consistant car, hormis les investissements négociés
lors du plan quadriennal, le FIPAG n’est pas financé par l’Etat. Il doit donc se consacrer à
lever des fonds auprès d’organisations internationales pour acquérir des revenus propres.
Son seul atout, vis-à-vis des financeurs, est de représenter une cible d’investissement
fiable
173. C’est pourquoi des critères très précis sont arrêtés en vue de définir quels sont
les systèmes dont le FIPAG a la gestion
174.
Le FIPAG est donc une institution de gestion des investissements et du patrimoine dont le
portefeuille représente, en 2007, 350 millions de dollars sur 5 anspour Maputo. Il a aussi
à charge le paiement des intérêts et le remboursement des emprunts, ce qui représente
un service de la dette conséquent : 75 millions de MZM en 2008
175.
ii] Le Conselho de Regulação do Abastecimento de água (CRA)
Créé le même jour que le FIPAG, par les décrets n°72/98 et 74/98, le Conselho de
Regulação do Abastecimento de água
176, ou CRA, poursuit les trois objectifs suivants :
# assurer la régulation des prix ;
# prendre la défense du consommateur ;
# servir de médiateur entre le FIPAG et l’opérateur privé, en cas de conflit.
Composé, à l’origine, de seulement trois membres nommés par le MOPH, pour réguler
toutes les villes du pays où le FIPAG intervient, le CRA, par l’intermédiaire de son
inénarrable président Manuel Alvarinho, définit sa mission comme l’impératif de garantir
un service « justo, confiável e sustentável para todos »
177.
Jouissant d’une autonomie administrative et financière, le CRA s’affiche, dans sa
plaquette de présentation, en tant qu’agence de régulation indépendante. Pour ce qui est
de la régulation des tarifs, M. Alvarinho confie aspirer à un « serviço universal »
178, qui
satisferait à la fois « consumidores »
179et fournisseurs. Dans l’optique de la défense des
usagers du service, faisant référence aux OMD, le président du CRA juge inacceptable
que près de la moitié de la population n'ait pas un accès sûr à l’eau et s’exclame :
« AGUA PARA TODOS ! »
180. Enfin, en tant que médiateur, il se réfère au FIPAG et à
l’opérateur privé sous le mot de « parceiros »
181du QGD.
iii]Le troisième larron : l’opérateur privé à qui est délégué le service public
Hormis l’organisme régional de gestion de la ressource (ARA-Sul) et les responsabilités
afférentes au domaine de l’assainissement (DNA et Municipalités), le tableau est à
présent presque complet. Il ne manque plus que l’invité d’honneur de ce QGD :
l’entreprise privée qui va exploiter le système de distribution de l’eau. Quelle que soit son
identité, sa place dans l’architecture institutionnelle est précisément délimitée. Le PPP
conclu sera un affermage, et non une concession, puisque le FIPAG a été institué en vue
173 A ce titre, la photo d’une poignée de mains noire et blanche est assez révélatrice
174 Ceux-ci doivent avant tout être rentables. C’est pourquoi le FIPAG ne s’occupe pas de l’assainissement.
175 DNA, 2007 : 11
176 Conseil de Régulation de l’Approvisionnement en Eau
177 « juste, fiable, soutenable et pour tous » (CRA, 2006)
178 « Service universel » (CRA, 2006)
179 « consommateurs » (CRA, 2006)
180 « DE L’EAU POUR TOUS ! » (CRA, 2006)