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Face à l’empressement des bailleurs, la puissance publique peut-elle conserver la maîtrise du

II. 4. “Pendant ce temps-là, à Cochabamba”... le référentiel global/sectoriel est mis à bas

IV.3. Discussions, négociations et médiations autour d’une question nouvelle de régulation : les vertus

IV.3.1. Face à l’empressement des bailleurs, la puissance publique peut-elle conserver la maîtrise du

Bien que les POPs n’aient pas bénéficié de mobilisation de masse en leur faveur, les

bailleurs - et en particulier l’AFD - ont joué, de façon un peu détournée, ce rôle

d’advocacy. AdM évoque d’ailleurs clairement les « condicionantes da estratégia »

305

avec

lesquelles elle doit composer pour élaborer son plan directeur. Car la voix des bailleurs

porte. En 2008, en effet, le Ministre s’exprimait en faveur de l’officialisation des POPs.

Les eleições gerais

306

de 2009 étant en vue, les autorités centrales espèrent regagner du

pouvoir et de la légitimité en faisant de la place à de nouveaux acteurs. Cette amorce de

reconnaissance institutionnelle a été sensiblement influencée par le positionnement des

consultants étrangers.

De fait, la démarche des agents de l’AFD semble ici assez pertinente. Tirant les leçons

d’expériences menées ailleurs, leur regard sur ce terrain particulier repère soudain des

aspects jusque là ignorés. Leurs analyses, noyées dans la cacophonie des autres

bailleurs, condamnent les responsables nationaux à avoir toujours un temps de retard et

à devoir récupérer le train en marche. Malgré leurs bonnes intentions, les bailleurs

accentuent le découplage entre la production de l’expertise légitime et la sphère de la

représentation politique.

a)Inventer la régulation de petits monopoles juxtaposés, tel est le défi qui attend la

puissance publique

A. Bousquet résume parfaitement le défi qui attend les acteurs institutionnels de la

distribution de l’eau à Maputo : « dans la mesure où les dispositifs de régulation et de

gouvernance sont tout autant déterminants que les dispositifs technico-gestionnaires

pour la pérennisation de l’offre de services aux pauvres, le vrai défi est alors d’inventer

les modalités de régulation de cette diversité tout en assurant la prise en compte des

préoccupations d’équité socio-territoriale »

307

. Il est politiquement légitime que ce soit à

la puissance publique non seulement d’assurer cette fonction impérative de régulation,

mais surtout de contribuer à l’inventer. Or, en a-t-elle les moyens ? La réponse n’est pas

évidente, car la fonction d’arbitrage requise exige une grande finesse : il s’agit à la fois

d’introduire des contraintes à l’activité des POPs, sans pour autant tuer leur dynamisme ;

et de soutenir les POPs sans porter préjudice à AdM. La question est ainsi posée dans le

Plan Stratégique 2006-2015 de la DNA: “Qué política estabelecer para controlar,

normalizar, mas também aproveitar do dinamismo da iniciativa privada espontânea que

304 « toute décision prise pendant les discussions aura un effet jurisprudentiel fort » (Hydroconseil/SAL, 2007/02 : 29).

305 AdM, 2007 : 64

306 Elections présidentielles

se traduz hoje pela multiplicação dos pequenos operadores informais nas periferias das

grandes cidades?”

308

. Faut-il prévoir un seul statut ou des statuts différenciés pour des

POPs qui seraient alors tantôt : indépendants, revendeurs de l’eau d’AdM, exploitants de

petits systèmes appartenant au FIPAG, ou fournisseurs d’eau pour AdM ?

L’enjeu est de taille puisque, seule la conservation par l’Etat de sa propre expertise rend

possible l'émergence de décisions collectives légitimes. Or, il s’agit bien, ici, de repolitiser

un schéma très hétéroclite, de relier tous les îlots de l’archipel de distribution de l’eau

dans l’agglomération. Pour cela, il importe de fédérer tous les acteurs du secteur autour

d’un schéma global, qui implique non seulement le rétablissement du contrôle juridique

et sanitaire des services, mais surtout l’harmonisation des dispositifs techniques et

tarifaires. S. Jaglin parle, pour désigner ce processus, de « spatialisation » : « la

spatialisation, en préservant une unité du cadre d'action, affirme le pouvoir de régulation

du tout (le système composite de fourniture, lui-même dépendant d'un pouvoir

gestionnaire et politique) sur ses parties (les dispositifs territorialisés) »

309

.

Mais qui, à Maputo, peut superviser l’ensemble des opérateurs ? Et surtout : comment

définir ces responsabilités sans réformer les institutions ? Car toute nouvelle réforme du

secteur retarderait la mise en place de la régulation d’au moins cinq ans…

b)Les POPs peuvent-ils s’incruster dans le QGD ?

Le problème, à Maputo, c’est qu’aucune entité n’a vocation à réguler des centaines

d’opérateurs indépendants et mouvants :

$ Les Municipalités sont juridiquement légitimes et auraient la volonté de le faire,

mais, dans un contexte institutionnel fortement asymétrique, ne semblent pas en

avoir les moyens.

$ Cela pourrait être le rôle de l’association des POPs, mais si celle-ci peut participer

à la mise en place d’un système, elle n’est pas capable de concevoir le dispositif.

$ Ce serait logiquement le domaine du CRA, qui est assez actif et commandite de

nombreuses études, mais ses effectifs sont limités à une vingtaine de personnes

et, pour l’heure, il attend qu’un accord entre le FIPAG et AdM soit conclu

concernant les POPs installés sur le périmètre d’affermage. Comme nous l’a dit la

vereadora de Matola, Evelina Berta José : « o CRA anda um pouco escondido »

310

.

$ Théoriquement, ce n’est pas le domaine de compétence du FIPAG, puisque celui-ci

gère le patrimoine public confié à AdM. Mais le FIPAG souhaite manifestement

garder la main sur les échanges, d’autant que les POPs constituent pour lui un

moyen de négociation vis-à-vis d’AdM. C’est pourquoi le FIPAG est très actif dans

le processus. A tel point que lorsque nous avons demandé à José Nhaka qui était

ce régulateur dont il parlait, il a répondu « é o Estado » puis, plus précisément :

« é o FIPAG »

311

. L’entretien avait lieu dans les locaux du FIPAG, sous le regard de

Emmanuel Chaponnière.

$ AdM se sait menacée par ces POPs qui empiètent sur son territoire et rivalisent de

compétence, mais l’exploitant n’est pas décideur. En attendant, ses responsables

laissent planer l’incertitude quant au périmètre exact du contrat, de façon à

laisser entendre qu’ils ne comptent pas céder de terrain. Le périmètre délégué est

défini dans le contrat de 2004, mais le Plan Directeur de AdM de 2007 présente

une zone plus large. Enfin, lorsque nous les avons rencontrés, Carlos Cossa et

308 « Quelle politique établir pour contrôler, normaliser, mais aussi profiter du dynamisme de l’initiative privée spontanée qui se traduit aujourd’hui par la multiplication des petits opérateurs informels dans les périphéries des grandes villes ? » (DNA, 2007 : 39).

309 Jaglin, 2004 : 9

310 « le CRA ne se met guère en avant » in Entretien n°9 (cf annexe).

Luis Miguel Évora nous ont affirmé que leur périmètre correspondait « aos

municípios inteiros de Maputo, Matola e Boane »

312

!

(Annexe 5 du Contrat FIPAG-AdM, 2004 : 5) (AdM, 2007 : 6)

En dépit de ces incertitudes organisationnelles, dès 2007, la Política Nacional de Águas

révisée, édicte : compte tenu du fait que « os servidores informais nas áreas

peri-urbanas têm vindo a crescer tanto em número como em actividade, [...] será

desenvolvida e implementada uma estratégia de licenciamento, regulação e apoio »

313

.

L’idée d’enregistrer les POPs par le biais d’une licence, avancée par Hydroconseil et l’AFD,

a donc été retenue.

Compte tenu de cette orientation, le FIPAG a échafaudé une stratégie pour associer les

POPs à la desserte en eau dans les zones péri-urbaines. Le mécanisme d’allocation de

l’aide repose sur des critères techniques et gestionnaires : taille et stratégie d’expansion,

notamment. Il s’agit d’opérer une sélection entre les petits POPs peu performants et les

« real entrepreneurs »

314

susceptibles d’acquérir une ampleur digne d’une activité

"formelle". Les modalités de ce soutien se déclinent en deux temps : d’abord aider les

POPs à augmenter leur desserte, puis une amélioration de leurs systèmes vers plus de

durabilité. L’alternative entre la définition de monopoles au périmètre fixe et laisser jouer

la concurrence n’est pas tranchée. La volonté du FIPAG est de tendre vers une

harmonisation du niveau de service, comme des tarifs des POPs, même si ces derniers

restent distincts du tarif pratiqué par AdM, dont les coûts sont tout autres.

Cette stratégie accorde une place importante aux Municipalités, qui sont jugées les plus

aptes et les plus légitimes à délivrer une licence spécifique

315

. L’idée de la licence

spécifique délivrée est importante. Aujourd’hui, quatre licences, dépendant d’autorités

différentes, sont a priori requises pour qu’un POP soit en règle : une licence pour

l’occupation du sol, une autre pour l’enregistrement comme entreprise, une autre encore

pour l’extraction d’eau et une dernière pour la distribution d’eau. Les acteurs

institutionnels réfléchissent donc à l’instauration d’une forme de "guichet unique",

c'est-à-dire d’un dispositif qui réduise les coûts de transaction et rendent la formalisation de

cette activité réaliste.

Néanmoins, à peine les discussions ont-elles débuté autour de la question des licences,

que des tensions sont apparues entre le FIPAG et le CRA. Le FIPAG a lancé un processus

de "licenciement" ciblé sur les POPs situés hors du périmètre de AdM (???) alors que,

dans le même temps, le CRA annonçait que tous les POPs détenteurs d’une licence

pourraient postuler. Pour surmonter ce différent, ils décident de commencer par lancer le

licenciement à Matola, où la situation est moins litigieuse. La délibération, adoptée début

312 Entretien n°14 (cf annexe).

313 « … les opérateurs informels dans les zones péri-urbaines ont crû, tant en nombre qu’en activité (…), une stratégie de licenciement, régulation et soutien sera développée et mise en œuvre » in Art. 2.2 – Resolução n°46/2007

314 Hydroconseil/SAL, 2007/11 : 12

2007 par le Conseil Municipal, présente la licence comme « um instrumento que possa

disciplinar, sem, no entanto, desencorajar a instalação de sistemas de abastecimento de

Água »

316

. Celle-ci distinguera trois catégories de POPs selon la taille de leur système :

de 0 à 50 branchements, de 50 à 150 et plus de 150 branchements.

Une telle manœuvre, qui permet certes la poursuite du processus global, ne fait toutefois

que retarder le moment de s’attaquer au vrai nœud du problème.

IV.3.2. Laulane, District Urbain n°4 : voyage au cœur du problème