II. 4. “Pendant ce temps-là, à Cochabamba”... le référentiel global/sectoriel est mis à bas
IV.1. La composante 3 du MWSP, portée par l’AFD : comment induire la politique de distribution de
IV.1.1. En dépit des efforts de coordination de l’aide, l’action des bailleurs demeure assez cacophonique
L’aide publique totale (hors ONG) au développement perçue par le Mozambique, en 2007,
s’élève à 1 718 milliards de dollars et représente 54 % du budget national.
a)Harmonisation de l’aide : les déclarations de Rome et de Paris
Comme le remarque R. Batley, cependant, « l'aide est un bénéfice qui implique des
coûts »
279, de transaction notamment. De fait, les principales contraintes perçues par les
pays fortement dépendants de l’aide, selon l’OCDE, sont : les priorités définies par les
donneurs, les difficultés posées par leurs procédures et le manque de coordination entre
leurs pratiques. La vaste gamme de conditionnalités mises en place par les bailleurs
provoquent une charge administrative excessive pour l’administration récipiendaire.
Pour répondre à ces critiques, les agences internationales de coopération ont ciblé trois
axes d'amélioration de la gestion de l'aide : la stratégie de réduction de la pauvreté, des
outils de gestion financière et l’évaluation de la performance de l’aide. La déclaration de
Rome sur l’harmonisation, en 2003, manifeste l’engagement des donneurs à aligner « les
politiques, procédures et pratiques opérationnelles de [leurs] institutions avec celles en
vigueur dans les pays partenaires en vue d'améliorer l'efficacité de l'aide au
développement »
280. En intégrant leur action dans les cycles de planification du budget
des gouvernements concernés, les bailleurs espèrent cesser de miner la maîtrise des
autorités nationales sur l’aide qui leur est apportée. En 2005, la déclaration de Paris
affine cet engagement en orientant les donneurs vers une « gestion axée sur les
résultats »
281, via la définition de mesures de performance.
b)Le Mozambique, pays-pilote pour l’harmonisation de l’aide
Le Mozambique est l’un des pays où ces efforts d’harmonisation de l’APD sont les plus
poussés. Dès 2000, un groupe de bailleurs se constitue pour gérer l’appui budgétaire
général (ABG), qui consiste en un financement "non assujetti" à des exigences quant à
son utilisation
282. En 2008, 19 bailleurs (sur 22) participent à ce fonds budgétaire
commun, soit le groupe le plus large d’Afrique. Il est dirigé par la « Troïka+ » : les
présidents actuel, entrant, sortant, la Commission Européenne et la BM. En 2007, 70 %
de l’APD provient des membres de ce « G19 », tandis que le reste est fourni par : le
Japon, les deux agences étasuniennes (Usaid et MCC) et l’ONU
283. Outre ce groupe
principal, 27 groupes de travail thématiques ont été mis sur pied en vue de coordonner
l’action des bailleurs dans chaque secteur. Des termes de référence clairs sont censés
être définis, assortis d'objectifs et d’un plan de travail annuel. L’objectif est de tendre
vers une participation active de chaque bailleur dans un nombre réduit de groupes.
Trois matrices d'indicateurs permettent le suivi des performances : une pour le
gouvernement mozambicain, c’est le Performance Assessment Framework
284; deux
matrices pour les bailleurs, en vue de distinguer performances individuelles et
collective
285. En 2007, la France obtient 61 points sur 100, alors que la moyenne est de :
72 %. Les meilleurs élèves sont le DFID et la Suisse ; les cancres : le Portugal et la BM.
Malgré ces efforts, 70 % des financements au Mozambique demeurent versés hors de
l’aide budgétaire générale, via des canaux choisis par les bailleurs. En outre, le pouvoir
exécutif et législatif mozambicain est encore peu impliqué. Enfin, l’aide provenant des
ONG et du secteur privé n’est pas prise en compte.
Dans cette perspective, pour reprendre la terminologie de M. Foucault, les IFI
apparaissent comme des instruments œuvrant à la « gouvernementalisation »
286de l'Etat
mozambicain. Ces organisations s’apparentent à des dispositifs de savoir-pouvoir, qui
manient à la fois l’expertise et la prescription. Les efforts d’harmonisation de l’APD
correspondent à une tentative de clarifier l’expertise, d’y associer le gouvernement
récipiendaire et d’inculquer ainsi des mécanismes d’auto-prescription. Cette démarche
conduit-elle, comme le craint J.-J. Gabas, à un appauvrissement dans la construction du
politique ? Tout dépend d’où est-ce que l’on situe la richesse de la vie politique.
L’harmonisation de l’APD conduit à une technocratisation plutôt qu’à une
démocratisation : les procédures et la rigueur de la gestion gouvernementale s’en
trouvent rehaussées, mais la maîtrise et l’apprentissage politique des citoyens en sortent
appauvris. L’AFD participe de cette évolution, tout en cherchant à apporter une certaine
polyphonie.
280 Déclaration de Rome, 2003
281 Déclaration de Paris, 2005
282 A condition, que la politique publique s’inscrive dans le programme de réduction de la pauvreté (le PARPA) et dans la poursuite d'une politique macro-économique "solide", c’est-à-dire validée par le FMI…
283 Leclerc, 2008 : 3
284 « Cadre d’évaluation des performances » (40 indicateurs sur 5 piliers : pauvreté et gestion macro-économique, gouvernance, capital humain, développement macro-économique, actions transversales)
285 Les critères : respect de l’ABG, prévisibilité, utilisation des procédures du gouvernement, renforcement des capacités gouvernementales, etc.
c) La France « participe activement à l'effort d'harmonisation »
Le Document Cadre de Partenariat, définissant les conditions de l’aide de la France au
Mozambique, indique que la France : « participe activement à l'effort
d'harmonisation [et] à encourager l'affirmation du leadership du gouvernement »
287. De
fait, ces mesures destinées à améliorer l’efficacité de l’APD sont en parfaite résonnance
avec la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) à l’œuvre dans l’administration
française et qui, en 2008, affectent l’AFD de plein fouet. Alors que ce programme
d’évaluation du fonctionnement des organes étatiques menace d’altérer sensiblement
certains de ses rouages (possible fusion des agences AFD à l’étranger avec les SCAC,
directeur d’agence mis sous tutelle de l’ambassadeur…), le représentant de l’AFD au
Mozambique, Bruno Leclerc, a tout intérêt à suivre de près ces évolutions.
La stratégie de l’AFD au Mozambique a été redéfinie en ce sens en 2006 : 55 millions
d’euros de subventions sont prévus de 2006 à 2010. Il s’agit d’une « politique d'appui
sélective » qui s’inscrit « dans les cadres définis par le gouvernement du Mozambique
(PQG et PARPA I et II) et par les grandes organisations internationales de l'aide au
développement (OMD) »
288. Au-delà de l'aide budgétaire, qui doit désormais représenter
20-25 % des subventions, l’AFD concentre son action sur deux secteurs prioritaires : la
santé (35 %) et l’environnement (25 %). L'eau fait également partie des priorités du
PARPA. Partant, « sont maintenus, hors secteurs de concentration, l'appui au secteur de
l'eau… »
289. L'eau devient pour l’AFD un secteur "non-focal", c’est-à-dire qu’elle y a des
activités, mais qu’il n'est pas considéré comme un secteur de concentration de sa
stratégie. Par conséquent, l’AFD ne fait partie du groupe de travail de ce secteur.
La participation financière de l’AFD au Maputo Water Supply Project (MWSP) a pris la
forme d’une subvention versée directement au MOPH, qui est néanmoins comptabilisée
dans le budget général du gouvernement. L’implication financière de la France dans ce
projet s’élève à 7 millions d’euros sur la période 2006-2010, soit 19 % des subventions
totales de l’AFD et 9 % des subventions totales de la France
290. Bien que la participation
de l’AFD au MWSP ne s’inscrive pas vraiment dans les nouvelles procédures harmonisées,
Bruno Leclerc, directeur de l’agence à Maputo, a dès le départ tenu à nous signaler que
cela n’empêchait nullement l’appropriation de la politique publique par le FIPAG :
« Nelson Beete est dans de l’"ownership" »
291.
Le projet Eau de l’AFD à Maputo est donc pris dans une logique politique. L’agence AFD
de Maputo menaçant d’être fusionnée avec celle de Johannesburg, Bruno Leclerc souhaite
donner de la visibilité aux projets mis en œuvre, surtout s’ils sont innovants. Cette
préoccupation rejoint les visées de Maurice Bernard, directeur de la Division "Eau et
Assainissement", pour qui le MWSP est une opportunité pour marquer la différence de
l’AFD vis-à-vis des gros projets inefficients de la BM. Une telle convergence d’intérêts
permet à Bruno Leclerc d’affirmer : « la légitimité d’une intervention de la France dans ce
secteur tient à :
i) la coordination multi-bailleurs (BM, BAD, BEI, CE) et à l'alignement sur la
politique nationale qui renforce l'efficacité de l'aide ;
ii) l’expertise reconnue de la France [...] ;
iii) la visibilité de nos interventions, l'AFD devant assurer le leadership sur la
problématique d'approvisionnement en eau potable en milieu péri-urbain »
292.
287 in Document Cadre de Partenariat France-Mozambique (2006-2010) p.7
288 Ibid. p.8
289 Ibid. p.8
290 AFD + MAE (+ Contrat de Désendettement)
291 Entretien n°4 (cf annexe).