I. 4. [1992-1998] Une transition verrouillée de l’intérieur et pilotée de l’étranger. Au menu : économie
I.5. Bilan : comment distribuer l’eau dans une agglomération « pluri-urbaine » ?
I.5.2. Le phénomène péri-urbain : que reste-t-il de la dualité cemento/caniço issue de la période coloniale ?
cemento/caniço issue de la période coloniale ?
Le développement démographique et spatial de Maputo peut être décomposé en un
premier phénomène d’expansion horizontale, suivi d’une densification des quartiers
centraux, puis d’un étalement de la marge urbaine (cf diagramme ci-dessous). Le
premier résultat, incontestable, de cette évolution est que la cidade se distingue toujours
nettement du reste de la ville. « Les limites de son extension sont encore visibles dans le
large arc de cercle qui continue de définir deux mondes »
127, ne serait-ce que parce
qu’au-delà, il n’y a plus aucun bâtiment qui dépasse une hauteur équivalente à deux
étages. Inscrite dans le paysage dès la naissance de la ville, la dualité entre la zone de
cemento et la zone de caniço s’est donc maintenue de façon irréductible. Car même si la
qualité du centre-ville s’est indéniablement dégradée sous le coup des incrustations de
migrants venus chercher un refuge, les quartiers périphériques proches en ont davantage
pâti que les quartiers, plus aérés, de la cidade. Ainsi, la densité humaine est parfois plus
élevée dans DU n°2 que dans le cemento, alors que les constructions sont beaucoup plus
verticales dans le centre ! C’est pourquoi certains auteurs estiment que la dualité
cemento/caniço s’est même accentuée au tournant du millénaire (Raposo 2004).
Diagramme d’évolution urbaine :
le double mouvement explosion/implosion
(Brandão Alves, 2006 : 5)Ainsi, la dualité persiste-t-elle. Cela
signifie tout d’abord que le plan en
damier propre et régulier de la cidade
a tenu le coup de l’urbanisation
incontrôlée de la capitale. Mais cela
signifie aussi que les quartiers jadis
ignorés du caniço n’ont pas disparu :
ils n’ont ni été abandonnés par leurs
habitants qui seraient retournés à la
campagne ni été fondus dans le
paysage urbain de la cidade. Le
différentiel initial, sans doute, était
trop important et les efforts publics
postérieurs trop timides. C’est
pourquoi, depuis l'Indépendance, une
variété d'expressions se succèdent
dans les bouches des observateurs :
quartiers "périphériques",
"semi-urbanisés", "informels", "suburbains",
etc. « Implicitement, ces
dénominations reposent sur
l'hypothèse (…) que seule persiste et
perdure dans le temps la cité formelle,
d'origine européenne, tandis que l'autre partie de la ville est destinée à disparaître et à
se transformer (…). Non seulement les quartiers informels, ou d'habitat précaire, ne
disparaissent pas, mais ils ont, au contraire, tendance à s'étendre »
128.
127 Lachartre, 2000 : 64
(Hydroconseil/Castalia/SAL, 2008)
Et, plus ils s’étendent, moins ils semblent "urbains". Le passage d'une population très
largement rurale à un tiers de la population vivant en ville en à peine trente ans ne
pouvait manquer d’altérer l’urbanité. Dès lors, plutôt que de se focaliser sur la dualité de
l’époque coloniale, M. Araujo
129distingue trois ceintures de désintégration urbaine
progressive : d’abord le cemento, puis le subúrbio et enfin le peri-urbano. L'eau canalisée
est un des critères permettant de distinguer les 2 dernières.
Cement City Suburban Peri-urban DU n°1 DU n°2 & 3 DU n°4 & 5 Population (estimation) 1 300 000 250 000 855 000 195 000 % 100% 20% 65% 15% Characteristics Colonial center, concrete buildings, commercial & government center, high rise apartments.
High density, single story residential housing, primarily tin and concrete.
Low-density, single story housing, a mixture of tin, concrete and thatch. Prevalence of mixed land use,
including urban agriculture.
Water situation
Most homes (approaching 100%) have household water
connections
Less than 1/3 of residents have household water connections. Majority rely
on public taps or shared connections.
Less than 1 % of households access municipal water connections. Majority rely on
private standpipes or wells.
Characterization of Maputo's neighbourhoods
in Kruks-Wisner (2006): 26. Total
C. Henriques
130va encore plus loin en déclinant cinq catégories successives : d’abord le
cemento (DU 1), puis une zone suburbaine ancienne (A et B), une zone suburbaine
récente, et ensuite une marge urbaine et une marge rurale.
(Vivet, 2006 : 88)
Si la distinction entre la marge urbaine et la marge rurale semble pour le moins peu
évidente, ces catégorisations révèlent bien la multiplication et la fragmentation des
espaces urbains au détriment d’une urbanité "pure". La péri-urbanité vient donc décliner
la dichotomie coloniale. Ainsi plutôt que trois strates dégressives, il y a lieu de considérer
le subúrbio et le peri-urbano comme deux sous-strates du caniço. En effet, les quartiers
du DU n°2, du fait de la très forte densité qui y règne, connaissent souvent plus de
problèmes que les quartiers péri-urbains, qui ne regroupent quant à eux que 15 % de la
population de l’agglomération
131. Aussi, densification n’est nullement synonyme de plus
d'urbanité.
Partie Sud du bairro Albazine Zones peu denses de Magoanine “B”
(Seureca/Hydroconseil, 2005 : 20-21)Les critères permettant de définir le degré d’urbanité d’une zone de peuplement
concentré sont davantage liés à la diversification des activités et à l’adéquation entre les
activités exercées et les espaces de leur réalisation. Dans cette perspective, la
problématique particulière des zones péri-urbaines tient à ce que ces espaces sont de
véritables interfaces traversées par des dynamiques à la fois urbaines et rurales, dans
des dimensions physiques, environnementales, sociales, économiques et institutionnelles.
Selon A. Allen
132, les caractéristiques de ces zones sont :
- des activités économiques et des usages des sols tantôt urbains, tantôt ruraux ;
- des groupes socio-économiques hétérogènes et susceptibles de changer
rapidement, compte tenu de la spéculation foncière sur ces terrains peu onéreux ;
- une situation géographique hors de portée du réseau conventionnel d’adduction
de l’eau potable (propre de la ville horizontale) ;
- la présence et l’activité de multiples agents publics et privés, dont les périmètres
se chevauchent et dont les mandats sont parfois contradictoires (il n’existe
aucune autorité ad hoc).
Le fait de n’être pas desservis par le réseau suscite différents types d’adaptation, tels que
le PAABP. Ce genre de dispositifs est à l’origine de l’amalgame, restrictif, entre pauvres
et habitants péri-urbains. Or, la logique d’aménagement des zones péri-urbaines est
autrement plus complexe : les territoires péri-urbains deviennent peu à peu
multifonctionnels et sont aussi le lieu d’implantation de zones de culture vivrière, de
grandes surfaces commerciales, de gated communities et de résidences plus spacieuses
pour des habitants des quartiers centraux qui ont décidé de mettre leur logement en
location. Il n’en reste pas moins que les quartiers les plus éloignés sont ceux des formes
d’occupation les plus récentes et qu’ils s’en trouvent « envahis par des formes hybrides
d’activité économique, socio-culturelle, immobilière, politique, à la fois formelles et
131 Kruks-Wisner, 2006 : 27
informelles, légales et illégales, urbaines et rurales, modernes et coutumières »
133. La
péri-urbanité constitue donc un espace de transition entre urbain et rural, bien plus
qu’une phase temporaire menant vers un degré affermi d’une urbanité standard.
I.5.3. Le défi de la gestion de l’approvisionnement en eau dans cette
diversité du phénomène urbain : quelle nouvelle stratégie «
pluri-urbaine » ?
Face à cette diversification du phénomène urbain, comment organiser l’accès de tous les
citadins à l’eau potable ? La distribution de l’eau à Maputo a connu une gestion de
guerre, puis une gestion de crise. A présent, les autorités veulent anticiper en édifiant un
nouveau barrage, sur la rivière Nkomati, en périphérie de la capitale
134. Sous la pression
des Chinois, qui ne demandent qu’à bâtir de lourdes infrastructures, les autorités ne
semblent raisonner qu’en termes quantitatifs, prévoyant un déficit d’alimentation du
barrage des Pequenos Limbombos par rapport à l’augmentation de la population et des
besoins de l’usine d’aluminium Mozal. Pour l’heure, l’eau potable de Maputo est captée
dans le fleuve Umbeluzi, à 30 km au sud de Maputo, traitée dans une station adjacente,
puis acheminée via quatre centres distributeurs
135et 900 km de canalisations enterrées.
Malgré cela, les autorités peinent toujours à prendre en compte la dimension spatiale de
l’urbanisation, 64 % de la population n’est toujours pas branchée au réseau. L’extension
du réseau ne s’opère que sur une seule facette de la morphologie urbaine de Maputo, à
ceci près que les subúrbios les plus anciens ont entretemps été reliés à la matrice. Mais,
au-delà, il convient de se demander qui assure les fonctions, auparavant dévolues aux
services urbains, de prise en compte de la demande des citadins pauvres ? Les pouvoirs
publics locaux restent en effet dépendants de modèles extérieurs et d'accords avec les
organismes internationaux. Il y a donc un problème, au sens défini par J.-G. Padioleau,
d’une situation où « les acteurs perçoivent un écart entre ce qui est, ce qui pourrait être
ou ce qui devrait être »
136.
Comme l’explique Brandão Alves, Maputo a besoin d'une nouvelle stratégie urbaine pour
rompre avec la tradition technique formelle d'une part et l’héritage colonial d'autre part.
Cette stratégie doit être basée sur des standards ouverts à l'interaction, assimilables et
applicables. Bien qu’une politique publique ne saurait être la simple résolution d’un
problème, nous allons voir le processus d’apprentissage par lequel se créent de nouvelles
visions du monde de la distribution de l’eau.
133 Raposo, 2007 in Fourchard (dir.), 2007 : 57
134 Campbell, 2004 : 1
135 Bientôt 5 : Matola, Machava, Chamanculo, Maxaquene et Laulane/Hulene.