• Aucun résultat trouvé

II. 4. “Pendant ce temps-là, à Cochabamba”... le référentiel global/sectoriel est mis à bas

IV.1. La composante 3 du MWSP, portée par l’AFD : comment induire la politique de distribution de

IV.1.2. L’AFD choisit de s’impliquer sur le volet le plus innovant du MWSP, même s’il reste

Du fait du nombre de bailleurs à l’œuvre au Mozambique, comme s’exclame Aymeric

Blanc : « pour une fois, dans un pays africain, l’information ne manque pas ! ». Elle est

cependant extrêmement éparpillée bien que le groupe de travail permette désormais un

certain partage des connaissances. Conformément au Code de Conduite défini pour le

secteur de l’eau, la DNA dirige ce groupe, au nom du MOPH et du gouvernement

mozambicain. Le groupe rassemble neuf bailleurs

293

et six ONG

294

. Mais ces efforts de

coordination ont des limites. Au moins trois autres bailleurs, qui ne participent pas au

groupe de travail, sont actifs dans le secteur de l’eau : la BAD, la France et la MCC. Le

cadre d’évaluation des performances ne prévoit qu’un seul indicateur pour le secteur de

l'eau : le nombre de nouvelles sources isolées d'eau construites.

Ainsi, en 2006, rien que sur l’agglomération, sept projets non coordonnés étaient en

cours, impulsés par des acteurs hétéroclites : WSSUP, Wateraid, la BM, la BAD, le BPD,

le WSP, le GPOBA, etc. Sentant que cela risque de « finir par poser un problème »

295

Maurice Bernard propose à un responsable de l’ONG Building Partnerships for

Development (BPD) de se poser en coordinateur central. Le FIPAG, cependant, décline la

proposition. Il préfère rester seul maître à bord et jongler avec les différents projets de

financement. S’il détient manifestement les capacités pour s’acquitter de cette tâche,

cela nuit à la coordination des actions. Nous avons ainsi découvert de manière tout-à-fait

fortuite que la BM finançait le FIPAG pour le même type de dispositif que l’AFD. Cette

centralisation de l’information permet-elle à Nelson Beete d’obtenir le maximum de

financements de la part de chacun des bailleurs ?

a)Le montage d’un projet multi-bailleurs permet à l’AFD de se positionner sur l’axe le

plus innovant

La coordination des bailleurs se fait donc de façon encore empirique et circonstancielle.

Alors que l’AFD déployait son étude de faisabilité, en 2004, la BEI est arrivée à Maputo

avec l’idée de financer le secteur de l’eau, forte d’un budget de 40 millions d’euros. Les

bailleurs ont alors évalué la possibilité de monter un projet commun. Au final, le MWSP

regroupe : la BEI, la Facilité Eau de la CE, le FMO (instrument de financement des

entreprises), la coopération néerlandaise et l’AFD. Le projet s’inscrit dans la PNDA

soutenue par la BM et tient donc compte des autres projets en cours, tels que la

construction d’un nouveau centre distributeur pour le réseau AdM à Laulane.

Cet élargissement des porteurs de projet permet à l’AFD de délaisser les axes consacrés

à l’augmentation de la production d’eau et à la réduction des pertes du réseau, pour se

concentrer sur "la composante 3". Ce troisième volet consiste lui-même en trois axes :

! construire de nouveaux petits systèmes dans les quartiers péri-urbains ;

! accompagner la création d’un cadre institutionnel de régulation approprié ;

! améliorer la gestion des bornes fontaines.

Des trois composantes du projet, c’est indéniablement la plus novatrice. Le premier

niveau, en particulier, consiste à établir un campo de furos, pour en confier l’exploitation

technique et commerciale à des POPs sélectionnés sur appel d’offre. C’est une façon

d’offrir des possibilités de croissance aux POPs les mieux organisés, tout en les plaçant

sur des installations conformes au réseau de AdM. Bien qu’elle ne finance que moins d’un

tiers de ce volet, l’AFD est désignée comme "leader" de la composante n°3. Un

positionnement qui a de quoi satisfaire la stratégie de Maurice Bernard, comme celle du

directeur d’agence, Bruno Leclerc.

293 Autriche, Canada, Suisse, Irlande, Japon, PB, EC, Unicef, WB

294 Care, Croix-Rouge, Wateraid, Helvetas, Cowater

L’idée de développer un programme de recherche interne à l’AFD sur ce phénomène est

sans doute issue de la convergence de leurs motivations. Pour le Département de la

Recherche de l’AFD, assez récent et qui cherche à se faire une place dans l’organisation,

un tel terrain est intéressant et porteur. La spécificité de ce programme est qu’il est lancé

en parallèle au projet opérationnel lui-même. Dès lors, tout l’enjeu pour Aymeric Blanc et

Nicolas Meisel va consister à négocier leur positionnement atypique, vis-à-vis des

différents interlocuteurs : à mi-chemin entre conseil et évaluation ex-post.

b)Le "campo de furos" : un projet top-down conçue à partir d’une démarche

bottom-up ?

L’approche de l’AFD sur la question de la distribution d’eau à Maputo se caractérise donc

par son pragmatisme. La contribution de ses agents au MWSP consiste à copier le mode

de fonctionnement d’acteurs déjà actifs avant le projet pour le recréer ailleurs et selon

des normes satisfaisantes pour tous. Ce type de façon de faire est indéniablement

nouveau pour l’AFD, qui cherche à s’entourer de tous les conseils possibles. Est-il pour

autant possible de parler d’une approche bottom-up ?

La réticence de l’AFD à investir dans la zone confiée à AdM est due aux prestations

lamentables de l’opérateur. De surcroît, des opérateurs atypiques et dynamiques ont été

identifiés en marge du périmètre d’affermage et même à l’intérieur de celui-ci, ce qui

pose d’épineux problèmes. L’AFD prend alors le parti, en 2005, de construire des petits

systèmes dans 11 quartiers péri-urbains, dont AdM même reconnaît qu’elle ne pourra les

desservir avant 10 ans, soit avant la fin de son contrat. Le pari consiste à confier des

installations durables et légales, dont les POPs ne seraient pas propriétaires, en pariant

sur leur dynamisme entrepreneurial pour étendre rapidement la desserte des foyers

alentours. Les zones péri-urbaines choisies sont encore peu denses, mais les autorités y

identifient de « clear signs of rapid urbanization »

296

. L’idée est donc de bâtir des

infrastructures qui correspondent à un développement planifié dans des zones encore

relativement rurales, plutôt que de s’immiscer dans l’imbroglio de quartiers plus centraux

et plus denses où les POPs sont massivement implantés. Au-delà, les concepteurs du

projet cherchent à assurer la mutabilité des systèmes d’approvisionnement en eau. En

effet, à la différence des installations spontanées des POPs, ces petits systèmes sont

compatibles avec les normes de AdM et donc, à terme, connectables au réseau officiel.

Comme l’explique S. Jaglin, il est en effet important d’éviter l’enfermement des

populations pauvres dans des solutions sous-normées

297

.

Il est toutefois permis de penser, qu’agissant ainsi, l’AFD s’écarte du problème

fondamental des POPs et de Maputo. Les POPs n’avaient sans doute nul besoin de la

composante 3 du MWSP pour aller s’implanter dans ces quartiers péri-urbains. Ce qui

constitue un réel problème, pour les POPs, ce n’est pas tant l’expansion, pour laquelle ils

se révèlent très efficaces, mais la reconnaissance et la légalisation de leur activité.

D’ailleurs, les responsables d’AdM se sont assez rapidement prononcés en faveur du

campo de furos, car c’est en dehors de leur périmètre. Leur attention est rivée sur la

zone de Laulane, vers laquelle ils comptent étendre leur desserte, mais où les POPs

desservent plus de 10 000 clients.

296 « des signes clairs d’urbanisation rapide » (Hydroconseil/SAL, 2007/11 : 19).

c) L’"output-based aid", un nouvel instrument des politiques publiques de

développement ?

Les concepteurs du MWSP-3 reconnaissent qu’ils n’avaient pas pris, lors de la définition

du projet, toute la mesure du phénomène des POPs et, en particulier, leur incroyable

dynamisme : « when the project has been designed, in year 2005, POPs had installed

5,000 house connections in the project area and many places were still lacking any

network »

298

. C’est pourquoi les agents de l’AFD avaient initialement eu l’idée de recréer

des petits systèmes dans des zones denses mais dépourvues de réseau. En 2007,

cependant, ils réalisent que « in just two years, this figure has more than doubled »

299

.

Dès lors, ils décident d’introduire « two slight changes »

300

dans leur méthodologie :

! les petits systèmes seront plutôt installés dans des zones peu denses, mais à fort

potentiel de croissance ;

! les POPs existants seront assistés, dès le départ, au moyen d’un dispositif de

output-based aid

301

(OBA).

L’OBA est un outil de financement direct entre le bailleur et l’acteur, qui permet de ne

délivrer la majorité du financement qu’après la réalisation de la mission définie et en

proportion de son degré d’accomplissement. Pour les POPs, l’OBA consiste à financer une

partie des coûts de branchement des nouveaux clients, à hauteur de 112 USD par

branchement, de façon à que les POPs puissent proposer aux foyers un coût de

connexion nettement moins élevé. Cela permet aux bailleurs d’inciter les POPs à étendre

au maximum leur taux de desserte, à l’échelle de leur quartier, en neutralisant le risque

des cherry picking strategies.

Cet outil de gestion peut être identifié à un "instrument" des politiques publiques de

développement. P. Le Galès et P. Lascoumes définissent un instrument de politique

publique comme « un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports

sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires »

302

. Il s’agit donc de

comprendre ce que l’instrument révèle de la vision du monde qui le sous-tend. Dans

notre cas, si l’OBA s’inscrit tout-à-fait dans l’évolution des pratiques des bailleurs vers

une gestion axée sur l’efficacité et la suppression des coûts de transaction, cet

"instrument" de politique publique nuit au renforcement des capacités locales, en ce qu’il

permet au bailleur de piloter son intervention à distance, sans avoir à passer par les

autorités politiques nationales ou municipales. La philosophie gestionnaire qui le

sous-tend est orientée sur des indicateurs de performance purement quantitatifs et ne

s’embarrasse guère des problèmes d’équité qui pourraient surgir entre les clients

bénéficiaires de ce dispositif et les autres. L’OBA induit ainsi une conditionnalité de

résultats plutôt qu’une conditionnalité de processus.

Cet instrument semble néanmoins assez adéquat - à condition d’être convenablement

utilisé - pour stimuler le dynamisme entrepreneurial des POPs. Et pour cause, le principal

risque à mettre en place des projets associant de si petits acteurs et de grosses

organisations de coopération internationales réside dans le décalage temporel entre les

deux : la mise en place, tardive, d’une structure lourde sur les initiatives rapides et

éparpillées des POPs pourrait aboutir à neutraliser complètement leurs atouts.

298 « quand le projet fut conçu, en 2005, les POPs avaient installé 5 000 branchements dans la zone du projet et de nombreux endroits étaient encore dépourvus de réseau » (Hydroconseil/SAL, 2007/11 : 18).

299 « en à peine deux ans, ce chiffre a plus que doublé » (Hydroconseil/SAL, 2007/11 : 18).

300 « deux petits changements » (Hydroconseil/SAL, 2007/11 : 18).

301 Aide basée sur les résultats

IV.2. Retour sur les expériences internationales de régulation des POPs :