II. 4. “Pendant ce temps-là, à Cochabamba”... le référentiel global/sectoriel est mis à bas
III.2. Comment s’est constituée la "fenêtre d’opportunité" qui a permis la prise en compte des POPs
III.2.1. Le courant des problèmes : pénurie d’eau et POPs illégaux
Dans la théorie de J. Kingdon, un premier courant doit nous permettre de comprendre
comment certains évènements font surgir un problème politique, appelant une action
publique. Comment un phénomène en vient-il à être perçu comme un problème ?
Pourquoi l’attention se focalise-t-elle sur ce problème là plutôt que sur un autre ?
La particularité du cas de Maputo réside dans le fait que l’émergence de la possibilité
d’associer les POPs à la desserte officielle provient de la conjonction initiale de deux
problèmes :
1. l’insuffisant accès de la population à des sources d’eau améliorées ;
2. l’existence même des POPs et leurs activités tangentiellement illégales.
Ces deux réalités urbaines insatisfaisantes sont, au début des années 2000, mises à
l’agenda politique en tant que problèmes d’ordre public. Comment ces réalités se
constituent et pourquoi sont-elles mises sous les projecteurs des autorités publiques ?
Voilà ce que nous allons tenter d’expliquer.
a)L’insuffisant accès à l’eau : les raisons d’un problème
L’insuffisant accès à des sources améliorées d’eau dans les subúrbios de l’agglomération
de Maputo provient effectivement, en partie, du développement démographique et
spatial de cette zone urbaine. La naissance et la croissance du caniço, hors de toute
supervision publique jusqu’en 1970, a abouti à une situation de grand dénuement en
termes d’infrastructures. Ensuite, l’afflux en nombre des deslocados, dépassant les
capacités d’action des autorités locales, a contribué à aggraver cette inadéquation entre
équipements et taille de la population. Ces habitants étant pauvres et livrés à
eux-mêmes, les subúrbios ont considérablement grossi, sur la base d’habitations très peu
verticales. Cette croissance horizontale a ainsi contribué à éloigner les populations du
réseau central de canalisations d’eau et de la perspective que celui-ci les atteigne un
jour.
Ceci étant dit, l’insuffisance de la desserte n’est pas due qu’à des raisons
démographiques et spatiales. Elle n’est pas non plus exclusivement imputable aux
mauvaises performances de AdM. Le manque d’eau des habitants des subúrbios est
également le fruit de décisions socio-politiques et notamment de pratiques le lobbying et
de clientélisme. Ainsi, les groupes industriels implantés dans l’agglomération, qui sont,
de loin, les plus gros consommateurs d’eau, n’en manquent pas. Et cela, en flagrante
violation de la loi qui énonce clairement: « o abastecimento de agua á população, para
consumo humano e para satisfação das necessidades sanitarias, tem prioridade sobre os
demais usos privativos »)
249. Or, sur la photo satellite de Maputo qui était accrochée au
mur, dans le bureau de AdM où nous fûmes reçus
250, un seul point, bleu, avait été
ajouté : l’emplacement de l’usine Coca-Cola. Coïncidence saisissante, Antonio Fernando
Laice, qui est l’un des trois membres initiaux du CRA, est encore aujourd’hui membre du
conseil d'administration de Coca-Cola Mozambique. Les acteurs industriels sont en effet à
même d’activer ce que S. Benjamin nomme les « upper governance circuits », tandis que
les habitants des quartiers pauvres restent cantonnés dans les « lower governance
circuits »
251.
De même, la décision d’implanter l’usine Mozal dans la banlieue de Maputo (à 17 km du
centre !) était de nature à mettre en péril l’approvisionnement en eau de toute une partie
de la population. B. Lachartre en témoigne, en 2000, en indiquant que deux questions
ont été soulevées avant la construction de cet gigantesque projet industriel : le devenir
des déchets et les énormes « besoins en eau qui risquent de "pomper" les ressources
prévues pour l'amélioration de la desserte des quartiers périphériques de la capitale »
252.
En somme, l’explication par la croissance urbaine n’est pas suffisante. Elle présente
l’avantage de masquer les responsabilités politiques dans la distribution d’une ressource
qui est tout aussi construite que naturelle.
Dans sa théorie, J. Kingdon insiste sur l’importance d’un choc exogène pour faire
émerger le caractère problématique d’un phénomène. Pour ce qui est de l’accès à des
sources sûres d’eau à Maputo, il est indéniable que les inondations de 2000 ont eu un
rôle déclencheur. En permettant l’accès massif d’organisations internationales dans un
pays jusque là assez verrouillé, cet évènement a permis d’exposer les conditions
"infra-humaines" dans lesquelles vivaient les habitants des subúrbios. En détruisant bon
nombre d’infrastructures et en provoquant la propagation d’épidémies graves, les
inondations ont rendu plus que jamais urgente la nécessité d’assurer un accès sûr et
durable à une eau salubre.
Au-même moment, et non loin de là, à Johannesburg, se tient le "Sommet du Millénaire".
Celui-ci, réunissant l’ensemble des organisations impliquées dans les questions de
développement, est destiné à surmonter la "fatigue" de l'aide qui s’est installée depuis la
fin de la guerre froide. Fondé sur deux piliers, les biens publics locaux et mondiaux, ce
249 « l’approvisionnement en eau de la population, pour la consommation humaine et la satisfaction des besoins sanitaires, est prioritaire par rapport à tous les autres usages privatifs » Art. 26 - Lei de Águas (n°16/91)
250 Entretien n°14 (cf annexe).
251 Ruet, 2008 : 18